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Période de production et systèmes de datations

2. La démarche technique et créative : peintre, décorateur ou architecte d’intérieur ?

2.7. La question des textes

2.7.2. Période de production et systèmes de datations

Pour comprendre la présence de dates sur les icônes, il est important de percevoir que cette particularité n’est pas apparue ex-nihilo en Égypte mais a connu un long cheminement. Ceci permet de mieux percevoir encore que le travail de Yūḥannā al-Armanī, par certains côtés, est un aboutissement de l’art de l’icône au

XVIIIe siècle en Égypte. La collection d’icônes conservée au monastère Sainte-Catherine du Sinaï est un condensé de l’art qui s’est développé sous les Macédoniens (867-1056) et les Comnènes (1081-1185) et en bordure de l’Empire romain d’Orient522. Tout en conservant le hiératisme propre à l’art de l’icône, le phénomène de renaissance artistique de cette période a donné une plus grande « vie » aux figures qui y sont représentées523. À partir de la fin du XIe siècle, les trois premières croisades permettent d’établir une présence latine au Levant. L’établissement de ces chrétiens introduit de nouvelles combinaisons artistiques et un phénomène d’acculturation524. Ainsi, alors que règne une importante confrontation militaire et politique entre le christianisme de Rome et le christianisme oriental (celui de Constantinople mais également celui des Églises antéchalcédoniennes), un art hybride, souvent identifié comme « l’art des croisés »525, se met en place526. À la suite de la troisième croisade (1189-1192), un royaume latin fut établi sur l’île de Chypre cédée par les Byzantins. Au cours du

XIIIe siècle, l’art qui s’y développa reprit des caractéristiques médio-byzantines tout en y introduisant des apports occidentaux, plus au goût des nouveaux commanditaires du royaume527. L’installation des croisés dans les territoires

522 Pour une réflexion générale de la perception de l’icône byzantine, voir BACCI 2012a, p. 347-364.

523 SKALOVA,GABRA 2006, p. 87. Selon Zuzana Skálová, la Vierge Marie est peinte sous les traits d’une véritable femme, jeune et aimante tandis que le Christ, crucifié, est particulièrement marqué par la souffrance physique.

524 BACCI 2006, p. 207-220 ; IMMERZEEL 2009, p. 125-140 ; BACCI 2009, p. 433-444 ; BACCI 2012b, p. 141-147.

525 Sur « l’art des croisés », on pourra notamment se référer aux publications de Jaroslav Folda : FOLDA

1995, FOLDA 2005 ; FOLDA 2008.

526 Près de deux cents icônes de ce type ont été identifiées par Kurt Weitzmann au monastère Sainte-Catherine : WEITZMANN 1984, p. 63-116.

527 IMMERZEEL 2009, p. 161-168. Zuzana Skálová étudie plusieurs exemples probablement réalisés en Égypte de ce développement artistique. Dans le cas du triptyque de la Résurrection conservé au Musée copte du Caire (M.C. 3349 et M.C. 10009), elle met en exergue, parmi les nouveautés issues du monde italien, la présence d’une prédelle sous la croix ou encore le modelé des drapés des manteaux des femmes qu’il est également possible de retrouver dans l’art des Paléologues. Le paysage ou encore la tenue des soldats près du tombeau sont également, pour Zuzana Skálová, le résultat de ce multiculturalisme : MOORSEL,IMMERZEEL,LANGEN 1994, p. 103-105 ; SKALOVA,GABRA 2006, p. 170-173. Plusieurs icônes de cette période montrent des saints cavaliers portant les armures médiévales des

levantins marque un tournant artistique majeur. Dans la première moitié du XIIIe

siècle, l’atelier d’icônes de Sainte-Catherine réalise un nombre de panneaux particulièrement élevé. De nouveaux types iconographiques apparaissent ; ils sont liés aux syncrétismes qui règnent alors dans la région528. C’est également un rare moment où l’on peut observer des types artistiques similaires entre le monastère du Sinaï et Le Caire529. C’est également durant cette période, d’après les inscriptions sur les icônes et des manuscrits, qu’un afflux d’artistes et de moines venus de Chypre, du Caucase et d’Europe latine se répand au Levant, en Égypte et dans l’atelier de Sainte-Catherine530.

