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CHAPITRE IV Ŕ LE PATRIMOINE DES SŒURS DU BON-PASTEUR

4.2. Un triple rapport identitaire

Forte de son histoire, des figures de la fondatrice et des bienfaiteurs, de ses œuvres et de son charisme, la congrégation est détentrice d’un patrimoine à son image. L’héritage dépeint de fait l’institution, sinon l’interprétation qu’elle en fait, selon des dimensions historiques, sociales et religieuses.

4.2.1. Une identité fondée sur la valeur historique

Un premier rapport identitaire du patrimoine, privilégié par les initiatives de collectionnement au XIXe siècle, puis énoncé dans la politique de conservation des années 2010, réfère aux origines de l’œuvre. En étant reconnus comme appartenant à la fondatrice, aux collaboratrices ou aux bienfaiteurs, des artefacts rappellent les origines de la congrégation et lui confèrent un ancrage historique. Si certains objets ŕtel le crucifix ayant accompagné Marie Fitzbach à l’Asile Sainte-Madeleineŕ apparaissent d’emblée plus évocateurs que d’autres ŕle châle de la fondatrice, par exempleŕ, ce ne sont pas les qualités intrinsèques du bien qui lui attribuent sa valeur, mais bien le sens dont il est investi. La valeur historique d’un bien, telle que définie par l’historien de l’art Aloïs Riegl, implique qu’il représente, pour le groupe qui le détient, un moment déterminé de son évolution139. En plus d’évoquer le souvenir des figures ayant donné naissance à l’œuvre, cette première vision du patrimoine confère une certaine légitimité historique à l’institut. En posant les assises de la congrégation dans une période définie, le XIXe siècle, certes, mais ici caractérisé par ses perturbations sociales, cette conception de l’héritage présente les Sœurs du Bon-Pasteur comme des « femmes de leur temps »140.

Pour sœur Claudette Ledet, directrice du Musée Bon-Pasteur, le patrimoine de la congrégation revêt un caractère historique et une portée nationale. Selon elle, le patrimoine des Sœurs du Bon-Pasteur est composé d’objets « qui prennent une importance à cause de

139 Alois Riegl, Le culte moderne des monuments : sa nature, son origine, p. 81.

140 Plusieurs membres de communautés religieuses féminines se définissent en effet comme des femmes de

leur temps, s’engageant et répondant aux besoins du temps. Les religieuses expérimentent d’ailleurs un charisme non pas figé, mais qui est plutôt amené à évoluer à travers le temps, les époques, les besoins.

leur lien avec l’histoire de la communauté, mais qui prennent de l’importance aussi à cause de l’histoire plus large, soit de la ville, ou bien aussi de la province ».

4.2.2. Patrimoine et rôle social

Un deuxième rapport au patrimoine réfère, pour sa part, aux champs d’apostolat de la congrégation, aux œuvres sociales particulièrement. L’héritage apparaît à nouveau à l’image des religieuses, qui s’identifient fortement à leur charisme, formulé notamment par le soutien et l’aide apportés aux femmes et aux enfants en difficulté. Les bonnes œuvres du Bon-Pasteur, comprises comme des pratiques sociales, peuvent d’ailleurs impliquer, selon la définition de l’UNESCO, les domaines du patrimoine immatériel :

Les pratiques sociales […] sont des activités coutumières qui structurent la vie des communautés et des groupes, et auxquelles un grand nombre des membres de celles-ci sont attachés et y participent. Ces éléments sont importants car ils réaffirment l’identité de ceux qui les pratiquent en tant que groupe ou société et, qu’ils soient pratiqués en public ou en privé, ils sont étroitement liés à des événements importants141.

Les œuvres de la congrégation, sociales ou éducatives, en marquant l’histoire et la mémoire, influencent la composition du patrimoine des Sœurs du Bon-Pasteur. Les artefacts qui témoignent des œuvres détiennent dès lors leur importance puisqu’ils évoquent les champs d’apostolat et le charisme de la communauté. Selon les religieuses interrogées, la spécificité du patrimoine des Sœurs du Bon-Pasteur repose justement sur ces œuvres sociales et éducatives.

4.2.3. Le charisme comme enjeu identitaire

Aux dimensions historiques et sociales conférées au patrimoine des Sœurs du Bon- Pasteur s’ajoute un rapport identitaire à la religion. L’héritage légué est d’abord celui d’une congrégation, un groupe structuré de religieuses unies autour d’un projet fondateur

141 UNESCO, « Pratiques sociales, rituels et événements festifs », Secteur de la culture, Patrimoine

immatériel, Convention 2003, [En ligne], <http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00055>, (page consultée le 10 septembre 2013).

spirituel142. À l’instar des autres communautés catholiques, l’art sacré et les objets de piété occupent une place importante au sein du patrimoine des Sœurs du Bon-Pasteur. Si l’héritage se compose de pièces cultuelles, il rassemble également les biens patrimoniaux relevant des origines ŕet bien souvent associés à l’image de la fondatriceŕ et des champs d’apostolat ŕmotivés par un charisme. Les artefacts, bien que référant d’emblée aux figures de la fondation, aux œuvres sociales et d’éducation, aux missions et à la vie quotidienne des sœurs, acquièrent une valeur cultuelle sous-jacente. Des articles tels que des prières écrites par Marie Fitzbach renvoient certes aux origines, mais aussi aux valeurs religieuses et spirituelles de la fondatrice. Au même titre, des objets de la Crèche Saint- Vincent-de-Paul témoignent des œuvres sociales et, conséquemment, du charisme de la congrégation, de sa raison d’être.

Le charisme, à l’exemple du patrimoine, apporte sa spécificité à un groupe religieux, sa « couleur spirituelle », selon les mots de Sœur Denise Rodrigue. Fortement lié à la fondation, l’histoire et la mission de la communauté, il influence quotidiennement le rapport des religieuses à autrui. Le charisme, considéré comme l’esprit d’une congrégation à ses débuts, se concrétise chez les Sœurs du Bon-Pasteur par le soutien et l’aide apportés aux femmes en détresse et par le dévouement des religieuses dans les œuvres sociales. Transmis de génération en génération, ce don particulier conféré pour le bien commun évolue et s’adapte aux besoins, au temps. Apparu suite au concile œcuménique Vatican II, le terme « charisme » se définit comme le don de Dieu spécifique à chaque congrégation. Pour les Sœurs du Bon-Pasteur de Québec, il s'agit de communiquer l'amour et la bonté de Dieu à l’exemple de la fondatrice, Marie Fitzbach143.

Amélie Leclerc, responsable du service du patrimoine de la congrégation, établit un parallèle entre le patrimoine de la communauté et son identité, ici fondée en partie sur son

142 Conférence des évêques de France, « Définition : Congrégation », Église catholique en France, [En ligne],

<http://www.eglise.catholique.fr/ressources-

annuaires/lexique/definition.html?lexiqueID=252&Expression=Congr%E9gation>, (page consultée le 19 avril 2013).

143 Valérie Vachon-Bellavance, « Le charisme des Sœurs du Bon-Pasteur de Québec», L’inventaire du

patrimoine immatériel religieux du Québec (IPIR), 2012, [En ligne], <http://www.ipir.ulaval.ca/fiche.php?id=953>.

charisme : « ce sont ces choses qui parlent vraiment de ce que sont, de ce qu’étaient les Sœurs du Bon-Pasteur. [Il faut] essayer de faire sortir le charisme à travers ce que ces objets peuvent nous dire aujourd’hui. »