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Un travail de menuisier ou un travail de peintre : les techniques de réalisation des icônes . 107

2. La démarche technique et créative : peintre, décorateur ou architecte d’intérieur ?

2.5. Un travail de menuisier ou un travail de peintre : les techniques de réalisation des icônes . 107

La définition du terme « icône » dans la tradition orthodoxe décrit une « εἰκόνα », à savoir, une « image », une « ressemblance », un « portrait » religieux et sacré. L’icône, selon cette description et suivant l’éclairage donné par saint Jean Damascène dans le contexte du califat établi à Damas, doit être une vérité théologique457. Toutefois, l’icône ne peut pas être qu’une écriture. En étant une transposition par l’image des textes sacrés, elle devient une interprétation de ces mêmes textes. Afin de correspondre au mieux à ceux-ci, une certaine répétitivité des traits est souvent de mise chez les peintres. Pourtant à maintes reprises, le travail de Yūḥannā al-Armanī al-Qudsī se rapproche de l’expression artistique occidentale, plus proche d’un processus créatif.

Le processus technique de réalisation des panneaux de Yūḥannā Armanī al-Qudsī est difficile à connaître. Le manque d’informations concernant l’organisation de l’atelier du maître ne permet pas de discerner la répartition des tâches entre les élèves et les assistants. Une autre difficulté observée au cours de cette étude est celle des repeints. Cette pratique, qui consiste à ajouter de la matière picturale après la création sur la couche picturale originale, est fréquemment utilisée dans les icônes de l’époque ottomane en Égypte. Sur les exemples du XVIIIe siècle, les repeints sont de deux natures. Le premier exemple se trouve sur l’icône de sainte Barbe conservée dans

456 RAYMOND 1974, p. 53-80.

457 JEAN DAMASCENE éd. 2010, p. 237-243. Considéré par la tradition comme le dernier Père de l’Église, ce haut fonctionnaire de Damas était par la suite devenu moine et prêtre en Palestine. Il fut proclamé anathème par les iconoclastes de l’Empire romain d’Orient en 754.

l’église Sitt Barbāra du Vieux-Caire et réalisée par Yūḥannā Armanī et Ibrāhīm al-Nāsiḫ (Y 49). La sainte est figurée debout, désignant de sa main droite la tour où elle fut enfermée, tandis que sainte Julienne est figurée derrière elle. Daté des années 1770 et signé par les deux peintres, le panneau semble toutefois être un remploi. Ils y ont figuré une image de Barbe sur une composition sans doute plus ancienne dont le seul vestige visible est un nimbe poinçonné apparaissant à la partie inférieure de celui qui entoure sa tête. Il s’agit là d’un repeint de style qui a contribué à modifier la composition originale dont une radiographie permettrait peut-être de découvrir les traits. Yūḥannā al-Armanī et Ibrāhīm al-Nāsiḫ sont, dans ce cas, les auteurs d’une « restauration » du panneau figurant sainte Barbe. Toutefois, avec le second exemple, leurs propres œuvres sont le sujet de cette pratique. Cette fois-ci, l’icône n’a pas été entièrement repeinte mais il s’agit généralement de couvrir une lacune ou d’intervenir sur une altération de la couleur de la couche picturale originale. Les panneaux étudiés font apparaître que ces repeints peuvent consister en de simples comblements de lacunes dues au temps, comme dans les icônes de saint Sarapamon (A 125) et saint Théodore le Stratélate (A 150). Toutefois, les cas les plus remarquables sont d’une autre nature. Les repeints, des XIXe ou XXe siècles, visent principalement à recréer les visages des saints personnages ainsi que leurs mains : saint Étienne (Y 31), la Vierge et l’Enfant et la Résurrection (Y 40), la Vierge Hodegetria et dix scènes de sa vie (Y 102), l’Archange Raphaël (Y 108), la Vierge Hodegetria (Y 161), la Vierge couronnée et l’Enfant (A 65), la Crucifixion (A 68) et saint Michel Psychopompe (A 159). Cette pratique est une conséquence de l’altération des images du fait de leur vénération par les fidèles et de leur utilisation dans la pratique liturgique458. Ces repeints ont l’inconvénient de modifier parfois en profondeur la physionomie et la qualité des panneaux459.