La prise de Constantinople par les Ottomans en 1453 génère un important déplacement de peintres d’icônes vers la Crète531, possession vénitienne jusqu’à sa conquête par l’armée ottomane en 1645532. Comme le remarque Svetozar Radojčić, « la division de la peinture byzantine en deux périodes, l’une proprement byzantine et l’autre post-byzantine, séparées par la date de la chute de Constantinople en 1453,

est artificielle »533, mais c’est après cette date que s’accentue l’infiltration

d’éléments occidentaux qui transforment l’essence de l’icône. Entre autres bouleversements sur le territoire crétois, les images religieuses vont être pourvues d’inscriptions nouvelles. Outre la simple mention explicitant la scène représentée,

l’artiste inscrit sur les panneaux une date et une signature534, chose tout à fait

inconcevable auparavant mais qui se généralise aux XVIIe et XVIIIe siècles535. La présence du nom de l’artiste révèle un changement de statut chez celui-ci, le faisant

« Francs ». Un exemple figurant saint Serge avec une donatrice vêtue à l’occidentale est conservé au monastère Sainte-Catherine du Sinaï : SKALOVA,GABRA 2006, p. 251. Par ailleurs, l’Égypte entretient des liens particuliers avec Chypre depuis que le roi Janus a dû se déclarer vassal du sultan mamelouk en 1427.

528 C’est notamment le cas des séries d’icônes figurant la vie de saints personnages : SKALOVA,GABRA

2006, p. 88.

529 Les moines grecs du monastère Sainte-Catherine du Sinaï ne se considèrent pas en territoire égyptien. Les relations sont donc quasiment inexistantes avec le Patriarcat copte orthodoxe.

530 SKALOVA,GABRA 2006, p. 88.

531 IMMERZEEL 1997, p. 24-25 ; TRIANTAPHYLLOPOULOS 2002, p. 10-18.

532 Sur la prise de Constantinople par Mehmet II le 29 mai 1453, voir entre autres RUNCIMAN 1953 ; MANTRAN 1989, p. 84-87 et VATIN 2015, p. 287-290. Sur la conquête de la Crète sous le sultanat de Mehmet IV, voir entre autres MANTRAN 1989, p. 303-304 et ANASTASOPOULOS 2015, p. 309-311. Pour ce dernier territoire, si la quasi-totalité de l’île fut conquise entre 1645 et 1647, sa capitale, Candie, ne tomba qu’en 1669.

533 RADOJCIC 1978, p. 212.

534 Avant cela, les dates n’étaient pas présentes sur les icônes mais elles l’étaient toutefois sur les décors peints.

535 Parmi les exemples les plus anciens illustrant cette pratique sur panneaux, l’icône de la Dormition de saint Éphrem le Syrien conservée au Musée byzantin et chrétien d’Athènes (inv. BM 7778/T 2511), dérivée d’un modèle Paléologue et élaborée par des artistes crétois, est datée de 1457.

évoluer de l’artisan à l’artiste reconnu. Souvent, la seule présence d’un nom, sans aucune appartenance familiale ou attache géographique, démontre la renommée que

pouvaient acquérir certains peintres536. Les dates permettent de suivre la

chronologie de la transmission de cette pratique depuis la Crète jusqu’au Levant. À

partir du XVIIe siècle, la Syrie connaît un grand renouveau de l’image. Des peintres

s’établissent loin des monastères, auprès des autorités religieuses urbaines, et sont financés par de riches donateurs. C’est alors qu’émerge la grande dynastie de

peintres aleppins fondée par Yūsūf al-Muṣawwir. Selon Charbel Nassif, la source

essentielle d’inspiration de cet artiste et de ses successeurs est l’École de peinture crétoise. Outre les thèmes iconographiques locaux, le peintre reproduit méthodiquement les enseignements de ces modèles. Inscrire son nom sur les panneaux fait partie de cet enseignement. Grâce à cela, il est possible de réunir

dix-sept icônes portant le nom de Yūsūf al-Muṣawwir537.

