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La première communauté britannique naît en 1992, à Cambridge ; profitant alors d’une localisation dans une ville bourgeoise et universitaire. La charité a une importance classique dans le développement des structures britanniques. Il existe aujourd’hui près de vingt deux Communautés Emmaüs au Royaume-Uni1

et quatorze autres en processus de développement (de type magasin, entrepôt) (Emmaüs UK, 2012). A la différence du mouvement espagnol né vingt ans plus tôt, Emmaüs UK dispose d’un secrétariat fédéral, situé à Cambridge. Autre grande différence, la fédération britannique centralise les processus de création et de développement des Communautés, les modes de gestion et la formation des responsables et des « Trustees2 ». Le secrétariat emploie

1Carte de localisation de Communautés britanniques, extraite du site de la fédération britannique : http://www.emmaus.org.uk/find-my-nearest

2 Les « Trustees » seront abordés plus précisément plus tard : ce sont les bénévoles membres du bureau exécutif.

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près de 25 salariés (à temps plein et temps partiel), professionnels de la gestion, de la communication, du marketing, de la comptabilité. Le secrétariat national organise aussi :

• la communication et le partage d’information (en termes de bonnes pratiques¸ de publicationsinternes, d’organisation de rencontres, d’évènements, et l’assemblée générale). Le nouveau site internet de la fédération a été lancé en décembre 2007 ;

• le support technique et administratif aux Communautés (notamment en matière de conseils juridiques, lois des associations « Charity law », publications locales, aide à la levée de fonds « fundraising », recrutement et emplois) ;

le support technique et administratif aux groupes en processus de développement de Communautés. La fédération fournit l’aide nécessaire au développement, notamment grâce à des stratégies et études de marchés permettant le développement des Communautés. Enfin, elle aide à l’enregistrement en « charities » auprès de l’administration locale et nationale ;

la fédération garantit l’image d’Emmaüs au Royaume-Uni, en produisant l’ensemble des documents relatifs au mouvement britannique et international, dans le but de favoriser la levée de fonds.

Sur les vingt deux Communautés, nous avons eu la chance de visiter deux Communautés différentes.

Comme dit précédemment, la première communauté britannique a été créée en 1992 à Cambridge. Cette communauté est né de l’ambition d’un couple, Paul et Jane, qui resteront à la direction jusqu’en 2009. La Communauté de Cambridge est située en pleine campagne du Cambridgeshire. Il s’agit d’une structure composée de la maison communautaire, d’un entrepôt et d’un magasin, de bureau administratif, d’un café - pâtisserie de type « Coffee shop », d’un ancien poulailler et d’un potager. Mais, aux origines, il n’y avait que « deux caravanes au milieu d’un terrain vague » (Paul et Jane, Cambridge, 2009). Cette ancienneté et cet attachement aux valeurs d’Emmaüs ont conduit la plus ancienne communauté britannique à quitter la fédération britannique, jugée trop entrepreneuriale.

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A l’inverse, notre investigation nous a conduits dans une autre communauté, différente de la première. Celle de Colchester est l’une des plus neuves, bien que l’association Emmaüs de Colchester existe depuis plus de dix ans (à l’époque de l’enquête en 2009). L’association a d’abord commencé par ouvrir deux entrepôts de récupération et de vente d’objets de seconde main. Les bénéfices tirés de ces activités ont permis de construire un bâtiment neuf, entièrement équipé, avec ascenseur, système de chauffage à bois de toute dernière génération, etc. Plus d’un million d’€ ont permis la mise en forme de ce projet. Cette évolution n’a rien à voir avec l’évolution historique du cas précédent (avec ses deux caravanes dans un terrain vague du Cambridgeshire). En plus de cette magnifique résidence communautaire visible par tous les notables de la ville, la communauté dispose d’un entrepôt et d’un magasin récemment ouvert en pleine rue commerçante principale. Au sein de cette communauté, quatre types d’acteurs travaillent conjointement : une vingtaine de Compagnons, les trois salariés + deux stagiaires, la quinzaine de bénévoles et la dizaine de « Trustees » (bénévoles du bureau exécutif).

Les deux Communautés visitées sont assez représentatives de l’évolution du mouvement Emmaüs au Royaume-Uni. La stratégie de développement est telle qu’elle entrevoit le projet sorti de terre, sans considérer l’effort moral et la persévérance militante qui ont conduit à la construction de la majorité des Communautés en France et en Espagne. En effet, le modèle britannique est plutôt « clé en main ». Néanmoins, nous rappelons qu’avant l’édification de la résidence communautaire neuve de Colchester, des bénévoles se sont relayés dans les deux entrepôts d’Emmaüs Colchester afin de récolter les fonds nécessaires à la construction de cette maison communautaire et à l’accueil des Compagnons bénéficiaires. Depuis, beaucoup de ces mêmes bénévoles ont laissé le mouvement estimant leur part du « contrat Emmaüs » fini. C’est le modèle britannique.

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Une définition claire de notre objet d’étude nécessite que l’on revienne sur la spécificité communautaire. Pourtant, il existe une variété de définitions de ce qu’est une Communauté. La communauté est une notion qui est reprise par le droit, la sociologie, la géographie ou l’urbanisme (communauté de communes). Cette notion sert à définir en général un regroupement. Cependant, il faut expliquer ces particularités en tant que structures de l’économie sociale et solidaire, et aussi en tant que lieu où s’établissent des liens sociaux important. Pourtant, la multiplication des interprétations de la notion de « Communauté » a tout son sens dans notre argumentaire. Evidemment, dans « notre esprit », la Communauté rappelle ces communautés utopiques issues de l’économie sociale, comme le « phalanstère » imaginé en 1808 par Charles Fourier ou le « familistère » fondé en 1846 par J.B. Godin. Au-delà des considérations utopiques, c’est l’absence d’une définition précise qui permet au modèle d’Emmaüs d’adopter des stratégies flexibles et hybrides. De plus, la référence utopique est un atout pour consolider la culture d’entreprise et de solidarité des Communautés. L’idée de Communauté favorise un imaginaire collectif.

