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Troisième critère : l’idéologie ou la cause à défendre

B. La définition doctrinale du « combattant étranger »

3. Troisième critère : l’idéologie ou la cause à défendre

L’idéologie est le dernier critère récurrent qui semble caractériser le « combattants étrangers ». Elle serait la raison conduisant un individu à quitter son État d’origine ou de résidence habituelle, pour se battre, souvent à plusieurs milliers de kilomètres, et mettre en jeu sa vie lors d’un conflit dans un État avec lequel il n’a, a priori, aucune autre attache particulière.

Pour comprendre ce critère, il faut appréhender le terme d’idéologie, présent dans toutes les propositions de définition, en son sens le plus large. Elle ne doit pas être restreinte à la seule question des idées politiques ou religieuses, mais comprendre également des aspects culturels et sociétaux.96 Elle peut ainsi renvoyer à une appartenance ethnique séculaire ou bien à un mode de vie tout à fait novateur. Finalement, il s’agirait de tout lien qui peut unir un ensemble d’individus de telle sorte qu’ils soient prêts à prendre les armes pour le défendre. C’est pourquoi, d’ailleurs, il faudrait préférer l’expression plus générale et neutre de cause à défendre à celle d’idéologie. En effet, il a été noté que parmi les

« facteurs qui influent le plus sur le choix de se rendre dans une zone de conflit pour prendre part au combat sont : "1) l’indignation face à ce qui se passe supposément dans le pays où les conflits ont lieu et l’empathie pour les personnes concernées ; 2) l’adhésion à l’idéologie du groupe que la personne souhaite rejoindre ; […]". »97

L’idéologie apparaît donc bien comme un facteur déterminant, toutefois elle n’est pas exclusive et il serait donc opportun d’élargir ce troisième critère pour englober d’autres formes de motivation.98 En effet, au-delà de partager les mêmes idées, l’individu se sent lié à un groupe impliqué dans un conflit armé et ressent le besoin de lui apporter son aide. Autrement dit, soit le groupe en lui-même constitue une entité qui « mérite » d’être secourue, soit ce sont les idées et modes de vie du groupe – auxquels l’individu adhère – qui doivent être défendus, il faut donc aller au-delà de simples considérations idéologiques.

96 MENDELSOHN (B.), « Foreign Fighters – Recent Trends », op. cit., pp. 189-190.

97 « Combattants étrangers en Syrie et en Irak », Conseil de l’Europe, op. cit., p. 10.

98 HEGGHAMMER (T.), « The Rise of Muslim Foreign Fighters: Islam and the Globalization of Jihad », op. cit., p. 64.

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De nombreuses causes à défendre ont été identifiées comme ayant motivé la mobilisation de « combattants étrangers ». En voici quelques principales pour éclairer sur la vaste palette qu’elles constituent : la défense du libéralisme politique contre l’absolutisme, le despotisme militaire, l’aristocratie et les privilèges99 ; la défense du libéralisme et du nationalisme contre l’impérialisme100 ; la défense du socialisme pour les uns et de la chrétienté pour les autres101 ; la défense de l’oumma depuis les années 80 jusqu’à aujourd’hui pour les moudjahidin contre les gouvernements apostats et leurs alliés occidentaux102 ; la défense de la pureté et de l’honneur des femmes d’une communauté contre « the specter of

interracial rape » pour les texans face aux mexicains, mais aussi les irakiens face aux

américains103.

Cette énumération non exhaustive permet de constater que le phénomène est loin de ne concerner que les individus guidés par un fondamentalisme religieux islamiste. Le djihadisme et le terrorisme islamiste n’ont pas l’exclusivité du phénomène des « combattants étrangers ». Ce dernier ne concerne pas uniquement les partisans de la charia, le spectre des idéologies et causes à défendre du phénomène est probablement sans limite.104 D’ailleurs, les « combattants étrangers djihadistes » ne représentent pas plus du tiers du phénomène global des « combattants étrangers ».105

Quelle que soit la cause en jeu, c’est toujours pour la défendre que les « combattants étrangers » se mobilisent.106 Les analyses des campagnes de recrutement, ainsi que les témoignages recueillis, soulignent que c’est pour défendre leur communauté ou une communauté qu’ils estiment oppressée, pour défendre leur mode de vie ou leurs croyances,

99 MALET (D.), Foreign fighters: Transnational identity in civil conflict, op. cit., pp. 59 et 67-68.

100 Voir notamment l’article suivant : PECOUT (G.), « Pour une lecture méditerranéenne et transnationale du Risorgimento », op. cit., pp. 29‑47.

101 VALAIK (D. J.), « In the Days Before Ecumenism: American Catholics, Anti-Semitism, and the Spanish Civil War », op. cit., p. 466 ; MENDELSOHN (B.), « Foreign Fighters – Recent Trends », op. cit., p. 190.