En Égypte, à l’instar des pratiques levantines qui se sont largement

répandues, Yūḥannā al-Armanī poursuit cette pratique et permet ainsi d’établir une

évolution chronologique de son œuvre. La première étude des panneaux de l’iconographe publiée en 1946 par Cawthra Mulock et Martin Telles Langdon prend en considération les dates indiquées sur les panneaux afin de cerner une première progression artistique. Bien qu’un inventaire complet des icônes soit alors inexistant, les auteurs avaient pu établir une période d’activité entre 1745 et 1783

(1461 et 1499 de l’ère des Martyrs)538. Toutefois, le terminus ante quem reposait

alors sur une mauvaise lecture des inscriptions. Les premières icônes réalisées

conjointement par Yūḥannā al-Armanī et Ibrāhīm al-Nāsiḫ étaient alors considérées

comme étant celle de saint Victor le Stratélate et celle de saint Mercure, toutes deux

conservées dans le monastère Saint-Ménas de Fum al-Ḫālīǧ (Y 196 et Y 197)539. Mulock et Langdon lisaient dans les deux cas les dates de 1461 de l’ère des Martyrs (1745)540. Le terminus post quem faisait référence à l’icône de saint Onuphre conservée dans l’église de la Vierge-Marie dite al-Muʿallaqā (A 204)541. Si ce

536 VASSILAKI 1989, p. 208.

537 NASSIF 2017a. La publication de la thèse de Charbel Nassif sur le peintre aleppin permettra dans les années à venir de multiplier les comparaisons possibles avec Yūḥannā al-Armanī et Ibrāhīm al-Nāsiḫ.

538 MULOCK,LANGDON 1946, p. 12 ; AVÉDISSIAN 1959, p. 116.

539 MULOCK,LANGDON 1946, p. 22-25.

540 La date est d’ailleurs reprise en l’état pour l’icône de saint Victor dans GUIRGUIS 2008, fig. n. p.

panneau porte une inscription dans laquelle la date est incontestable, il ne peut être directement utilisé pour servir de limite connue de datation à la production de Yūḥannā al-Armanī puisque le nom de l’auteur du panneau ne figure pas dans la dédicace542.

Près de cinquante années plus tard, Paul van Moorsel et Mat Immerzeel ont affiné cette période de production de Yūḥannā al-Armanī entre 1742 et 1783543. Ils basent leur réflexion sur les nombreuses études et campagnes de restaurations effectuées dans les églises du Caire et au Musée copte544. Les icônes utilisées comme marqueurs temporels sont d’une part la Vierge et l’Enfant (Y 08), d’autre part l’image de saint Victor (A 194) et le triptyque de la Crucifixion (A 199) conservés au Musée copte. Là encore, et bien que la qualité picturale des deux derniers panneaux permette sans équivoque une attribution à Yūḥannā al-Armanī, le terminus post quem est défini grâce à des icônes datées mais où ne figure pas le nom du peintre. Dans son ouvrage consacré à Yūḥannā al-Armanī, Magdi Guirguis reprend les mêmes critères que ceux établis dans les précédentes publications pour définir la période de production du peintre545.

Désormais, le récolement exhaustif réalisé dans les églises égyptiennes, dans les collections particulières et dans les musées a permis d’établir une période de production avec des icônes où figure le nom de Yūḥannā al-Armanī. La réalisation d’un catalogue raisonné des œuvres du peintre permet d’établir une datation précise et argumentée, entre 1740 (Y 01 à Y 07) et 1785 (Y 203).

