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CHAPITRE III : FAIRE APPEL A L’INTERPRETATION

III.1/ L’EXPERIENCE SENSIBLE DU SITE DEPUIS L’AUTOMOBILE

III.1.3/ Traversée d’un territoire

1/ La dimension esthétique : en rapport avec le sens donné au territoire

L’analyse des commentaires recueillis lors des entretiens « embarqués » met en évidence la perception de deux univers qui côtoient l’autoroute :

- le premier urbain-industriel, - le second rural-naturel.

Ces deux univers se succèdent, mais c’est le premier qui l’emporte. Triste, sale, poussiéreuse, ces termes qualifient en effet l’ambiance dominante de la vallée. La

partie consacrée au déplacement montre que l’autoroute elle-même, vétuste, trop étroite pour ce type d’infrastructure, ne dément pas le paysage post-industriel. Mode de transport du XXè siècle, elle ne peut affirmer la modernité et se trouve reléguée au passé, à l’image du territoire qu’elle traverse. La campagne environnante et les paysages vallonnés, la vue lointaine sur le Mont Pilat, sont des échappées visuelles : le long du parcours, le passager n’a pas le temps de s’installer dans l’ambiance rurale- naturelle, le rythme des séquences « avec vues » est trop bref dans le paysage urbanisé, il offre des petits moments.

La dimension esthétique se trouve manifestement du côté de la nature : elle ne prend pas la forme du jugement esthétique radical (expression du beau) mais plutôt du plaisir de la vue sur les monts, sur les collines arrondies, et du plaisir de découvrir une campagne modelée par l’homme. Pour les habitants usagers de l’autoroute, les échappées visuelles indiquent qu’à côté de l’autoroute on peut rechercher la campagne et la nature et elles leur rappellent l’usage agréable de leur environnement.

Le regard négatif porté sur la vallée traduit également un jugement de nature esthétique. Rive-de-Gier est une ville très vilaine, d’abord pour ceux qui ne sont pas originaires de la ville, qui ne font que passer, mais les habitants parlant de la vallée disent aussi, ce n’est pas une belle vallée, c’est noir :

La vallée du Gier de toute façon n’est pas une belle vallée, c’est comme ça, je crois que je ne suis pas le seul à dire ça. ® [Pourquoi ?] je ne sais pas, regardez, c’est noir. Bon ça devient un peu moins noir maintenant, avec toutes les boîtes qui ont fermé. [La vallée a été belle ?] Non, on a toujours connu une vallée assez… un peu sinistre, un peu noire, industrielle.

Mais ce qui relève du jugement esthétique et engendre quasiment un mouvement de répulsion chez les usagers extérieurs, exprime chez les natifs de la vallée, jeunes ou plus vieux, une reconnaissance de leur ville et de son passé, un attachement à leur territoire avec ses défauts et ses qualités ; et on peut dire que le lien à la vallée, au-delà de la familiarité, participe de l’expérience esthétique du cadre de vie - ici, les formes architecturale et urbaine, même vieillies, reflètent l’histoire locale et entrent dans le plaisir de vivre dans ce site.

La question du devenir de l’environnement post-industriel de la vallée, de ce qui est reconnu comme fondateur pour l’avenir et doit être affiché est posée ; les orientations qui se décident aujourd’hui interrogent sur le sens du territoire de demain. Les observations et appréciations de nos interlocuteurs nous conduisent à envisager trois formes de temporalités dans la valorisation de l’espace autoroutier et du territoire qu’ils traversent.

2/ Temporalités L’actualité de l’autoroute

Nous pensons avant tout aux conditions matérielles du déplacement. L’actualité relève de plusieurs registres :

- technique : amélioration des conditions de sécurité (revêtement, glissières, bande d’arrêt d’urgence…), installation d’écrans acoustiques…

- entretien de l’autoroute et de ses abords : propreté, abords végétalisés…

- esthétique : ce registre est transversal parce qu’il concerne aussi bien l’architecture d’un pont que la plantation d’arbres le long de l’autoroute, l’implantation d’entreprises ou encore la création de tags…

Le passé post-industriel

Le passé industriel de la vallée apparaît sous la forme du déclin et du vestige. Il est visible comme la cheminée, point de repère de l’entrée dans Rive-de-Gier en venant

de Givors, et moins visible comme les vestiges d’écluse. A-t-il valeur de patrimoine aux yeux des usagers de l’autoroute et aux yeux des habitants ? Faut-il alors le préserver et le mettre en valeur ? L’argumentation développée sur cette question s’est focalisée sur la cheminée des Etains. Parmi les hommes, les plus anciens la regardent avec nostalgie, certains y voient une belle et difficile construction et les autres, sans préjuger de son devenir, aimeraient que l’intérêt de ce bâtiment soit explicité. Le passé de Rive-de-Gier dont elle serait le symbole est trop lourd, trop noir, nous dit-on ; et aujourd’hui, la ville comme la vallée doivent chercher de nouvelles sources d’activités.

L’ambivalence à l’égard de ce passé trouve des éléments de réponse dans les attentes exprimées par ceux qui s’installent dans la vallée ou encore par les usagers extérieurs de l’autoroute : sans élément de connaissance, le paysage quotidien pour les premiers et autoroutier pour les seconds ne présente pas d’intérêt et les ambiances locales visuelles peuvent engendrer un mouvement de répulsion. Une habitante de Lyon nous raconte que son regard sur Saint-Etienne a changé depuis le jour où, en famille, ils sont allés visiter le musée de la mine. La seule muséographie possible, nous dira un autre interlocuteur, est l’écomusée pour faire revivre le passé de manière vivante et ne

pas plaquer des panneaux comme il y a partout… Associé au patrimoine de la région,

le Gier pourrait aussi faire l’objet de projets pédagogiques.

La mise en valeur du passé tournée vers l’autoroute passe par une signalétique à créer. A titre d’exemple, nous mentionnerons aussi l’appréciation positive relative aux bâtiments : les peintures sur les citernes de l’Institut français du pétrole à Feyzin et l’architecture lumineuse de l’usine Arkema de Pierre Bénite.

La permanence de la nature

Les collines et monts visibles depuis l’autoroute offrent promenades et calme. La vue de ces paysages invite-t-elle à sortir de l’autoroute ? Il est difficile d’imaginer au-delà des coteaux cultivés et habités les paysages de la région et en particulier ceux du Parc du Pilat. Quelques panneaux, discrets, signalent sa présence, mais nous dit-on, pourquoi ne pas mentionner le village fortifié de Sainte-Croix-en-Jarez ? De même pourquoi ne pas flécher le crêt de la Perdrix et le crêt de l’Œillon, etc. ? Suggérer l’accessibilité de la nature environnante peut ouvrir et valoriser la représentation que l’on se fait du territoire de l’A47.

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