La question de la conservation et de la restauration des icônes de la période ottomane ne trouva pas d’écho auprès du Comité de conservation des monuments de

458 SKALOVA 1990, p. 112 ; CHAILLOT 1993, p. 61.

459 Ces repeints, parfois très difficiles à observer, ne sont pas documentés et ont été réalisés à des dates inconnues. Aucune tradition en matière de restauration d’icônes n’existe en Égypte contrairement à d’autres pays de tradition orthodoxe comme la Russie : SKALOVA 1990, p. 112. Paul van Moorsel ajoute à ce propos, concernant les icônes conservées au Musée copte : « Due to some damage several icons were already restored before 1988, but mostly very poorly, accelerating the qualitative decline of the painting » : MOORSEL,IMMERZEEL,LANGEN 1994, p. 6.

l’art arabe, qui avait pourtant en charge le patrimoine chrétien depuis 1896460. Il faut attendre la fin des années 1980 pour voir apparaître un important projet intitulé « Restauration de l’art copte », notamment consacré à la première restauration scientifique des panneaux461. Financé par le gouvernement néerlandais, une équipe est formée au Musée copte du Caire alors dirigé par Gawdat Gabra. Le but clairement affiché était d’initier une étude sur les icônes égyptiennes, et notamment les panneaux tardifs, et de favoriser l’intérêt des Égyptiens pour les techniques de conservation et de restauration. Zuzana Skálová, historienne de l’art et restauratrice, avait été chargée de cette tâche462 tandis que dans le même temps, Paul van Moorsel, Mat Immerzeel et Linda Langen se penchaient sur la préparation du Catalogue général du Musée copte consacré aux icônes463. Zuzana Skálová a ainsi pu constater dans un premier temps l’état de conservation des panneaux. Outre les repeints, le problème de conservation de tels supports propre à l’Égypte est son climat particulièrement sec et l’usage de bois locaux de faible qualité. De plus, Zuzana Skálová a observé que les icônes ont pu, par le passé, être nettoyées et « restaurées » d’une manière identique, quel que soit le support, ce qui a souvent probvoqué des destructions plutôt qu’à une véritable conservation. Le résultat de ce travail était en général une reconstitution complète des icônes.

Quelques années plus tard, à la suite du projet néerlandais, ce sont les équipes égyptiennes et américaines du Conseil suprême des Antiquités (CSA), du Patriarcat copte orthodoxe464, de l’Institut d’études coptes et de l’American Research Center in Egypt (ARCE) qui se préoccupèrent de la conservation des icônes coptes465. Un programme s’est développé entre 1998 et 2004 sous la direction de Shawky Mohany Nakhla, directeur scientifique du CSA. En près de six années, plus de trois milles icônes conservées dans près de cent trente-quatre édifices ont été inventoriées dans

460 Le Comité de conservation des monuments de l’art arabe, créé en 1881, reçoit la charge de l’entretien et de la restauration des monuments chrétiens d’Égypte à partir de 1896 : AUBER DE

LAPIERRE 2017, p. 236-237.

461 Le projet, placé dans le cadre du « Programme de coopération pour le développement », se déroule au Caire sous la direction de Zuzana Skálová avec la restauration de panneaux in situ entre mars 1989 et février 1991 et est finalement poursuivi jusqu’en 1996.

462 SKALOVA 1991a, p. 93-103 ; SKALOVA 2001, p. 22-26 ; SKALOVA 2006, p. 152-154.

463 Il est toutefois précisé dans le catalogue : « Of the museum icons no chemical or physical analysis has been undertaken in order to understand more about painting techniques or the use of the materials » : MOORSEL,IMMERZEEL,LANGEN 1994, p. 6.

464 Une autorisation du patriarche Shenouda III avait été requise pour une telle action. L’État égyptien est en théorie propriétaire des icônes anciennes conservées dans les églises mais l’usufruit est exercé par la Patriarcat copte orthodoxe. En cas d’intervention sur les icônes, une autorisation devra être délivrée par le patriarche.

une base de données, tandis que plus de trois cents d’entre elles ont été restaurées. Ce travail a nécessité l’envoi de missions de dix spécialistes dans toute l’Égypte pour identifier les icônes dispersées un peu partout. Une large documentation photographique a été ensuite réunie et des restaurateurs ont été formés par l’équipe, à l’instar de ce qu’avait fait quelques années plus tôt Zuzana Skálová avec Frère Maximous du monastère Saint-Antoine, près de la mer Rouge. Si l’objectif du programme a donc été en grande partie atteint, il ne le fut pas totalement pour autant. L’un des objectifs essentiels était l’accessibilité des icônes à travers la base de données mais celle-ci demeure à ce jour inachevée tandis que le support numérique qui la contient est désormais obsolète466.