Tandis que la période d’activité de Yūḥannā al-Armanī a ainsi pu être définie, la question se pose quant à la façon d’indiquer cette date sur les panneaux. Les systèmes de datation sont nombreux dans le pourtour méditerranéen et l’Égypte ottomane ne fait pas exception. Comment un peintre d’origine arménienne actif au

542 La dédicace située en partie inférieure du panneau indique : « Souviens-toi, ô Seigneur, de ton bienveillant serviteur le muʿallim ʿUbayd Abū Ḫuzām et son épouse la regrettée […] Maryam dans ton Royaume pour l’éternité ». Cette absence de nom est pourtant mentionnée dans la notice par les auteurs de l’ouvrage : MULOCK,LANGDON 1946, p. 61.

543 Cette datation est notamment issue de l’étude réalisée par Nubar Der Mikaelian en 1971, «

al-Mussawwir Yuhanna al-Qudsi fi Misr » jamais publiée : GUIRGUIS 2008, p. 80 et communications orales de Hrant Keshishian et de Chris Mikaelian au Caire.

544 MOORSEL,IMMERZEEL,LANGEN 1994, p. 17 ; SKALOVA,YOUSSEF,SHENUDA,MANSOUR 1999, p. 379-380.

Caire à l’époque ottomane pour la communauté copte pouvait-il dater ses œuvres ? Les solutions utilisées par Yūḥannā al-Armanī sont multiples.

Ère des martyrs ou ère de Dioclétien

Les premières dates repérées sur les plus anciens panneaux de Yūḥannā sont dans l’ère de Dioclétien. L’avènement de ce dernier, en 284 de l’ère chrétienne, marque le début du calendrier en usage dans l’Église copte sous le nom d’ « ère des martyrs »546. Outre les cycles indictionnels en usage durant la période byzantine dans la province égyptienne de l’empire romain d’Orient, l’ère des martyrs ou ère de Dioclétien rend hommage depuis le IVe siècle aux nombreuses exécutions de chrétiens perpétrées avant l’édit de Milan (313). Dans le cas des panneaux peints par Yūḥannā al-Armanī, les chiffres sont le plus souvent logiquement écrits en numérotation arabo-indienne, mais de nombreux exemples, à l’instar notamment du panneau Y 04, sont également inscrits en copte cursif autour d’une croix stylisée. Ce dernier usage semble s’être développé à partir du Xe siècle pour des besoins administratifs. Il s’agit d’une évolution du système grec qui utilise les lettres de l’alphabet et leur donne une valeur numérique. Ils sont dits chiffres « de l’épacte » (al-abaqtī)547.

Hégire

Le système calendaire qui devance l’ère de Dioclétien dans la production de Yūḥannā al-Armanī est celui, plus traditionnel dans une Égypte du XVIIIe siècle, de l’Hégire. Utilisé par l’administration musulmane en Égypte, ce calendrier débute à l’exil de Muḥammad et de ses compagnons pour Médine en 622 de l’ère chrétienne et rythme la vie de la société égyptienne à l’époque ottomane548. Ces dates sont indiquées en numérotation arabo-indienne et régulièrement suivies de l’annotation « arabe » (ʿarabīyah ; Y 63). L’année fait généralement suite au nom du peintre (Y 75) ou est inscrite après la dédicace (A 51). Or, le calendrier de l’Hégire est un

546 CODY 1991, p. 433a-436a et 972b ; GABRA 2008, p. 70-71. Celui-ci est toujours utilisé de nos jours par le Patriarcat copte orthodoxe pour établir les célébrations liturgiques.

547 Je remercie très sincèrement Anne Boud’hors pour m’avoir initié à la lecture de ces dates. Sur les chiffres coptes : MEGALLY 1991, p. 1820b-1822a ; MESSIHA 1994, p. 25-27.

calendrier lunaire. On remarque ainsi sur certaines icônes de légers décalages chronologiques sur les panneaux. L’exemple des icônes Y 190 et Y 192 montre par exemple que l’indication d’une même année dans l’ère des martyrs (1497) ne correspond pas à la même date pour l’Hégire (1194 et 1195).

