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Quelques caractéristiques d’une équipe enseignante apprenante sont identifiées.

Il y a d’abord la confiance en l’autre. Elle s’exprime à travers le fait que tous acceptent de ne pas savoir, que tous se considèrent sur un pied d’égalité parce que chacun est persuadé qu’il a toujours des choses à apprendre des autres, d’où le partage en confiance de ce que chacun vit et une écoute sans jugement.

Plus encore, en favorisant la capacité de chaque enseignant à se remettre en question, à prendre un recul qu’il n’a pas en classe, à prendre aussi conscience qu’il n’a peut-être pas tout essayé, l’équipe apprenante conforte une posture dans un métier généralement très cloisonné. Le croisement des regards permet d’aller au-delà des points de vue individuels et c’est parce que toute l’école s’y engage que chacun peut entrer dans la démarche.

Une équipe apprenante est encore un collectif qui n’est pas constitué au hasard, puisque chaque enseignant choisit de venir dans l’école.

C’est enfin une équipe qui partage des valeurs : la volonté et la capacité de travailler en équipe, la recherche d’une cohésion, des conceptions communes de son métier et de ce qu’est un élève…

Ces conditions peuvent être reproductibles, mais sont-elles transférables ?

Des effets produits sont aussi mis au jour.

La confiance apportée par le collectif produit des effets. Une enseignante peut connaître des solutions, l’équipe l’aide à les mettre au jour, ce qui la conforte et la soutient. Le fait de permettre à chacune de se reconstruire une image d’enseignante capable d’agir, qui peut échouer mais qui peut aussi rebondir et réussir, est un apport essentiel de l’équipe enseignante. À force de vivre et d’analyser des situations, l’équipe prend de la distance et parvient à stabiliser des principes d’action avec le temps, tout en pouvant aussi les ajuster. Elle se remet plus volontiers à la tâche en se disant qu’elle y arrivera la prochaine fois. Manon explique : « faire confiance à chacun m’a permis de me réconcilier avec le collectif. Avant, je voulais travailler en équipe, mais je pensais que je ne savais pas […]. L’absence d’équipe peut nous conduire à penser qu’on n’est pas capable de travailler avec les autres ».

Des réflexions sont produites à propos de l’exclusion de classe et à propos de l’élève exclu.

L’exclusion peut être nécessaire. Elle est souvent une question de survie qui soulage l’enseignant, le groupe, voire l’élève exclu. Elle permet de vérifier (ou pas) que le groupe classe peut fonctionner sans l’élève, ce qui peut permettre au groupe de se reconstruire.

Il faut du temps pour intégrer qu’on est exclu, exprimer le fait de vouloir revenir en classe, commencer à changer. Ainsi, le moment et les conditions du retour se posent : quand l’élève exclu est-il prêt à revenir ? Qui décide qu’il est prêt ? Ce retour peut être progressif, avec un adulte qui veille et fait un retour sur le comportement de l’élève. Il s’accompagne d’un projet élaboré avec l’élève. Lorsque celui-ci manifeste une volonté de faire de vrais efforts, l’enseignant ne doit pas manquer ce « tournant » pour que l’élève conserve sa confiance en l’adulte. Si sa réintégration en classe ne réussit pas, c’est que cet élève n’était pas prêt à y revenir. Peut-être avait-il réellement la volonté de changer, mais il n’en avait pas les moyens ou l’on n’a pas pu, pas su les lui donner ?

Pour être efficaces, les enseignants doivent mobiliser le domaine scolaire et l’environnement extérieur à l’école, notamment familial. Cependant, on se doit de conclure que l’école ne peut pas tout.

Les conditions de réussite d’une pratique pédagogique d’exclusion-inclusion sont minutieusement analysées. Dans ce processus, le protocole est essentiel. Il vise à maintenir un lien pédagogique avec l’élève exclu.

Une réflexion approfondie a été menée dans l’école à propos de l’exclusion de classe. Certains élèves avaient mis en place un mode de comportement qu’ils déclenchaient lorsqu’ils avaient envie de sortir, de ne pas travailler avec un adulte. L’équipe enseignante s’est alors donnée pour principe que ce n’était pas à l’élève de décider le moment d’être exclu, mais à l’adulte. La réflexion a d’abord porté sur les capacités comportementales des élèves. Puis, l’équipe enseignante a questionné ses pratiques d’exclusion.

En janvier 2018, suite à des exclusions nombreuses et répétées, l’équipe enseignante a ressenti le besoin de remettre à plat ses pratiques. La directrice a joué un rôle important dans ce questionnement d’équipe. Si elle reste « l’autorité suprême, le dernier rempart », les enseignants ont aussi perçu que ce recours n’était pas sans risque pour eux : « Parce qu’elle dit que si elle intervient trop, son autorité se substitue à la nôtre. Donc elle essaie de jouer le moins possible ce rôle ».

