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La patrimonialisation chez les sœurs du Bon-Pasteur de Québec : vers la construction d’une identité communautaire

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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La patrimonialisation chez les

Sœurs du Bon-Pasteur de Québec

Vers la construction d’une identité communautaire

Mémoire

Valérie Vachon-Bellavance

Maîtrise en ethnologie et patrimoine

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Résumé

Notre mémoire a pour objectif d’identifier et d’analyser les processus de patrimonialisation chez les Sœurs du Bon-Pasteur de Québec. En étudiant les opérations de constitution du patrimoine, cette recherche questionne les enjeux identitaires du patrimoine et la construction d’une identité communautaire. Elle s’intéresse aux initiatives culturelles des religieuses et aux actions d’appropriation et de reconnaissance proposées, d’une prise de conscience patrimoniale à une pratique muséale. L’étude, qui pose un regard ethnologique sur la patrimonialisation, tient compte du discours de la communauté et de sa propre définition du patrimoine. En s’intéressant à l’expérience sensible des religieuses, elle tend à une meilleure compréhension des motivations ayant mené à la constitution d’un patrimoine.

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Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... v

Liste des figures ... ix

Remerciements ... xi

INTRODUCTION ... 1

Un patrimoine en mutation ... 2

Une approche : la démarche ethnologique ... 3

Stratégie de recherche ... 4

PREMIÈRE PARTIE : ... 7

ÉTAT DE LA QUESTION ET CADRE MÉTHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE .... 7

CHAPITRE I Ŕ ÉTAT DE LA QUESTION ... 9

1.1. Bilan historiographique ... 9

1.1.1. La culture matérielle et le regard du chercheur sur l’objet ... 10

1.1.2. La patrimonialisation et ses enjeux ... 14

1.2. Problématique de recherche ... 19

1.3. Pertinence de la recherche ... 21

CHAPITRE II Ŕ CADRE MÉTHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE ... 23

2.1. Considérations préliminaires : L’approche ethnologique et le point de vue patrimonial ... 23

2.2. Terrain de recherche ... 26

2.3. Présentation du corpus de sources ... 27

2.3.1. Sources bibliographiques ... 28 2.3.2. Sources archivistiques ... 29 2.3.3. Sources manuscrites ... 30 2.3.4. Sources orales ... 31 2.4. Méthodes d’enquête ... 31 2.4.1. Récit de vie ... 32 2.4.2. Schéma d’entrevue ... 32

2.4.3. Choix et profil des informatrices ... 33

2.4.4. Conduite des entrevues ... 35

2.5. Traitement et analyse des données ... 35

2.5.1. Analyse ... 36

2.5.2. Critique des sources ... 38

2.6. Question de posture du chercheur : entre objectivité et subjectivité ... 38

2.6.1. Limites et obstacles ... 38

2.6.2. Croisement des sources et triangulation des données ... 40

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DEUXIÈME PARTIE : ... 43

RÉSULTATS DE LA RECHERCHE ... 43

CHAPITRE III Ŕ LES SŒURS DU BON-PASTEUR : PORTRAIT D’UNE CONGRÉGATION ... 45

3.1. Contexte de fondation ... 45

3.1.1. Québec au XIXe siècle : contexte socio-historique ... 46

3.1.2. L’organisation de l’assistance et le rôle des religieuses ... 46

3.1.3. Un laïcat engagé : l’exemple de la Société de Saint-Vincent-de-Paul ... 48

3.2. Fondation et consolidation de l’œuvre ... 49

3.2.1. L’Asile Sainte-Madeleine ... 49

3.2.2. Reconnaissance civile de l’institut et mission d’éducation ... 51

3.2.3. Incorporation religieuse de l’œuvre et premières professions ... 52

3.3. Développement de l’œuvre ... 53

3.3.1. Évolution des œuvres sociales ... 54

3.3.2. Multiplication des œuvres éducatives et fondations de maisons ... 56

3.3.3. Missions et expansion ... 57

3.3.4. Stabilité et efficacité ... 58

3.4. Transformations structurelles et spirituelles ... 59

CHAPITRE IV Ŕ LE PATRIMOINE DES SŒURS DU BON-PASTEUR ... 63

4.1. Patrimoine et identité ... 63

4.2. Un triple rapport identitaire ... 65

4.2.1. Une identité fondée sur la valeur historique ... 65

4.2.2. Patrimoine et rôle social ... 66

4.2.3. Le charisme comme enjeu identitaire ... 66

4.3. Un patrimoine matériel et immatériel ... 68

4.4. Un patrimoine, une collection ... 69

4.4.1. Le patrimoine ... 69

4.4.2. La collection ... 71

4.5. Aperçu de la collection ... 72

4.5.1. Souvenirs de la fondatrice et des bienfaiteurs ... 73

4.5.2. Objets témoins de l’œuvre du Bon-Pasteur ... 74

4.5.3. Objets ethnographiques ... 75

4.5.4. Art sacré ... 75

4.5.4.1. Peintures et œuvres sur papier ... 76

4.5.4.2. Sculpture ... 78

4.5.4.3. Orfèvrerie ... 79

4.5.4.4. Vêtements et ornements liturgiques ... 80

Conclusion ... 80

CHAPITRE V Ŕ CONSCIENCE ET PRATIQUE PATRIMONIALE CHEZ LES SŒURS DU BON-PASTEUR DE QUÉBEC (1872-1930) ... 83

5.1. De la mémoire au patrimoine : l’émergence d’une conscience patrimoniale chez les Sœurs du Bon-Pasteur de Québec (1872 à 1910) ... 85

(7)

5.1.2. L’imposition d’une tradition de conservation : les Constitutions ... 89

5.1.3. Une histoire, celle de l’abbé Henri-Raymond Casgrain ... 91

5.1.4. Les « Temps héroïques de notre Histoire » ... 94

5.2. De la conscience à l’action : l’évolution de la pratique patrimoniale (1910-1930) ... 96

5.2.1. Le rôle de Mère Marie-du-Carmel (Émilie Langlois) ... 97

5.2.2. Le développement d’une collection ... 99

5.2.3. La recherche ... 102

5.2.4. Le classement et l’interprétation du patrimoine ... 103

5.2.5. La mise en exposition ... 105

Conclusion ... 107

CHAPITRE VI Ŕ DE LA PATRIMONIALISATION À LA MUSÉALISATION (1930-2012) ... 111

6.1. La relève d’une pratique patrimoniale (1935-1960) ... 112

6.1.1. Affermissement du rôle du musée-souvenir ... 112

6.1.2. La béatification comme forme de patrimonialisation ... 115

6.2. La patrimonialisation après la Révolution tranquille (1960-1992) ... 117

6.2.1. L’incertitude : élément moteur d’un patrimoine ? ... 118

6.2.2. Le Département des archives et la conservation du patrimoine ... 119

6.2.3. Un nouveau « lieu de conservation de la mémoire » ... 121

6.2.4. De nouveaux rapports au patrimoine ... 122

6.3. Le Musée Bon-Pasteur (1992-2000) ... 122

6.3.1. La Maison Béthanie ... 123

6.3.2. Les objectifs du musée ... 124

6.3.3. Le musée comme lieu de conservation et d’exposition ... 126

6.4. Bilans et nouvelles approches (2000-2012) ... 127

6.4.1. Les inventaires ... 127

6.4.2. Le redéploiement d’une pratique patrimoniale ... 128

6.4.3. Nouvelles approches, nouveaux engagements ... 131

6.4.4. Un patrimoine à transmettre ... 132

Conclusion ... 133

CONCLUSION ... 135

BIBLIOGRAPHIE ... 141

ANNEXE I. État du personnel chez les Sœurs du Bon-Pasteur ... 159

ANNEXE II. Marie Fitzbach : vie et œuvre ... 161

ANNEXE III. Autorités ecclésiastiques et supérieures générales des Sœurs du Bon-Pasteur ... 163