Ère chrétienne (Anno Domini)

Enfin, le dernier calendrier utilisé par Yūḥannā al-Armanī est l’ère chrétienne. Il s’agit là d’un usage isolé qui n’apparaît qu’une seule fois, dans l’icône figurant saint Behnam réalisée pour le monastère Saint-Ménas de Fum al-Ḫālīǧ au Caire (Y 202)549. Ce panneau très particulier a été réalisé, non pas pour la communauté copte du Caire, la clientèle habituelle de Yūḥannā al-Armanī, mais, comme le laisse entendre le lieu de destination du panneau et son iconographie, pour la communauté syriaque. Celle-ci bénéficiait alors d’un lieu de culte dans le vaste complexe du monastère de Fum al-Ḫālīǧ avec une église consacrée à Behnam550. Yūḥannā al-Armanī reçut la commande de l’icône du saint patron de l’édifice en 1782. Si cette église était bien initialement à l’usage de moines syriaques orthodoxes551, la communauté avait rejoint au XVIIIe siècle l’Église syriaque catholique alliée à Rome552. C’est à ce titre que le peintre, afin de répondre sans doute au souhait du commanditaire, donna au panneau une légende uniquement en arabe et inscrivit deux dates : l’une selon l’Hégire (1182) et la seconde dans le calendrier en usage auprès de la communauté, utilisant des caractères arabo-indiens pour figurer cette dernière.

L’ère chrétienne mis à part, l’utilisation des systèmes de datation copte et musulmane laisse entrevoir la double nature du monde, chrétien et ottoman, dans lequel évolue Yūḥannā al-Armanī. Toutefois, la prédominance des dates indiquées grâce au calendrier de l’Hégire indique qu’il s’agit bien d’une date de référence et met en évidence le lien qui existe entre les commanditaires chrétiens et les sphères

549 Sur le monastère Saint-Ménas de Fum al-Ḫālīǧ, voir : BUTLER 1884a, p. 47-74 ; MEINARDUS 2002, p. 51-52 ; LUDWIG 2007, p. 140-145.

550 VANSLEB 1677, p. 245 ; COQUIN 1974, p. 7-8.

551 GUIRGUIS 2008, p. 57.

officielles musulmanes. Parmi l’ensemble des icônes peintes au XVIIIe siècle, bien rares sont les exemples où seule l’ère des martyrs est indiquée (Y 64). L’usage de l’ère des martyrs n’avait qu’un rôle symbolique et religieux à l’époque ottomane. Les documents administratifs conservés au Patriarcat copte orthodoxe datant du

XVIIIe siècle montrent d’ailleurs la seule présence de la date de l’Hégire553.

2.8. Agencement des espaces intérieurs et disposition des peintures

Au XVIIIe siècle, les églises coptes présentent généralement un plan basilical orienté dans lequel se déroule les rites liturgiques554. On y accède, à l’ouest, par une porte centrale débouchant dans la nef principale555. Près de cette entrée est placé le

miġtās, grand bassin rectangulaire servant à la bénédiction des eaux durant la nuit de

l’Épiphanie. Dans la nef556, on trouve également le laqān, un bassin circulaire de plus petite dimension scellé au sol et utilisé le Jeudi Saint ou pour la fête des apôtres. Malgré une ancienne tradition qui tend à s’estomper à partir de l’époque mamelouke, les sanctuaires des églises égyptiennes sont régulièrement séparés de la nef à la période ottomane par un espace intermédiaire, le ḫūrus. Il s’apparente à une sorte de transept, aux dimensions plus ou moins équivalentes à celles du sanctuaire, dans le but de cacher doublement celui-ci, destiné au clergé557. Gertrud van Loon interprète cet espace suivant les écrits d’Ibn Sabbāʿ, à savoir une pièce sacrée, entourée de panneaux de bois ajourés (de type moucharafieh) qui symboliserait l’endroit où les âmes attendent avant d’entrer au Paradis (celui-ci étant symbolisé par le sanctuaire)558. Les remaniements et restaurations successives des églises du Caire ont aujourd’hui fait disparaître cette zone559. Le ḫūrus se trouvait donc devant le sanctuaire (al-haykal)

