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3. Un peintre connecté à l’Orient et à l’Occident

3.4. Un peintre « occidentaliste »

Alfred J. Butler est l’un des premiers observateurs des icônes ottomanes au Caire, dans la seconde moitié du XIXe siècle, à constater un lien possible avec la peinture occidentale :

« The Virgin has a fixed look, perhaps too apathetic to be called pensive. Still, the picture is pleasing, and recalls Albert Durer’s treatment of the same subject. »660

La représentation de la croix latine dans l’art chrétien d’Égypte est une chose peu courante661. Yūḥannā al-Armanī est l’auteur, en 1777, d’une importante icône de l’Exaltation de la Vraie Croix pour l’église de la Vierge-Marie dite al-Muʿallaqā (Y

659 Sur l’implantation du culte des archanges en Égypte byzantine et après la conquête arabe : ROCHARD

2018, p. 117-135.

660 BUTLER 1884, I, p. 82.

661 Dans les manuscrits de liturgie copte médiévaux et modernes, il est fréquent de constater la présence de croix gemmées souvent portant un drapé. Le thème est bien fréquent dans les régions levantines, grecques ou russes.

69). Les saints Constantin et Hélène sont placés de part et d’autre d’une croix monumentale, vêtus d’habits mêlant les dignités impériale et religieuse. L’originalité d’un tel panneau ne tient pas seulement à la présence de la croix mais également au fait que la mère et son fils soient pourvus d’attributs royaux empruntés à l’Europe occidentale : un manteau de sacre doublé de fourrure d’hermines, de sceptres et de couronnes impériales. De plus, ce panneau n’est pas un unicum puisque Yūḥannā al-Armanī en fit une autre représentation, la même année, pour l’église Saint-Mercure (Y 156 et Y 157). Deux panneaux similaires sont attribués au peintre : le premier se trouve dans l’église Saint-Théodore (A 129) et le second, daté de 1783 est conservé dans l’église Sainte-Barbe (A 191)662. Or, c’est justement dans cette dernière église que l’on peut découvrir une icône, une toile sur châssis, représentant cette même Exaltation de la Vraie Croix (figure 17)663. La composition est identique aux panneaux de Yūḥannā al-Armanī. Une croix monumentale pourvue de deux traverses est placée au centre sur fond bleu. À gauche, Constantin porte une longue tunique verte ceinturée et un long manteau tandis qu’il tient un sceptre dans sa main droite et porte une couronne fermée. À droite, dans la même attitude, Hélène est vêtue d’une longue tunique et de surplis sur lesquels est placé un manteau richement décoré de motifs floraux et doublé d’hermine. Elle tient un sceptre dans la main gauche et porte une couronne fermée identique à celle de son fils. Cette œuvre remarquable, autant par le jeu des contrastes entre sobriété de la composition et richesse des parures, n’est pourtant pas signée. Toutefois, cette image est aujourd’hui le pendant dans l’église d’une autre toile, Le Massacre des Innocents, attribuée à un artiste arménien du milieu du XVIIe siècle664. La mise en scène dramatique de cette œuvre laisse entrevoir un enchevêtrement complexe de corps de soldats tuant des enfants éparpillés tandis que les mères les pleurent ou tentent de les protéger des terribles assauts. Ce fourmillement de corps est disposé parmi des bâtiments à l’architecture italienne. La touche et les couleurs utilisées rappellent plutôt les artistes flamands dont le résultat obtenu n’est

662 La première icône (A 129) est attribuée d’après le nom que Yūḥannā al-Armanī a laissé sur la dédicace de la Vierge et l’Enfant entourée des douze apôtres couronnant l’écran de sanctuaire principal (Y 162 à Y 168). Les panneaux placés dans le bas-côté de l’église, dont cette Exaltation de la Vraie

Croix, sont de même style, et présentent une gamme chromatique et des bordures identiques. La

seconde icône (A 191) est attribué à Yūḥannā al-Armanī grâce à la bordure chevronnée du panneau, analogue aux panneaux conservés dans l’église Saints-Serge-et-Bacchus portant le nom du peintre (Y

177 à Y 181).

