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Pour élaborer la ressource, nous avons mené trois enquêtes préliminaires pour caractériser les pratiques ordinaires des enseignants, les difficultés des élèves et l’histoire de l’élaboration des formules chimiques.

Les pratiques ordinaires des enseignants

Les programmes ne proposent aucun modèle permettant de justifier les premières formules proposées aux élèves au collège. Aucune raison n’est donnée permettant de montrer aux élèves que la formule de l’eau est H2O et non par exemple HO, celle du gaz oxygène O2 et non tout

simplement O. Au cours des deux séances « ordinaires »1 observées, les enseignants, Mathieu et Aude, justifient les formules chimiques à partir du nom de la molécule, comme dans le cas du dioxyde de carbone (Fig. 4).

1 Nous considérons qu’une séance est « ordinaire » quand elle n’a fait l’objet d’aucune ingénierie didactique

Fig. 4 - Justification de la formule du dioxyde de carbone à partir du nom (Extraits du tableau des enseignants)

Pour trouver la composition des molécules, ils utilisent également les modèles moléculaires, mais ne précisent pas comment ces derniers ont été élaborés. Au cours de ces séances, aucun appui d’ordre empirique n’est proposé. Ils semblent ne connaître que le modèle de Lewis pour justifier une formule chimique, résultat confirmé dans un questionnaire passé à une vingtaine d’enseignants de collège et de lycée. Or ce modèle n’est introduit dans les programmes qu’en classe de première (programme en vigueur lors de l’étude). Les enseignants semblent donc démunis pour justifier aux élèves les formules chimiques au collège, comme le montre l’extrait d’entretien avec Aude ci-dessous.

En fait quand je me pose la question, je me dis en même temps comment expliquer euh autrement. Voilà. En fait j'essaye toujours, surtout au collège, j'essaye d'expliquer le plus simplement possible mais c'est vrai en fait on ne peut pas tout dire. Enfin le principe de liaison, je ne me vois pas expliquer le principe de liaison. Alors je leur montre qu'il y a un lien avec le petit morceau en plastique qui relie ma petite boule noire à ma petite boule rouge ou ma petite boule blanche mais euh. (Entretien avec Aude)

Les difficultés des élèves

Pour repérer les difficultés des élèves, nous nous sommes d’abord référées au bilan des recherches internationales réalisées par Taskin & Bernholt (2014). Pour compléter cette étude en France, nous avons fait passer un questionnaire à plus de 600 élèves et étudiants de la quatrième à la première année de licence de chimie. Nous avons pu constater des difficultés importantes dans l’interprétation et l’utilisation des formules chimiques (Canac & Kermen, 2016). Un des résultats obtenus indique que l’enseignement semble rigidifier la lecture et l’écriture des formules qui devraient au contraire être assez souples. Quand nous demandons aux élèves et étudiants si H2O, OH2 ou HOH sont des formules correctes de l’eau, ils répondent

« oui » à plus de 80% pour la première formule quel que soit leur niveau d’étude, la réponse « oui » chute tous niveaux confondus pour la seconde formule et ils sont plus de la moitié quel que soit le niveau à rejeter la dernière formule (Fig. 5).

Exemple 2 : ledioxydede carbone

C 1 O 2 Composition :

Fig. 5 - Réponses obtenues à la question : « la formule brute proposée est-elle correcte » (Canac, 2017 : 447)

Nous constatons également une interprétation erronée des formules chimiques de molécule. Quand nous demandons si les deux formules proposées (voir Tableau 2) correspondent à la même molécule, plus de 40% des élèves du secondaire, quel que soit le niveau, considèrent que CH4 et C2H8 sont des molécules identiques. Un tiers des étudiants de licence testés ont la

même position. Un étudiant justifie en indiquant que C2H8 est juste le double de CH4, comme

si la formule indiquait la proportion des éléments chimiques et non la composition chimique de la molécule.

Tableau 2 - Pourcentage d’élèves ou d’étudiants qui répondent que les deux formules ne correspondent pas à la même molécule (Canac & Kermen, 2016 : 14)

Un couple d’équations chimiques pour la décomposition de l’eau est aussi proposé aux élèves et étudiants.

(1) 2H2O → 2H2 + O2 et (2) H2O → H2 + O

Du point de vue de la conservation des éléments chimiques, ces équations sont correctes mais une des équations est associée à une formule brute incorrecte (O). Il est bien spécifié dans

Formules à comparer Niveau d’étude des élèves

O et O2 CH4 et C2H8 Collège (N = 233) 47% 43% Seconde (N = 178) 70% 56% Première et terminale (N = 147) 77% 58% Licence (N = 45) 76% 67% H 2O OH2

l’énoncé qu’il y a formation de dioxygène. Nous demandons aux élèves de se prononcer sur la validité des deux équations. Les résultats (Tableau 3) montrent que les élèves de collège et de seconde valident majoritairement l’équation incorrecte avec O tout comme plus de la moitié des élèves de première et terminale scientifiques.