Depuis cet important projet, ces deux dernières décennies ont donc été riches quant à l’intérêt technique pour les icônes égyptiennes et ont permis d’enrichir ls connaissances. Les restaurations donnent les clefs de compréhension des panneaux créés par Yūḥannā al-Armanī467. De plus, l’atelier de peintures d’icônes développé par Isaac Fanous (1919-2007) au Patriarcat copte orthodoxe dans la seconde moitié du XXe

siècle est révélateur des techniques utilisées dans les peintures chrétiennes de l’époque ottomane, qui perdurent dans la peinture copte contemporaine468. La plupart des commandes sont faites par les églises en Égypte et en diaspora, mais également par des familles. L’atelier, comme ceux de l’époque ottomane, répond toujours favorablement aux grandes commandes en séries de l’Église.

2.5.1. Le travail du bois

Bien que les icônes peintes sur toile de lin et montées sur châssis soient bien présentes dans les productions chrétiennes ottomanes du XVIIIe siècle, ce sont les œuvres sur bois qui sont les plus nombreuses. Essences locales d’une part, et bois précieux importés d’autre part, chaque type est employé pour un usage spécifique. L’acacia (sant en arabe), privilégié pour les travaux de charpente, est l’essence la plus abondante en Égypte ; il fait d’ailleurs l’objet d’une taxe, le « droit de sant », payée par les paysans, qui leur permet à en couper une certaine quantité pour la

466 La base de données a été réalisée avec Microsoft Access sous Windows 95 et n’a connu aucune mise à jour.

467 Voir 4.3.

468 Je remercie très sincèrement M. Ellia Youssef, peintre d’icônes, de m’avoir ouvert les portes de l’atelier d’Isaac Fanous et de m’avoir fait partager quelques secrets de réalisation des icônes coptes.

construction469. D’autres essences, le sycomore, le tamaris et le palmier-dattier sont, avec l’acacia, parmi les plus communément employées470. Du fait du manque d’études systématiques par l’ARCE sur les essences de bois des icônes à l’époque ottomane, les analyses publiées par Zuzana Skálová et celles de Marie-Hélène Rutschowscaya sur le matériel copte du Louvre, daté entre le VIe et le IXe siècle, demeurent des références quant aux usages en Égypte. Elles révèlent que les linteaux sont taillés dans un bois local, principalement en tamaris et en acacia, de même que les éléments architecturaux471. Les objets plus précieux – certaines frises, portes et objets de toilette – sont fabriqués dans des essences importées dont les voies commerciales sont assez clairement définies : l’ébène du Soudan, d’Éthiopie et d’Inde, le cyprès de Syrie, le cèdre du Liban, le pin et autres bois blancs d’Europe et d’Asie Mineure, le teck d’Extrême-Orient472.

L’ouvrage d’Elisabet Enß consacré aux bois de l’Égypte byzantine, et particulièrement à ceux utilisés dans l’architecture, confirme également que chaque type de bois se prête à un usage particulier473. Cette étude rassemble des objets très divers, comprenant de nombreuses frises sculptées, peintes ou inscrites, des linteaux, architraves, poutres, reliefs, volets de fenêtres, portes et autels, etc474.

Il semble donc qu’une grande partie des essences employées soient locales et servent, dans le cas des grands panneaux, pour la structure et l’encadrement, tandis que les plaquages et le décor inscrusté sont réalisés à partir de bois précieux importés. Gawdat Gabra, dans son guide du Musée copte, indique que la porte de l’église Sitt-Barbara, datée du VIIe-VIIIe siècle, serait constituée d’un encadrement de sycomore (local), tandis que ses panneaux sculptés seraient en pin (importé)475. En l’absence

469 BAGHAT 1900, p. 143 : d’après le témoignage d’Ibn Mamati, auteur des Qanawin al-Dawanin (Règlement de l’administration égyptienne), ayant vécu entre la fin de la dynastie fatimide et le début de la dynastie ayyoubide.