663 La toile est installée au revers de la façade principale de l’église Sainte-Barbe.

664 Cette attribution est due à la longue inscription en arménien qui y figure. Toutefois, il pourrait s’agir d’une œuvre qui a reçu une inscription dédicatoire a posteriori : SKALOVA,GABRA 2006, p. 218-219.

pas sans évoquer les peintures murales réalisées à la même période dans les églises arméniennes de la Nouvelle-Djoulfa665. Cette dernière est née de la volonté d’Abbas Ier, cinquième shâh de la dynastie safavide en Iran, pour y réunir les Arméniens déportés près de sa capitale

qu’il aménageait fastueusement depuis 1592,

Ispahan. À la suite des avancées des armées ottomanes aux frontières occidentales de l’Empire safavide au milieu du XVIe

siècle, et particulièrement en

Arménie historique, le pouvoir iranien pratiqua une politique de la terre brûlée et débuta la Grande Déportation des populations de ces espaces au début du XVIIe siècle au cours de laquelle disparurent de nombreux individus666. Zuzana Skálová expose d’ailleurs dans son commentaire du Massacre des Innocents qu’un tel réalisme pictural pourrait être le témoignage d’un raid similaire vécu par l’artiste (figure 18). C’est peut-être également au cours de ce XVIIe siècle que la famille de Y!"ann# al-Arman$ débuta sa migration ; les Arméniens affluent dans tout l’Empire ottoman depuis l’Anatolie et la Crimée depuis la conquête de Constantinople et deviennent les éléments les plus actifs de l’artisanat et du commerce667. Le pouvoir safavide ayant connaissance des richesses produites par les artisans arméniens locaux, 10 000 à 12 000 habitants des xoja d’Erevan, d’Agulis et surtout de Djoulfa furent déplacés

665 HAKHNAZARIAN,MEHRABIAN,MINASSIAN 1992.

666 Sur la question de la déportation des Arméniens en Iran et sur leurs activités commerciales : Aslanian 2011.

667 ZEKIYAN 2015, p. 115.

Figure 17. Artiste arménien (?), Exaltation de la Vraie Croix, Le Caire, église Sainte-Barbe

près d’Ispahan668. Shâh Abbas, qui avait parfaitement compris en 1603 l’enjeu économique qu’ils représentaient, était décidé à les protéger à tout prix, pour son seul profit, et leur réservait une résidence privilégiée. Un territoire de quelque deux cents trente hectares leur fut alloué sur la rive droite du Zayandeh Rud. Ils y furent invités à bâtir leur propre cité, placée sous la protection de la reine-mère, Khayr al-Nissa Begum, et bénéficiant d’une complète autonomie et d’une administration exercée par la population arménienne. Près de vingt-quatre églises furent construites de 1606 à 1695, dont la cathédrale Saint-Sauveur sur la grande place entre 1655 et 1664669. Celle-ci et l’église de Bethléem, édifiée en 1628,

révèlent les plus belles peintures aux artistes arméniens qui firent la réputation de la communauté. De nombreux artistes issus de cette école de la Nouvelle-Djoulfa vinrent en Égypte et y laissèrent notamment les deux toiles évoquées. Ces deux exemples ne sont d’ailleurs pas les seuls témoignages de leur présence. Outre le saint cavalier découvert dans le « cimetière national » arménien de l’église Saint-Ménas préalablement mentionné670, plusieurs icônes attribuées à des artistes arméniens des

XVIIIe et XIXe siècles sont également conservées dans la cathédrale arménienne apostolique Saint-Grégoire-l’Illuminateur du Caire671 et dans des églises coptes672.

L’art de la Nouvelle-Djoulfa se caractérise au XVIIe siècle par un renouveau de l’iconographie et des techniques. Le premier facteur est l’imitation d’œuvres plus anciennes du fait du déracinement de la communauté pour s’implanter à Ispahan673. Les manuscrits à peintures des XIIe-XIVe siècles, déjà marqués par des apports

668 La ville de Djoulfa fut détruite dès leur départ pour empêcher tout retour.

669 GHOUGASSIAN 1998, p. 29.

670 Voir 1.2.1.

671 L’édifice a été construit en 1928, avenue de la Reine-Nazli (actuelle rue Ramsès).

672 SKALOVA,GABRA 2006, p. 129.

673 TER-YOVHANIANTS 1881 ; GHOUGASSIAN 1998 ; KHATCHIKYAN,TER-STEPANYAN 2007, p. 435-436 et 447-449.

Figure 18. Artiste arménien (?), Massacre des

occidentaux, ont été emportés par les clercs et les copistes et vont servir de références en cette terre d’exil674. D’autre part, un nouvel apport occidental se développe grâce au négoce international675. Enfin, comme on le remarque pour l’art de Yūḥannā al-Armanī en Égypte, c’est la gravure de reproduction, à la Nouvelle-Djoulfa, qui possède un rôle essentiel dans le renouveau artistique de la période.