102 MALET (D.), Foreign fighters: Transnational identity in civil conflict, op. cit., pp. 166-173 et 193.

103 Ibid., p. 72.

104 BRIGGS OBE (R.) and SILVERMAN (T.), « Western Foreign Fighters – Innovations in Responding to the Threat », Institute for Strategic Dialogue, 2014, p. 13.

105 MALET (D.), Foreign fighters: Transnational identity in civil conflict, op. cit., p. 44.

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qu’ils sont recrutés et sont prêts à se sacrifier.107 Ainsi, il ressort des discours des recruteurs et des candidats qu’aller combattre « là-bas », à l’étranger, est nécessaire pour que la menace ne se propage pas jusqu’à « chez eux ».

De plus, la cause à défendre serait si centrale dans l’engagement du « combattant étranger » qu’il se révèle bien souvent plus extrême et destructeur que les combattants locaux.108 Cette cause ferait qu’ils sont plus enclins que ces derniers à s’engager dans des solutions et comportements extrêmes pour la défendre, quitte à réaliser des attaques suicides.109 Ainsi, durant la Guerre civile espagnole par exemple, les recruteurs soutenaient que mourir au nom du Christ était spirituellement bénéfique dans l’après-vie.110

Si la cause à défendre est ce qui pousse les individus à devenir des « combattants étrangers », il ne faut toutefois pas caricaturer le propos. Il serait faux et absurde d’en déduire qu’il n’y a jamais d’intérêts pécuniaires en jeu. Des récompenses matérielles ou des salaires peuvent être également promis.111 Néanmoins, contrairement aux mercenaires, l’avantage pécuniaire n’aurait qu’une importance secondaire. La possibilité d’assimiler certains « combattants étrangers » aux mercenaires ne devrait pas être évacuée trop rapidement.112 Il faut pourtant constater à ce stade que la doctrine tend à considérer que le critère de la cause

107 Voir notamment MALET (D.), Foreign fighters: Transnational identity in civil conflict, op. cit., pp. 103-109, 115-119, 123, 135-145, 145-151 et 199 ; PECOUT (G.), « Pour une lecture méditerranéenne et transnationale du Risorgimento », op. cit., pp. 41-43 :

« lors de la guerre gréco-turque de 1897, lorsque des volontaires partent d’Italie, de Provence et de Catalogne pour se battre contre les Ottomans, ils le font au nom d’une communauté de civilisation méditerranéenne pour défendre la latinité ».

108 MALET (D.), Foreign fighters: Transnational identity in civil conflict, op. cit., p. 197 :

« in his examination of more than 500 suicide bombings during the occupation of Iraq between March 2003 and August 2006, Mohammed Hafez observes that “many, if not most” of the perpetrators were foreigners […]. He thus argues that suicide bombers in the Iraqi insurgency were not fighting for a nationalist cause, but rather that extreme religiosity “appears to hold” as the explanation for why foreigners would incur high costs to sacrifice their lives in a foreign civil conflict and why Shiite civilians and Iraqi state employees were targets. »

109 STRAZZARI (F.), « Foreign Fighters as a Challenge for International Relations Theory », in De GUTTRY (A.), CAPONE (F.) and PAULUSSEN (C.) (éds.), Foreign Fighters under International Law and Beyond, The Hague, T.M.C. Asser Press, 2016, pp. 50-51.

110 MALET (D.), Foreign fighters: Transnational identity in civil conflict, op. cit., pp. 197-198.

111 Ibid., pp. 73-75.

112 Sur l’applicabilité du statut de mercenaire aux « combattants étrangers », voir infra, pp. 206-210 ; FLORES (M.), « Foreign Fighters Involvement in National and International Wars : A Historical Survey », op. cit., p. 29.

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à défendre exclut le statut de mercenaire pour identifier les « combattants étrangers ».113

Cette position semble d’ailleurs être tenue par les Nations unies.114

Pour finir, il faut déjà préciser que l’idéologie ou la cause à défendre motivant la participation n’a pas d’influence sur l’application des statuts juridiques du droit international humanitaire et sur la réglementation des activités de participation à un conflit armé.115 Ce troisième élément, qui caractérise systématiquement les « combattants étrangers », n’est donc pas un obstacle à ce qu’ils soient juridiquement considérés comme des acteurs des conflits armés, identifiés et régis par le Ius in bello. L’importance de ce critère ne doit cependant pas être amoindrie par la simple affirmation que l’idéologie n’a pas d’impact sur l’application du DIH. En effet, c’est probablement par lui que le nouveau statut de « combattant terroriste étranger », malgré ses limites, peut être effectivement présenté comme une piste pertinente au processus d’identification des « combattants étrangers ».

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