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De la nécessité d’un entraînement régulier et méthodique chez l’acteur

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 171-187)

L’ACTEUR – DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA RELATION CORPS-ÉMOTION-ESPRIT

2.3.2 De la nécessité d’un entraînement régulier et méthodique chez l’acteur

Se référant au développement artistique de l’acteur, Delsarte défendait toujours un travail technique et régulier sans que ce travail ne coupe l’acteur de la vie et de la création artistique. Malgré la rigueur de son système, Delsarte faisait un grand effort pour attirer l’attention sur le fait de ne pas tomber dans une interprétation légère et erronée de son enseignement. Il ne voulait en aucun cas que l’on se borne à utiliser son travail de manière simplement formelle. Voici un autre témoignage de MacKaye :

« Un survol cursif de ce sujet pourrait induire certains esprits à croire que l'art dramatique, sous l'influence d'un tel système, pourrait devenir artificiel.

Cette opinion est largement superficielle. Imaginer qu'une profonde connaissance de la nature humaine et des lois qui gouvernent ses manifestations puisse desservir l'art ou l'artiste, est aussi absurde que de supposer que la science de base, qui est purement mathématique et technique, puisse être préjudiciable au génie musical. Il est vrai que la simple connaissance des lois de l'harmonie en musique ne transforme pas en Beethoven un simple homme d'affaires, mais cette connaissance est primordiale pour révéler le génie de Beethoven.491 »

Ainsi comme Delsarte, Craig affirme la nécessité d’un travail long et méthodique492 de l’acteur et déclare que même si ce dernier a déjà appris certaines choses, il ignore encore que le « naturel bouillonnant, et tout cet acquis instinctif doubleraient, tripleraient ses moyens, s'ils étaient guidés par une méthode scientifique, par un Art »493.

Craig parle à plusieurs reprises du manque de lois dans l’art du théâtre, lois qui, à son avis, doivent être découvertes et publiées. Néanmoins, il ne porte pas d’espoir en

491 James Steele MacKaye in Alain Porte, François Delsarte, une anthologie, op. cit., p. 30.

492 E. G. Craig, De l’Art du théâtre, op. cit., p. 80.

493 Idem, p. 45.

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l’homme qu'il considère comme « égoïste et vain », ce qui explique que « les lois de l'Art du théâtre ne sont pas encore écrites »494. Et voici qu’il atteste la nécessité et l’émergence des lois dont il se dit le découvreur :

« Cette découverte ne peut pas entraîner de déceptions. Et si tous nous errons, mais que surgisse un nouveau venu qui voie plus clair que nous, qui de nous pourrait lui opposer un démenti? Le pis c'est qu'aucun de nous ne désire découvrir ces lois générales, chacun ne songe qu'à faire triompher ses idées personnelles bonnes ou mauvaises, ou gagner de l'argent. Une grande vanité, un égoïsme mesquin enchaînent nos paroles et nos pensées.

Ce qui manque à l'Art du Théâtre, c'est une forme définie. Elle est flottante, variable, elle n'est point fixée jusqu'ici. (…) Où la forme fait défaut, il ne peut y avoir de beauté en art. Comment arriver à cette forme? En suivant progressivement les lois de l'Art. Et ces lois? Je suis à leur recherche et je crois en découvrir quelques-unes.495 »

Dans l'œuvre de l’américaine Genevieve Stebbins, Delsarte System of Expression, nous trouvons des chapitres spécifiques sur ce que Delsarte appelait des lois. Selon l'une de ses anciennes élèves, Angélique Arnaud, dont l’œuvre a été traduite en anglais et ajoutée à cette édition américaine, elle comprenait les lois comme étant les forces qui contiennent en elles-mêmes les raisons, pour nous inconnues, d'une puissance et d'une permanence qui sont immuables. Delsarte s'exprimait alors sur les lois des gestes « priorité, rétroaction, l’opposition des agents, unité, stabilité et rythme » ; les lois de l’esthétique ; les lois empruntées aux arts suivants : l’art dramatique, l’art lyrique, l’art oratoire ; les lois de l’architecture ; les lois de la peinture ; les lois de la sculpture496.

