• Aucun résultat trouvé

2. La démarche technique et créative : peintre, décorateur ou architecte d’intérieur ?

2.2. De l’atelier à l’École artistique

2.2.2. La collaboration avec Ibrāhīm al-Nāsiḫ

Ibrāhīm al-Nāsiḫ fut un acteur central de la vie de Yūḥannā al-Armanī, et l’étude de la relation entre les deux hommes apporte une dimension nouvelle à la connaissance de la production artistique de cette période.

Ibrāhīm al-Nāsiḫ298, scribe et enlumineur, est un artiste égyptien copte dont l’activité remonte au moins à 1732. Il meurt en 1785, laissant derrière lui un grand nombre d’icônes et de manuscrits dans de nombreux monastères et églises à travers l’Égypte299. Outre ses propres peintures, Ibrāhīm était également un collègue et un associé de Yūḥannā al-Armanī. Leurs noms sont associés dans de nombreuses œuvres entre les années 1740 (Y 01 à Y 07) et 1758 (Y 33), puis plus sporadiquement300.

297 Trois icônes signées par Manqarios sont conservées au Musée copte du Caire et datées de 1179 de l’Hégire (1765 ; M. C. 3448), 1206 de l’Hégire (1791 ; M. C. 3384) et 1208 de l’Hégire (1793 ; M. C. 3379) ; MOORSEL,IMMERZEEL,LANGEN 1994, p. 49-51 ; MOORSEL,IMMERZEEL 1994, p. 38.

298 Comme évoqué précédemment, de son vrai nom Ibrāhīm ibn Samʿān ibn Ġubrīāl.

299 Le Caire, archives du Patriarcat copte, inv. D 226 : GUIRGUIS 2008, p. 74.

300 Magdi Guirguis, qui n’avait lors de son travail une vision complète du travail des deux peintres, indique la date de 1755 : GUIRGUIS 2008, p. 77.

Néanmoins, malgré cette relation professionnelle qui marqua durablement l’art de l’un et de l’autre, la documentation d’archive ne permet pas d’établir un lien familial entre les deux hommes et leurs familles. Les archives nous indiquent qu’ils n’étaient pas même voisins puisque, comme nous l’avons vu, Yūḥannā al-Armanī s’était établi dans le quartier de Ḥārat Zuwēla, dans la partie nord de la ville, tandis qu’Ibrāhīm résidait plus au sud à Ḥārat al-Rūm où se trouvait alors le Patriarcat copte301. Selon les archives du Patriarcat explorées par Magdi Guirguis, Ibrāhīm bénéficiait cependant d’abondants contacts parmi les notables chrétiens de la cité et notamment dans la communauté arménienne, amis et simples marchands, à l’image de Ḥannā Hārūt al-Armanī 302 et Ǧirǧis Tūma al-Armanī al-Maḫišātī303. Il s’agit là d’éléments supplémentaires montrant les attaches qui existent entre les différentes communautés chrétiennes du Caire, qu’elles soient coptes ou arméniennes, mais aussi avec les syriaques dont j’ai pu évoqué quelques éléments précédemment304. Il était également, au titre de copiste, en relation avec ses collègues musulmans actifs au Caire parmi lesquels il se fit de très bons amis305. Ce contact privilégié montre la nature des relations qui existaient alors entre les différentes populations vivant au Caire à l’époque ottomane.

Ibrāhīm al-Nāsiḫ épousa, en 1740, la fille d’une famille chrétienne aisée du nom de Dīwān bint Tādrus al-Qasīs306 dont il eut une fille, Sāra307. Ibrāhīm était, dans ces années-là, déjà bien connu de la sphère artistique égyptienne avant même l’apparition de l’activité de Yūḥannā en 1740. Sa situation sociale faisait de lui un personnage important de la société copte dès 1732308. Il copia ainsi à cette date un manuscrit, aujourd’hui conservé dans la bibliothèque du monastère Saint-Paul près de la mer Rouge, comprenant des illustrations de la consécration de l’église dédiée à l’archange Michel et à saint Jean-Baptiste, en présence d’un notable copte, le muʿallim

301 Originaires du village d’Isnīt, au sud du delta, Ibrāhīm et son frère Ṣalīb sont envoyés par leur père, couturier de profession, chez leur tante, supérieure du couvent Saint-Théodore de Ḥārat al-Rūm au Caire : GUIRGUIS 2004, p. 948. Le Caire, Archives nationales d’Égypte : Maḥkama Qisma

al-ʿArabiyya, enregistrement 130, paragraphe 3, p. 5.

