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Les trinités de la trinité corporelle

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 101-105)

L’ACTEUR – DE LA MACHINE À L’OBJET D’ART

1.3.4 Les trinités de la trinité corporelle

Les recherches de Delsarte, qui ont débuté à partir de sa détermination à retrouver sa propre voix ont fini par avoir une influence fondamentale sur le mouvement corporel des acteurs et danseurs. Elles ont même influencé la danse moderne, et s’interrogeaient sur le corps dans sa totalité. D’après la division ternaire, vie-âme-esprit sont placés dans le corps de l’homme respectivement dans les membres et le tronc(bas)-le torse-la tête. Et chacun de ces segments se voit divisé à son tour en trois parties, à savoir la tête aura une partie liée à la vie, une partie liée à l’âme et une autre partie liée à l’esprit. Tout comme le torse aura une partie liée à la vie, une à l’âme et une autre à l’esprit. De même pour les

256 François Delsarte, in Ted Shawn, op. cit., p. 111.

257 Idem, p. 111-112

Le Corps qui pense, l’esprit qui danse – l’acteur dans sa quête de l’unité perdue  Leela Alaniz 

membres qui seront également divisés en vie-âme-esprit. Dans les subdivisions de la tête et des membres, les parties qui se trouvent proches du centre du corps sont toujours liées au principe vie ou vital. En ce qui concerne la tête, cette partie sera le menton, et dans les membres ces parties seront les cuisses pour les jambes et les parties hautes des bras. Les parties médianes de la tête et des membres seront reliées au principe âme ou émotionnel, c’est-à-dire dans la tête cela correspond à la région qui comprend les yeux, et dans les membres aux régions des tibias et des avant-bras. Finalement les parties distales seront associées au principe esprit ou intellectuel, à savoir pour la tête ce sera le front du visage, mais aussi le sommet de la tête en général, pour les membres ce seront les pieds et les mains.

Dans la subdivision du torse, siège de l’âme, la partie haute qui est proche de la tête sera liée au principe intellectuel, la partie centrale sera le principe émotionnel et la partie plus basse (proche du bassin) sera le principe vital.

Schématiquement les divisions se présentent comme suit, les trois principes de base sont eux-mêmes composés d’autres principes :

Tête – intellectuel Front –

Intellectuel/intellectuel

Yeux –

Intellectuel/émotionnel Menton – Intellectuel/vital

Torse – émotionnel Partie supérieure de la poitrine – Émotionnel/intellectuel

Partie médiane de la poitrine – Émotionnel/émotionnel

Partie basse du torse Émotionnel/vital

Membres – vital Jambes Cuisse–Vital/vital

Tibia – Vital/émotionnel Pied – Vital/intellectuel

Bras Haut du bras – Vital/vital

Avant-bras – Vital/émotionnel Main – Vital/intellectuel

Dans ces nouvelles divisions les critères excentrique, normal et concentrique sont présents et également multipliés en suivant les multiplications des principes. Par exemple le principe vie qui a le critère excentrique, aura un côté vital, qui sera alors

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Excentrique/excentrique ; un côté animique ou Excentrique/normal et un côté intellectuel Excentrique/concentrique. Ces nouvelles combinaisons seraient d’abord au nombre de neuf, ce que Delsarte va appeler l’accord de neuvième.

La terminologie accord de neuvième, inspirée du vocabulaire musical, a été reproduite par Delsarte pour désigner les subdivisions de sa trinité dominante vie-âme-esprit. Dans la première subdivision il y aura création de nouvelles trinités au nombre de neuf. Cette dynamique poursuivant en conséquence d’autres divisions par trois, elle engendrera de nouvelles combinaisons.

Dans l’accord de neuvième delsartien, la subdivision de la trinité est, bien entendu, due à la qualité particulière d’interdépendance ou d’interpénétration de chaque élément, c’est-à-dire que la partie vie accueillera les deux autres parties âme et esprit et ainsi de suite. Dans les nouvelles trinités formées, l'une des parties aura alors la double caractéristique de son original et de deux autres qui seront les résultats des combinaisons des deux éléments différents. Chaque principe est subdivisé en trois comme suit :

Principe Rapport avec la vie Rapport avec l’âme Rapport avec l’esprit

258 « La vie est d'abord sensitive, et par ce que la vie emprunte à l'esprit, elle est industrieuse, et par ce que la vie emprunte à l'âme, elle est affective.

Dans le domaine de l'esprit, nous retrouvons la même chose : l'esprit est essentiellement spéculatif. Voilà son être. En ce qui touché la vie il est rationnel. En ce qui touche à l'âme, il est réfléchi.