Sarah Laporte-Eftekharian a ainsi pu mettre en valeur dans ses travaux le rôle que prit l’estampe des écoles du nord de l’Europe dans l’art de la Nouvelle-Djoulfa676. Elle a examiné dans le chœur de l’église de Bethléem de la Nouvelle-Djoulfa une Adoration des Mages dans la manière de Vaspurakan677. Cette « manière » qu’elle identifie est basée sur une analyse stylistique de l’œuvre qui consiste en l’observation des plissés des vêtements, des yeux aux sourcils épais et d’un sol semé de fleurs. Elle y remarque également une « influence perso-mongole » pour le traitement des arbres et des rochers. Pourtant, la disposition des personnages, si particulière, et leur attitude lui permettent d’aller plus loin dans l’analyse et d’y retrouver un modèle occidental, à savoir une estampe gravée par Johann I. Sadeler d’après un dessin de Marteen de Vos, datée de 1585. Chez Yūḥannā al-Armanī, des inspirations venues du monde iranien puis du Levant se retrouvent aisément à l’instar des bordures ornées de cartouches semés de fleurs dorées, semblables à celles que l’on voit sur les pages enluminées, sur les icônes des saints Mercure et Ménas (Y 47 et Y 48)678. L’estampe est une clef de compréhension des mécanismes artistiques de cette période, aussi bien en Iran qu’au Levant et en Égypte avec Yūḥannā al-Armanī. C’est ainsi que l’on peut créer des filiations entre la peinture de saint Nersès, coiffé d’une mitre, de l’église de Bethléem de la Nouvelle-Djoulfa, avec une estampe de 1693 de saint Grégoire l’Illuminateur vêtu à l’identique679 et la figure d’un prêtre par Yūḥannā al-Armanī dans une icône représentant David recevant l’onction par Samuel (Y 136).

674 DER NERSESSIAN 1958, p. XL.

675 Les Arméniens possédant autonomie et privilèges en profitèrent pour s’adjuger le monopole du commerce de la soie, une marchandise indispensable dans les échanges internationaux de cette époque. Les marchands acquirent une telle puissance qu’ils réussirent à favoriser la pénétration des capitaux européens sur les marchés iraniens et qu’ils commencèrent à fonder des compagnies commerciales. La Compagnie commerciale arménienne de Djoulfa signa un accord avec la Russie en 1667 et 1673, qui lui donna le droit de commercer librement avec ce pays, ainsi qu’avec les pays européens, à condition que ce commerce passe par le territoire russe : ASLANIAN 2011 ; MAHE,MAHE 2012, p. 377-378.

676 LAPORTE-EFTEKHARIAN 2006.

677 LAPORTE-EFTEKHARIAN 2011, p. 93.

678 L’icône de sainte Lucie par Kirillos al-Dimachqi, datée vers 1765-1775 et conservée dans une collection particulière libanaise présente les mêmes spécificités que l’on peut rapprocher des bordures des manuscrits à peintures iraniens : LA CROIX 2003, p. 43-44.

L’apparition du livre arménien se fait tout d’abord à Venise, grande capitale de l’imprimerie, en 1512680. Ce haut lieu de la présence arménienne681, plus commode, voit naître les prémices de ces publications avant qu’ils ne s’étendent à Constantinople et à Rome afin de se rapprocher des communautés arméniennes d’Orient. Entre la seconde moitié du XVIe et la première du XVIIe siècle, le livre arménien se rapproche ainsi des autorités pontificales à Rome afin d’obtenir les autorisations de publier, notamment la Bible, dans les États catholiques. Ce phénomène a des incidences sur son évolution avec l’influence de la censure romaine sur les déplacements des ateliers arméniens qui entraîne une rivalité entre l’Église arménienne et Rome. Après la tenue du concile de Ferrare-Florence (1438-1441) qui a réuni les Églises d’Orient et d’Occident, la papauté souhaite en concrétiser les conclusions et obtenir l’union entre les Églises682. À partir du XVIe siècle, à la suite du concile de Trente (1545-1563) et de la Contre-Réforme, le pape s’appuie sur ses missions catholiques et sur l’imprimerie afin de répandre la bonne parole683. La fondation, en 1622, de la congrégation « De

Propaganda Fide » par Grégoire XV684 répond à cette volonté de propager la foi chrétienne et d’unir l’Église685. La congrégation, tout en obéissant aux princes des

680 Jusqu’au XVIe siècle, la transmission écrite n’était assurée que par les seuls clercs avec leurs manuscrits réalisés dans les monastères de l’Arménie historique : NICHANIAN, SORDET 2012, p. 23 ; ASLANIAN 2014, p. 51-93.