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Liste des figures

Figure 1. George Manly Muir, avant 1882……….p. 165 Figure 2. « La prison de Québec », tableau réalisé par sœur Saint-Jean-Berchmans (Célina Fréchette) représentant George Manly Muir en visite à la prison, 1912……….p. 165 Figure 3. Marie Fitzbach (Mère Marie-du-Sacré-Cœur), 1856………...p. 166 Figure 4. Premier refuge de l’Asile Sainte-Madeleine, rue Richelieu, à Québec, s.d….p. 167 Figure 5. Marie Fitzbach et ses collaboratrices, vers 1856……….p. 167 Figure 6. Coffre et souvenirs associés à la fondation de l’Asile Sainte-Madeleine exposés au Musée Bon-Pasteur……….p. 168 Figure 7. Meubles et objets ayant appartenu à George Manly Muir, dont l’horloge d’applique de style Louis XV……….p. 168 Figure 8. Lits d’enfants, pèse-bébé et photographies du personnel et des religieuses travaillant à la Crèche Saint-Vincent-de-Paul……….p. 168 Figure 9. Photographies et objets associés aux œuvres sociales de la congrégation…..p. 169 Figure 10. Espace du Musée Bon-Pasteur rappelant l’œuvre d’enseignement des religieuses ………...p. 169 Figure 11. Objets ethnographiques et ameublement évoquant la vie quotidienne et communautaire………...……...p. 170 Figure 12. Quelques Jésus de cire de la collection du Bon-Pasteur………....p. 170 Figure 13. « Supplication touchante », photographie de 1910 reconstituant les débuts de l’Asile Sainte-Madeleine……….……....p. 171 Figure 14. « Supplication touchante », tableau des « Temps héroïques de notre Histoire », 1911-1917………..……….……....p. 171 Figure 15. Exposition des photographies des « Temps héroïques de notre Histoire » lors de la commémoration des fêtes de Diamant, le 11 janvier 1910.………....p. 171 Figure 16. Mère Marie-du-Carmel, s.d………...p. 172 Figure 17. Les « Souvenirs de la Fondation », extrait du registre, 2012…………...p. 172

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Figure 18. Objets ayant appartenu à Marie Fitzbach consignés dans le registre, 2012……….…p. 172 Figure 19. L’Hospice de la Miséricorde, vers 1874………...….…p. 173 Figure 20. Le Musée Bon-Pasteur, installé dans la Maison Béthanie..………...…p. 173 Figure 21. Sœur Marie-Berthe Bailly, directrice du musée, 1995..…….…………...…p. 174 Figure 22. Des religieuses de la congrégation au Musée Bon-Pasteur en 1992...…p. 174 Figure 23. Première exposition présentée au musée en 1992...…p. 174 Figure 24. Inauguration de l’exposition permanente du musée en 2000...…p. 175 Figure 25. Visite du musée par sœur Claudette Ledet, 2006...…p. 175 Figure 26. Premier étage du Musée Bon-Pasteur consacré au contexte social et historique de Québec au XIXe siècle...…p. 176 Figure 27. Section de l’exposition dédiée à la fondatrice, Marie Fitzbach………...…p. 176 Figure 28. Section de l’exposition permanente présentée depuis 2008………...…p. 177 Figure 29. Espace dédié à l’adoption des enfants………...…p. 177 Figure 30. Exposition consacrée à la Crèche Saint-Vincent-de-Paul et l’Hôpital de la Miséricorde de Québec………...…p. 178 Figure 31. Vitrines présentant des pièces d’orfèvrerie propres à la célébration eucharistique, des vases sacrés et des ornements liturgiques...…p. 178 Figure 32. Exposition temporaire présentant la production artistique de sœur Alice Pruneau………..……..p. 179 Figure 33. Tableaux de sœur Alice Pruneau exposés au musée………...…..p. 179

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Remerciements

Ma recherche n’aurait pu être menée à terme sans le soutien de nombreuses personnes et organismes. Je profite de l’avant-propos de ce mémoire pour leur exprimer mes plus sincères remerciements.

Je tiens d’abord à souligner l’apport de mon directeur de recherche, le professeur Laurier Turgeon. En plus de me faire découvrir l’ethnologie, il m’a offert plusieurs opportunités qui ont enrichi mon parcours personnel et professionnel. Ses lectures et ses conseils ont par ailleurs grandement fait avancer la réflexion de mes travaux et contribué à préciser ma pensée. J’exprime ma gratitude également à Jean Simard et Yves Bergeron, qui ont généreusement accepté d’évaluer mon mémoire.

Je transmets ma reconnaissance à Louise Saint-Pierre, qui m’a initié au terrain ethnologique. Elle m’a témoigné sa confiance et m’a transmis sa curiosité pour le patrimoine religieux.

Je souhaite en outre signaler la générosité de la communauté des Sœurs du Bon-Pasteur de Québec et la disponibilité des informatrices, qui ont contribué à mon projet en témoignant de leurs expériences. Cette recherche n’aurait pu être réalisée sans la collaboration de sœur Céline Lacoursière et de Mireille Bergeron, des Archives des Sœurs du Bon-Pasteur, d’Amélie Leclerc et de Mélanie Woodman, du service du patrimoine, de sœur Claudette Ledet, directrice du Musée Bon-Pasteur, et de sœur Denise Rodrigue.

Il m’apparaît important de mentionner le soutien financier de l’Association canadienne d’ethnologie et de folklore (Bourse Luc-Lacourcière), de madame Simonne-Voyer (Bourse Simonne-Voyer), du CÉLAT (Centre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions) et du Département des sciences historiques de l’Université Laval.

J’aimerais enfin marquer la présence de celles et ceux qui furent auprès de moi tout au long de ce projet. J’exprime ma gratitude à ma mère, Josée, et à Marco pour leurs encouragements et leur soutien inconditionnel, ainsi qu’à mon frère, Olivier, pour sa sagesse et sa désinvolture. J’adresse une pensée particulière à ma sœur, Sarah, pour sa générosité, ses lectures, ses conseils, mais, surtout, pour sa complicité. Je remercie Charline pour ses corrections et mes amis, qui ont partagé les doutes associés à la réalisation d’un mémoire. Je tiens en dernier lieu à remercier Mathias, pour son appui, particulièrement au moment de la rédaction, sa patience et sa fierté à mon égard.

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INTRODUCTION

Fondée à Québec, la congrégation des Sœurs du Bon-Pasteur répond, dès 1850, aux besoins de la société et se dévoue aux prisonnières, aux orphelins, aux mères célibataires et à leurs enfants, ainsi qu’aux femmes et aux adolescentes en difficulté. Ses champs d’apostolat, animés par le charisme de la fondatrice, Marie Fitzbach, s’orientent principalement vers les structures d’entraide et l’enseignement. Au-delà de leurs œuvres sociales et éducatives, les Sœurs du Bon-Pasteur se consacrent à une autre mission, celle de perpétuer le souvenir de la fondation.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, elles entreprennent la constitution de leur patrimoine afin de lui rendre hommage, de conserver ses traces et de transmettre la mémoire des origines. Elles constituent graduellement un corpus à leur image qui témoigne à la fois de leur ancrage historique, leur rôle social et leurs valeurs religieuses. Leur héritage, composé notamment d’objets ayant appartenu à la fondatrice et aux bienfaiteurs, d’éléments évoquant la mission de l’institut ou la vie quotidienne et d’une collection d’art sacré, est diversifié. Les premiers artefacts jugés dignes d’intérêt sont davantage appréciés pour leur association avec Marie Fitzbach et les bienfaiteurs de l’œuvre que pour leurs qualités strictement esthétiques ou historiques. Au fil des ans, les initiatives des sœurs, personnelles ou communautaires, s’organisent. Le collectionnement, non plus uniquement orienté vers une filiation avec les origines, devient motivé par l’enrichissement des connaissances, l’enseignement et l’intérêt grandissant de la population québécoise. Cette transition du cultuel au culturel1, soit « la conversion [des] biens d’Église à vocation essentiellement cultuelle en des biens culturels destinés à la société civile2 », s’est faite progressivement, selon les actions entreprises par les religieuses. À l’instar des missions de

1 Nous reprenons ici le titre d’un colloque sur l’avenir du patrimoine religieux du Québec ayant eu lieu du 12

au 14 novembre 2004. L’événement a réuni plus de 400 intervenants venus partager leurs recherches et leurs expériences autour du thème « Entre le cultuel et le culturel ». Les actes du colloque ont été publiés en 2005. (Voir note suivante).