Ainsi, une « fiche d’exclusion d’un temps de classe » a été mise en place. Rédiger cette fiche tient lieu de garde-fou, d’instrument de régulation pour les enseignantes : « Nos actions sous le coup de l’impulsion ne sont pas forcément recevables chez la directrice, d’où la réflexion soumise par un petit papier » ; « Quand on doit justifier la sanction, écrire en expliquant pourquoi, en donnant un travail, en limitant le temps d’exclusion, on se remet en cause. On agit moins sous le coup de l’impulsion. De plus, il ne s’agit plus de mettre l’élève dans le couloir sans surveillance. On est assuré qu’il va quelque part » ; « Parce qu’en plus il faut qu’on le justifie, qu’on explique pourquoi : dans ce moment où tu dois écrire, tu passes du vécu à une tentative d’objectivation de ton action, qui très souvent te fait te rendre compte que tu aurais pu faire autrement ».

Certaines enseignantes vont jusqu’à considérer cette fiche comme un dispositif de réflexivité professionnelle d’école apprenante. Dominique explique : « Il faut qu’on rédige un billet. C’est un instrument pour que nous grandissions, nous enseignants, pour qu’on ait une étape supplémentaire de réflexion. C’est un regard réflexif sur ses propres gestes professionnels ». Elle ajoute : « C’est une double réflexion : sur ton geste quand tu as l’impression que ce n’est plus possible, et tu as aussi la réflexion sur l’exclusion : Est-ce que vraiment, tu n’as pas d’autre solution que l’exclusion ? ». Enfin, cette pratique répond aux caractéristiques d’une sanction éducative : l’élève sait pourquoi et où il est exclu, pour quelle durée et avec quel travail. Il reste élève ; sa visée est intégratrice. Lorsqu’il revient dans sa classe, l’élève est capable d’intégrer les apprentissages ; les enseignants sont restés bienveillants avec lui. Le dispositif a ensuite évolué, pour que l’équipe enseignante puisse le faire fonctionner en l’absence de la directrice. Un système de « classes d’accueil », de « classes binômes » a été institué. Néanmoins, la directrice souhaitait conserver le cadre où l’enseignant qui exclut écrit les raisons, la durée, le travail. Aux dires des enseignantes, le dispositif ne fonctionne qu’à condition qu’il y ait ce cadre. Les résultats indiquent que le nombre d’exclusions de classes a diminué.

Comment sortir de ces relations de domination/soumission à l’école, alors qu’elles peuvent constituer un modèle dominant à l’extérieur ? En permettant aux élèves, en particulier aux élèves victimes, de mettre des mots sur des faits. Qu’est-ce que l’élève victime a comme outils pour dire que ça lui fait du mal ? Comment l’amène-t-on à dire Stop ?

Les enseignantes considèrent qu’elles atteignent les limites de leur action quand les parents ne prennent pas le relais à l’extérieur. Il y a ce qu’un pédagogue peut, doit, devrait faire, mais il n’est ni omnipotent, ni omniscient (syndromes de superman ou de wonderwoman).

Enfin, contenir un élève physiquement, le toucher est un problème posé à l’équipe. Il est formulé comme un dilemme moral (dilemme des actions préjudiciables, Prairat, 2017, p. 124).

Si par principe, les enseignants ne doivent pas toucher les élèves, n’y a-t-il pas des situations où ils doivent le faire ? Voilà peut-être un problème à aborder collectivement : se dire qu’il existe des moments extrêmes où des enseignants peuvent y être amenés. Si oui, quelles précautions faudrait-il prendre ?

Dominique estime que si un élève manifeste une violence à l’égard d’un autre élève, c’est notre devoir d’intervenir. Une autre enseignante explique que ces débats ont souvent eu lieu, mais ont tourné court : « La directrice a souvent répété qu’il ne fallait pas intervenir physiquement. Mais souvent, on ne va pas plus loin dans les échanges… ». D’autres enseignantes s’interrogent : « en cas de force majeure, quand un élève en frappe un autre, "qu’il va le tabasser…", pouvons-nous, en tant que professionnels, le laisser faire ça ? N’est- ce pas de la non-assistance à personne en danger ? ». Le sujet, plus complexe qu’il n’y paraît, devrait être abordé. Il semble qu’il dépasse le cadre de réflexion habituel d’une équipe enseignante. Tout en entendant la position de principe de la directrice (qui se situe du point de vue de l’éthique professionnelle), il est tout aussi éthique de se poser la question de savoir quand des enseignants doivent intervenir et comment le faire pour éviter que les élèves ne se mettent en danger.

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151 L’éducation à la fraternité par la pratique de la philosophie