302 Le Caire, archives du Patriarcat copte orthodoxe, inv. D 193 ; GUIRGUIS 2008, p. 74.

303 Le Caire, archives du Patriarcat copte orthodoxe, inv. D 68 ; GUIRGUIS 2008, p. 75.

304 Je me réfère ici au contexte de création de l’icône de saint Behnam et de sa sœur Sara (Y 202), peinte par Yūḥannā al-Armanī en 1782 pour la communauté syriaque du Caire.

305 GUIRGUIS 2004, p. 941.

306 Dīwān bint Tādrus meurt à Jérusalem en 1777 : Le Caire, Archives nationales d’Égypte : Maḥkama

al-Qisma al-ʿArabiyya, enregistrement 126, paragraphe 471, p. 309. Il se remarie par la suite.

307 Celle-ci épousa son cousin, Ḥannā Ayūb, copiste dont le nom est présent dans plusieurs manuscrits conservés au Patriarcat copte du Caire (inv. D 165, inv. D 68, inv. D 19) : GUIRGUIS 2004, p. 949.

Ǧirǧis Yūsūf al-Surūǧi309. Ainsi, quelques années avant l’apparition de l’activité de Yūḥannā al-Armanī, Ibrāhīm al-Nāsiḫ avait su se préparer une place de premier choix dont il allait pouvoir faire bénéficier son futur associé, peut-être quelque peu plus jeune que lui.

Ibrāhīm al-Nāsiḫ était engagé dans plus d’une profession en même temps. Il peignait des icônes, des compositions murales, des ciboires310, mais également des décorations de demeures pour des bureaucrates et des notables de haut rang311. Toutefois, il semble avant tout célèbre dans la documentation pour ses copies et ses enluminures de manuscrits de grande qualité. Sans véritable lien avec son métier artistique, Ibrāhīm fut également professeur dans l’enseignement primaire, inculquant aux enfants, semble-t-il, les rudiments de l’écriture, de la lecture, de l’arithmétique, de la langue copte et de la liturgie312. Diversifiant son art et sa portée intellectuelle, il tendait à mettre sa curiosité au service de ses coreligionnaires. Immanquablement et malgré la grande diversité de ses activités, Ibrāhīm nous est aujourd’hui principalement connu pour ses manuscrits et ses icônes. Si la documentation est incomplète sur le début de la carrière de Yūḥannā al-Armanī, de plus amples informations nous sont parvenues pour Ibrāhīm al-Nāsiḫ, notamment via les commentaires en marge des manuscrits qu’il lut mais également ceux qu’il copia et qu’il enlumina. Ces notes, désormais impossibles à atteindre au Caire, constituent une véritable mine d’informations dont la totalité est encore loin d’être exploitée. Les échanges que j’ai pu avoir avec Magdi Guirguis à ce propos montrent qu’il n’a jamais rencontré la moindre inscription marginale laissée par Yūḥannā al-Armanī. Aucun colophon de manuscrit chrétien ottoman ne révèle non plus son nom. Avait-il eu accès à la bibliothèque patriarcale entreposée alors à Ḥārat al-Rūm ? Peut-être le fait de ne pas être copte ne lui en avait pas laissé l’opportunité. Néanmoins, le grand intérêt de

309 Bibliothèque du monastère Saint-Paul près de la mer Rouge, MS 117 histoire ; GUIRGUIS 2004, p. 949 ; GUIRGUIS 2008, p. 75. Magdi Guirguis, qui a pu voir le manuscrit désormais inaccessible depuis les années 2000, mentionne qu’ « il enregistra lui-même les détails de ce voyage, dans un récit qui est la plus ancienne œuvre de la main d’Ibrāhīm al-Nāsiḫ que nous connaissons jusqu’à présent ».