L'âme à son tour se trouve donc en rapport, et doit réverbérer deux congénères. L'âme est essentiellement mystique, de sa nature voilà ce qui la constitue âme. Elle est, par ses affinités avec la vie, aspiralive. Et comme elle est la lumière et l'institutrice de l'esprit, car l'esprit ne fonctionnerait pas s'il ne se mouvait pas au service de l'âme ... L'esprit n'ayant pas de besoins particuliers se trouve être le très humble serviteur du cœur, il n'est que sous l'incubation du cœur ; du côté de l'esprit, l'âme est donc inspirative. » François Delsarte, in Alain Porte, François Delsarte…, op. cit., p. 97.

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Ted Shawn, reprenant les schémas trouvés dans les manuscrits de Giraudet259, témoigne que Delsarte a nommé genres les trois premières fractions de la division trinitaire, c’est-à-dire excentrique, relatif à la vie ; normal pour ce qui concerne l’âme ; et concentrique correspondant à l’esprit. Les genres sont aussi divisés en trois, ce qui engendre, à nouveau, neuf espèces. Les genres sont indiqués en lettres majuscules et les espèces en minuscules. Puis, chacune des neuf fractions sera à son tour divisée en trois, donnant ainsi vingt-sept variétés. Les variétés divisées également en trois, produisent alors les sous-variétés qui sont au nombre de soixante et une. Ces dernières aussi divisées en trois, constituent les types, qui seront au nombre de deux cent quarante-trois. Les types, finalement divisés en trois, engendrent sept cent vingt-neuf phénomènes.

Selon Giraudet, Delsarte considérait la vie ou l’attitude excentrique, comme étant 1'action des puissances sensibles de 1'homme, c’est-à-dire que les sens, surtout le toucher, la vision et l’écoute, en vue de prendre contact avec l’extérieur éprouvent une espèce d’auto dilatation, d'expansion des organes exposant ainsi une plus large surface à la sensation260. Ce qui causera alors un éloignement de ces organes de leur centre. Les directions des manifestations physiques iront alors du centre vers l’extérieur.

L’esprit, attitude concentrique, en opposition au principe vital, essaie d’échapper à la sensation ayant une action également puissante, mais cependant dirigée vers l’intérieur.

Giraudet confirme que Delsarte disait que les « spéculations intellectuelles, la réflexion ramènent tout 1'être vers un centre unique, le cerveau, qui détermine une rétraction générale des organes et des sens.261 »

Les manifestations physiques de l’âme, ou le genre animique, attitude normale, seront alors neutres, car l’âme se tient au centre entre les deux autres états opposés et garde

« un état d'équilibre qui donne aux organes le calme, la quiétude, la proportion normale.262 »

Il n’y a pas d’ordre hiérarchique pour les trois concepts vie, esprit et âme263. Toutefois, puisque les qualités de la vie et de l’esprit sont opposées ou complémentaires et

259 Ted Shawn, op. cit., p. 179-180.

260 Alfred Giraudet, in Ted Shawn, op. cit., p. 182.

261 Idem, p. 185.

262 Ibid.

263 Alan Porte, « François Delsarte ou le chant des signes » in Franck Waille Éd., op. cit., p. 154.

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trouvent l’équilibre à travers les qualités de l’âme, puisque la vie est essentiellement expansive et l’esprit essentiellement rétractif et que l’action de l’âme devra alors assurer l’harmonie entre eux, il y a, pour la lecture des tableaux, un ordre hiérarchique, c’est-à-dire que l’on lira la vie en premier, l’esprit ensuite, et l’âme entre les deux.

Dans la représentation graphique suivante sont indiquées les subdivisions des termes excentrique, normal et concentrique, synthétisant les trois critères de la trinité. Les consignes en majuscule représentent les genres, la tendance dominante, et celles en minuscule, les espèces, le facteur le moins déterminant. Chacune des neuf fractions aura une qualité d’expression particulière comme nous allons voir dans les tableaux de mains et du corps que nous présenterons plus avant :

Dans la nature il y a un jeu des forces entre la force positive, la force négative et la

« force » neutre. La force positive, vue comme un caractère masculin ou d’action est donc contraire à la force négative, féminine, plus réceptive. Selon Delsarte, c’est dans la manifestation du principe de neutralité que l’équilibre sera atteint et que pourra se déclencher le processus créatif. Cela ne veut pas dire que l’état de neutralité est l’idéal. Il est fondamental, car s’il n’existe pas, l’antagonisme entre les deux forces négative et positive sera éternel, et n’amènera nulle part. Paradoxalement, pour que la création naisse, la confrontation entre masculin et féminin est fondamentale, car si on reste dans l’état de neutralité, le processus de création ne démarre pas.

Cette approche trinitaire où chaque élément est en recherche constante d’un équilibre, telle qu’identifiée par Delsarte, est à l’œuvre dans un grand nombre de

264 Ce tableau qui montre l’organisation des principes apparaît dans le livre de Ted Shawn, op. cit., p. 70.

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