Tableau 3 - Pourcentage de réponses rejetant l’équation incorrecte

L’élaboration historique des formules chimiques : choix pour la ressource

L’enquête historique nous a permis de constater que les formules chimiques des composés, leur représentation et leur composition, d’Hassenfratz et Adet en 1787 jusqu’au congrès de Karlsruhe en 1860, ont mis quasiment un siècle avant de se stabiliser. Les raisons, au sens d’Orange (2005), données par les chimistes sont issues à la fois des découvertes dans le registre empirique et du développement du modèle de l’atome. Pour l’élaboration de la ressource, nous avons fait le choix de sélectionner la controverse entre Dalton et des chimistes organiciens tel que Gaudin ou Wurtz résumée dans le Tableau 4. Dalton propose la formule HO pour l’eau, ainsi que H et O pour le gaz hydrogène et gaz oxygène. Il s’appuie pour cela sur un modèle élémentaire de l’atome et un critère que nous appellerons de simplicité (si une espèce chimique est constituée de deux éléments chimiques, la formule de cette espèce doit être binaire). En 1860, le modèle de l’atome est plus développé. Les chimistes ont introduit une nouvelle propriété pour les atomes : leur capacité à s’associer à d’autres atomes. S’appuyant notamment sur les lois empiriques de Gay-Lussac, la formule de l’eau devient définitivement H2O et celles

des corps simples oxygène et hydrogène, respectivement O2 et H2.

Réponse Niveau d’étude des élèves

« Non » à l’équation avec O Collège (N = 233) 15% Seconde (N = 178) 13% Première et terminale (N = 147) 45% Licence (N = 45) 67%

Tableau 4 - Principaux éléments de la controverse entre Dalton et les chimistes organiciens autour de la formule de l’eau et des corps simples

Scientifiques Formules proposées pour les corps simples Formule proposée pour l’eau Données empiriques de référence utilisée pour justifier les formules Modèle microscopique utilisée pour justifier les formules Leur registre explicatif Dalton H, O, … HO Analyse des corps composés Atome caractérisé par sa masse Modèle de l’atome et critère de simplicité pour les formules Atomistes organiciens (Gaudin ou Wurtz) H2, O2, … H2O Analyse des corps composés, lois de Gay- Lussac. Atome caractérisé par sa masse et sa valence Modèle de l’atome et de la molécule

La ressource

2 La ressource pilote

La ressource pilote, constituée de deux parties, contient un choix de textes historiques et une proposition de scénario. La première partie 1 doit permettre aux élèves d’entrer dans l’activité historique en leur demandant d’écrire des formules à partir des systèmes de représentations proposés par les chimistes des XVIIIe et XIXe siècles (représentations d’Hassenfratz et Adet en 1787, de Dalton en 1808 et de Berzelius en 1819). Nous faisons l’hypothèse que ce travail autour du choix des symboles chimiques peut générer chez les élèves une plus grande souplesse dans la lecture des formules chimiques et illustrer la science comme « une aventure humaine » (Martinand, 1993 : 96). Dans la partie 2, nous proposons des extraits de textes originaux de Dalton (1808) et de Gaudin (1833) légèrement modifiés pour rester accessibles aux élèves. Ces textes permettent de comprendre les raisons qui ont amené ces deux chimistes à proposer des formules différentes, notamment pour l’eau et les gaz hydrogène et oxygène. Cette partie vise à faire comprendre aux élèves les raisons qui ont permis aux chimistes de proposer leurs formules, en lien avec les concepts fondamentaux issus des différents registres et niveaux (registre empirique macroscopique et registre des modèles macroscopique – réaction chimique – et submicroscopique – atome et molécule). Le scénario propose un apprentissage des différents concepts en réseau, et non séquentiel comme indiqué dans les programmes.

La ressource modifiée

À la suite des premiers retours des enseignants qui ont testé la ressource pilote, nous avons été amenées à modifier la forme de la deuxième partie. Nous avons alors fait le choix de créer des dialogues fictifs, mais qui s’appuient sur des faits historiques, entre trois personnages de Galilée – Simplico, Salviati et Sagredo – tels que l’avait déjà réalisé de Hosson (2011) en optique et en mécanique. À l’aide d’extraits de textes historiques originaux, nous avons reconstruit dans ces dialogues la controverse, autour de la molécule d’eau et des molécules de

corps simples, entre Dalton et les chimistes organiciens. Beaufils, Maurines, & Chapuis (2010) ont en effet constaté que les enseignants attendent majoritairement une mise à disposition de documents préparés et non des textes historiques primaires.