681 Des marchands et artisans arméniens y sont établis depuis le Moyen Âge et entretiennent des liens forts avec le royaume de Cilicie. Après la disparition de ce dernier, de nouveaux marchands viennent grossir les rangs des Arméniens dans la Sérénissime.

682 RICHARD 1977, p. 47-62 et 265-272 ; VASOLI 1994, p. 3-25. L’union réalisée au concile ne survit pas à la prise de Constantinople en 1453.

683 HAJJAR 1962 ; HEYBERGER 1989b, p. 897-909 ; HEYBERGER 1994, p. 232-239.

684 La Sacra Congregatio de Propaganda Fide, promulguée par la Bulle Inscrutabili Divinae du pape Grégoire XV le 22 juin 1622, est un dicastère chargé de la propagation de la Foi et des œuvres missionnaires de l’Église. Elle vise à l’union des Églises tout comme à promouvoir et organiser la mission parmi les non chrétiens. Elle prend le nom de Congrégation pour l’évangélisation des peuples (Congregatio pro Gentium Evangelizatione) à compter de la Constitution apostolique Pastor Bonus du pape Jean-Paul II et s’attache plus particulièrement à la recherche en théologie de la mission et au travail pastoral (art. 86 de la Constitution apostolique). La diffusion des ouvrages contrôlés par la congrégation a eu un rôle majeur dans l’évolution de l’art chrétien oriental comme il est possible de l’observer dans la partie consacrée au peintre « occidentaliste ». Parmi les nombreux ouvrages sur le fonctionnement de la Propagande et son impact en Orient : METZLER 1973, p. 146-196 ; HEYBERGER

1994, p. 227-231 ; PRUDHOMME 1994 ; HEYBERGER 1997, p. 539-554.

685 Bernard Heyberger rappelle dans son ouvrage un passage important de l’encyclique aux nonces de Grégoire XV au moment de la fondation de la congrégation : « L’office suprême du Pape embrasse tout ce qui peut appartenir au salut des âmes, mais rien davantage que le soin de la foi catholique, à l’intérieur duquel deux œuvres sont nécessaires, l’une de la conserver chez les fidèles, les contraignant même avec des peines à la garder fermement, l’autre de la propager parmi les infidèles ; c’est pourquoi la Sainte Église a retenu deux manières de procéder, l’une judiciaire, pour laquelle on a institué la Sainte Inquisition, et l’autre morale ou plutôt apostolique, d’où l’envoi continuel de Missions des ouvriers parmi les peuples qui en ont le plus besoin […] » : Collectanea Sacrae Congregationis de

Propaganda Fide seu Decreta Instructiones Rescripta pro Apostolicis Missionibus, 1907, p. 1 ;

territoires où les missionnaires sont envoyés, doit attirer les fidèles, hérétiques et schismatiques, à la conversion. Toutefois, après la fâcheuse expérience américaine, aucune action politique ne doit venir entacher la mission686. Une partie du travail de conversion des missionnaires passe alors par l’image et le livre687. La Propagande développe alors la publication d’ouvrages diffusés par les missionnaires mais également offerts aux élèves orientaux formés à Rome ou envoyés directement auprès des patriarches688. Ces volumes participent directement au contrôle que Rome souhaite exercer sur la liturgie et la fonction sacerdotale sur ces territoires. Dès 1626, une typographie polyglotte fut établie au sein de la congrégation afin de répondre aux besoins des missions dans les langues des populations689. Avant cela, dans les premières années du XVIIe siècle, le grand-duc de Toscane Ferdinand Ier de Médicis fonda la Typographia Medicea dans l’élan des missions catholiques afin de soutenir les ambitions orientales. L’imprimerie publie des ouvrages en arabe, en chaldéen, en turc, en persan et en copte690. La Propagande publie en 1642 à destination de la diaspora arménienne un premier missel bilingue arménien-latin. Quelques années plus tard, le père théatin Clemente Galano publie en 1650 son grand œuvre théologique pour dénoncer les « erreurs » de l’Église arménienne, le Conciliatio ecclesiae

Armenae cum Romana. L’expertise des missionnaires catholiques était ainsi relayée

par tout un arsenal d’ouvrages qui permettaient de répondre à toutes les questions des populations locales. Le catholicos Moïse III de Tatev mobilisa ses forces et décida la fondation, entre 1630 et 1633, d’une école et d’une imprimerie à Rome financés par les marchands originaires de la Nouvelle-Djoulfa691. D’autres imprimeries voient

686 La pensée du carme Thomas a Jesu, issue des écrits du jésuite José de Acosta, est rappelée par Bernard Heyberger : « [il] rejette tout recours à la contrainte et à la menace, insistant sur la libre adhésion à la foi chrétienne. Il recommande, pour convaincre, la patience, le bon exemple, la bienfaisance, et la persuasion rationnelle » : HEYBERGER 1994, p. 229.

