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La notion de groupe armé organisé partie à un conflit armé dans le contexte du phénomène des « combattants étrangers »

organisé applicable aux « combattants étrangers »

1. La notion de groupe armé organisé partie à un conflit armé dans le contexte du phénomène des « combattants étrangers »

En DIH, la notion de force armée doit être entendue au sens large du terme. Elle inclut également celle de force armée non étatique ; force qui n’est pas mise sur pied et employée par les autorités légales d’un État. Pour constituer juridiquement une partie à un conflit armé, une force armée non étatique doit pouvoir être qualifiée de « groupe armé organisé ».538 Pour cela, elle doit exercer une forme de pouvoir public, être identifiable et être responsable.539

Selon le nouveau commentaire de l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève rédigé sous l’égide du CICR, il faut alors vérifier que les groupes armés étudiés aient « la capacité d’être parties à un conflit armé ».540 Pour cela, les groupes doivent faire preuve

538 Art. 1 par. 1, PA II, op. cit. ; Art. 8 par. 2, f), Statut de Rome, op. cit.

539 DAVID (E.), Principes de droit des conflits armés, op. cit., pp. 137-138.

540 Site internet du CICR, « Article 3 : conflits de caractère non international », Commentaires de 2018, op. cit., par. 422.

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d’un minimum d’organisation.541 Plus strict, le Protocole additionnel II de 1977 exige quant à lui une « organisation suffisante, d’une part, pour concevoir et mener des opérations

militaires continues et concertées, de l’autre, pour imposer une discipline au nom d’une autorité de fait. »542 Cette discipline interne impliquant alors que des règles, et notamment celles du droit des conflits armés, puissent être imposées et qu’un commandement soit identifiable pour que sa responsabilité soit engagée en cas de violations du DIH par lui-même ou ses subordonnés.543

Dans les deux cas, c’est à la jurisprudence internationale que sont dues les explications complètes de ce qu’il faut entendre par organisation suffisante pour obtenir la qualité de groupe armé partie à un conflit armé non international.544 Elle a ainsi précisé la notion en développant un faisceau d’indices,545 c’est-à-dire un ensemble d’« éléments

symptomatiques dont aucun n’est par lui-même essentiel pour établir que la condition d’"organisation" est remplie. »546 Les jurisprudences Haradinaj et Boskoski-Tarčulovski du TPIY sont centrales sur ce point en ce qu’elles ont résumé et commenté un grand nombre d’indices utilisables :

« parmi ces éléments, il faut citer l’existence d’une structure de commandement, de règles de discipline et d’instances disciplinaires au sein du groupe ; d’un quartier général ; le fait que le groupe contrôle un territoire délimité ; la capacité qu’a le groupe de se procurer des armes et autres équipements militaires, de recruter et de donner une instruction militaire ; la capacité de planifier, coordonner et mener des opérations militaires, notamment d’effectuer des mouvements de troupes et d’assurer un soutien logistique ; la capacité de définir une stratégie militaire unique et d’user de tactiques militaires ; et la capacité de

541 Ibid., para. 423-437.

542 PILLOUD (C.), DE PREUX (J.) et autres, Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, op. cit., par. 4463, p. 1376.

543 Voir notamment à ce propos : PILLOUD (C.), DE PREUX (J.) et autres, Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, op. cit., par. 4470, p. 1377 ; CPI, Le Procureur c. T. Lubanga Dyilo, Décision sur la confirmation des charges, Chambre Préliminaire I, Affaire ICC-01/04-01/06, « Affaire Lubanga », 29.01.2007, par. 232

544 Site internet du CICR, « Article 3 : conflits de caractère non international », Commentaires de 2018, op. cit., par. 426.

545 Voir notamment : TPIY, Le Procureur c. F. Limaj, H. Bala et I. Musliu, Jugement, Chambre de Première Instance, Affaire n°IT-03-66-T, 30.11.2005, para. 90, 95, 100, 103, 108, 112, 119, 123, 125 et 129.

546 TPIY, Le Procureur c. R. Haradinaj, I. Balaj et L. Brahimaj, Jugement, Chambre de Première Instance, Affaire n°IT-04-84-T, 03.04.2008, par. 60.