2 Laurier Turgeon, dir., Le patrimoine religieux du Québec : entre le cultuel et le culturel, Québec, Les

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la congrégation, le patrimoine du Bon-Pasteur se développe et s’adapte, reflétant un charisme vivant.

Un patrimoine en mutation

À l’image du patrimoine religieux en Occident, celui des Sœurs du Bon-Pasteur suscite des interrogations et nécessite une réflexion. Sa situation s’est sensiblement détériorée au cours des dernières années, en raison notamment du vieillissement important de ses membres, du faible recrutement de novices et de la chute de la pratique religieuse3. Si ces transformations marquent profondément l’Église, elles ont également des répercussions sur ses structures immobilières, sa culture matérielle et son patrimoine immatériel.

L’héritage religieux occupe, pour des raisons historiques évidentes, une place d’importance dans le patrimoine québécois. Davantage qu’un legs cultuel, il en est un culturel, acteur de l’histoire du Québec, de son identité, de ses traditions. Dans un rapport présenté en 2000, Roland Arpin et le Groupe-conseil sur la Politique du patrimoine culturel du Québec soutiennent que « le patrimoine religieux occupe, au Québec, une place prépondérante, tant par sa qualité que par son volume et sa répartition sur le territoire4 ». Selon l’étude, les biens ecclésiastiques « méritent une attention particulière quant à leur conservation, à leur étude et à leur diffusion5 ».

Conscientes de la vulnérabilité de leur patrimoine, les Sœurs du Bon-Pasteur se questionnent aujourd’hui sur la transmission de leur héritage matériel et immatériel. Leurs interrogations, comme celles des communautés religieuses, des chercheurs ou des praticiens, nous semblent être l’occasion d’examiner les raisons ayant motivé une prise de conscience patrimoniale, puis une pratique patrimoniale et muséale. L’étude des processus

3 Laurier Turgeon et Louise Saint-Pierre, « Le patrimoine immatériel religieux au Québec. Sauvegarder

l’immatériel par le virtuel », Ethnologies, vol. 31, no 1, 2009 (« Passages »), p. 201.

4 Roland Arpin, dir., Groupe-conseil sur la Politique du patrimoine culturel au Québec, Notre patrimoine, un

présent du passé, Québec, Ministère de la Culture et des Communications, 2000, p. 10.

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de patrimonialisation engagés nous semble d’ailleurs appropriée à une meilleure compréhension du patrimoine des groupes religieux. Aussi pourra-t-elle, ultimement, éclairer les réflexions associées aux enjeux et défis du patrimoine religieux québécois.

Une approche : la démarche ethnologique

Devant ce constat et notre volonté de mieux comprendre le patrimoine religieux, nous nous sommes intéressée à l’expérience sensible des religieuses. Écarter leurs témoignages et leurs expériences personnelles ne donne lieu, selon nous, qu’à un accès partiel et fragmenté de l’héritage. Aussi vulnérables que leur legs, les communautés qui le préservent et le transmettent s’avèrent également un élément menacé du patrimoine religieux. L’enquête ethnologique, puisqu’elle permet l’étude des rapports complexes que les religieuses entretiennent avec leur patrimoine, nous est apparue pertinente à la consignation de la mémoire des principaux acteurs. Si elle semble être le moyen privilégié pour identifier les processus de patrimonialisation significatifs pour les Sœurs du Bon-Pasteur, cette démarche nous révélera aussi la valeur mémorielle des objets conservés et leur requalification. Selon l’anthropologue Gérard Althabe, « [l]'investigation (l'enquête de terrain) est un mouvement pour surmonter cette extériorité [à l’univers social étudié], un voyage qui [amènera l’ethnologue] dans ce monde dont il produira une connaissance de l'intérieur6. »

En plus de faciliter l’accès à l’expérience sensible et à cette « connaissance de l’intérieur », la démarche ethnologique nous a permis de pallier à l’inégalité de la conservation des archives selon les époques et d’offrir une vision davantage personnelle d’initiatives consignées dans des documents à caractère institutionnel. Constatant les limites de la recherche archivistique et l’impossibilité d’effectuer un dépouillement

6 Gérard Althabe, « Ethnologie du contemporain et enquête de terrain », Terrain, No 14, mars 1990

(« L’incroyable et ses preuves »), [En ligne], <http://terrain.revues.org/2976>, (page consultée le 8 avril 2013).

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exhaustif des sources écrites7, l’enquête orale favorisait par ailleurs la sélection de moments associés à une pratique patrimoniale particulièrement significatifs pour les religieuses.

Stratégie de recherche

Les Sœurs du Bon-Pasteur de Québec nous sont apparues un exemple intéressant à étudier. Alors que des auteurs ont retracé le développement des collections et l’évolution des musées des communautés fondatrices de Québec, les Ursulines et les Augustines8, la documentation des activités des Sœurs du Bon-Pasteur reste partielle. Fondée en 1850, la congrégation possède néanmoins un patrimoine qui s’est développé de manière cohérente en fonction de sa mission et qui témoigne aujourd’hui de son rôle social dans la ville.

Si le patrimoine des Sœurs du Bon-Pasteur est aujourd’hui connu grâce au musée de la congrégation, l’évolution de la collection et de la pratique patrimoniale de la communauté n’a pas été étudiée. Nous tenterons ainsi de déterminer les moments marquants des processus d’appropriation et de reconnaissance et d’en relever les spécificités, en cherchant à identifier les discours et les valeurs dont le patrimoine a hérité. En nous intéressant à l’expérience des religieuses dans les activités d’acquisition, de conservation ou de mise en valeur, nous tenterons de comprendre les motivations ayant suscité de telles actions. Notre recherche propose, par l’analyse des actions d’une prise de conscience patrimoniale, d’une patrimonialisation, puis d’une muséalisation, de renouveler notre conception et notre compréhension du patrimoine des Sœurs du Bon-Pasteur. Elle

7 L’importante quantité de documents et le temps nécessaire consacré à des recherches exhaustives nous ont

fait privilégier une sélection de moments associés à une prise de conscience patrimoniale et des pratiques patrimoniale et muséale. Ces choix ont été essentiellement motivés par les témoignages des religieuses et la pertinence des sources archivistiques.

8 Sur le développement des collections et l’évolution du musée des Ursulines de Québec, voir Christine

Turgeon, Art, foi et culture : le Musée des Ursuline de Québec, Québec, Musée des Ursulines, 2004, 55 p. et Christine Turgeon, « D’un patrimoine monastique à une collection muséale », dans Turgeon, dir., Le

patrimoine religieux du Québec : entre le cultuel et le culturel, p. 137-153.

Sur la pratique patrimoniale des Augustines de l’Hôpital général de Québec, voir Guillaume Savard, « Du monastère au musée : statuts et fonctions de l’œuvre peinte à l’Hôpital général de Québec (1693-1960) », Mémoire de maîtrise en histoire de l’art, Québec, Université Laval, 2005, 279 p. et Guillaume Savard, Les

origines d’un trésor monastique. Le Musée du Monastère des Augustines de l’Hôpital Général de Québec. 1930-2005, Québec, Monastère des Augustines de l’Hôpital Général, 2005, 78 p.

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offrira en outre une réflexion sur la constitution et le développement des collections en contexte religieux.