310 Ibrāhīm fit une note à ce propos dans un manuscrit copié en 1765 : bibliothèque du monastère Saint-Mercure au Caire, MS 19 liturgie, f° 172 recto : « A copié ces lettres, l’humble Ibrāhīm ibn Samʿān al-Nāsiḫ bi Ḥārat al-Rūm, celui qui a peint la coupole et l’abside, et les icônes et éleva le reliquaire des martyrs. A dépensé sur ce travail, le Père mentionné [l’higoumène Barṣūmā, serviteur de l’église d’Abū Sīfīn] » : GUIRGUIS 2004, p. 950 ; GUIRGUIS 2008, p. 75.

311 Le Caire, Archives nationales d’Égypte, maḥkama al-Salihīya al-Najmīya, enregistrement 263, paragraphe 171, p. 67 et paragraphe 182, p. 74 ; GUIRGUIS 2008, p. 75.

312 Le Caire, Archives nationales d’Égypte, maḥkama al-Salihīya al-Najmīya, enregistrement 358, paragraphe 198, p. 156 : GUIRGUIS 2008, p. 75.

ces informations marginales laissées par Ibr#h$m tend à nous éclairer sur le travail du peintre arménien.

À l’instar de Y!"ann# al-Arman$, Ibr#h$m al-N#si% signait ses œuvres de différentes manières, ce qui ne facilite pas la tâche du chercheur, mais fournit des informations fort utiles, notamment sociales. L’identification la plus récurrente est : « al-)aq"r Ibr#h$m al-N#si% », que l’on peut traduire par « l’humble Ibr#h$m le

Scribe »313. Plus exceptionnellement, certains panneaux sont signés en copte :

(figure 7)314. Sur d’autres icônes, il est possible de trouver « al-)aq"r Ibr#h$m Sam+#n

al-N#si% », ou « al-)aq"r Ibr#h$m al-N#si% ibn Sam+#n bi ,#rat al-R!m »315. D’autres identifications plus précises viennent compléter et confirmer les informations recueillies sur l’homme : « Ibr#h$m Sam+#n, neveu de l’abbesse du couvent Saint-Théodore »316.

Figure 7. Ibr#h%m al-N#si', Le Christ Pantocrator entouré du tétramorphe et de vingt-quatre prêtres, 1768, M.C. 3443, Le Caire, Musée copte

313 Je cite comme exemple l’icône figurant saint Georges conservée au Musée copte du Caire (M.C. 3366) : MOORSEL,IMMERZEEL,LANGEN 1994, p. 27, n°20.

314 Il s’agit d’une icône conservée au Musée copte figurant le Christ Pantocrator entouré du tétramorphe et de vingt-quatre prêtres (M.C. 3443). Une dédicace en copte et en arabe est inscrite sur le cadre du panneau : « [en copte] Saint, saint, saint, Seigneur notre Dieu, c’est à Toi qu’appartiennent la force et la gloire et la louange et la puissance. Amen. [en arabe égyptien] Seigneur, souviens-toi de Ton esclave &ir)is, père de M$%#’$l, dans Ton Royaume céleste. L'image des vingt-quatre prêtres, les anciens spirituels, peints pour l'église Sitt Barb#ra au Caire ». La signature en copte du peintre est placée près du taureau et accompagnée de la date de 1484 de l’ère des Martyrs (1768). MOORSEL, IMMERZEEL, LANGEN 1994, p. 22, n° 14.

315 C’est notamment le cas de panneaux conservés dans l’église Saint-Mercure du Caire. On peut logiquement remarquer que certaines dénominations sont identiques entre les icônes et les manuscrits de l’artiste.

