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CHAPITRE III Ŕ LES SŒURS DU BON-PASTEUR : PORTRAIT D’UNE

3.1. Contexte de fondation

La fondation de la congrégation des Sœurs du Bon-Pasteur s’inscrit dans un contexte agité sur les plans démographiques, économiques, politiques et sociaux. L’Église se montre présente à ces réalités et attentive aux problèmes sociaux et à la santé publique. Si le contexte du XIXe siècle transforme les œuvres des institutions religieuses et favorise la fondation de communautés, il mobilise également l’implication du laïcat. Les communautés religieuses féminines et le modèle laïque, à l’exemple de la Société de Saint- Vincent-de-Paul, donnent ainsi naissance à l’assistance sociale dans les milieux francophones de Québec101.

101 L’organisation de l’assistance dans la communauté anglophone de Québec relève d’abord de l’élite

féminine laïque. Voir Johanne Daigle, « La responsabilité sociale des femmes dans la cité, 1850-1950 », Cap-

aux-Diamants. La revue d’histoire du Québec, No 95, 2008 (« Québec 400 ans : une histoire au féminin »),

p. 22 et Collectif Clio, L'histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Montréal, Éditions Quinze, 1992, p. 235.

3.1.1. Québec au XIX

e

siècle : contexte socio-historique

Pôle important d’activité maritime au début du XIXe siècle, Québec subit des brassages de population et accueille son lot de misère, de désordre et de pauvreté102. Si la présence d’immigrants en transit, de ruraux venus s’installer dans les centres urbains, de matelots et de soldats britanniques anime la ville et est prospère à l’industrie, elle apporte également son lot de problèmes sociaux. Les faubourgs prennent de l’expansion et les constructions s’entassent. Les maisons closes sont tolérées à Québec et les difficultés économiques mènent plusieurs femmes à la prostitution. Les abus d’alcool aggravent les problèmes sociaux et engendrent des situations de pauvreté, des querelles familiales, des bagarres, des vols et des altercations103. La pauvreté et l’ignorance en conduisent certains à la délinquance et plusieurs visitent la prison de Québec dans ce contexte de tensions. Certains délits, aujourd’hui considérés mineurs, tels inconduite, blasphème, vagabondage, fugue, libre compagnonnage, entrainent l’incarcération. La misère sociale côtoie la maladie, la tuberculose et l’épidémie de typhus de 1847 apparue avec l’arrivée de milliers d’immigrants, surtout irlandais, fuyant la famine. Moteur économique de la ville, les chantiers navals et le commerce du bois déclinent au milieu du XIXe siècle. Malgré l’accroissement de la population et le renouveau de l’économie à l’aube du XXe siècle, la santé publique reste affligée.

3.1.2. L’organisation de l’assistance et le rôle des

religieuses

Les bouleversements démographiques, économiques, politiques et sociaux qui frappent la ville transforment les œuvres des institutions religieuses et suscitent la création de nouvelles structures. Des congrégations fixées à Montréal s’établissent à Québec alors que des congrégations venues de France se fixent dans la ville à la suite des lois anti-

102 Voir le quatrième chapitre « Les années de grande croissance, 1815-1854 » et, particulièrement, la partie

consacrée aux brassages de populations, dans John Hare et al., Histoire de la ville de Québec, 1608-1871, Montréal, Éditions Boréal, Musée canadien des civilisations, 1987, p. 177-255.

103 Marguerite Jean, « Sauver les femmes en détresse. Marie-Josephte Fitzbach et le Bon-Pasteur », Cap-aux-

congréganistes104. Parallèlement à l’extension du mouvement de fondations diocésaines et à l’établissement de congrégations à Québec, de nouvelles communautés religieuses, qui apparaissent alors comme un moyen efficace d’organiser l’assistance, sont formées. Alors que le Québec compte sept communautés religieuses féminines jusqu’en 1840105, 21 nouvelles communautés sont fondées dans la province entre 1840 et 1902106.