Plutôt que d’exposer une vision trop détaillée ou exhaustive des actions des religieuses, nous avons pris parti de présenter une vue d’ensemble des initiatives de conservation et de mise en valeur du patrimoine. Cette orientation nous permet par ailleurs d’analyser les pratiques des Sœurs du Bon-Pasteur sur une plus grande période de temps et de restituer le contexte historique et social dans lesquelles ces actions ont évolué. Afin de circonscrire la recherche, nous avons également choisi de limiter l’étude des pratiques patrimoniales à celles de la communauté des Sœurs du Bon-Pasteur de Québec. Des raisons historiques d’abord ŕla congrégation a été fondée à Québecŕ, puis des considérations pratiques ŕla proximité du groupe étudié, la présence du généralat et une délimitation plus claire du sujet de rechercheŕ nous ont amené à privilégier cette communauté. En d’autres mots, nous étudierons la première communauté de la congrégation, qui a évolué à la Maison-mère jusqu’en 1976, et tiendrons compte des initiatives émanant des religieuses de Québec depuis. Conséquemment à l’établissement de l’administration générale des Sœurs du Bon-Pasteur dans la ville, les initiatives de la congrégation, dont celles associées au Musée Bon-Pasteur, seront analysées.

Notre mémoire se divise en six chapitres qui permettent de mieux comprendre la patrimonialisation chez les Sœurs du Bon-Pasteur de Québec sous une perspective ethnologique. La première partie, composée des chapitres I et II, introduit notre recherche et fait part des orientations privilégiées. Au terme d’une recension des écrits, le premier chapitre situe notre sujet dans le champ des sciences humaines et sociales, particulièrement des études en culture matérielle et celles sur la constitution des patrimoines. Nous y formulons également la problématique de recherche et justifions la pertinence de nos questionnements.

Au chapitre II, nous inscrivons notre mémoire dans une démarche ethnologique et dans une dynamique patrimoniale. Après avoir délimité le terrain de recherche, nous détaillons nos choix méthodologiques, de la constitution à l’analyse du corpus de données.

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Nous profitons de ce chapitre pour interroger notre posture de chercheure et soulever les enjeux de notre méthode.

La deuxième partie de notre mémoire se consacre aux résultats de notre recherche. Avant d’identifier les processus de patrimonialisation et de muséalisation, nous dressons un portrait historique des Sœurs du Bon-Pasteur dans le troisième chapitre. En plus de retracer l’évolution de la congrégation, l’exercice permet de mieux comprendre le groupe étudié.

Le quatrième chapitre présente nos réflexions sur les différentes qualifications attribuées aux biens jugés dignes d’intérêt et questionnent les interactions entre patrimoine et identité. Après avoir distingué les notions de patrimoine et de collection, nous exposons l’étendue et la nature de la collection du Bon-Pasteur.

Dans le cinquième chapitre, nous retraçons les différentes actions ayant mené à une prise de conscience, puis à une pratique patrimoniale, de 1872 aux premières décennies du XXe siècle. Parallèlement, nous mettons en évidence les raisons ayant motivé de telles initiatives et questionnons les valeurs attribuées aux artefacts valorisés. Sans prétendre être exhaustifs, les moments présentés reflètent la volonté des Sœurs du Bon-Pasteur de Québec de préserver et de perpétuer le patrimoine des origines.

Enfin, nous nous intéressons, au chapitre VI, à l’évolution des pratiques patrimoniales et muséales des religieuses. Après avoir rendu compte de l’essoufflement des initiatives au milieu du XXe siècle, nous présentons le dynamisme des gestes culturels des Sœurs du Bon-Pasteur depuis les années 1960 et 1970. Concomitamment à l’identification des actions d’appropriation et de reconnaissance du patrimoine, nous interrogeons les motifs ayant relancé les initiatives.

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PREMIÈRE PARTIE :

ÉTAT DE LA QUESTION ET CADRE

MÉTHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE

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CHAPITRE I Ŕ ÉTAT DE LA QUESTION

Avant d’étudier les processus de patrimonialisation chez les Sœurs du Bon-Pasteur de Québec, il convient d’établir le cadre théorique de notre recherche. Nous situerons d’abord notre sujet et notre approche dans le champ des sciences humaines et sociales en recensant les études en culture matérielle et celles sur la formation des patrimoines. Une fois justifiée la pertinence de notre démarche, nous présenterons les questionnements et les objectifs qui ont motivé ce mémoire. Si l’exercice permet d’introduire notre sujet de recherche, il permet aussi une meilleure compréhension de la problématique.

1.1. Bilan historiographique

Un bilan historiographique des questionnements formulés et des approches développées au cours des dernières décennies nous a permis de baliser l’espace théorique dans lequel se situe notre recherche. L’examen a défini les orientations de notre travail et a inspiré une analyse organisée autour de la culture matérielle et de la patrimonialisation.

Bien que nous nous sommes intéressée aux témoignages des religieuses et aux documents d’archives, la compréhension de la production du patrimoine impliquait d’abord, selon nous, d’interroger les pratiques et les discours liés aux objets valorisés par la communauté. La collection, qui implique un processus de sélection et qui limite le corpus, s’est avérée être le point de départ de notre étude. En plus de s’inspirer des études en culture matérielle afin d’interroger le sens et les rôles accordés à l’objet, notre travail se situe dans le prolongement des recherches sur la patrimonialisation. L’examen historiographique qui suit présente les ouvrages qui ont, en premier lieu, abordé les liens entre culture matérielle et acteurs sociaux puis, en second lieu, ceux qui ont réfléchi aux mécanismes de patrimonialisation, ce processus de construction façonné entre l’individu et l’objet. La recension des écrits ne tend pas à l’exhaustivité, mais veut plutôt dresser un aperçu des recherches effectuées sur ces sujets, sous des perspectives et des approches différentes.

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1.1.1. La culture matérielle et le regard du chercheur sur

l’objet

Depuis une quarantaine d’années particulièrement, les études en culture matérielle se tournent vers le présent, adoptent de nouvelles approches et tendent à devenir un champ de recherche interdisciplinaire des sciences humaines et sociales. Le sens et le rôle accordés aux artefacts évoluent selon les individus, les contextes et les régimes de mémoire. Au terme d’un bilan critique des études de langue française et anglaise sur le sujet, Laurier Turgeon définit quatre approches de la culture matérielle :

La première porte sur l’usage de l’objet comme témoin historique, c’est-à-dire comme un moyen de suppléer et de vérifier les sources écrites dans la reconstitution historique du passé. De cette simple fonction de témoin, le structuralisme et la sémiologie ont élevé l’usage de l’objet à celui de signe et ont tenté de comprendre son sens et ses fonctions cognitives. La troisième approche traite du pouvoir d’action sociale des objets. […] Plus qu’un signe, l’objet est matière et représente une force capable d’agir sur le monde social. La dernière est celle qui prend l’objet comme une forme d’expression de la mémoire et, en même temps, comme un moyen d’action sur la mémoire9.

À l’origine privilégiée dans les disciplines de l’archéologie et de l’anthropologie, l’étude de la culture matérielle s’est d’abord intéressée à l’objet comme témoin des sociétés disparues et des cultures traditionnelles. L’objet, interprété comme un témoignage du passé, apparaît comme un moyen d’obtenir des connaissances sur un groupe, d’appréhender ses pratiques, ses croyances, l’évolution de son mode de vie. Interpellés par la valeur documentaire de l’objet, les historiens et les ethnologues s’intéressent à la culture matérielle à partir de la fin des années 1930.

En France, Georges Henri Rivière questionne l’objet pour décrire et comprendre le mobilier traditionnel, la production artisanale et l’architecture rurale. Sous-directeur du Musée d’ethnographie du Trocadéro, devenu le Musée de l’Homme, puis initiateur du Musée national des Arts et Traditions populaires, Georges Henri Rivière y forme sa

9 Laurier Turgeon, « La mémoire de la culture matérielle et la culture matérielle de la mémoire », dans Octave

Debary et Laurier Turgeon, dir., Objets et mémoires, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme & Québec, Presses de l’Université Laval, p. 14-15.

