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CHAPITRE III : FAIRE APPEL A L’INTERPRETATION

III.3/ CONCLUSIONS DES ENTRETIENS

8/ Remarques d’ordre général.

« L’autoroute est parrainée avec le coteau. C’est très géographique. Elle compose avec la lisière de la vallée. » « Les secteurs les plus emblématiques ?

De Rive de Gier à Lorette l’autoroute est ouverte sur la vallée. L’automobiliste est spectateur de la vallée. C’est un peu comme à Marseille quand on arrive sur la rade.

La déviation de Saint-Chamond a un tracé pas terrible.

Le secteur de la Varizelle est très incertain. Il fait un peu conurbation. Mais si je fais l’analyse de la montée, il me rappelle le secteur après Givors quand on roule vers Lyon. Il faudrait faire la partition entre « voierie urbaine » et « voierie campagnarde », où on perçoit mieux les reliefs.

S’il y avait deux sites à choisir, deux séquences ? Je retiendrai les critères suivants : on est dans la ville et encore dans la vallée. Et puis il y a « en haut » et « en bas ». A l’entrée de la ville de Génilac, il y a un petit bled. Là, l’autoroute ressemble à une voierie urbaine, comme à la sortie de Givors et à La Grand-Croix. Entre Rive de Gier et Lorette, c’est riche. On change de monde après le tunnel. Autres critères : les creux et les bosses, les balcons, les adossements au fond de vallée.

Il y a deux échelles de perception : les entrées et sorties de villes sont banales, alors que dans les séquences à « fenêtres » c’est mieux.

L’autoroute c’est un vecteur. Les espaces interstitiels, qu’ils soient naturels ou construits, secrètent l’ambiance. L’autoroute passe. Il faudrait qu’elle passe le plus discrètement possible dans un paysage qui est aujourd’hui abandonné. L’habitat et l’industrie n’ont pas pris en compte l’autoroute. L’entre deux ne doit pas être un non lieu. Chaque lieu doit avoir son nom. Ne pas toucher à l’autoroute. Faire une charte de voisinage. »

« Le peu d’images que j’ai de l’autoroute sont sans doute frappantes. Au préalable, je dirai que c’est un trajet que je fais beaucoup entre St Etienne et Grenoble. Autant au-delà de Givors, je sais toujours où je suis, autant entre St Etienne et Givors, je n’ai pas de repères. Je ne sais même pas si je suis avant Rive de Gier ou après. »

« J’habite St-Etienne mais ne pratique pas réellement l’autoroute ou à faible distance. La seule chose que je peux dire, c’est que je me sens très mal à l’aise sur cette autoroute, j’ai peur, je me concentre sur la route et ne fais pas attention à ce qui se passe autour ».

« Quand on a connaissance de ce qu’il y a sur le territoire, on ne l’appréhende pas de la même manière. Avant de connaître, je le trouvais moche, après, on l’appréhende autrement. »