687 HEYBERGER 1989a, p. 527-555. Lors de la fondation de la Propaganda Fide, son Secrétaire, Francesco Ingoli, mentionne trois moyens pour convertir les nations orientales : les armes, les livres et la prédication : HEYBERGER 1994, p. 189. Afin d’accompagner et d’instruire les clergés locaux, la Propagande envoyait également des ornements et instruments liturgiques : HEYBERGER 1994, p. 406-407.

688 HEYBERGER 1994, p. 407 ; HEYBERGER 1999, p. 209-223.

689 Dès sa fondation, l’imprimerie se dote de fontes grecques et latines trouvées à Rome mais également de caractères cyrilliques, arabes, illyriens et arméniens afin de mener à bien son œuvre : PIZZORUSSO

2011, p. 25-40.

690 Sur les caractères utilisés par la Typographie médicéenne : HEYBERGER 1994, p. 187 ; FANI,FARINA

2012, p. 204-209.

ensuite le jour à la Nouvelle-Djoulfa (1638-1647), à Erevan (1660-1718), ou encore Amsterdam (1685-1718)692. Les premières tentatives d’impression en Iran furent problématiques, que ce soit pour l’acquisition du papier ou pour la fabrication des poinçons et des matrices. En 1638, un psautier sort de la presse. Il s’agit du tout premier volume imprimé dans l’empire safavide, toutes langues confondues. Y jouissant d’une certaine liberté, ce sont pas moins de trente-deux ouvrages qui seront publiés là entre 1685 et 1718. En ce qui concerne les publications religieuses, on y trouve les livres qui reflètent les

positions traditionnelles de l’Église arménienne693 mais aussi un succès de librairie catholique, l’Imitatio

Christi (1696)694. Toutefois, dans le cadre de cette étude, ce n’est pas la théologie des textes qui importe forcément mais plutôt leur diffusion et leurs illustrations.

L’historiographie du Caire permet d’aller plus loin en ce

domaine. Les références, lorsque l’on étudie Y!"ann# al-Arman$, peuvent être nombreuses. Toutefois, s’il est parfois possible de prendre en référence un texte comme La Légende dorée de Jacques de Voragine, la lecture d’un tel récit par le peintre semble bien improbable695. La clef est ainsi le quartier du Musk$ dans lequel il vivait. Celui-ci a été décrit à plusieurs reprises, aussi bien pour la présence de la communauté arménienne que pour l’implantation du peintre. Toutefois, il manquait encore une chose pour comprendre cet art, la présence d’une mission catholique. En quête de sources d’inspiration, l’artiste cherchait dans les livres, à l’instar d’Ibr#h$m al-N#si%. L’un des lieux privilégiés alors au Caire pouvait être la bibliothèque des Pères franciscains qui se trouvait à quelques rues de son domicile. L’imposante bâtisse

692 NICHANIAN, SORDET 2012, p. 23-42.

693KEVORKIAN1983, p. 589-599.

694 La première édition romaine sortie des presses de la « Propaganda Fide » de cet ouvrage avait été réalisée en 1674 : NICHANIAN, SORDET 2012, p. 153-154. Des passages de cet ouvrage mémorisé par les enfants scolarisés au Levant avec les prières de base, le catéchisme et quelques textes des Psaumes formaient le fondement de leur apprentissage : HEYBERGER 1994, p. 559.

695 Il n’existe pas au XVIIIe siècle de traduction en arabe du récit de Jacques de Voragine. Toutefois, j’en ai retrouvé un exemplaire illustré édité en latin à Anvers au XVIIe siècle dans la bibliothèque de la mission franciscaine du Caire.

Figure 19. Le Caire, Centre pour les études chrétiennes orientales (Custodie de Terre Sainte).

du XIXe siècle conserve encore aujourd’hui l’ensemble des bibliothèques catholiques des missionnaires d’antan (figure 19)696. Arménien apostolique, Y!"ann# al-Arman$ est un sujet idéal pour les Franciscains du Caire. Ces derniers sont par ailleurs proches des Arméniens d’Égypte puisque, d’une part, ils sont établis tout près de la principale église arménienne de la ville697, mais également parce qu’ils sont chargés des registres