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Sentiment d’un état de non retour Saturation de l’autoroute

CHAPITRE III : FAIRE APPEL A L’INTERPRETATION

III.2/ L’EXPERIENCE SENSIBLE DU SITE DEPUIS L’HABITAT

III.2.2/ La perception des facteurs d’ambiance 1/ Le facteur sonore

3/ Sentiment d’un état de non retour Saturation de l’autoroute

Les habitants constatent et répètent que l’autoroute est saturée. Ils parlent d’une évolution inéluctable des modes de vie : de plus en plus, les gens sont appelés à se déplacer en voiture et lorsqu’on habite entre Lyon et Saint-Etienne, c’est pour se rendre au travail, dans les centres commerciaux… Aucun d’eux ne peut dire si la A45 sera construite ni quel en sera le tracé.

Un contexte résidentiel en pleine évolution

L’urbanisation des coteaux remarquée par plusieurs de nos interlocuteurs (entretiens à domicile et in situ lors des entretiens « perception embarquée ») montre la tendance à l’installation entre Lyon et Saint-Etienne des jeunes générations qui travaillent dans l’une des deux villes (surtout l’agglomération lyonnaise) et trouvent le long de la A47 un logement ou un pavillon d’un prix abordable. Le devenir de la vallée n’est-il pas alors de se transformer en ville-dortoir ?

Les aménagements en chantier dans les communes, en particulier à Rive-de-Gier, répondent à un besoin de changement, mais des questions sont posées : concrètement sur les améliorations hypothétiques de la circulation dans Rive-de-Gier par exemple,

et plus fondamentalement sur les orientations relatives au canal ou encore à l’aménagement de certaines places (Lorette notamment), ou encore à l’embellissement du cadre de vie (ainsi, les piles de Terrenoire, le bâti de Rive-de-Gier…). Le souhait de transformation plus ou moins explicite traduit la nécessité d’actualiser la vie dans la vallée. Les difficultés économiques que traversent les communes montrent depuis longtemps que l’activité industrielle concerne davantage le passé que le présent.

Une adaptation plus difficile pour les jeunes générations à la proximité de l’autoroute ?

Les personnes interviewées vivent dans cette vallée urbanisée traversée par une autoroute avec laquelle elles ont appris à vivre et qu’elles considèrent comme une voie expresse plutôt que comme une autoroute ; si les plus anciens évoquent avec nostalgie la possibilité de traverser qu’ils ont connue avant la construction de l’autoroute, aujourd’hui chacun a ses habitudes et ne cherche pas à rétablir une situation antérieure. Les modes de vie ont inscrit dans les pratiques ce qui fait coupure. L’adaptation, qui comporte comme on l’a vu plus haut des limites, a été rendue possible par l’attachement au territoire d’origine ou progressivement choisi et accepté. Toutefois, les plus touchés par la nuisance bruit cherchent des solutions et forment des collectifs pour obtenir l’installation d’un mur anti-bruit, mais la topographie suscite des interrogations (cf. II.2.1 et II.2.3). En outre, la possibilité de s’échapper dans la campagne alentour ou plus loin de temps à autre est corrélative du « vivre avec l’autoroute ». Quelle peut être l’adaptation des nouvelles générations aux différentes situations résidentielles et au son autoroutier ?

Les jeunes par exemple veulent-ils rester ou non ? Les exemples de jeunes adultes – rencontrés ou cités par les personnes interviewées – qui reviennent ou restent dans la vallée témoignent de l’attachement à leurs racines, du plaisir de s’installer à proximité des parents et amis, de la possibilité de vivre mieux ici qu’à Lyon notamment en fonction de leurs salaires. Ceux-là supportent des situations résidentielles et sonores diverses. Mais, d’une part plusieurs personnes nous ont parlé de leurs enfants encore à la maison qui ne supportent pas le bruit de l’autoroute et d’autre part, le père de famille rencontré à Tochissonne ainsi que des cas cités en exemple au cours des entretiens posent question sur l’adaptation potentielle des futurs résidents. Le jeune qui habite au Clos Durozeil, peu gêné par le bruit de fond qu’il entend, déclare ainsi avoir quitté un domicile à Grand-Pont à cause du bruit, se souvient vivement du bruit entendu sous le viaduc de Rive-de-Gier, et parle d’amis qui, comme notre interlocuteur de Tochissonne, se sont installés dans une maison à côté de l’autoroute et ont découvert que c’était invivable, mais ajoute-t-il, « ils sont coincés ».

Comme le rappelle fort justement l’un de nos interlocuteurs de Lorette [situation de proximité], l’approche n’est plus la même aujourd’hui qu’il y a 40 ans : on ne s’en

faisait pas une montagne comme on s’en fait maintenant par rapport aux constructions d’autoroute […] C’est sûr que moi mes gamins qui viennent là, ils ont tendance à dire « la maison du grand-père on s’en fout ! on préférerait habiter à la campagne », alors que nous… ça c’est fait comme ça, c’est vrai, mais sans se « mettre le couteau sous la gorge » comme on dit, il y a des choses qui ont existé et puis on a vécu comme ça, donc on le trouve presque naturel.

La tendance à l’urbanisation exige alors des précautions, des limites, des mises en garde, sinon dans quelques années, les riverains de l’autoroute A47 rejoindront ces populations péri urbaines vivant dans le compromis et l’insatisfaction environnementale.

Dimension esthétique du vécu des habitants

La relation qu’entretiennent les habitants avec leur environnement laisse-t-elle place à une dimension esthétique ? Le facteur sonore et la coupure visuelle et spatiale entre les deux coteaux ne freinent-ils pas le plaisir possible inhérent à une situation résidentielle ?

Les paysages alentours pour ceux qui vivent sur les coteaux peuvent être considérés comme des « offrandes » esthétiques. Mais celles-ci prennent ici une valeur particulière : les paysages sont certes appréciés pour eux-mêmes mais aussi dans une logique de compensation ; c’est en levant les yeux au-dessus de l’autoroute que les habitants les découvrent.

Considérons maintenant l’exemple de cette habitante de la Varizelle dont la maison et le jardin bénéficient de l’écran acoustique. Elle raconte le plaisir de déjeuner dans le jardin et les repas amicaux le week-end : ce n’est pas par rapport aux nuisances, ils

[les amis] s’en foutent des nuisances, ils ne regardent pas. Ils sont à la campagne…,

dit-elle. On peut penser que cet espace extérieur, en dépit de sa position par rapport à l’autoroute, et les différents facteurs d’ambiance – comme le premier rayon de soleil au printemps, la présence même de ce jardin qui a constitué une motivation de l’installation, et sans doute la configuration particulière derrière l’écran qui contribue, semble-t-il à une convivialité de voisinage… – favorisent « l’expérience esthétique ordinaire » liée au cadre de vie15.

L’exemple d’un habitant qui aime regarder la circulation de l’autoroute depuis Grand- Pont peut aussi s’apparenter à une expérience esthétique ; au-delà de l’habitude, son intérêt pour les mouvements du trafic n’est-il pas lié aussi au plaisir de découvrir une géométrie moderne d’infrastructures depuis une position dominante ?

Mais, cette dimension esthétique est limitée. Le « malgré l’autoroute » oublié dans le vécu reste constitutif d’une situation qui ne peut jamais être revendiquée, recherchée comme telle. On peut se demander alors si l’adaptation relativement heureuse de certains habitants ne tient pas à la volonté et aux ressorts propres de chacun. Or, dans la vallée, les habitants les plus touchés par la nuisance sont fatigués.

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