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Enluminures, textes et patriarches : la matérialité liturgique des coptes comme inspiration

3. Un peintre connecté à l’Orient et à l’Occident

3.6. Enluminures, textes et patriarches : la matérialité liturgique des coptes comme inspiration

La peinture religieuse européenne a largement développé, à la suite de Fra Angelico au milieu du XVe siècle, le principe de la sainte conversation entre les personnages. Cette attitude statique des figures est comparable au caractère donné aux icônes dans le monde orthodoxe. Toutefois, les transformations artistiques post-tridentines introduisent un plus grand lyrisme afin de marquer les fidèles. À travers les panneaux que j’évoquais pour l’église Saint-Mercure, nous remarquons de nombreux traits d’innovation qui ne faisaient pas partie des programmes iconographiques développés auparavant dans les églises. Ainsi, outre les grandes fêtes liées à la célébration du Christ et de sa Mère, Yūḥannā al-Armanī et son atelier, en charge des icônes se situant tout autour du khurus de l’église, ont ajouté près de quarante-cinq panneaux évoquant des scènes, parfois inédites dans l’art égyptien, de l’Ancien et du Nouveau Testament (Y 114 à Y 158). De très grande qualité, ces illustrations peintes sous des arcatures portent, sur l’une d’entre elles, la signature de Yūḥannā mentionnant la date de 1493 de l’ère des Martyrs (1777). Ces panneaux mesurent chacun trente centimètres de large environ sur une cinquantaine de centimètres de haut et font partie des productions chrétiennes d’Égypte parmi les plus marquantes du

XVIIIe siècle. Ces thèmes, nouvellement exploités dans l’art de l’icône sont souvent issus de la peinture de manuscrits illustrés763. À cette époque, ces deux pratiques artistiques étaient très liées. Outre les documents d’archives attestant ce lien très étroit, la découverte d’un psautier conservé à la bibliothèque patriarcale du monastère Saint-Ménas de Mariout a permis de corroborer cette hypothèse764. En effet, cet ouvrage présente une peinture du roi David chantant devant l’Arche d’Alliance, s’accompagnant d’un instrument de musique, dans le même style que celui de Yūḥannā que l’on peut retrouver dans plusieurs manuscrits contemporains (figure 31)765. Le manuscrit a été rédigé et enluminé en 1489 de l’ère des Martyrs

763 Marie-Hélène Bayle a également pu mettre en évidence la perméabilité qui existe dans les miniatures entre les peintures chrétiennes et musulmanes au XVIIe siècle. Outre le fait que le Roman de Barlaam et

Joasaph de la Bibliothèque apostolique vaticane (Vaticanus arabo 692) ait été illustré par des peintres

coptes avec des poncifs arabo-musulmans, elle y remarque également une persistance de caractéristiques de la peinture prémongole : BAYLE 1996, p. 169-178.

764 Il s’agit du psautier référencé sous le numéro d’inventaire Bibl. n° 184 ; ATALLA 1998, II, p. 130.

765 Un manuscrit du Romand de Barlaam et Joasaph de la Bibliothèque nationale de France (arabe 274) daté de 1494 de l’ère des Martyrs (1778) est illustré de trente-six enluminures répondant au style de Yūḥannā al-Armanī. Le colophon indique que la copie a été exécutée par le prêtre Ǧirǧis du

Vieux-(1773)766. Une icône, semblable en tout point quant à l’iconographie, ne laisse aucun doute sur son origine et sa source d’inspiration (Y 125). Celle-ci, faisant partie des panneaux que nous venons d’évoquer pour l’église Saint-Mercure, a donc été réalisée par l’atelier de Y!"ann# al-Arman$ en 1777. L’enluminure peinte en Égypte agit comme source d’inspiration. Or, si nous remontons encore plus loin dans les sources iconographiques de ce type de représentation, il est possible d’en découvrir une origine potentielle. Thème peu répandu en Égypte, alors que les psaumes sont si importants dans la liturgie copte orthodoxe, la représentation

du roi David a pu être retrouvée dans les sources imprimées disponibles à cette époque-là au Caire. Parmi les nombreux livres présents dans la bibliothèque des pères franciscains de la custodie de Terre Sainte du Caire, j’ai découvert un exemplaire d’un psautier illustré, écrit en copte et en arabe, imprimé à Rome en 1744767. En page quatre de l’ouvrage, on remarque la représentation du roi David, assis, vêtu d’une riche draperie et coiffé d’un turban, jouant d’une harpe apportée par un ange apparaissant dans une nuée. Le style correspond aux réalisations italiennes des XVIIe et

XVIIIe siècles. En outre, la harpe tenue par le prophète, de petite dimension, est issue des modèles du Moyen-Âge occidental, en usage à l’époque moderne pour accompagner les chants768. Ce type d’instrument était alors inconnu en Égypte.

Bien que n’étant pas d’ascendance égyptienne et bien que n’étant pas copte, Y!"ann# al-Arman$ sait puiser parmi les éléments à sa disposition pour séduire ses commanditaires. Il est ainsi possible de déceler de nombreuses références coptes dans la peinture de Y!"ann#. Ceci, on vient de le voir, peut se faire grâce aux manuscrits à peintures mais aussi par des accessoires, comme cette couronne tenue dans la main

Caire pour un moi du mont &asm#niyya. Aucune mention n’est faite du nom de l’enlumineur : GUESDON,VERNAY-NOURI 2001, p. 137, n° 101.

766La date, indiquée dans le colophon, est donnée par Nabil Selim Atalla dans sa publication mais il ne mentionne pas le nom du peintre. Le style est néanmoins très proche de celui de Y!"ann# al-Arman$. Le manuscrit est désormais rendu inaccessible par les autorités patriarcales.