Sa résidence à Ḥārat al-Rūm l’avait placé au cœur des événements de la population copte de la cité. Impliqué dans la vie sociale et sans doute religieuse, Ibrāhīm al-Nāsiḫ a profité d’une grande partie de la bibliothèque patriarcale à laquelle il a pu avoir accès afin de consulter les précieux ouvrages qui y étaient déposés. Lecteur appliqué, il inscrivit, comme j’ai pu le mentionner plus haut, des remarques en marge de quelques livres qui lui passèrent entre les mains. Les titres de ces livres, dont la consultation est assurée, révèlent un certain niveau culturel et religieux atteint par l’artiste317. Comme copiste – ce qui semble avoir été son métier de prédilection – Ibrāhīm met en place un véritable travail d’éditeur. Il ne se contente pas de restaurer ou de reproduire les textes d’ouvrages anciens, il procède à des recherches poussées sur les différentes versions existantes et produit même parfois de synthèses de différentes éditions afin de créer un volume original complet318. Son travail le plus remarquable est celui effectué pour les livres liturgiques qui exigeaient une profonde connaissance historique et religieuse. Dans ce domaine, il procéda à des remaniements des rites (notamment autour des rites entourant les patriarches) qu’il considérait comme incohérents au fur et à mesure des évolutions géographiques et chronologiques319. Ibrāhīm plaçait également des commentaires marginaux pour expliquer ou compléter les textes. Cette conscience culturelle, quasi scientifique, se retrouve dans l’intérêt qu’il mit à la production de ses icônes. Bernard Heyberger a

317 Je cite ici quelques exemples d’ouvrages dont la consultation par Ibrāhīm al-Nāsiḫ est assurée et qui ont pu être identifiés par Magdi Guirguis lorsque la bibliothèque patriarcale et la bibliothèque du Musée copte étaient encore accessibles :

- al-Šayḫ al-Rūḥānī avec index, Bibliothèque du Patriarcat copte, inv. 235/153 théologie.

- Les quatre Évangiles avec les dix commandements, Bibliothèque du Patriarcat copte, inv. 6/207 biblique.

- Exégèse de l’Évangile selon Matthieu par Samʿān ibn Kalīl, Bibliothèque du Patriarcat copte, inv. 263/31 théologie.

- Rite de funérailles des patriarches, Bibliothèque du Patriarcat copte, inv. 724/100 liturgie. L’ouvrage a été lu et complété par le peintre qui le considérait, semble-t-il, comme incomplet.

- Épitres et Actes des apôtres, version copte-arabe, donné par le Patriarcat copte au Musée copte (M.C. 94 Bibl.) : LEROY 1974, p. 174-177 (Jules Leroy fait état de nombreuses notes dans le volume antérieures à l’intervention d’Ibrāhīm). L’ouvrage, daté de 1249/1250, renferme plusieurs miniatures dont l’une représente les apôtres : SIMAÏKA 1937, p. 6. Ibrāhīm y a inscrit : « Lu par l’humble Ibrāhīm al-Nāsiḫ à Ḥārat al-Rūm et l’a trouvé correct, complet dans son explication, correct dans son écriture, que Dieu ait miséricorde de son copiste dans le Paradis ». Le premier volume de ce livre est conservé à la bibliothèque de l’Institut catholique de Paris (Copte-Arabe 1). Ce dernier semble avoir été acquis auprès du patriarche Cyrille V par Émile Amélineau avant d’être revendu en 1885 à Mgr Maurice Le Sage d’Hauteroche d’Hulst, premier recteur de l’Institut catholique de Paris : LEROY 1974, p. 157-174.

318 GUIRGUIS 2008, p. 76.

319 Dans son édition du Siège des nouveaux évêques, en 1769, conservée à la bibliothèque patriarcale (MS 844/110 liturgie), il laisse l’indication : « […] a été copié à partir de quatre livres : à al-Muʿallaqā, Abū Sīfīn, Ḥārat al-Rūm et à la cellule patriarcale, car à chaque époque, le rite change […], car les quatre monastères avaient un rite, et à Alexandrie un autre rite et maintenant à Miṣr un rite » : GUIRGUIS

montré que c’est la volonté réformatrice du clergé des Églises en Orient au cours des

XVIIe et XVIIIe siècle qui a encouragé cette dynamique320. En Syrie, le patriarche melkite Makāryus Al-Za‘īm (1647-1672) encouragea fortement ses prélats à s’instruire par la lecture et par l’écriture. Ce mode de pensée et la recherche d’ouvrages permirent notamment un renouveau de la peinture par l’enluminure de manuscrits puis par l’icône321.