470 LUCAS 1962, p. 439. En des temps plus anciens, Maqrizi mentionne notamment que le palmier-dattier pousse en profusion dans la région du Dayr al-Qalamun, où il est coupé puis employé pour la construction navale. Voir également LEROY 1908, p. 44.

471 C’est le cas pour deux cents treize panneaux et frises conservés au musée du Louvre : RUTSCHOWSCAYA 1986, p. 16.

472 LUCAS 1962, p. 431-438 ; AMIN,IBRAHIM 1990, p. 41.

473 ENß 2005, p. 28-52.

474 Le bois est également un matériau privilégié pour l’habitat : il peut remplacer la pierre, comme c’est le cas à Tebtynis (Fayoum), pour les seuils, piédroits et linteaux. Il est utilisé pour le gros-oeuvre, les menuiseries et le mobilier : toujours à Tebtynis, deux grands encadrements de fenêtre en sycomore ont été retrouvés, qui dateraient du IVe siècle, ainsi que de très nombreux éléments de mobilier de toute sorte. Une analyse des essences effectuée sur ce matériel révèle que le sycomore était employé pour la menuiserie et la maçonnerie (en renforcement des assises), tandis que l’acacia et le palmier sont privilégiés pour les éléments de soutainement.

d’analyses, on ne peut cependant confirmer cette hypothèse. À partir du IXe siècle, les souverains commencent à importer massivement des bois précieux, plus encore sous les Mamelouks et les Ottomans, ce dont témoignent les sources documentaires et les données matérielles476. Alors que les objets antérieurs au Xe siècle sont essentiellement fabriqués dans des bois indigènes, les objets datant de la période fatimide et postérieurs mêlent un plus grand nombre d’essences, dont une partie est importée. L’Égypte est un haut lieu de transit du commerce du bois en Méditerranée. La ville de Qūṣ notamment (où se trouvait une forêt abondante jusqu’à l’époque mamelouke), en contact avec l’Afrique, reçoit l’ébène et l’ivoire d’Éthiopie477. Par le sud arrivent également l’aloès et d’autres bois odorants, comme le santal ou le bois du Brésil, particulièrement prisés par le calife al-Mustanṣir (1036-1094)478. Le bois peut être stocké au Caire : on sait qu’au XVIIIe siècle il est débarqué puis emmagasiné dans le quartier de Būlāq, tandis qu’il était déposé au port de Fusṭāṭ à l’époque médiévale479. Les marchands de bois en gros se trouvaient, à l’époque ottomane, en dehors de la muraille d’al-Qāhira, à cause de l’aspect encombrant du matériau, difficilement véhiculable.

Les études menées par Zuzana Skálová sur les icônes ottomanes montrent que la plupart des essences utilisées sont des bois locaux tels que le tamaris (Tamarix

Africana), le figuier (Ficus carica) ou des résineux comme le cyprès (Cupressus). Ce

dernier, riche en eau, assure une bonne résistance technique mais le climat égyptien provoque des déformations des planches. C’est pourquoi, une fois débité, le bois était assemblé et renforcé par des traverses au revers afin d’éviter les déformations (A 181, par exemple)480. La surface du bois était ensuite poncée tandis que les nœuds pouvaient être remplacés par une pièce de bois sain ou une colle animale.

2.5.2. La préparation et la toile de lin

Lorsque les irrégularités du panneau de bois sont rabotées, on dépose au pinceau sur le support de bois encollé au préalable une préparation blanche, plus ou

476 RUTSCHOWSCAYA 1998, p. 55 ; AUBER DE LAPIERRE,JEUDY 2018, p. 60-69.

477 HEYD 1885-1886, p. 380-381.

478 HEYD 1885-1886. 581-590.

479 BAGHAT 1900, p. 146 ; RAYMOND 1999, I, p. 357-358.

480 La traverse est posée à contre-fil du bois afin d’assurer le maintien de l’ensemble. Il m’a été possible d’observer le revers de l’icône lors de travaux réalisés en 2015 dans l’église par le ministère des Antiquités. Il est toutefois impossible d’affirmer, sans prélèvement, qu’il puisse s’agir de cyprès pour cet exemple.

moins fluide. Plus la préparation est épaisse, plus la texture et les défauts du bois sont masqués. Sur les icônes de Yūḥannā al-Armanī (A 177), la préparation est réalisée à base de colle de peau et de gypse broyé. Zuzana Skálová a également pu repérer dans la préparation l’usage de chaux vive ou d’anhydrite en remplacement du gypse. La préparation est posée à la fois sur le support et sur l’encadrement. Lorsque le panneau se rétracte du fait du climat local, une légère barbe peut alors apparaître.

