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CHAPITRE IV Ŕ LE PATRIMOINE DES SŒURS DU BON-PASTEUR

4.4. Un patrimoine, une collection

En s’attachant à l’étude d’une conscience et d’une pratique patrimoniale chez les Sœurs du Bon-Pasteur de Québec, notre recherche impliquera la restitution des circonstances de formation de la collection. Puisqu’elle implique un processus de sélection et qu’elle limite le corpus du patrimoine de la congrégation, la collection a constitué le point de départ de notre étude. Notre projet considérera ainsi les conditions qui ont favorisé une prise de conscience et une volonté de sauvegarde à l’égard de cet héritage. L’analyse des processus desquels émergent ces considérations suppose l’étude de l’origine et de l’histoire de la collection des Sœurs du Bon-Pasteur. Un aperçu de ce corpus apparaît de ce fait nécessaire afin de mieux saisir l’émergence de la conscience et de la pratique patrimoniale au sein de la communauté. Il convient toutefois, dans un premier temps, de distinguer patrimoine et collection.

4.4.1. Le patrimoine

D’abord de construction juridique, la notion de patrimoine se réfère dans sa première formulation à une notion de droit. Cette première acception, fondée sur le concept de propriété, renvoie aux actifs détenus par un individu ou aux biens hérités de ses ascendants. La seconde acception du terme possède, quant à elle, une dimension collective. Est d’ailleurs parfois accolé à cette acception un qualificatif entendu au sens culturel. Pour

l’historien de l’art André Chastel, « le patrimoine, au sens où on l’entend aujourd’hui dans le langage officiel et dans l’usage commun, est une notion toute récente, qui couvre de façon nécessairement vague tous les biens, tous les Ŗtrésorsŗ du passé144. » Dans son

Allégorie du patrimoine, Françoise Choay évoque

un fonds destiné à la jouissance d’une communauté élargie aux dimensions planétaires et constitué par l’accumulation continue d’une diversité d’objets que rassemble leur commune appartenance au passé : œuvres et chefs- d’œuvre des beaux arts et des arts appliqués, travaux et produits de tous les savoirs et savoir-faire des humains145.

Le sociologue Yvon Lamy, pour sa part, parle d’une polysémie du patrimoine, le désignant comme « propriété et héritage, individu et collectivité, nation et humanité, nature et culture, culte du passé et mémoire collective, sélection et classement, profane et sacré, réalité susceptible (ou non) d’aliénation146. » Enfin, Dominique Poulot, historien de l’art, pousse plus loin ces propositions, considérant que « l’idée du patrimoine, intimement liée à la nécessité de conserver des œuvres menacées ou des objets de plus en plus rapidement obsolètes, répond au principe d’un partage de la culture au sein des sociétés démocratiques, comme à l’exigence de généalogies au sein de l’espace public postmoderne147.

Le patrimoine des Sœurs du Bon-Pasteur pourrait se comparer, selon l’ethnologue Jean Simard, « à un héritage qu’on aurait méthodiquement constitué au fil des ans dans le but avoué de l’utiliser un jour à des fins de démonstration pour les générations à venir148 ». Bien que les initiatives ou les acquisitions de la communauté ne soient pas systématiquement documentées, les traces d’un patrimoine, d’abord compris dans sa matérialité, ont généralement été consignées et archivées. Les discours du patrimoine engagent alors l’idée d’un héritage enraciné dans le temps, référant aux origines de l’œuvre, à sa pérennité. Construction du temps, le patrimoine en est aussi une de sens, d’affirmations identitaires. Avec la constitution de son héritage, la communauté a ainsi voulu créer un

144 André Chastel et Jean-Pierre Babelon, La notion de patrimoine, Paris, L. Levi, 1994, p. 11. 145 Françoise Choay, L’allégorie du patrimoine, Paris, Éditions du Seuil, 2007 (1992), p. 9.

146 Yvon Lamy, L’Alchimie du patrimoine : discours et politiques, Talence, Éditions de la Maison des

sciences de l’homme d’Aquitaine, 1996, p. 27-28.

147 Dominique Poulot, dir., Patrimoine et modernité, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 7. 148 Jean Simard, Préface, dans Laurin, op. cit., p. 1.

corpus et une image qui l’associerait à la ville de Québec et à son travail auprès des femmes et des enfants149.

4.4.2. La collection

Selon l’historien et philosophe Krzysztof Pomian, la collection se définit selon des critères d’absence de la sphère économique, de protection et d’exposition au regard. Une collection est définie comme « tout ensemble d’objets naturels ou artificiels, maintenus temporairement ou définitivement hors du circuit d’activités économiques, soumis à une protection spéciale dans un lieu clos aménagé à cet effet et exposés au regard150 ». Pour Pomian, un ensemble exposé au regard est alors « inséré dans un circuit d’échanges non utilitaires où la valeur que lui reconnaît son propriétaire est confirmée ou infirmée par d’autres que lui151. » Aux critères dégagés par Pomian, l’ethnologue Thierry Bonnot ajoute celui de classification « puisque sans ordonnancement, si imprécis soit-il, il n’y a pas de collection152 ».

À l’instar du patrimoine, la collection apparaît comme une construction adhérant aux valeurs d’un groupe ou du collectionneur, à ses intérêts. Elle s’insère dans cet ensemble plus large qu’est le patrimoine. Les choix inhérents à l’origine de la collection impliquent alors la transmission d’une image ou la création de sens. Ainsi, selon l’ethnologue Sara Le Ménestrel,

collectionner est par définition une démarche sélective qui exclut toute neutralité. Elle implique toujours une certaine discrimination, qui résulte d’une interprétation du passé comme du présent. En outre, les choix effectués sont tout aussi révélateurs de notre société que les objets eux- mêmes, puisqu’ils témoignent de l’image que nous avons, mais aussi de celle que nous voulons en donner153.

149 Ibid.

150 Krzysztof Pomian, « Entre l’invisible et le visible : la collection », Libre, no 3, 1978, p. 6.

151 Krzysztof Pomian, Collectionneurs, amateurs et curieux, Paris, Venise XVIe-XVIIIe siècle, Paris,

Gallimard, 1987, p. 295.

152 Thierry Bonnot, La vie des objets : d’ustensiles banals à objets de collection, p. 128.

153 Sara Le Ménestrel, « La collection de l’objet contemporain : un défi posé au Musée de la civilisation à

Les artefacts de la collection, puisqu’ils ont été choisis pour faire partie d’un ensemble représentatif du patrimoine matériel et immatériel des Sœurs du Bon-Pasteur, traduisent l’importance des objets, non pas comme produits, mais comme indicateurs de rapports sociaux. La collection apparaît ainsi comme un processus de construction d’un patrimoine154. Avant d’étudier la constitution de la collection et la pratique patrimoniale des Sœurs du Bon-Pasteur de Québec, nous dresserons un bref portrait de la collection de la congrégation.