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s’exprimer d’une seule voix et de conclure des accords comme des accords de cessez-le-feu ou de paix ».547

Ce qu’il faut ici retenir, c’est qu’il ne faut pas chercher une organisation strictement identique et aussi exigeante que celle caractérisant de fait une force armée étatique.548 La qualification résultera toujours d’une analyse factuelle du groupe en question ; les éléments pour le qualifier de groupe armé organisé peuvent ne pas être les mêmes que ceux qui auront permis d’accorder cette qualité à un autre groupe.

Un autre point à préciser est que l’éventuelle criminalité, des actes réalisés par les membres de l’entité non étatique, ne peut être invoquée pour rejeter le caractère suffisamment organisé d’un groupe armé pour être qualifié de force armée partie à un conflit armé. Le TPIY a ainsi eu l’occasion d’affirmer que

« 205. Lorsque des membres de groupes armés participent à des actes qui sont interdits au regard du [DIH], notamment les "actes de terrorisme", […], la "prise d’otages", l’utilisation de boucliers humains, le fait de feindre d’avoir un statut protégé, les actes d’hostilité contre des monuments historiques, des œuvres d’art ou des lieux de culte, […] ou commettent des violations graves de l’article 3 commun, ils s’exposent à des poursuites et à des sanctions. Cependant, tant que le groupe armé a la capacité organisationnelle de respecter les obligations découlant du [DIH], le fait qu’il se livre à des violations systématiques de ce type ne signifie pas qu’il n’a pas le niveau d’organisation requis pour être partie à un conflit armé. La Chambre ne peut tout simplement pas conclure à un manque d’organisation du groupe armé du fait de violations fréquentes du droit international humanitaire par les membres de ce groupe. »549

Le droit des conflits armés ayant pour objectif d’interdire certains comportements, il serait alors absurde qu’il ne soit plus applicable lorsqu’il est violé.550 Cela reviendrait à soutenir qu’un citoyen n’est plus soumis au droit pénal parce qu’il a violé ce droit en commettant un crime. Au contraire, la violation du droit pénal, comme du droit international

547 TPIY, Le Procureur c. R. Haradinaj, I. Balaj et L. Brahimaj, Affaire n°IT-04-84-T, op. cit., par. 60 ; TPIY, Le Procureur c. L. Boskoski et J. Tarčulovski, Jugement, Chambre de Première Instance, Affaire n°IT-04-82-T, « Affaire Boskoski-Tarčulovski », 10.07.2008, par. 268, 284-285, 288-289.

548 DAVID (E.), Principes de droit des conflits armés, op. cit., p. 138.

549 TPIY, Affaire n°IT-04-82-T, op. cit., par. 205.

550 BUGNION (F.), « Just Wars, Wars of Aggression and International Humanitarian Law », International Studies Journal, Vol. 2, N°1, 2005, p. 46.

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humanitaire, justifie la poursuite judiciaire de l’auteur de la violation en vertu de ce droit. La traduction directe de ce constat, dans le cadre du présent travail sur les « combattants étrangers », est qu’un groupe armé ne perd pas son caractère suffisamment organisé pour être partie à un conflit armé du fait que les étrangers qui l’intègrent commettent des actes terroristes à l’occasion de la participation de ce groupe au conflit.551

Finalement, au regard de l’étendue de la définition du groupe armé organisé partie à un conflit armé non international, rien dans les critères prévus ne s’oppose à la reconnaissance de cette qualité sous prétexte que le groupe inclurait des individus d’origine étrangère.552 Tous les critères d’évaluation se concentrent sur l’organisation suffisante du groupe, sur ses capacités militaires et sa structure hiérarchique. Il n’est pas exigé qu’il reflète une certaine composition nationale, ethnique, religieuse ou encore politique. Pour être partie au conflit non international, il ne faut pas obligatoirement que le groupe soit originaire de l’État dans lequel le conflit prend place. De même, l’idéologie, le but, la raison poussant un groupe à prendre part à un conflit armé n’entrent pas en jeu dans l’évaluation de son organisation suffisante. Comme le relèvent les nouveaux commentaires à l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève

« le motif pour lequel une partie se livre à des actes de violence a été explicitement rejeté en tant que critère visant à établir si une situation correspond ou non à un conflit armé non international. »553

En d’autres termes, la « cause à défendre » motivant un groupe armé, et donc éventuellement la cause des étrangers qui voudraient le rejoindre, ne lui fait pas perdre sa qualité de groupe armé organisé partie à un conflit armé.