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conception de l’objet, pensé comme « objet-document10 », « témoin », « échantillon », « spécimen de civilisation11 ». André Leroi-Gourhan, pour sa part, consacre ses travaux à l’évolution des techniques et développe une typologie des matières premières, gestes, outils et instruments12. Pour l’archéologue et ethnologue, l’objet représente le meilleur témoin pour étudier une société : « à partir du point où l’[h]omme ne peut plus parler, parce qu’il est absent ou mort, où les archives font défaut, deux témoignages subsistent : celui de l’Art et celui des Techniques13. » Au Québec, l’ethnologue Jean-Claude Dupont marque les travaux en culture matérielle en privilégiant l’étude de l’objet pour atteindre une compréhension globale d’un phénomène. En orientant sa recherche vers les gestes et les fonctions de l’objet, il s’intéresse à l’acteur, à son rapport à la communauté14.

Dans les années 1980, de nouvelles approches se développent, l’objet passant du rôle de témoin à celui d’acteur. Si les auteurs reconnaissent l’existence de relations entre les individus et les objets, le psychologue Serge Tisseron pense d’abord les objets comme des « médiateurs de soi à soi », qui, ultimement, forgent les liens entre le monde et le sujet, et entre les individus15. Pour Isabelle Garabuau-Moussaoui et Dominique Desjeux, anthropologues, l’objet est un «révélateur des relations sociales16 », pour Bernard Blandin, sociologue, il participe à la construction des rapports sociaux17. Selon les anthropologues Arjun Appadurai et Igor Kopytoff, si l’objet survit au temps et intervient différemment selon les sens et les acteurs sociaux, c’est qu’il a une « vie sociale », une « biographie

10 Georges Henri Rivière, « Musée et patrimoine », dans Georges Henri Rivière, La muséologie selon Georges

Henri Rivière : cours de muséologie, textes et témoignages, Paris, Dunod, 1989, p. 170.

11 Georges Henri Rivière et Paul Rivet cités par Jean Jamin, « Tout était fétiche, tout devint totem », dans

Georges Henri Rivière et Paul Rivet, éd., Bulletin du Musée d’ethnographie du Trocadéro, Paris, Jean-Michel Place, 1988, p. xix.

12 André Leroi-Gourhan expose sa classification dans L’homme et la matière (1943) et Milieu et techniques

(1945), tomes de l’ouvrage Évolution et techniques, puis dans Le geste et la parole (1965).

13 André Leroi-Gourhan, Évolution et techniques, Tome 1 : L’homme et la matière, Paris, Albin Michel, 1943,

p. 7.

14 Jean-Claude Dupont interroge notamment le rapport de l’artisan forgeron à la communauté dans sa thèse

Les traditions de l’artisan du fer dans la civilisation traditionnelle au Québec, soutenue en 1975.

(Martine Roberge, « Émergence d’une ethnologie contemporaine plurielle à l’Université Laval. Bilan des terrains, approches et méthodes », Ethnologies, Vol. 26, No 2, 2004, p. 149-154.)

15 Serge Tisseron, Comment l’esprit vient aux objets, Paris, Aubier, 1999, p. 7.

16 Isabelle Garabuau-Moussaoui et Dominique Desjeux, dir., Objet banal, objet social : les objets quotidiens

comme révélateurs des relations sociales, Paris, L’Harmattan, 2000.

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culturelle 18 ». L’objet, qui suit une trajectoire, acquiert de nouveaux usages, de nouveaux sens selon les appropriations et les recontextualisations. La relation entre les acteurs sociaux et l’objet évolue, se transforme avec le temps. Interroger l’objet en regard de ses trajectoires permet dès lors de révéler des constructions sociales dans les relations entre les individus et les objets.

À la suite des travaux sur les fonctions sociales de l’objet, Thierry Bonnot met au jour le processus de construction d’un patrimoine à partir d’objets du quotidien. Pour l’ethnologue, « les objets sont mis à contribution dans les rapports sociaux, participent à la construction des représentations symboliques, s’intègrent aux pratiques comme aux discours19». Critiquant le rôle passif attribué à l’objet en sciences sociales et plaidant pour une requalification de son pouvoir dans l’interaction sociale, la formule des sociologues Antoine Hennion et Bruno Latour simplifie cette idée : « les objets font quelque chose, et d’abord ils nous font20. »

Parallèlement, la culture matérielle influe sur la mémoire en lui servant, d’une part, de soutien, de stimuli, et en participant, d’autre part, à sa construction, puis à son organisation. L’objet, en inspirant des souvenirs et des histoires qui mettent les individus en contact avec le passé, représente une « mémorisation tangible21 ». Pour Serge Tisseron, « certains objets sont comme des portes ouvertes sur une mémoire vivante : ils nous invitent à parler des événements qui leur sont attachés, autrement dit, à mettre en mots nos expériences du monde22. » Dans son étude sur la représentation de l’objet dans les œuvres de fiction, le littéraire Laurent Lepaludier évoque le statut pluriel de l’objet, qui est « non

18 Arjun Appadurai, « Introduction : commodities and the politics of value », dans Arjun Appadurai, dir., The

social life of things, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 3-63; Igor Kopytoff, « The cultural

biography of things : commoditization as process », dans Ibid., p. 64-91.

19 Thierry Bonnot, La vie des objets : d’ustensiles banals à objets de collection, Paris, Éditions de la Maison

des sciences de l’homme, 2002, p. 7.

20 Antoine Hennion et Bruno Latour, « Objet d’art, objet de science. Note sur les limites de

l’anti-fétichisme », Sociologie de l’art, No 6, 1993 (« Œuvre ou objet ? »), p. 21.

21 Françoise Zonabend, « La parenté 1 : Origines et méthodes de la recherche; Usages sociaux de la parenté »,

dans Isac Chiva et Utz Jeggle, dir., Ethnologies en miroir. La France et les pays de langue allemande, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1992 (1987), p. 106.

22 Serge Tisseron, « Se rendre sensible aux objets », L’autre. Revue transculturelle. Cliniques, cultures et

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seulement une référence cognitive […], mais aussi un point d’accroche essentiel de la mémoire qui structure le souvenir autour de lui23 ». Enfin, pour nombre d’auteurs ŕ nommons Pierre Nora et Daniel Fabreŕ, les rapports entre culture matérielle et mémoire ont été envisagés sous la perspective de la patrimonialisation24. De même l’acte de sélection qualifie le travail de mémoire, de même s’avère-t-il essentiel aux mécanismes de patrimonialisation. L’acte de sélection dont le travail de mémoire est issu oriente ainsi les mécanismes et les modalités de la patrimonialisation. Le patrimoine, pour reprendre les mots de Marc Guillaume, devient un « appareil idéologique de la mémoire25».

Suivant ce bilan des principaux repères dans l’évolution des études en culture matérielle, différentes perspectives qualifient le regard du chercheur posé sur l’objet, selon qu’il questionne ses qualités intrinsèques ou son milieu de vie. Alors qu’un premier point de vue tend à documenter l’objet, son contexte et les interventions auxquelles il est associé ŕproduction, utilisation, fonctions techniquesŕ, un second propose l’exploration de ses usages, de ses fonctions et de ses valeurs. Ces approches, toutefois, ne doivent pas être mises en opposition, mais plutôt comprises comme autant de manières de penser l’objet. Les rôles conférés à l’objet évoluent selon les groupes, les individus, les périodes. Si la culture matérielle des Sœurs du Bon-Pasteur peut être envisagée selon des perspectives historique ou sémiotique, l’analyse des fonctions sociales et culturelles de l’objet nous semble davantage pertinente à l’appréhension des manifestations de la patrimonialisation.