La fondation de congrégations religieuses de vie apostolique, dont les membres sont impliqués dans des champs répondant aux besoins de l’époque, et un laïcat engagé donnent naissance à l’assistance sociale dans la région de Québec. L’Église, qui bénéficie des moyens financiers et du personnel qualifié, développe ses institutions et contrôle les services sociaux, à la satisfaction des pouvoirs publics. L’implication et les actions pratiques des communautés féminines contribuent sans conteste à la mise en place de structures d’entraide en milieu urbain. Cellule la mieux organisée de la charité, les religieuses sont à l’origine des fondements même de l’assistance à Québec en milieu francophone. Bien que soumises à l’autorité ecclésiastique, elles bénéficient d’une importante liberté d’action et d’un certain pouvoir dans l’organisation des services. À partir du milieu du XIXe siècle, deux principales congrégations offrent leur soutien aux femmes et aux enfants, les Sœurs du Bon-Pasteur, fondées en 1850, et les Sœurs de la Charité, établies en 1849 à Québec, où elles prennent en charge l’orphelinat107. Ainsi impliquées dans la ville de Québec dans le vaste champ de l’assistance, les religieuses ont su mettre en place des services, d’abord destinés aux enfants et aux femmes, puis adaptés, au fil des ans, aux besoins et à l’évolution de la ville. Elles répondent désormais aux besoins issus des nouvelles conjonctures économiques et sociales. Les œuvres de santé, d’éducation et de

104 Micheline Dumont, « Des heures et des heures de travail bénévole : les religieuses à Québec », Cap-aux-

Diamants. La revue d’histoire du Québec, No 95, 2008 (« Québec 400 ans Ŕ Une histoire au féminin »), p. 25. 105 Les Ursulines de Québec, les Augustines de la Miséricorde de Jésus à l’Hôtel-Dieu et à l’Hôpital général

de Québec, les Sœurs de la Congrégation de Notre-Dame, les Hospitalières de Saint-Joseph à Montréal, les Ursulines de Trois-Rivières et les Sœurs Grises de Montréal sont alors présentes dans la colonie.

(Marguerite Jean, Évolution des communautés religieuses de femmes au Canada de 1639 à nos jours, Montréal, Éditions Fides, 1977, p. 63.)

106 Collectif Clio, L'histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Montréal, Éditions Quinze, 1992,

p. 234.

services sociaux des communautés deviennent également la solution aux problèmes de financement et d’organisation des réseaux.

3.1.3. Un laïcat engagé : l’exemple de la Société de Saint-

Vincent-de-Paul

La mise en place d’institutions charitables repose également sur « l’organisation d’une dynamique associative appuyée sur la paroisse, permettant d’organiser la vie commune au niveau local, à l’intérieur des cadres institutionnels de l’Église108 ». À l’image des autorités ecclésiastiques, un laïcat engagé mobilise les initiatives et définit les structures d’entraide. La Société de Saint-Vincent-de-Paul, dont la première conférence à Québec est fondée en 1846, participe à la coordination de l’assistance et remplace bientôt les organisations paroissiales de secours aux pauvres109. En ses qualités de membre de la société, George Manly Muir, avocat et greffier à l’Assemblée générale, visite régulièrement la prison de Québec, rue Saint-Stanislas (fig. 1 et 2). Plusieurs femmes y sont détenues, mais, malgré leur volonté de mener une vie meilleure, elles se retrouvent démunies à leur sortie de prison, où elles retournent. La réforme n’étant qu’à l’état de projet au XIXe siècle, au Québec comme au Canada, ces institutions apparaissent corrompues en raison « de la promiscuité et du désœuvrement des détenues. » La prison est alors considérée comme une « véritable école de perversité » où les conditions de vie et l’absence de ressources à la sortie rendent difficiles la réhabilitation110. Sensible à leur misère et à leur volonté, George Manly Muir s’engage à créer un refuge pour la réhabilitation des femmes. Le conseil de la Conférence Saint-Vincent-de-Paul de Notre-Dame de Québec du 9 décembre 1849 conclut « qu’il est urgent d’ouvrir une maison de refuge pour les personnes du sexe qui, au sortir de la prison de cette ville, expriment le désir de se convertir et de mener une vie chrétienne. Et

108 Jean-Marie Fecteau, « La dynamique sociale du catholicisme québécois au XIXe siècle : éléments pour

une réflexion sur les frontières et les conditions historiques de possibilité du Ŗsocialŗ », Histoire

sociale/Social History, Vol. 35, No 10, 2002, p. 508.

109 Voir Réjean Lemoine, La Société de Saint-Vincent-de-Paul à Québec : nourrir son âme et visiter les

pauvres, 1846-2011, Québec, GID, 2011, 223 p.

que cette Conférence dans le but d’aider au soutien d’une œuvre semblable se joindra aux autres Conférences Saint-Vincent-de-Paul de cette ville111. »