« Quand on rentre de vacances, soit de Paris, soit de Carcassonne, on se démerde pour ne jamais rentrer par l’autoroute et la vallée du Gier. Détour par Nevers, ou le col de la République… Je ne sais pas si c’est dû à l’autoroute, par ce que cette autoroute est tellement liée avec ce qu’il y a autour. Mon impression au démarrage, et aujourd’hui encore, c’est comment faire pour y échapper ? Et pourtant j’aime bien les paysages urbains, le patrimoine industriel ; pas le même sentiment quand je contourne Nyons, Charleroi, les autoroutes belges, en France. C’est la première fois depuis longtemps que ça m’arrive. Aujourd’hui, ds mes pratiques professionnelles, je la vis toujours comme une autoroute obligée (une fois par semaine à Lyon, à Bron, pour enseigner) et dans certains cas de mes pratiques de loisirs familiales. Je n’ai pas le choix dans tous les sens du terme. Incertitude totale de cette autoroute : incertitude sur le temps qu’on va mettre, sur l’endroit où ça va bouchonner, actuellement en milieu d’après midi ça bouchonne (…) Incertitude sur jusqu’où on va trouver de la neige vers Lyon, ou à la remontée quand je vais en voir. La seule certitude c’est qu’en général, il y a 3,5° d’écart entre Givors et St-Etienne. C’est mécanique. Mais le reste, c’est l’incertitude. Incertitude sur la sécurité. Maintenant, je mets le régulateur de vitesse à 90. Dans le loisir, c’est un peu pareil, si on prend l’autoroute, c’est contraint et forcé, par exemple pour aller faire un truc tôt à Lyon le dimanche matin. D’où quelque part, le grand plaisir quand ça bouchonne tellement qu’on est obligé de sortir ; moments de ravissement […] quand on prend le pont suspendu de chasse et on va sortir par Givors ouest parce que ça bouchonne dans un sens et hop, on va s’enfiler par l’ancienne route nationale. C’est un machin point noir ; dans un sens ou dans l’autre. Dans ma famille, ça se vit comme ça ; les enfants en sont à compter le nombre de traces de freinage de la nuit et le nombre de bagnoles dans le bas-côté ; cinq un dimanche matin ; c’est le sentiment familial, on ne se sent pas bien sur ce bazar là.» « Il faudrait examiner la mémoire des lieux selon les gens, les personnes, les automobilistes, les riverains. Dans les années 60, cette autoroute était un bien. C’était une source de progrès. Et ceci reste dans la mémoire. Notamment pour ceux qui habitent tout près. Aujourd’hui ça nous paraît incroyable qu’on soit passé sur le canal. Mais à l’époque, c’était un grand progrès. Il faudrait comprendre pourquoi. L’autoroute a été un progrès et l’est toujours, mais c’est complexe. Sous le viaduc de Rive de Gier, les gens ne sont pas du tout mécontents d’habiter en dessous, et par rapport au viaduc de Terrenoire évoqué tout à l’heure, c’est pareil. Je ne suis pas sûr que les gens soient mécontents d’habiter en dessous, et cela, il faudrait comprendre pourquoi, même si ce n’est pas si simple d’habiter en dessous. Ces multiples perceptions dans tous les sens rendent le travail compliqué. Il faudra faire des choix, et en même temps, il faudrait le mettre en débat ce travail, mais avec qui ? Mystère.»

« Sur la question des séquences, en rapport avec l’habitat, ce qui me fascine, maintenant que je connais mieux le territoire, c’est que cette autoroute est parvenue dans un sillon déjà très encombré. Il n’était pas toute à fait plein. Il y a des secteurs qui se sont construits dans les années 1950. Mais on a l’impression que cette autoroute a fait ce qu’elle avait pu pour passer où elle pouvait. Où elle pouvait, c’est en prenant quelque part des paysages à revers de la manière dont ils se sont construits, puis ce qu’on a eut plutôt au départ un phénomène d’urbanisation qui a suivi les zones industrielles et la route de fond de vallée de l’époque. Or l’autoroute, comme le chemin de fer, passe sur les revers. Ce qu’elle fait en revanche c’est qu’elle contourne avec un soin redoutable les anciennes grandes propriétés de la très grande industrie, je pense au virage de Corbeyre (virage de Lorette). Mais dans les secteurs de l’habitat, elle est passée dedans. Alors, bon, c’est l’histoire. Mais c’est important parce que cela veut

dire que dans le paysage qu’on peut découvrir, il y a des réglages, des séquences qui se sont construites de manière plus ou moins naturelle. »

« Ce rapport de force, où la force était du côté du territoire des industriels, et la faiblesse du côté du territoire de l’habitat, l’autoroute elle le manifeste. Ce rapport de force, il est intégré dans la mentalité stéphanoise du fond de vallée, il est dedans. Aujourd’hui, l’époque a changé. Alors quand on est extérieur, on ne comprend pas. Mais les gens d’ici savent que la puissance était du côté de l’industrie, que l’autoroute s’est faufilée, et que l’habitat on s’en foutait. »

- A l’époque, c’est parce qu’ils en vivaient qu’ils l’acceptaient. Maintenant ils n’en vivent plus de l’industrie. » - Je crois que c’est toujours accepté quand même, parce que c’est l’histoire et que cette mémoire existe, et qu’on comprend d’où vient la situation, et qu’on en veut à personne. Alors petit à petit les choses bougent ».