767 La ville d’édition de l’ouvrage et la date figurent sur l’inventaire de ouvrage (inv. 146 G 15) et ont été ajoutés à la main sur la première page. La qualité du papier et de la reliure semble confirmer une datation du milieu du XVIIIe siècle.

768 Le modèle est comparable à la harpe conservée au Musée de la musique de Paris (inv. E.20), qui est datée du XVIIIe siècle et mesure 31 cm.

Figure 31. David chantant devant

l’Arche d’Alliance, 1773, Bibl n°

droite de saint Étienne (Y 31). Anodine au premier abord, sa forme caractéristique est très différente de celles vues dans le cas de l’Exaltation de la Vraie Croix (Y 69). Un exemple similaire de couronne est conservé au Musée copte du Caire769. De forme circulaire, son rebord est haut et une calotte surmontée d’une croix recouvre la structure. Le tout est en métal. Il s’agit en fait de la représentation d’une couronne de patriarche d’Alexandrie telles qu’elles existent au XIXe siècle et sans doute au siècle précédent. Dans un registre similaire, certains saints figurés dans les icônes sont coiffés de la kalansuwa, bonnet de couleur brodé de treize croisettes symbolisant le Christ et les apôtres (Y 33, Y 39, Y 41). Cet accessoire est encore de nos jours porté par les moines coptes orthodoxes en Égypte. Aussi, la croix de bénédiction, tenue par les apôtres, est un objet quotidien pour les prêtres et les moines (Y 162 à Y 168).

Aussi, les innovations iconographiques ne se font pas que par l’objet et l’image, elles se font également grâce aux textes. Comme vu précédemment, l’ultime scène de la vie de saint Jean-Baptiste (Y 78) est due à un texte en usage en Égypte pour laquelle il n’existait pas d’image en Europe. De même, l’une des scènes de la Vierge

Hodegetria (Y 102) illustre un épisode peu courant de la vie de la Vierge : la

délivrance de Matthias. La tradition apocryphe copte sur l’apôtre Matthias, son rôle, son emprisonnement et sa libération par la Vierge est particulièrement présente770. Le cycle de la vie de saint Georges est quant à lui issu en Égypte du livre des Salāmāt (vénérations)771. Les quinze épisodes sont présentés sous la forme d’une frise sous des arcatures dorées (Y 86 à Y 100). De petits cartouches à fond noir, posés sur une bande de couleur rouge, portent les inscriptions détaillant les compositions. Les scènes, adroitement exécutées, font partie des œuvres majeures de Yūḥannā al-Armanī. Une signature et une date, placées au bas de la légende de l’avant-dernière icône, viennent confirmer l’attribution de cet ensemble772. La plupart des images font écho aux épisodes décrits dans le livre des vénérations :

769 Le Caire, Musée copte, M.C. 5174. Ce type de couronne est également très similaire de ceux en usage chez les chrétiens d’Éthiopie (voir notamment les collections du Musée national d’Addis Abäba).

770 ROBINSON 1896, p. 20-25.

771 Le livre des Salāmāt est composé essentiellement en arabe. Ce n’est pas un ouvrage liturgique mais il présente l’avantage de réunir différentes sources hagiographiques. Quelques exemplaires de l’époque ottomane sont conservés à la bibliothèque du Patriarcat copte orthodoxe : YOUSSEF 2014, p. 751-765.

Georges boit le poison du magicien Athanasios (Y 90), Le Caire, église de la Vierge-Marie dite al-Muʿallaqā.

ﺮﺣﺎﺴﻟا ﻚﻟ مﺪﻗ ﻦﻣ ﺎﯾ ﻚﻟ مﻼﺴﻟا

ﺮﺤﺳ ﻮﻠﻤﻣ سﺎﻛ

ﮫﯿﻠﻋ ﺖﻤﺷﺮﻓ

يﺬﻟا ﻲﺤﻤﻟا ﺐﯿﻠﺼﻟا ﺖﻣﻼﻌﺑ

ﺪﺠﻤﻟا ﮫﻟ ﺢﯿﺴﻤﻟا عﻮﺴﯾ ﺎﻧﺪﯿﺴﻟ

ﮫﺘﺒﻟا هوﺮﻜﻣ ﮫﻨﻣ ﻚﻟﺎﻨﯾ ﻢﻟو ﮫﺘﺑﺮﺷو

Paix à toi, à qui le magicien a offert une coupe pleine de magie (poison), tu as signé avec le signe de la croix vivifiante de Notre Seigneur Jésus Christ, à Lui est la Gloire. Tu l’as bu et tu n’as eu aucun mal.

ﻢﻟ ﺮﺣﺎﺴﻟا كار ﻦﻣ ﺎﯾ ﻚﻟ مﻼﺴﻟا

ﮫﻟ ﺢﯿﺴﻤﻟﺎﺑ ﻦﻣا ﺔﺘﺒﻟا ﻮﺳ ﻚﻟﺎﻨﯾ

ﺪﺠﻤﻟا

Paix à toi, à qui le magicien, quand il a vu que rien de mauvais ne s’était passé, a cru au Christ, à Lui est la Gloire.

La Guérison du fils malade (Y 97), Le Caire, église de la Vierge-Marie dite al-Muʿallaqā.

ﻦﺑا ﺖﯿﻔﺷا ﻦﻣ ﺎﯾ ﻚﻟ مﻼﺴﻟا

عﻮﺴﯾ ﺪﯿﺴﻟا ﻰﻟا ﻚﺗﻼﺼﺑ ﺔﻠﻣرﻻا

ﺪﺠﻤﻟا ﮫﻟ ﺢﯿﺴﻤﻟا

Paix à toi Ô toi qui as guéri le fils de la veuve par tes prières au Seigneur Jésus Christ, à Lui est la Gloire.