En regard des études réalisées en anthropologie, en ethnologie et en sociologie, la culture matérielle peut être envisagée dans la compréhension du récit des acteurs sociaux sur leur histoire et leur mémoire. Par son rôle de témoin, les fonctions sociales ou les qualités mémorielles qu’on lui attribue, l’objet devient révélateur de souvenirs, de sentiments, d’expériences. Dès lors, l’objet ŕde surcroît, l’objet patrimonial, l’objet de collectionŕ participe à la construction de l’identité de l’individu, du groupe, et devient une

23 Laurent Lepaludier, L’objet et le récit de fiction, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 118. 24 Pierre Nora, dir., Les lieux de mémoire, Tome 1 : La République, Tome 2 : La Nation, Tome 3 : Les

Frances, Paris, Gallimard, 1984, 1987, 1992 ; Daniel Fabre, dir., Domestiquer l’histoire. Ethnologie des monuments historiques, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2000.

25 Marc Guillaume, « Invention et stratégies du patrimoine », dans Henri-Pierre Jeudy, dir., Patrimoines en

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référence dans le rapport au passé. En mettant au jour des rapports façonnés entre les acteurs et la culture matérielle, l’analyse des fonctions sociales de l’objet révèle des processus de construction de l’identité comme la patrimonialisation.

1.1.2. La patrimonialisation et ses enjeux

Depuis le début des années 1980, les études sur les processus de patrimonialisation se multiplient, particulièrement en France26. Le rapport au patrimoine, qui se nourrit de plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales, s’ouvre à de nouvelles approches, à de nouveaux terrains. Mis au jour avec l’élargissement de la notion de patrimoine et les réflexions autour du « tout patrimoine »27, ces travaux s’intéressent désormais au rapport à la mémoire et aux enjeux sociaux des éléments identifiés par les individus et les groupes.

Par l’examen des acteurs, des pratiques et des objets en jeu, les chercheurs ont analysé, depuis une trentaine d’années, les différents sens des sélections effectuées lors des processus de patrimonialisation. D’abord interprétée selon l’inscription dans la durée des biens valorisés, la patrimonialisation s’est construite, au fil des réflexions sur le patrimoine, à partir des relations complexes à l’égard du passé, de ses appropriations et de la construction des identités28. En regard de leurs références disciplinaires, des chercheurs issus de l’histoire, l’histoire de l’art, la sociologie, l’ethnologie et la muséologie ont apporté leur contribution à la compréhension des processus de patrimonialisation.

Les premiers travaux qui interrogent le sens accordé aux manifestations patrimoniales s’inscrivent dans les disciplines de l’histoire et de l’histoire de l’art. Au début du XXe siècle, Aloïs Riegl tente de comprendre la constitution du patrimoine par l’analyse

26 La patrimonialisation a d’abord interpellé la communauté scientifique francophone, les chercheurs

anglo-saxons ayant abordé, dans une moindre mesure, la production du patrimoine sous des approches différentes. (Étienne Berthold, « De l’actualisation d’un lieu de l’Homme : le patrimoine et sa production contemporaine », dans Lucie K. Morisset et Patrick Dieudonné, dir., Patrimoines pour le XXIe siècle. Regards

du Québec et de la Bretagne, Québec, Éditions Nota Bene, 2006, p. 281.)

27 François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Points, 2012.

28 Dominique Poulot, Une histoire du patrimoine en Occident, XVIIIe-XXIe siècle, Paris, Presses

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des valeurs historique, commémorative et d’ancienneté accordées aux monuments. Posant sa réflexion sur ces valeurs, l’historien de l’art autrichien s’interroge sur la signification, pour la collectivité, des monuments « intentionnel » et « historique » et tente de saisir le rapport au temps de l’objet patrimonialisé29. En introduisant les questions de sélection et de reconnaissance, Riegl propose une première définition du patrimoine qui découle de son processus de production.

Au fil du XXe siècle, la production du patrimoine est envisagée par la mise en perspective de la mémoire. Sous l’influence des travaux du sociologue Maurice Halbwachs30, qui dégage le concept de mémoire collective, l’historiographie s’intéresse à la construction sociale de la mémoire, puis, parallèlement, à la constitution du patrimoine sous la perspective de la mémoire. L’une des œuvres majeures sur la question réside certainement en les Lieux de mémoire, publiée dès 1984 sous la direction de Pierre Nora31. Jean Davallon résume ainsi les « lieux de mémoire » : « ils peuvent être […] abordés comme les supports d’une signification historique en tant qu’ils sont la résultante d’une opération de condensation/matérialisation de la mémoire »32. En proposant un inventaire des monuments et des lieux populaires, Nora réfléchit à la manière dont la mémoire nationale investit l’espace public. Pour l’historien français, le passé ne peut être interprété que par l’intermédiaire de la mémoire, celle des individus et des lieux. Le patrimoine, du moins les lieux proposés par l’auteur, suppose une appropriation collective et engendre de nouveaux rapports à la mémoire et au passé. Daniel Fabre, en poursuivant l’investigation des monuments, considère la relation entre le patrimoine et la mémoire comme variable, évolutive. L’appropriation et la « domestication » de l’histoire transforment alors la mémoire avec le temps, les contextes et ses détenteurs33.

29 Alois Riegl, Le culte moderne des monuments : sa nature, son origine, Traduit et présenté par Jacques

Boulet, Paris, L’Harmattan, 2003 (1903).

30 Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Librairie Félix Alcan, 1925 et Maurice

Halbwachs, La mémoire collective, Paris, Presses universitaires de France, 1950.

31 Nora, dir., Les lieux de mémoire, Tome 1 : La République, Tome 2 : La Nation, Tome 3 : Les Frances. 32 Jean Davallon, « Le patrimoine : une « filiation inversée »? », Espaces Temps. Les Cahiers, Vol. 74, No 1,

2000 (« Transmettre aujourd’hui. Retour vers le futur »), p. 13.

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Au Québec, Lucie K. Morisset investit la « mémoire patrimoniale » par l’ébauche d’un cadre théorique articulé autour des régimes d’authenticité afin de comprendre la patrimonialisation par l’intermédiaire de la mémoire. Selon l’auteure, l’historicité, la spatialité et l’altérité des collectivités définissent des régimes d’authenticité qui permettent de saisir les processus de patrimonialisation. La modification d’un ou de ces rapports introduit un basculement dans un autre régime et révèle un changement de la forme et du sens du patrimoine34. Ces basculements de régimes d’authenticité, inhérents à la mise en patrimoine, mettent au jour des significations changeantes au fil des différentes périodes qui influencent le sens et les valeurs accordés à l’objet, mais aussi les préoccupations des acteurs. En ce sens, l’interprétation de Lucie K. Morisset se rapproche de celle de Françoise Choay, qui pense le patrimoine comme « révélateur […] d’un état de société et des questions qui l’habitent35 ».

Issus principalement de la sociologie, des chercheurs ont plutôt pensé la patrimonialisation dans son rapport aux acteurs. En détournant son regard des qualités du patrimoine pour interroger ceux qui le détiennent, Henri-Pierre Jeudy tente de comprendre la place du patrimoine dans les sociétés. Le patrimoine et les processus qui le produisent, étudiés à partir de leurs fonctions sociales, deviennent pertinents à l’étude des relations entre le sujet (l’acteur) et l’objet. Pour Jeudy, l’ « explosion patrimoniale » exprime une prise de conscience face à la menace de la disparition. La perte envisagée révèle, au sein de la communauté, des intérêts individualisés, chacun pouvant déterminer « sa réalité patrimoniale36 ». Pour le sociologue québécois Fernand Harvey, la patrimonialisation implique d’abord une mise à distance des éléments identifiés qui provoque un sentiment d’urgence à préserver l’héritage, puis une intention d’interprétation devant lui donner sens37.

34 Lucie K. Morisset, Des régimes d’authenticité : essai sur la mémoire patrimoniale, Québec, Presses de

l’Université du Québec & Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 28.

35 Françoise Choay, L’allégorie du patrimoine, Paris, Éditions du Seuil, 2007 (1992), p. 9-10. 36 Henri-Pierre Jeudy, « Introduction », dans Henri-Pierre Jeudy, dir., Patrimoines en folie, p. 1-2.