Pourtant, c’est Esposito qui souligne le mieux les ambiguïtés du concept de « communauté ».

« Comment dire « nous » autrement que comme « on » (= tous et personne) et autrement que comme « je » (=une seule personne, ce qui est encore personne…). Comment donc être en commun sans faire ce que toute la tradition (mais après tout récente, c'est-à-dire tributaire de l’Occident qui s’achève en se répandant) appelle une Communauté (un corps d’identité, une identité de propriété, une intimité de nature) ?

Il est évident que nous sommes ensemble (…). Il est évident que nous existons indissociables de notre société, si l’on entend par là non pas nos organisations ni nos institutions, mais notre sociation¸ qui est bien plus et surtout bien autre chose qu’une association (un contrat, une convention, un groupement, un collectif ou une collection) mais une condition coexistante qui nous est coessentielle (…). Et pourtant, il n’en reste pas moins (…) une évidence de notre être ensemble, une évidence nôtre et qui précède toute autre évidence autant que l’existence sociale de Descartes précède

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logiquement et chronologiquement la possibilité de l’énonciation d’ego sum – lequel, en s’énonçant s’énonce d’ailleurs au moins à un autre, et si bien, peut-on dire, que tout ego sum est un ego cum. » (R. Esposito, 2000)

Il faut revoir certaines typologies d’économie ou de sociologie pour comprendre le fonctionnement de la Communauté. Il faut comprendre ce qu’il y a en commun, ce qui est mis en commun. Il faut se demander si ce qui fonctionne ensemble ne fonctionnerait pas mieux individuellement. S’il est difficile d’interpréter ce qu’est une communauté, ce travail d’observation nous a conduits d’associations en entreprises associatives, de communautés en maisons des travailleurs, de fondation sociale à des regroupements organisés d’individus précaires (ces derniers ont trouvé dans le lien communautaire le dispositif social et économique favorable à leur survie). L’économie sociale a inventé la coopérative et la communauté, et l’histoire sociale décrite dans la première partie explique combien la communauté peut favoriserdes relations professionnelles nouvelles1. Ces relations professionnelles et ces relations de travail analysées s’inscrivent dans un modèle collectif où circulent des dons, où s’échangent des biens, où s’entraident et s’aident des individus, où se juxtaposent public et privé, sacrifices et engagements, compensations et bénéfices2. Dans ce modèle, il s’y mêle principe de propriété et celui de bien communautaire et associatif. Il fonctionne selon les engagements et les bénéfices, la prise de risques et les compensations ; c’est en cela que nous avons choisi le différentiel comme un facteur de ce qui fonde les relations professionnelles communautaires. Les Communautés visitées sont des lieux d’accueil, de vie, de travail, de solidarité. Elles sont semblables à des familles où sont renouvelésles liens sociaux qui permettent aux individus de vivre dans la dignité. Elles sont semblables à des refuges et des sociétés de secours mutuel, où sont pris en charge les formes d’exclusions et les risques, qui touchent les populations les plus précaires. Elles sont comme des structures autarciques (comme des

1 Esposito rappelle que dans toutes les langues néo-latines, le commun s’oppose à ce qui est propre à. En somme, comment construire une activité commune en respectant ce qui est propre à chacun des

communautaires. C’est la prérogative essentielle de ce travail. Une fois que l’on a accepté le munus, on est placé dans l’obligation de rendre en retour, soit en termes de biens, soit en termes de services. (Esposito, 2000, p17)

2 Dans sa lecture philosophique de la Communitas, Esposito décrit au fil des chapitres, tour à tour lapeur, la faute, la loi, l’extase, l’expérience. Dans notre lecture, nous lirons le fait communautaire à travers le risque, la coopération, la précarité, les conventions, les avantages (comparatifs) et le modèle.

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familistères, des phalanstères,et autres utopies). Elles sont comme des coopératives de production et de consommation (tels que l’imaginait Owen, Saint-Simon, ou la communauté de Rochdale) où les sociétaires sont des salariés, des bénévoles et des anciens pauvres devenus bénéficiaires et fournisseurs de l’aide. Elles sont comme des entreprises associatives qui fonctionnent grâce à l’activité de récupération environnementale, la récupération, la réparation, la rénovation et la vente d’objets de seconde main (bric-à-brac, mobilier, électroménager, et autres biens de consommation), le traitement des déchets (notamment les DEEE, déchets d’équipements électriques et électroniques). Elles sont comme des brocantes où se retrouve une certaine vie de quartier.

2. Explication sur la Méthode

La pluridisciplinarité apparait dans notre méthode. Notre travail utilise différentes approches universitaires pour définir une structure qui appartienttout autant à l’économie, à la sociologie, aux sciences politiques, au droit, à la philosophie et à l’histoire : la Communauté. Mais cette étude s’inscrit avant tout dans l’économie sociale et solidaire, qui reste le champ approprié de notre analyse. Or, l’économie sociale et solidaire – ou alternative – est un vaste champ de recherche. En outre, l’ESS est une somme de concepts, de doctrines et de courants économiques.

2.1.L’analyse des conceptions de l’Economie sociale, solidaire et

alternative