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L’école inclusive concerne tous les élèves (en situation de handicap, à besoins éducatifs particuliers ou qui rencontrent des difficultés d’apprentissage suffisamment importantes pour que soit présent le risque de décrochage scolaire ou que se manifeste une défiance vis-à-vis de la forme scolaire). Après un rapprochement du monde scolaire et du monde médico-social en ce qui concerne les élèves en situation de handicap, l’enjeu est désormais d’apprendre des échecs comme des réussites liées au processus d’intégration (Berzin, 2015) afin de s’orienter vers une « société inclusive » (UNESCO, 2018). Dans celle-ci l’école pour tous esquissée par la déclaration de Salamanque de 1994 apparait comme le moyen le plus efficace de combattre les attitudes discriminatoires.

Le paradigme de l’école inclusive invite, ni plus ni moins, à repenser le système éducatif, les normes scolaires, les modalités d’enseignement-apprentissage et d’accompagnement du projet scolaire de l’élève afin de dépasser les freins multiples de l’accessibilité aux savoirs pour le plus grand nombre. Repenser la difficulté scolaire en dehors de l’élève et au regard des activités scolaires, de leurs conventions et de leur évaluation conduit à identifier les obstacles auxquels l’apprenant se heurte dans l’environnement scolaire. Mazeneau (2014) défini le design for all comme une accessibilité généralisée qui ne pénalise personne et profite à tous les élèves. Elle relève de l’enseignant ou du responsable éducatif qui doit mettre en place des modalités susceptibles de promouvoir les capacités de l’élève et des situations pédagogiques où sont examinés les obstacles qu’elles présentent pour son accès aux savoirs et son expérience d’apprentissage. Ce type d’approche valorise les pédagogies actives ou par projets et suscite, non sans tension, la reconfiguration de certains gestes professionnels individuels et/ou collectifs, des professionnalités voire des métiers et d’une façon générale celle du travail d’éducation et d’enseignement depuis l’école primaire jusqu’à l’Université.

Néanmoins, certains résultats de recherche soulignent les limites des seules injonctions à travailler autrement, voire de façon collective ou collaborative, dans la mise en œuvre d’une école inclusive. Au quotidien par exemple, le projet d’inclusion scolaire en classe ordinaire

pose encore de nombreux problèmes aux enseignants réguliers1 qui délèguent souvent la prise en charge des élèves aux agents spécialisés (ATSEM, AVS, AESH2). En outre, la formation dite curriculaire (Poizat & Durand, 2015) ne peut suffire à dépasser plusieurs problèmes : les différences de culture, les tensions identitaires, les revendications de périmètres de légitimité et d’intérêt parfois divergents et cristallisés dans des débats de normes entre les professionnels (Benoit, 2012, 2014). Ces formations s’adossent à l’acquisition de connaissances procédurales, à des règles d’action selon un continuum d’acquisition et de maîtrise et donnent lieu à de bonnes pratiques formalisées à partir de travaux de recherche utiles aux formateurs pour aider les professionnels à travailler d’une façon optimale dans des situations connues et étudiées de longue date.

Aujourd’hui, peu connaissances sont produites sur les conditions et les modalités d’une collaboration interprofessionnelle efficiente entre les enseignants et différents professionnels notamment en situation « d’intermétiers » (Allenbach, Duchesne, Gremion, & Leblanc, 2016; Thomazet, Mérini, & Gaime, 2014). Ces situations renvoient à des registres d’activité fédérés par l’empowerment dans l’espace du travail réel. Elles sont situées au carrefour de différents métiers qui se doivent de coopérer malgré leurs différents champs d’appartenance, tels que par exemple les champs médicaux, rééducatifs ou de l’intervention éducative et sociale autour du projet de l’inclusion scolaire de l’élève en situation de handicap. Les professionnels arrivent dans certaines conditions organisationnelles à développer des configurations d’activités contributives d’un épanouissement professionnel face aux défis à relever (Barry, 2015). Y apparaissent du team learning (Mazereau, 2014) et des alliances éducatives collaboratives (Allenbach et al., 2016) qui relèvent d’une exigence collective (Thomazet & Mérini, 2014; Thomazet et al., 2014). Lorsque des témoignages sont récoltés, les professionnels évoquent des pratiques probantes en classe (Guilley, Jendoubi, & Dutrevis, 2019; Tremblay, 2015) davantage que de bonnes pratiques. Les pratiques probantes renvoient à des stratégies d’enseignement qui ont montré leur efficacité dans le fait d’apporter les résultats désirés à la population définie d’élèves concernés parfois à l’encontre des bonnes pratiques quand elles remettent en question certains mythes pédagogiques.

Nous pouvons nous demander alors quels sont les conditions et leviers d’une efficience professionnelle et éducative dans la mise en œuvre du paradigme de l’école inclusive et comment y former ?

Dans cet article, nous proposons d’analyser la dimension sociale de l’activité humaine dans le cadre du travail collectif et collaboratif qui est mis en œuvre dans des situations « d’intermétiers » par des enseignants réguliers, enseignants spécialisés, assistants de vie scolaire et autres agents spécialisés, psychologues, assistants sociaux, médiateurs scolaires, etc. Nous prendrons comme illustration un dispositif local d’éducation inclusive en secondaire I à Genève évalué par le service de la recherche en éducation (SRED) (Dutrevis, Guilley & Jendoubi, 2019 dans ce symposium). Nous mobiliserons certains postulats théoriques et méthodologiques issus de la théorie des systèmes d’activité et de l’ergonomie constructive pour mettre en exergue la médiation de l’activité collective opérée par la concertation et en quoi elle peut aider les professionnels à dépasser les contradictions du système d’activité qui les réunit pour participer à l’efficience des dispositifs d’éducation inclusive qu’ils mettent en œuvre. Des pistes seront alors esquissées en matière d’accompagnement au changement des pratiques pour

1 « Enseignants réguliers » est une expression utilisée dans certains pays pour distinguer les enseignants exerçant

en classe ordinaire des enseignants spécialisés travaillant par exemple en France dans des classes d’ULIS, UPI, SEGPA, etc.

2 ATSEM (agent spécialisé des écoles maternelles), AVC (auxiliaire de vie scolaire), AESH (accompagnant

la collaboration interprofessionnelle par le truchement d’une formation non-curriculaire. Ce type de formation vise « le développement et suppose une expérience exceptionnelle dont les contenus sont imprévisibles et les effets attendus au long terme » (Poizat & Durand, 2015 : 56). Sa conception est adossée à une démarche de recherche interventionniste incarnée dans un laboratoire de changement (Developmental Work Research, Engeström, 2007) qui permet de considérer les établissements scolaires comme des organisations apprenantes susceptibles d’offrir un environnement capacitant pour tous.

Vers des dispositifs d’éducation inclusive dans des environnements