37 Fernand Harvey, « La production du patrimoine », dans Andrée Fortin, dir., Produire la culture, produire

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Poursuivant l’idée selon laquelle les acteurs sociaux envisagent de nouvelles représentations du passé par la patrimonialisation, Michel Rautenberg cherche une réponse à l’extension du patrimoine dans les processus de sa production. L’auteur conçoit deux types de patrimoine dont la distinction ne réside non pas dans la nature de l’objet, mais dans la construction. Un premier patrimoine, universel, est reconnu par les institutions alors qu’un second, social, se construit par l’appropriation des acteurs. Marqué par des liens affectifs et un attachement, le « patrimoine populaire » est influencé par des contextes changeants qui déterminent différentes conceptions. Puisqu’il sollicite la reconnaissance d’un groupe, ce patrimoine se développe par des processus sociaux38. Si elle engage l’idée d’appropriation par les acteurs, la patrimonialisation est également constitutive de liens sociaux. Pour Emmanuel Amougou, les processus de production doivent être pensés à partir des rapports sociaux puisqu’ils mobilisent, d’une part, les acteurs et légitime, d’autre part, les catégories sociales. Selon le sociologue, la patrimonialisation pourrait se définir

comme un processus social par lequel les agents sociaux (ou les acteurs si l’on préfère) légitimes entendent, par leurs actions réciproques, c’est-à-dire interdépendantes, conférer à un objet, à un espace […] ou à une pratique sociale […] un ensemble de propriétés ou de « valeurs » reconnues et partagées d’abord par les agents légitimés et ensuite transmises à l’ensemble des individus au travers des mécanismes d’institutionnalisation […]39.

Jean Davallon associe quant à lui la patrimonialisation à l’échange et envisage la dimension communicationnelle de l’objet patrimonial. Pour l’auteur, la patrimonialisation pourrait se comprendre par la « filiation inversée » (expression empruntée à Jean Pouillon) puisque le patrimoine propose une reprise dans le présent d’objets du passé auxquels on confère un statut symbolique particulier. La production et la transmission du patrimoine

38 Michel Rautenberg, La rupture patrimoniale, Bernin, Éditions À la croisée, 2003, p. 17-21; Michel

Rautenberg, « Patrimoine et populaire sont-ils compatibles? Éléments pour une discussion critique de la notion de patrimoine populaire », Patrimoines culturels en Méditerranée orientale : recherche scientifique et

enjeux identitaires, 4e atelier (25 novembre 2010) : Patrimoine institutionnel et patrimoine populaire.

L’accession au statut patrimonial en Méditerranée orientale, Rencontres scientifiques en ligne de la Maison

de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon, 2010, [En ligne], <http://www.mom.fr/IMG/pdf/Rautenberg.pdf>, (page consultée le 11 octobre 2013).

39 Emmanuel Amougou, « La question patrimoniale. Repères critiques, critiques des repères », dans

Emmanuel Amougou, dir., La question patrimoniale. De la « patrimonialisation » à l’examen des situations

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doivent alors être envisagées à partir d’une rupture ou d’une continuité40. Au Québec, Van Troi Tran et Vincent Auzas introduisent l’idée de sensibilité aux processus de patrimonialisation, qui peuvent être « interprétés comme des tentatives de mise en forme de sensibilités pour leur garantir un rôle social, légitimer leur contenu culturel ou même leur conférer une effectivité politique »41.

Si elle participe à une volonté de comprendre le patrimoine et ses institutions, la patrimonialisation s’intéresse également à la définition de l’objet patrimonial par l’élaboration de systèmes organisés autour de critères qui jugent de la pertinence de produire des patrimoines. Les auteurs s’entendent pour affirmer que la patrimonialisation consiste en un processus de construction qui attribue à des objets, des pratiques, des lieux ou des personnages une signification, des valeurs et un statut particulier. Cette opération implique alors un déplacement du regard de la nature de l’objet vers sa mise en patrimoine, sa requalification. L’étude de la patrimonialisation permet une meilleure compréhension du patrimoine pensé comme une construction. Le phénomène implique une réflexion sur les mécanismes de production et d’extension du patrimoine. Pour plusieurs chercheurs, la patrimonialisation a pris une forme exagérée au cours des dernières décennies. Pierre Nora évoque «l’acharnement commémoratif », Henry-Pierre Jeudy, l’ « explosion patrimoniale », Nathalie Heinich, « l’inflation patrimoniale », François Hartog, la « patrimonialisation galopante »42. Cette volonté de tout patrimonialiser figerait, selon l’anthropologue Joël Candeau, l’identité dans le temps et témoignerait d’une « certaine incapacité à habiter le temps présent »43.

40 Jean Davallon, Le don du patrimoine : une approche communicationnelle de la patrimonialisation, Paris,

Lavoisier, Hermès science, 2006.

41 Vincent Auzas et Van Troi Tran, dir., Patrimoines sensibles : mots, espaces, pratiques, Québec, Presses de

l’Université Laval, 2010, p. ix.

42 Pierre Nora, « L’ère de la commémoration », dans Nora, dir., Les lieux de mémoire, Tome 3 : Les Frances,

Vol. 3 : De l’archive à l’emblème, Paris, Gallimard, 1992, p. 977 à 1012; Henri-Pierre Jeudy, dir.,

Patrimoines en folie; Nathalie Heinich, La fabrique du patrimoine: «de la cathédrale à la petite cuillère »,

Paris, Maison des sciences de l’homme, 2009; Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du

temps.

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En plus de situer notre recherche dans le champ des études en patrimonialisation, l’examen historiographique nous permet de mieux comprendre les valeurs et les sens des sélections effectuées lors de la production du patrimoine et d’un patrimoine. Au terme de l’exercice, nous tenterons de saisir les processus de patrimonialisation chez les Sœurs du Bon-Pasteur de Québec en interrogeant les religieuses, leurs pratiques et les objets sélectionnés. La production du patrimoine sera envisagée selon l’inscription dans le temps des objets valorisés, leur rapport à la mémoire et leurs enjeux sociaux individuels et communautaires.

1.2. Problématique de recherche

La volonté des religieuses de rendre hommage à la fondatrice, d’une part, et celle de poser un regard sur l’histoire de la communauté et de ses œuvres, d’autre part, ont motivé les Sœurs du Bon-Pasteur à entreprendre, au fil des ans, la constitution d’un patrimoine. À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, elles mettent au jour des initiatives, personnelles et communautaires, visant à rappeler les origines de la congrégation et à préserver la mémoire. À l’époque, ces manifestations relèvent davantage du désir de commémorer la figure de Marie Fitzbach que d’intentions de patrimonialisation, voire de muséalisation. Les initiatives qui mèneront à la construction de représentations du passé témoignent d’une attitude de reconnaissance à l’égard de la fondatrice et des objets qui rappellent sa figure et l’œuvre. Les artefacts valorisés le sont alors puisqu’ils deviennent porteurs d’identité et qu’ils soulignent les origines. À l’instar des communautés fondatrices de Québec, les premières propositions de mise en valeur sont destinées à une culture matérielle davantage appréciée pour sa filiation avec la fondatrice que pour ses qualités strictement esthétiques et historiques. D’abord érigé à l’intention des religieuses, puis accessible à leurs familles et aux proches de la communauté, le patrimoine s’ouvre à la population de Québec et à la province avec la création, en 1992, du Musée Bon-Pasteur.

Si les religieuses sont aujourd’hui familières avec un patrimoine qui reflète l’histoire et les valeurs de leur congrégation, les processus de reconnaissance et d’appropriation des témoins matériels de l’œuvre ne semblent pas être (re)connus. Le

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passage du cultuel au culturel s’est fait naturellement, mais quelles en sont les motivations? Comment cette transition s’est-elle opérée? Qu’est-ce qui a motivé la patrimonialisation, voire la muséalisation, de certains artefacts?