Au-delà de l’acteur même, et dans sa vision d’unité, Delsarte réfléchissait aussi sur les « lois qui concernent le centre scénique, » les déplacements de l’acteur sur scène, les angles à décrire dans leurs marches par rapport au centre de la scène et « par rapport à l'interlocuteur, » ainsi que toutes les possibilités corporelles comme par exemple les oppositions, selon « la puissance du caractère à produire. ».497 Craig pousse plus avant cette conception du spectacle avancée par Delsarte, dans un essai écrit pour « les artistes

494 Ibid., p. 117.

495 Ibid., p. 118.

496Genevieve Stebbins, Delsarte System of Oratory. The Complete Work of L'Abbe Delaumosne. Selon Angelique Arnaud, « les lois sont des forces contenant en ells-mêmes les raisons, qui nous sont inconnues, d’un pouvoir et d’une permanence qui sont inchangeantes » p. 209

497 François Delsarte, lettre à MacKaye, 1870, fonds MacKaye (Special Collections, Baker Library, Darmouth College, Hanover, New Hampshire, USA), in Alain Porte, François Delsarte, une anthologie, op.

cit., p. 12.

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du théâtre de l’avenir ». Il y pose l’importance du mouvement des acteurs sur scène en vue de « rendre les passions et les pensées des foules », et afin d'aider « l'acteur à exprimer les sentiments et les idées propres au personnage qu'il interprète »498. Craig déclarait alors qu’à travers un « commun idéal et le même code de lois, on pourrait atteindre à une certaine unité, une harmonie ». Et il mentionne en définitive que sans ces lois « toute tentative restera inutile »499.

Pour Delsarte l’acteur doit trouver une façon personnelle de s’exprimer à travers le corps et la voix. Craig voulait que l’acteur arrive à s’exprimer au travers de gestes symboliques qui puissent naître d'une harmonie intérieure. Ainsi, Delsarte et Craig se rejoignent sur un point: un rejet du réalisme dans l’art. Delsarte considérait le réalisme comme une technique « desséché[e], momifié[e] »500, et il était horrifié par les créations réalistes où, selon lui, la vraie nature de l’art n’était pas présente, et qu’il appelait

« Stylomanie »501. Il évoque le caractère essentiel et subjectif de l’art, « sa forme intense et organique, la constitution de ses puissances, leur genèse, leur prédominance successive, et leur égalité d'équilibre », comme les éléments vitaux sans lesquels l’esthétique n'est pas possible502. Craig, à son tour, fait des observations similaires à celles de Delsarte ; il voit d’abord le réalisme comme une « copie grossière de la vie »503 et ensuite, considérant le théâtre comme un art avant tout visuel, il qualifie le réalisme de « mode d'expression grossier, bon pour les aveugles »504. Il abhorrait deux aspects caractéristiques de l’art de son époque, d’abord sa « vitalité » mais aussi son « affectation. » Par affectation il entendait à la fois « l'imitation de l'ancien et le goût du jour, ce qu'on nomme aujourd'hui si justement ‘le dernier cri’ »505.

Delsarte souhaitait que l’artiste se trouve à un très haut niveau et déclarait que celui-ci devait se mettre au service de l’art en tant que purificateur de la vie et non comme un instrument des plaisirs éphémères ; il devait revêtir de beauté ce qu’il touchait et apporter la lumière à l’intelligence ; et surtout, il avait l’obligation de s’élever lui-même du

498 E. G. Craig, De l’Art du théâtre, op. cit., p. 58. Première publication in The Mask, vol. I, I908, n° I, p. 3-5 et n° 3-4, p. 57-67.

499 Idem, p. 117.

500 François Delsarte, in Alain Porte, François Delsarte, une anthologie, op. cit., p. 223.

501 Idem, p. 216.

502 Ibid., p. 217.

503 Edward Gordon Craig, De l’Art du théâtre, op. cit., p. 102.

504 Idem, p. 220.

505 Ibid., p. 163.

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plan ordinaire et donc s’éloigner des émotions désordonnées, pour finalement élever ceux qui s’intéressent à lui en ne « les intéress[ant] que par la vérité ». L’artiste devait donc, selon lui « embellir ce qu'il touche et n'émouvoir que par la vue du Beau »506.