Un textile est ensuite déposé ou cloué sur la préparation. Il s’agit généralement d’une pièce de lin481. Le tissu permet à la fois de préserver l’icône mais également de la protéger en cas de pourrissement de la pièce de bois. Une fois placé, le textile est recouvert de plusieurs couches de la préparation. Cette dernière, chargée en carbonate de calcium (CaCO3), est minutieusement appliquée au pinceau de manière à évacuer l’air qui se trouve sous l’étoffe. L’application de ce mélange pâteux est renouvelée sept à dix fois à l’heure actuelle par les peintres d’icônes en Égypte.

2.5.3. Le tracé et les couleurs

Le tracé était ensuite probablement effectué au fusain (branche carbonisée en vase clos) ou au charbon, selon les usages de l’est du bassin méditerranéen à l’époque ottomane482. Néanmoins, aucune icône égyptienne du XVIIIe siècle ne permet de s’assurer de cette technique. Dans le cas des icônes de Yūḥannā al-Armanī, l’étude de certains panneaux permet de constater qu’il pratiquait l’incision afin de délimiter les silhouettes peintes par rapport au fond d’or (Y 69). Ce tracé en creux est effectué à la surface de la préparation sèche. Ces incisions permettent également de marquer les nimbes qui, pour certains, reçoivent un décor végétal élaboré (Y 50). Les costumes et l’architecture peuvent également être tracés selon ce procédé (Y 189, Y 190).

Les analyses réalisées en vue des restaurations ont montré que la technique développée par Yūḥannā al-Armanī et son atelier est celle a tempera. La technique consiste à utiliser le jaune de l’œuf, dont la couleur est due à la présence de carotène. L’analyse de Zuzana Skálová révèle la présence d’un liant à la colle (a putrido). Ce qualificatif lui a été donné en Italie en raison de son odeur d’œuf pourri, car la colle est dégradée par des micro-organismes483. En séchant, la matière reste plus souple

481 C’est encore ce procédé, avec une toile de lin, qui est pratiqué dans l’atelier d’Isaac Fanous.

482 SKALOVA,GABRA 2006, p. 134.

qu’une colle fraîche. Grâce à l’application de pigments naturels broyés à la main et avec du vinaigre, le séchage s’opère par évaporation de l’eau puis un durcissement des corps gras qui permettent la prise. Grâce à cet assèchement, le peintre procède à une juxtaposition de touches afin d’obtenir les contours précis des modelés. Le blanc de l’œuf peut être également utilisé seul comme couche de finition ou avec les pigments (en particulier l’argile).

Les résultats des analyses sur la nature des pigments utilisés pas Yūḥannā al-Armanī n’ont jamais été publiés, mais la composition de cette substance chimique au

XVIIIe siècle est aussi bien d’origine minérale qu’organique. La pose de la peinture se fait en dégradés, les teintes les plus claires sur celles plus sombres. L’artiste utilise également la technique du rehaut afin de suggérer, dans le modelé, la lumière ou un effet lumineux. Ces fines lignes blanches se retrouvent ainsi régulièrement sur la couche picturale des visages (Y 41, Y 67).

Selon les traces laissées à la surface, il semble que Yūḥannā al-Armanī et son atelier pratiquaient une peinture à la flaque (A 191). Cette technique de travail à plat consiste à faire couler sur l’œuvre une peinture fluide et à la pousser avec un pinceau du cœur de la flaque jusque vers la l’extérieur.

2.5.4. Le fond

Enfin, le fond du panneau, autour des personnages représentés, peut être peint d’une surface colorée (A 68) ou, pour les plus remarquables portant le nom de Yūḥannā al-Armanī, recevoir une application de métal en feuille ou en poudre. C’est la feuille d’or qui est le plus utilisée par l’artiste ; elle est appliquée sur une surface plane ou non polie sur laquelle a été déposé un liant constitué d’ail, de blanc d’œuf, de sucre ou de colles et gommes diverses484. Le doreur « happe » les feuilles chargées de