551 Voir par exemple : BARTELS (R.), « When Do Terrorist Organisations Qualify as Parties to an Armed Conflict under International Humanitarian Law », op. cit., pp. 451-488 ; WÉRY (M.), « La jurisprudence relative à la clause d’exclusion prévue à l’article 141bis du Code pénal : la difficile application du droit international humanitaire par les cours et tribunaux belges », op. cit. ; TROPINI (J.), « La rupture de l’équilibre juridique de l’article 141bis du code pénal belge par la jurisprudence sur les "combattants étrangers" », The Military Law and the Law of War Review, Review 2018-2019, Vol. 57, 22 p. [En ligne, Consulté le 26.06.2019]

552 KRÄHENMANN (S.), « The Obligations under International Law of the Foreign Fighter’s State of Nationality or Habitual Residence, State of Transit and State of Destination », op. cit., pp. 255-256.

553 Site internet du CICR, « Article 3 : conflits de caractère non international », Commentaires de 2018, op. cit., par. 449 ; voir également TPIY, Le Procureur c. F. Limaj, H. Bala et I. Musliu, Affaire n°IT-03-66-T, op. cit., par. 170.

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En appui de toutes ces conclusions, il faut constater que la qualité de groupe armé organisé partie à un CANI a en pratique déjà été reconnue à des groupes composés d’étrangers, voire à des groupes eux-mêmes étrangers car créés à l’étranger. Il faut encore penser ici à la Guerre d’Espagne et plus précisément aux forces armées placées sous les ordres de Francisco Franco.554 Des étrangers ont alors intégré ces forces, au même titre que les nationaux, en intégrant l’une ou l’autre de leurs unités. Le DIH tel qu’en vigueur avant l’adoption des quatre Conventions de Genève de 1949 leur a alors été appliqué ; la partie républicaine a même décidé d’aller jusqu’à reconnaître le statut de prisonnier de guerre à ces individus alors que celui-ci n’est pas juridiquement prévu pour les membres des groupes armés organisés.555 Un second exemple intéressant, est celui de la République démocratique du Congo (RDC). De nombreux conflits armés non internationaux sont toujours en cours sur le territoire de la RDC contre différents groupes armés organisés.556 Or, « de nombreux

non-Congolais combattent dans certains groupes considérés comme autochtones » et certains

groupes eux-mêmes sont étrangers.557 Deux groupes peuvent notamment illustrer

pertinemment le présent propos en ce qu’ils ont été considérés légalement comme des groupes armés organisés parties à des conflits non internationaux558 : d’une part, les Forces

démocratiques de libération du Rwanda, « fondées en 2000 dans l’est du Congo », sont bâties

« sur les restes de l’armée gouvernementale de l’ancien régime rwandais […] et des milices

554 Le détail de la composition de ces forces a déjà été exposé, voir supra, pp. 10-15.

555 DAVID (E.), « La condition juridique des volontaires belges pendant la guerre d’Espagne », op. cit., p. 61.

556 Voir Democratic Republic of Congo in Rulac.org, Browse, Countries [Last update 05.02.2019; consulted 25.04.2019] ; « R. D. du Congo : 3 600 combattants étrangers et leurs familles ont déjà été rapatriés et le mouvement devrait s'accélérer, estime la Mission de l'ONU », News.un.org, Nations unies, 11.12.2003 ; BELLAL (A.) (éd.), « The War Report: Armed Conflicts in 2018 », The Geneva Academy of International Humanitarian Law and Human Rights, April 2019, p. 96 : il y aurait aujourd’hui environ 120 groupes armés impliqués dans les conflits armés en RDC.

557 BERGHEZAN (G.), « Groupes armés actifs en République démocratique du Congo – Situation dans le "Grand Kivu" au 2ème Semestre 2013 », Les Rapports du GRIP, Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la Sécurité, 2013/11, p. 5 ; Résolution S/RES/1649, Conseil de Sécurité des Nations unies, 21.12.2005, préambule p. 1, para. 1, 2, 6, 7, 9 et 10 ; De GUTTRY (A.), « The Role Played by the UN in Countering the Phenomenon of Foreign Terrorist Fighters », op. cit., pp. 265-266.