Craig se lie à Delsarte quand il déclare lui aussi :

« La vitalité d'un art dépend de ses artistes, de leur disposition à travailler sous les lois qui ont régi leur art depuis les origines. Non point des lois élaborées par des comités, et pour se conformer à telle ou telle période, mais des commandements, non formulés, nulle part inscrits, mais conformes à cette noble loi de l'équilibre qui est au cœur de la Beauté parfaite, et d'où jaillit la liberté, cette liberté que nous attendons, que nous espérons, et qui est l'âme même de la Vérité. Se diriger sans cesse vers cette vérité, c'est le but des artistes, et ceux du théâtre ne doivent pas être les derniers à y tendre.507 »

Craig parlait de la haute qualité spirituelle que devait atteindre l’artiste, mais il n'indiquait pas les voies qu’il devait emprunter, peut-être parce que lui-même ne les connaissait pas ; mais ce qui est certain, c’est qu’il avait été touché par des expériences profondes où la vérité s’était révélée à son être. À travers Isadora Duncan, pour qui le corps n’était pas un masque qui recouvre la vérité, mais plutôt le moyen capable de

« donner une expression à [sa] musique divine »508, avec une « puissance extraordinaire » - il a vu et ressenti cette vérité.

Même si Craig ne se référait jamais explicitement à Delsarte, il a essayé d’en parler et de l’évoquer à travers des périphrases poétiques:

« Les maîtres sages et mesurés, forts des lois qu'ils avaient juré d’observer toujours, les maîtres aux noms pour la plupart inconnus, admirable dynastie qui créa les dieux d'Orient et d'Occident, gardiens des époques héroïques, tous tendirent leur pensée vers l'Au-delà, cherchèrent des visions et des sons dans cette région heureuse et calme, afin de rendre dans la forme d'une statue, dans la cadence d'un poème, cette sérénité un instant entrevue compensatrice du trouble et de l'agitation d'ici-bas.509 »

Chez Delsarte, la recherche de la vérité est l'une des principales raisons qui justifie la recherche des lois de l’Art. Cette même quête sous-tend son souhait d’accompagner

506 François Delsarte, in Alain Porte, in François Delsarte, une anthologie, op. cit., p. 185.

507 E. G. Craig, Le Théâtre en marche, op. cit., p. 163.

508 Isadora Duncan, Ma Vie, Paris, Gallimard, 1932, p. 156.

509 E. G. Craig, De l’art du théâtre, op. cit., p. 99-100.

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l’homme dans l’ascension devant le mener jusqu’ à la qualité d’artiste. Il a toujours mené une recherche approfondie pour explorer les lois de l’Art à grande échelle, afin de surpasser la logique ordinaire de la raison humaine. Malgré la qualité mouvante du matériel humain, il est parvenu à s’approcher et à articuler une réalité immuable où se trouve l’axe de la vérité. Mais, l’exigence faite à ceux qui voulaient se donner à cette investigation initiatique était l’éloignement des traits de caractère humain, dont nous parle Craig, à savoir l’égoïsme et la vanité. Selon MacKaye, Delsarte « cherche à faire d'un acteur un artiste, il cherche à le rendre apte à s'affranchir de sa propre personnalité »510 et sera artiste celui qui pourra reconstruire les anciennes liaisons perdues (avec l’immuable ou le divin). Delsarte atteste alors que l’art sera une seconde nature511 de l’homme, mais l’artiste doit « abolir l'identité psychologique du petit créateur pour laisser place au champ total de la Création »512.