dont il était séparé par un écran (al-ḥiǧāb) qui se matérialise à partir de la période fatimide par un grand panneau de bois ouvragé qui peut recevoir en sa partie supérieure des icônes560. L’autel est placé derrière la porte royale, sous un ciboire561.

554 Exception faite des édifices atypiques qui ont connu des agrandissements au cours de leur histoire comme l’église de la Vierge-Marie al-Muʿallaqā du Vieux-Caire.

555 WISSA WASSEF 1971, p. 103-106 ; VIAUD 1978, p. 71-76.

556 Celle-ci est souvent marquée à l’époque mamelouke par la présence de quatre piliers aux angles et une couverture constituée de coupoles : GROSSMANN 1991, p. 552-555.

557 Selon Peter Grossmann, son but serait de cacher doublement le sanctuaire et d’agrandir l’espace de l’abside parfois fort limité : GROSSMANN 1991, p. 212-213.

558 LOON 1999, p. 109-124.

559 L’ultime trace d’un ḫūrus dans une église du Caire était encore visible dans l’église Saint-Mercure mais a été supprimée lors des derniers travaux effectués par le Patriarcat copte orthodoxe et le ministère des Antiquités et inaugurés en 2017. Des exemples sont néanmoins encore visibles dans les monastères du désert de Scété ou près de la mer Rouge.

560 GRABAR 1961, p. 15 ; EPSTEIN 1981, p. 26 ; MICHEL 2001, p. 54. L’un des plus anciens écrans de ce type a été identifié dans l’église Sitt Barbāra par Alfred Butler et transféré au Musée copte (M.C. 778) à l’initiative de Marcus Simaïka Pacha et du Comité de conservation des monuments de l’art arabe : AUBER DE LAPIERRE,JEUDY 2018, p. 60-69.

561 Le plus ancien autel d’église en bois est également conservé au Musée copte du Caire (M.C. 1172) : AUBER DE LAPIERRE,JEUDY 2018, p. 122-125.

Un trône de calice, utilisé pour l’eucharistie y est placé562. Toutefois, bien que la pratique rituelle liturgique ait peu évolué au cours du temps dans l’Église copte, l’espace des édifices a connu bien des changements. Ceux-ci se sont d’ailleurs accélérés avec les restaurations entreprises à partir de la fin du XIXe siècle par le Comité de conservation de l’art arabe563. Pour mieux appréhender les églises cairotes telles qu’elles étaient à l’époque ottomane, le récit de Jean-Michel Vansleb (1635-1679) est le plus complet et essentiel pour comprendre l’agencement des édifices :

« La premiere fut celle de la Maallaca [église de la Vierge-Marie al-Muʿallaqā] : C’est une Eglise fort ancienne, magnifique, & tres-claire ; & je puis dire que c’est la plus belle que les Coptes ayent en toute l’Egypte. Elle est la Patriarchale, dans laquelle le Patriarche celebre sa premiere Messe Pontificale.

Les Coptes l’ont achetée d’Amru ibn il Ass, comme on peut voir le contract écrit sur les murailles de cette Eglise, de la main propre de ce Prince, maudissant tous les Mahometans qui la leur voudront ravir.

Il y a cinq Heikels, ou Chappelles de rang, mais separées l’une de l’autre par de petits treillis de bois ; de sorte qu’on y peut dire cinq Messes à la fois, sans que les Prestres s’interrompent les uns les autres.

À l’entrée de cette Eglise, on y voit sur une des colomnes qui y sont à la main droite, une petite Image de la Ste Vierge, que les Coptes disent avoir parlé à Ephrem,