« L’autoroute est venue sur un site qui était structuré traditionnellement sur le Gier et la voie de chemin de fer (plutôt rive droite du Gier) pour les échanges entre Lyon et Saint-Etienne du charbon, sidérurgie, acier. L’autoroute s’est placée où elle a pu, amenant certainement un désenclavement de l’espace. Aujourd’hui, c’est une autoroute de transition. La liaison avec Clermont-Ferrand a complètement changé la donne. C’a n’a rien à voir au niveau trafic, au niveau perception, au niveau clientèle qui l’emprunte ; la circulation de transit entre Lyon, Saint-Etienne et Clermont, est très récente (à l’époque de la coupe du monde de football pour Dominique Caprio, un peu avant selon Olivier Frérot). Avant il n’y avait que du charbon. D’où ce questionnement sur cette nouvelle problématique qui nous réuni aujourd’hui. »

Remarque de Martine Leroux : « Les séquences dont nous parlons ne correspondent pas au rythme qu’on a quand on s’embarque sur l’autoroute. On cherche des séquences, mais elles ne disent rien du rythme. C’est une autre question il me semble. »

« J’ai une expérience de l’autoroute très ponctuelle et j’essaie d’analyser pourquoi moi aussi je me sens mal ; il y a une rapidité des séquences, quand on conduit bien sûr, mais aussi visuellement, il y a deux moments, au début et à la fin, on a des grandes échappées, sinon les séquences sont rapprochées, (Quelqu’un intervient) pas apaisant. Je ne suis pas sûr d’avoir cherché des signes tout le long ; on n’est pas comme sur une autoroute tranquille où on vous annonce Blois à 150km ; ça participe à cette fébrilité. Dans quel sens ? Je la trouve plus apaisante dans le sens de la descente que de la montée peut-être parce que qu’on va déboucher sur la grande plaine, le Rhône. »

« Je viens de la Corse ! On a la rapidité et la dangerosité. Peut-être les traversées du Centre et des Alpes ; pour moi, autoroute, ça signifie un long fleuve, autoroute apaisée ; ici, quelque part, ce n’est pas une autoroute, ça n’en a pas le statut, c’est trop rapide, trop dangereux ; la seule chose qui me ferait penser à une autoroute, c’est qu’il n’y a pas assez de sorties vers les villages, de système d’échangeurs assez distanciés comme sur l’autoroute [traditionnelle]. »

« Je n’ai pas mon permis, j’ai donc une perception côté passager ; pour la A47, c’est intéressant de parler de séquences ; analogie avec musique ; les séquences ont différents événements. Comme d’autres, je remarque le rythme très rapide, les choses s’enchaînent rapidement ; on passe d’une séquence industrielle à un endroit naturel, on traverse de la roche et on revient sur des endroits plus urbains, à Givors, débauche de béton en mauvais état. On aurait des espèces de patterns, de motifs qui viendraient s’enchaîner. »

« Quand on est passager, on voit des changements, en fonction de la vitesse…. ? Même si le paysage est monotone, avec la vitesse…. »

La rapidité dans les séquences vient des virages. A vitesse constante, le paysage défile plus vite, ça monte et ça descend. C’est comme si on roulait à 250 km par heure sur une route toute droite. Le fait qu’on soit baladé de haut en bas, de droite à gauche, comme dans un train fantôme, cela fait « autoroute promenade », variée. Mais il y a quand même un spleen, une misère post-industrielle bien présente. La nature temporise la réalité post- industrielle. Ce n’est pas une autoroute urbaine. Elle a gardé un côté champêtre. Elle est très « paysage ». L’autoroute, c’est une enfilade de choses. Il y a un rythme. Le paysage défile plus ou moins vite en fonction du proche, du lointain, du tordu…

Je ne vois pas de différences notables selon le sens dans lequel je roule sur l’autoroute. Le côté « adossé » est très fort. L’autoroute devient lisière (par rapport à la campagne) et cadre (par rapport à la ville).

Annexe 2 : synthèse des propos tenus lors des séances d’écoute et de regard réactivés

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