Craig rejoint à nouveau Delsarte quand celui-ci se prononce sur les difficultés qui rencontre l’artiste de rester fidèle à la voie qu’il a choisie, et de la nécessité de sortir de son égoïsme personnel en vue de se donner à la création artistique :

« Nous avons ce que nous voulons; la chose essentielle, c'est la sincérité, la pureté d'intention, c'est la constance, c'est le pouvoir de ne point changer d'idée... et c'est le moyen de sacrifier un peu de notre moi, à un égoïsme créateur, qui croit que la chose est plus grande que l'homme... l'œuvre d'art plus grande que l'interprète.513 »

L’homme, selon Delsarte, doit se considérer comme objet d’art, pour s’étudier lui-même à travers la connaissance des « lois de l'expression dramatique » aux niveaux corporel ou gestuel, émotionnel ou moral et intellectuel. Les lois de l’art sont conçues dans le but de se rapprocher et de révéler de hautes qualités humaines, qui sont en fait très proches de qualités que l’on pourrait qualifier de divines, telles que « la grâce, la vérité et la pureté »514 afin qu’elles puissent jaillir dans les créations à travers l’homme, mais jamais à travers l’homme ordinaire, toujours à travers l’homme artiste.

510 James Steele MacKaye, in Alain Porte, François Delsarte, une anthologie, op. cit., p. 30.

511 « Ainsi l'art devient-il une seconde nature, et l’âme connaît-elle alors sa plus libre et plus pleine expression. François Delsarte cité par Alain Porte in François Delsarte, une anthologie, op. cit., p. 31.

512 François Delsarte, in Alain Porte, François Delsarte, une anthologie, op. cit., p. 29.

513 E. G. Craig, Le Théâtre en marche, op. cit., p. 230.

514 James Steele MacKaye, in Alain Porte, François Delsarte, une anthologie, op. cit., p. 31.

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Gordon Craig déclarait ne pas croire « au pouvoir personnel de l’homme, mais à son pouvoir impersonnel »515 et il place l’impersonnel, qui est selon lui ce qu'il y a de meilleur en l’homme, avant ce qui est personnel, même si le personnel semble être ce qui façonne son identité. Et ainsi, comme Delsarte qui parle d’une « seconde nature », Craig se réfère aux civilisations anciennes où l’on trouvait des hommes libres des tourments et émancipés du désir de mettre en avant leurs personnalités ; des grands maîtres, des « sages animés d'une sainte patience, heureux de conformer leurs pensées et leurs gestes à la loi, au service des simples vérités »516. Craig arrive alors à cette réflexion : « nous nous rendrons compte qu'en perdant notre personnalité, nous acquérons, nous sommes environnés d'une force nouvelle, distincte de toute autre, supérieure à toute autre.517 »

L’Héritage secret

« S’il vous plaît, dites-moi quel est le mot le plus emphatique et le plus significatif ici » dit Delsarte.

Puis Delsarte se leva, et prenant un ton calme, modeste mais triomphant dit:

« le mot significatif et emphatique est le seul qui vous ait échappé. Il s’agit de la conjonction « et » dont le sens elliptique nous laisse dans l’appréhension de ce qui va advenir. 518 » François Delsarte

« Le mot d'‘Aujourd’hui’ est fort beau, celui de ‘Demain’ l'est aussi, et celui de l'‘Avenir’ est divin – mais le mot qui les enchaîne l'un à l'autre et les harmonise, est plus que tous parfait: c'est le mot ‘Et’. Car c'est le mot qui comprend – accroît unit et harmonise toutes choses.519 » Gordon Craig

Certes, Gordon Craig a proposé l’élimination de l’humain sur la scène, considérant que l’homme ne pourrait jamais accéder au niveau requis pour occuper cet espace. Il a abasourdi et émerveillé à la fois avec ses idées paradoxales et ses métaphores. Mais parallèlement à sa profonde désillusion à l'égard du théâtre ordinaire, ou tel qu’il était couramment pratiqué à son époque, et bien sûr des acteurs qui y collaborent, Craig exprime le souhait et la possibilité d’une voie métaphysique, où la révélation du divin serait atteinte. Comme nous l’avons vu tout au long de cette étude, quiconque se penche

515 E. G. Craig, De l’art du théâtre, op. cit., p. 74.

516 Idem, p. 100.

517 Idem, p. 74. Note de bas de page, spécifique à l'édition française.

518 François Delsarte, cité par L’Abbe Delaumosne, The Delsarte System, traduit par Frances A. Shaw, op.

cit., p. XIX.

519 E. G. Craig, De l’Art du théâtre, op. cit., p. 77-78.

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sur les écrits de François Delsarte décèle naturellement une parenté entre leurs pensées.