Concernant les rapports qu’entretenaient Ibrāhīm et Yūḥannā, une seule hypothèse a toujours été retenue, celle du rapport de maître à élève322. Les arguments justifiant cette position sont les suivants. Tout d’abord, nous ne sommes actuellement pas en mesure d’identifier une icône peinte par Yūḥannā seul avant la collaboration entre les deux hommes. Dans les dernières publications sur Yūḥannā al-Armanī qui ne prenaient pas en compte l’ensemble des œuvres des deux artistes 323, la date du début de l’activité de Yūḥannā, et donc de la collaboration avec Ibrāhīm, était fixée à 1742 : il s’agit d’une icône de la Vierge Hodegetria couronnée, conservée au Musée copte du Caire (Y 08)324. Ce panneau représente la Vierge Marie assise sur un trône orné, portant l’Enfant du bras gauche, tandis que deux anges la couronnent. Les visages sont quelque peu frustes, mais les traits de Yūḥannā et Ibrāhīm sont déjà largement reconnaissables325. Or, la mise au jour d’une date sur un ensemble d’icônes portant les noms des deux artistes, placé dans la partie supérieure de l’écran de sanctuaire de l’église Saint-Ménas du monastère de Fum al-Ḫālīǧ (Y 01 à Y 07), a permis de remettre en question la forme de lien qui existait entre les deux hommes326. Pourquoi faire figurer le nom de Yūḥannā s’il n’est qu’un élève, et vis-versa ? Cette série, constituée en son centre d’une Vierge et l’Enfant entourée des douze apôtres est datée de 1456 de l’ère des Martyrs (1740)327. Il pourrait aussi sembler étonnant qu’une série

320 HEYBERGER, à paraître.

321 Yūsuf al-Muṣawwir (mort avant 1666) est le fondateur d’une dynastie de peintres-illustrateurs à Alep dans l’entourage de Makāryus : AGEMIAN 1969, p. 95- 126 ; AGEMIAN 1973, p. 91-113 ; AGEMIAN 1991, p. 189-242 ; NASSIF 2017a.

322 Ce rapport se révèle toutefois particulièrement versatile chez les auteurs. Si Otto Meinardus y voit une sincère amitié entre les deux hommes, Cawthra Mulock et Martin T. Langdon interprètent le peintre arménien comme étant le « masterhand » : MULOCK,LANGDON 1946, p. 12 ; MEINARDUS 1990, p. 92. Dans une vision plus égypto-centrée, Youhanna Nessim Youssef inverse la tendance et fait d’Ibrāhīm al-Nāsiḫ le maître de Yūḥannā al-Armanī : YOUSSEF 2003, p. 443.

323 GUIRGUIS 2008, p. 76.

324 Le Caire, Musée copte, M.C. 3351. MOORSEL,IMMERZEEL,LANGEN 1994, p. 18 n° 9.

325 D’après les peintures réalisées a posteriori, je tend à attribuer la composition et les vêtements à Yūḥannā tandis que les visages, aux teins gris, pourraient être effectués par Ibrāhīm.

326 SHAFIK 2008, p. 114-117.

327 La date n’est pas indiquée en chiffres indiens mais en copte cursif. Voir 3.2.2. Période de production et systèmes de datations.

de cette importance puisse être la première collaboration des deux peintres et malgré un nombre conséquent d’icônes conservées, des destructions ont notamment existé au

XIXe siècle328.

Magdi Guirguis329, comme une majorité d’auteurs, pour étayer l’hypothèse d’un maître Ibrāhīm face à l’élève Yūḥannā, reprend l’argumentaire développé en détail par des chercheurs égyptiens comme Nubar Der Mikaelian ou Shuruq Muhammad ‘Ashur330. Ces derniers indiquent, à juste titre, que l’on connaît des œuvres d’Ibrāhīm qu’il a signées seul, à savoir des manuscrits, avant la date de 1740. C’est en partie, je l’ai évoqué, ce qui lui a permis d’étendre sa notoriété. Le plus ancien manuscrit que nous connaissions de sa main est ainsi daté de 1737, et est conservé à la bibliothèque du Patriarcat copte331. Les auteurs qui considèrent une antériorité au style et à la manière d’Ibrāhīm ajoutent également que le principal apport de Yūḥannā, dans cette collaboration entre les deux artistes, ne tient que par l’adjonction d’une nouvelle palette de couleurs et non par une contribution stylistique332.

