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Les dispositifs de formation en alternance sont une réalité relativement récente dans le paysage de l’enseignement supérieur belge francophone. Ils y ont été introduits en 2011 dans l’enseignement supérieur hors universitaire (prodigué par des hautes écoles) et en 2016 dans les universités1. Dans ces dernières, elles concernent pour l’instant deux cursus : le master en

sciences informatiques et le master en sciences du travail sur lequel se focalise notre étude de cas. Ce dernier se greffe sur le programme déjà existant du même master à finalité spécialisée. Du fait de l’obligation pour les étudiant·e·s d’effectuer des immersions professionnelles, il se voit toutefois amputer de 30 crédits correspond aux périodes de stage sur les 120 que compte le master. Il y a entre 160 et 240 jours de stage sur les deux années du cursus.

D’un point de vue institutionnel, le législateur en Communauté française de Belgique définit l’alternance comme une forme d’enseignement « dans lequel l'acquisition des compétences nécessaires pour l'obtention d'un diplôme délivré par un établissement d'enseignement supérieur se fait pour partie en entreprise et pour partie au sein dudit établissement. » (PCF, 2016, article 1er). Cette définition est conforme à celle que l’on retrouve généralement dans la

littérature (Tilman & Delvaux, 2000 ; Besson et al., 2005) qui définit avant tout l’alternance à travers un partage significatif du temps de formation entre deux lieux différents, un lieu de travail (tel qu’une entreprise privée, une association, un service public, etc.) et un lieu dédié aux études (un établissement d’enseignement au sens ordinaire du terme).

En ce qui concerne la notion de professionnalisation, nous l’entendons de manière générale avec Tanguy (1986, p. 99) comme une recomposition des contenus d’enseignement pour les articuler plus étroitement au système des emplois, ou encore comme « la volonté de rapprocher les formations du monde économique et du marché du travail » dans le but d’« améliorer l’insertion professionnelle des diplômés et, de façon plus générale contribuer à la croissance de l’emploi. » (Vincens, 2015, p. 19). De manière très concrète, Agulhon (2007, p. 14) soutient que professionnaliser un cursus revient à « construire une formation en fonction des compétences requises par un emploi et [à] allier formation et expérience professionnelle par le biais de stages ». Néanmoins pour Champy-Remoussenard (2008), la professionnalisation

1 Les premières formes institutionnalisées d’alternance à d’autres niveaux du système éducatif remontent au début

s’étend bien au-delà de la seule adaptation des contenus d’enseignement, elle est aussi une forme de socialisation qui vise une transformation holistique de l’individu pour l’inscrire « dans un rapport spécifique à son activité sociale tout entière » (p. 58). Elle s’inscrit dans un projet plus large où l’exigence de flexibilité ne s’arrête pas aux seuls domaines des savoirs et des compétences, mais s’étend également – voire surtout – aux domaines des « savoir-être » : motivation, disponibilité, désir de satisfaire la clientèle, etc. Wittorski (2012, p. 2) indique que nous avons affaire – tout du moins en France – à une généralisation de la professionnalisation ces dernières années, qui est désormais une mission formellement assignée aux universités. L’introduction de l’alternance dans l’enseignement supérieur en Belgique francophone, dont la portée est certes encore limitée, s’inscrit selon nous dans une tendance similaire.

Cette tendance pourrait potentiellement accentuer les tensions entre missions d’enseignement à caractère général et celles de formation professionnelle. Nous l’interprétons dans le cadre de la confrontation entre deux modèles idéaltypiques d’universités : d’une part l’université humboldtienne, qu’il s’agit de distinguer du compromis historique noué au XIXe siècle à

l’université de Berlin même s’il s’en inspire, et d’autre part l’université marchande. Avec Maes (2014, p. 198), nous caractérisons d’une part l’idéal-type humboldtien, entre autres, par les traits suivants : une alliance étroite entre recherche fondamentale et enseignement, la garantie d’une liberté académique permettant le développement d’une science et d’un enseignement non ciblés et généralistes, et enfin la volonté de former avant tout des chercheur·e·s et des intellectuel·le·s. La figure idéaltypique de l’université de marché est marquée d’autre part par la mission d’insertion socioprofessionnelle des étudiant·e·s à travers leur spécialisation et l’actualisation continue de leurs compétences tout au long de la vie ; les enseignant·e·s sont par ailleurs encouragé·e·s à valoriser économiquement le produit de leur recherche et de leur enseignement.

Problématique

La recherche que nous menons entend interroger les attentes et les représentations en termes de professionnalisation du cursus de divers acteurs impliqués dans le master en sciences du travail en alternance organisé à l’Université libre de Bruxelles, en particulier des enseignant·e·s et des étudiant·e·s. L’analyse prend pour toile de fond la confrontation entre les deux idéaux- types d’université que nous venons d’évoquer. En particulier, les acteurs interrogés sont-ils favorables à une plus grande adéquation des contenus d’enseignement avec les pratiques professionnelles potentielles, notamment celles sollicitées en stage ? Sont-ils favorables à une approche d’enseignement tournée vers la préparation à des métiers spécifiques ? Quels places et rôles devraient être réservés aux savoirs « théoriques » dans un cursus en alternance ? Sur quels aspects – théoriques ou pratiques – devraient se focaliser les évaluations, notamment celles qui concernent l’immersion professionnelle ?

Notre démarche de recherche a été opérationnalisée en recourant principalement à des entretiens semi-directifs auprès d’une douzaine d’interlocuteurs, dont quatre enseignant·e·s2 et cinq étudiant·e·s (la moitié de la cohorte3), durant l’année 2017, mais aussi par l’observation

et la participation aux séances du séminaire de méthodologie à la recherche dispensé en première année de master.

2 Ces enseignant·e·s n’ont pas été spécifiquement recruté·e·s pour le master en alternance, mais officiaient déjà

dans le master à finalité spécialisée.