558 Voir notamment à ce propos : « République démocratique du Congo, 1993-2003 », Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo, Haut-commissariat aux Droits de l’Homme, Nations Unies, Août 2010, 573 p. ; « Combatants on Foreign Soil », op. cit., 36 p.

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interahamwe exilées au Congo ».559 La Cour pénale internationale (CPI) a confirmé en 2011 qu’elles constituaient un groupe armé partie à un conflit armé non international en RDC560, sans que l’origine rwandaise du groupe, que le fait qu’il soit à l’origine exclusivement composé de rwandais,561 ou encore qu’il ait été dirigé par un rwandais562 ne soient des obstacles. D’autre part, les Forces démocratiques alliées constituent un groupe armé organisé partie au conflit armé en RDC pleinement soumis au DIH en tant que force armée non étatique.563 Pourtant, le groupe lui-même est étranger puisqu’il vient d’Ouganda où il recrute « encore régulièrement des combattants, ce qu’[il fait] également dans d’autres pays

d’Afrique orientale. »564 Des combattants provenant du groupe armé somalien Al-Shabab viendraient également parfois renforcer ses rangs.565 Son chef était d’ailleurs Jamil Mukulu, un ougandais, de 2007 jusqu’à son arrestation en 2015.566

559 BERGHEZAN (G.), « Groupes armés actifs en République démocratique du Congo – Situation dans le "Grand Kivu" au 2ème Semestre 2013 », op. cit., p. 10.

560 CPI, Le Procureur c. C. Mbarushimana, Décision relative à la confirmation des charges – Version publique expurgée, Chambre préliminaire I, Affaire n°ICC-01/04-01/10, 16.12.2011, para. 105-107 ; pour plus d’informations sur le groupe, voir notamment : BELLAL (A.) (éd.), « The War Report: Armed Conflicts in 2018 », op. cit., p. 98.

561 C’est d’ailleurs de ce groupe que vient la majorité des 12.000 combattants de nationalité rwandaise ayant bénéficié du processus de désarmement, démobilisation et rapatriement – vers le Rwanda – de la MONUSCO, voir BERGHEZAN (G.), « Groupes armés actifs en République démocratique du Congo – Situation dans le "Grand Kivu" au 2ème Semestre 2013 », op. cit., p. 11.

562 CPI, Le Procureur c. C. Mbarushimana, Affaire n°ICC-01/04-01/10, op. cit., para. 1-5.

563 Voir Democratic Republic of Congo in Rulac.org, op. cit. ; Report of the United nations joint Human rights office on international humanitarian law violations committed by Allied Democratic Forces (ADF) combatants in the territory of Beni, North Kivu province, between 1st October and 31 December 2014, United Nations Organisation Stabilization Mission in the Democratic Republic of Congo and United Nations Human Rights Office of the High Commissioner, May 2015, par. 21, p. 8 ; BELLAL (A.) (éd.), « The War Report: Armed Conflicts in 2018 », op. cit., pp. 97-98.

564 BERGHEZAN (G.), « Groupes armés actifs en République démocratique du Congo – Situation dans le "Grand Kivu" au 2ème Semestre 2013 », op. cit., p. 20.

565 BERGHEZAN (G.), « Groupes armés actifs en République démocratique du Congo – Situation dans le "Grand Kivu" au 2ème Semestre 2013 », op. cit., p. 20.

566 Report of the United nations joint Human rights office on international humanitarian law violations committed by Allied Democratic Forces (ADF) combatants in the territory of Beni, North Kivu province, between 1st October and 31 December 2014, op. cit., para. 6, 15 and 26, pp. 5-6 and 9; MCGREGOR (A.), « Violence and Viruses: How a Poorly Armed Insurgency in the Congo Poses a Global Threat », Terrorism Monitor, Vol. 16, Issue 21, 02.11.2018 ; BERGHEZAN (G.), « Groupes armés actifs en République démocratique du Congo – Situation dans le "Grand Kivu" au 2ème Semestre 2013 », op. cit., p. 20.

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En conclusion, rien dans la définition même du groupe armé organisé ne permet d’exclure les entités étrangères ou composées d’étrangers. Et cette observation peut être renforcée par l’analyse de la qualité plus précise de membre d’un groupe armé organisé qui, de même, ne présente pas d’éléments permettant d’exclure les individus d’origine étrangère.

2. L’applicabilité certaine de la qualité de membre d’un groupe armé organisé

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