Je reprends plus précisément l’argumentation de Shuruq Muhammad ‘Ashur, qui fit en 1999 un travail plus poussé sur les moyens de la collaboration entre Yūḥannā al-Armanī et Ibrāhīm al-Nāsiḫ. Il considère que le travail le plus important effectué par le duo fut l’église Saint-Mercure (Abū Sīfīn) près du Vieux-Caire333. Il apparaîtrait, selon lui mais sans apporter la preuve, qu’Ibrāhīm obtint un contrat pour restaurer et décorer l’église. Cette lourde charge incluait la reconstruction des structures, la restauration, la peinture, la décoration des murs, les ciboires, les icônes (anciennes et nouvelles), et le travail de menuiserie pour les écrans de sanctuaires et différents panneaux de bois. Je l’ai montré précédemment, Ibrāhīm décrivit tout ce projet dans un ensemble de notes aux marges de l’un des manuscrits conservé dans la bibliothèque de l’église334. De manière assez naturelle, le texte indique qu’Ibrāhīm fut également

328 AUBER DE LAPIERRE 2015, p. 31.

329 GUIRGUIS 2008, p. 76-77.

330 Le manuscrit de Nubar Der Mikaelian intitulé « al-muṣawwir Yūḥannā al-Qudsī fi Miṣr » est un manuscrit déposé à la Société des Amis de la culture arménienne du Caire qui a servi de base de travail à Magdi Guirguis pour sa biographie historique du peintre arménien. MUHAMMAD ‘ASHUR 1999.

331 Le Caire, bibliothèque du Patriarcat copte, MS 79/124 Bible. Le manuscrit débute, selon Magdi Guirguis qui a pu avoir le manuscrit entre les mains et qui m’a permis d’en voir une photographie, par une image de saint Jean : GUIRGUIS 2008, p. 76.

332 Magdi Guirguis reprend en l’état l’argument de Nubar Der Mikaelian : GUIRGUIS 2008, p. 76.

333 Il prend notamment en considération les séries Y 19 à Y 29, Y 105 à Y 113 et Y 114 à Y 158.

334 Le Caire, bibliothèque du monastère Saint-Mercure au Caire, MS 19 liturgie, f° 172 recto. Cf. note 35.

chargé de copier de nouveaux manuscrits pour l’église et de restaurer les anciens volumes déjà présents. Ainsi Ibrāhīm al-Nāsiḫ semble-t-il, selon cette démonstration, être le principal entrepreneur du projet, et a-t-il dû ensuite déléguer sa charge à divers associés, dont Yūḥannā al-Armanī. Toujours selon Shuruq Muhammad ‘Ashur, l’étude des icônes de l’église Abū Sīfīn confirme cette version. La plupart des icônes de l’église semblent, pour le chercheur, ne pas avoir été cosignées par les deux artistes, ce qui indiquerait un réel partage des tâches entre Ibrāhīm et Yūḥannā, sans compter l’aide d’autres collaborateurs qui permit de réaliser l’exploit de peindre des icônes pour toute une église335. M. Muhammad ‘Ashur pense que, pour une majorité d’icônes, les décors les moins visibles ou les moins importants auraient pu être traités par des assistants. Il explique de cette manière, par exemple, les irrégularités de qualité et les erreurs observées entre l’exécution des visages et le bas des corps336. Ainsi, le long développement de cette hypothèse amène à considérer que Yūḥannā al-Armanī aurait été, au début de sa carrière, l’élève ou le disciple d’Ibrāhīm al-Nāsiḫ, avant de devenir un peintre à part entière, capable d’obtenir des contrats, ce qui pourrait expliquer la fin de leur collaboration à une date donnée. Ce que révèle pourtant cet argumentaire est qu’il n’est porté aucune attention aux noms laissés par les artistes sur les panneaux et encore aux dates qui y figurent, pourtant cruciales. Si la Deesis (Y 19 à Y 29) réalisée par Ibrāhīm et Yūḥannā en 1165 de l’Hégire (1751/1752) correspond bien à leur