Notre recherche se propose de réfléchir à la patrimonialisation par l’étude des actions qui ont mené à une reconnaissance et à une appropriation de certains artefacts chez les Sœurs du Bon-Pasteur de Québec. Nous tenterons de comprendre comment certains éléments de la culture matérielle ont été privilégiés afin de constituer un corpus à l’image de la congrégation. Au-delà d’une étude sur la collection, notre mémoire cherchera à saisir les processus de production du patrimoine en analysant le contexte dans lequel ils s’insèrent. La patrimonialisation intègre un attachement aux biens valorisés dans la mesure où ils sont appréciés pour leurs qualités culturelles. En contexte religieux, les charges historiques, sociales ou spirituelles confèrent aux éléments identifiés des liens particuliers. Notre étude sur la patrimonialisation chez les Sœurs du Bon-Pasteur de Québec impliquera ainsi la compréhension de ce « parcours initiatique qui conduit tout objet à travers une série de passages obligés »44.

Nous tenterons, en questionnant l’apport des religieuses, de comprendre le processus qui mène l’objet du quotidien au musée 45. Considérant que la patrimonialisation s’effectue parallèlement à un passage du cultuel au culturel, comment ces processus se manifestent-ils? L’objectif premier de notre recherche est de s’interroger sur l’éveil culturel et la constitution du patrimoine des Sœurs du Bon-Pasteur de Québec. Les motifs qui poussent la communauté à privilégier certains témoins de leur histoire seront également analysés. Bref, notre mémoire tentera d’expliquer le processus de production du patrimoine de la communauté et, en retraçant son évolution, cherchera à identifier les discours et les valeurs dont il a hérité au fil des années.

44 Yves Bergeron, « Collection : regard et analyse », dans André Desvallées et François Mairesse, dir.,

Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Paris, Armand Colin, 2011, p. 60.

45 Si les Sœurs du Bon-Pasteur possèdent une remarquable collection d’art sacré, le patrimoine de la

congrégation se compose également d’objets ayant appartenu à la fondatrice, aux collaboratrices et aux bienfaiteurs, d’objets témoins des œuvres de la congrégation et d’objets ethnographiques. (Voir chapitre 3).

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1.3. Pertinence de la recherche

Conscientes de la vulnérabilité de leur patrimoine, les religieuses se questionnent aujourd’hui sur la transmission de leur héritage, matériel et immatériel. Au Québec comme en Occident, la situation du patrimoine religieux s’est considérablement détériorée au fil des dernières années. Le vieillissement important des membres des congrégations, le faible recrutement des novices et la chute de la pratique religieuse ont des répercussions sur les institutions elles-mêmes, mais également sur leur patrimoine.

Aussi vulnérable que ceux qui le détiennent, le patrimoine religieux, qui fait face à des difficultés spécifiques, est menacé de disparaître. Les institutions et les membres de l’Église doivent aujourd’hui réfléchir à leur héritage, celui qu’ils lègueront, qu’ils transmettront. Les questionnements liés à ce morcellement offrent une occasion pertinente de réfléchir au rôle et à la place qu’occupe le patrimoine dans les communautés religieuses. La situation se révèle également, selon nous, un prétexte pour réfléchir aux motifs et aux actions à l’origine d’une prise de conscience et d’une pratique patrimoniale dans les communautés religieuses. Sans mettre en avant une nouvelle gestion du patrimoine ou des approches de mise en valeur et d’interprétation vouées à la sauvegarde de l’héritage, notre recherche propose une lecture différente de la situation par la compréhension des processus de patrimonialisation. Elle suggère une réflexion sur la constitution et le développement d’un patrimoine en contexte religieux. Plutôt que de privilégier une approche du patrimoine et de la collection définis selon leurs qualités intrinsèques, nous nous intéressons à l’expérience des Sœurs du Bon-Pasteur dans les activités d’acquisition, de collecte et de mise en valeur. En tentant de comprendre les discours et les motifs inhérents aux pratiques, notre recherche pose un regard ethnologique sur la communauté religieuse et ses gestes culturels.

Les Sœurs du Bon-Pasteur de Québec nous sont apparues comme une communauté pertinente à étudier en raison de leur histoire, leur mission, leurs œuvres sociales et leur association à la ville. L’importance et la richesse de leur patrimoine, perceptibles entre autres par l’architecture et la collection exposée au Musée Bon-Pasteur, en font un groupe

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intéressant à questionner. Si des auteurs ont retracé le développement des collections et l’évolution des musées des communautés fondatrices de Québec, les Ursulines et les Augustines, la documentation des activités des Sœurs du Bon-Pasteur reste partielle. Fondée à Québec en 1850, la congrégation possède néanmoins un patrimoine qui s’est développé de manière cohérente à sa mission et qui témoigne aujourd’hui de son rôle social dans la ville. Conscientes de leur fragilité, les Sœurs du Bon-Pasteur se montrent préoccupées par ces questions et réfléchissent aujourd’hui à leur patrimoine et à leur collection.

Au terme de ce premier chapitre, nous avons introduit notre recherche en abordant les orientations de notre mémoire. Nous avons situé nos travaux au cœur des études en culture matérielle et en patrimonialisation, puis avons formulé une problématique. Avant d’exposer les résultats de notre recherche, il apparaît pertinent d’aborder le contexte duquel ces conclusion sont issues. Nous ferons état, au prochain chapitre, de la démarche ethnologique et délimiterons le terrain de recherche. Nous présenterons notre corpus de sources, de même que les méthodes d’enquête privilégiées. Nous conclurons cette partie en évoquant le traitement et l’analyse des données et en soulevant les enjeux de notre méthodologie.

(35)

CHAPITRE II Ŕ CADRE MÉTHODOLOGIQUE DE LA

RECHERCHE

Dans ce chapitre, nous situons la recherche dans la discipline et la dynamique du patrimoine ethnologique. Après avoir délimité le terrain de recherche, nous faisons état de la méthodologie employée pour constituer et analyser notre corpus de données. Enfin, nous soulevons les enjeux et les limites des méthodes privilégiées.

2.1. Considérations préliminaires : L’approche ethnologique et

le point de vue patrimonial

La présente étude s’inscrit dans la discipline ethnologique qui, à l’image des sciences humaines et sociales, adopte à la suite du postmodernisme l’idée d’une ouverture et d’un décloisonnement. L’ethnologie remet en question ses affirmations, ses concepts, ses approches, ses terrains. La discipline ne se limite plus aux faits passés, à leurs circonstances, mais cherche aujourd’hui, selon Marc Augé, à comprendre les logiques du monde contemporain, son sens social, « c’est-à-dire l’ensemble des rapports symbolisés, institués et vécus entre les uns et les autres à l’intérieur d’une collectivité que cet ensemble permet d’identifier comme telle46 ».

L’approche de notre recherche adhère plus précisément à l’ethnologie du présent, qui implique un temps, contemporain, et un espace, duquel est issu le chercheur. S’étant essentiellement développée dans les années 1980, l’ethnologie du présent a longtemps été laissée à l’écart dans le milieu scientifique en raison, d’une part, de l’implication du chercheur et de sa proximité avec le sujet d’étude. La valorisation de l’étude des sociétés exotiques et des cultures traditionnelles, ce paradigme « nous/les autres », comme l’énonce Gérard Lenclud47, a, d’autre part, limité cet intérêt pour l’ « ici et maintenant ». L’ethnologie du contemporain engage ainsi l’élargissement de la discipline vers un monde

46 Marc Augé, Le sens des autres. Actualité de l’anthropologie, Paris, Fayard, 1994, p. 10.

47 Voir Gérard Lenclud, « Le grand partage ou la tentation ethnologique », dans Gérard Althabe et al., dir.,

Figure

Figure 1. George Manly Muir, avant  1882
Figure  3.  Marie  Fitzbach  (Mère  Marie-du-Sacré-Cœur),  1856
Figure  4.  Premier  refuge  de  l’Asile  Sainte- Sainte-Madeleine, rue Richelieu, à Québec, s.d
Figure  7.  Meubles  et  objets  ayant  appartenu  à  George  Manly  Muir,  dont  l’horloge d’applique de style Louis XV  Crédits : Valérie Vachon-Bellavance
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