Craig s’est en effet inspiré des écrits de Delsarte pour parvenir à une telle intuition. On peut avancer que les autres « chemins » qui auraient pu permettre à Craig de parvenir à une telle pensée ne lui étaient pas familiers ou accessibles: lui-même n’était pas croyant et n’avait pas un Dieu ou plusieurs Dieux vers lesquels diriger sa foi ; et il n’avait pas de pratique physique ou corporelle particulière qui eut pu lui permettre de proposer un chemin pour arriver à une révélation du divin à travers le mouvement.

Ainsi, les associations entre les écrits de Gordon Craig et de François Delsarte, ainsi que la lecture des sources de ceux qui ont écrit sur leurs travaux, nous ont permis d’identifier de nombreuses convergences dans leurs discours sur le travail de l’acteur. Ce rapprochement nous paraît important parce que d’une part, Delsarte a laissé un système de travail fondé sur des recherches pratiques appuyées sur une forte inspiration spirituelle et métaphysique. D’autre part, la pensée de Craig dans laquelle transparaît une conception métaphysique du théâtre est cependant toujours teintée de paradoxe, puisque que Craig n’a pas le même engagement spirituel que Delsarte.

En somme, à travers les écrits de et sur Delsarte, il nous est possible d’avoir une compréhension plus précise et plus claire des écrits de Craig, car la pensée de Delsarte a imprégné celle de Craig, bien que leurs positions soient souvent divergentes.

En effet, il est pertinent de remarquer que Delsarte croyait que l’homme pouvait accéder à une connexion avec le divin afin de devenir artiste, alors que Craig n’avait aucune foi en l’homme.

La notion d’Unité de l’homme, comme point essentiel lui permettant de s’approcher de l’Art et d’accéder à sa condition d’artiste apparaît comme un axe important de la pensée et de la pratique de Delsarte ; elle apparaît également dans le discours de Craig. L’unité, chez Craig comme chez Delsarte, a été perdue par l’homme et entraîne son incapacité à être créatif, et cet état n'a malheureusement pas évolué. La cause de la perte de cette unité est liée à la même image mythique platonicienne tant dans le discours de Delsarte que dans celui de Craig. Ce dernier se réfère à la « divine unité originale »520 qui a

520 E. G. Craig, De l’Art du théâtre, op. cit., p. 73. « La divine unité originale, le ‘carré parfait’, le cercle incomparable de notre nature, a été violemment rompu par nos passions et nous ne pouvons plus aujourd'hui, comptant sur notre instinct, tracer spontanément de carré ou de cercle parfaits. (…) M'est avis qu'il ne faut pas oublier que nous venons après la Chute, et non pas à l'âge qui l'a précédée. Je vois, pour mon compte, un

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été brutalement brisée. Craig nous renvoie explicitement à la parabole de la Chute521, où l’homme est le résultat de la division de l'harmonieux « attelage ailé céleste ». Avant sa chute, cet attelage avait la faculté de s’envoler, mais après sa division, à l’origine de l’incarnation de l’homme dans un corps, elle perd ses pouvoirs et condamne celui-ci à ne pouvoir réaliser que des mouvements ordinaires. Ainsi, comme nous l’avons déjà exposé, Craig conçoit le paradoxe d'un mouvement qui serait révélateur de l’invisible, mais contrairement aux intuitions de Delsarte ; Craig avance qu’un tel mouvement ne peut être réalisé à travers l’homme, et ce à cause de son manque d’harmonie.

Delsarte utilisait également cette allégorie522 pour illustrer la division de l’homme.

Il prolonge la métaphore en faisant de la division à l’intérieur de l’homme celle qui va empêcher son âme d’avoir une connexion avec le divin. Cette césure causera l’impossibilité du corps à avoir des satisfactions saines et généreuses, qui trouvent normalement leurs sources dans le centre de l’âme ; à condition bien entendu que celle-ci

Il prolonge la métaphore en faisant de la division à l’intérieur de l’homme celle qui va empêcher son âme d’avoir une connexion avec le divin. Cette césure causera l’impossibilité du corps à avoir des satisfactions saines et généreuses, qui trouvent normalement leurs sources dans le centre de l’âme ; à condition bien entendu que celle-ci

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