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3.2.1. Les théories traditionnalistes du travail de deuil 

Les théories traditionnelles du deuil insistent sur le concept de « travail de deuil », 

qui implique à la fois les circonstances de la perte, les relations de l’endeuillé avec la 

personne  défunte et  les sentiments autour de la perte (Bowlby,  1984 ;  Freud, 1915). 

L’essentiel du « travail de deuil » réside en une souffrance liée au détachement des liens 

entretenus avec le défunt. Dans Deuil et mélancolie (1915), Freud introduit l’expression 

« travail de deuil » comme l’acceptation de la réalité de l’objet perdu par un détachement 

progressif et douloureux des liens d’avec le défunt. Comme le souligne Hagman (1995), le 

deuil suscite un accablement douloureux, une perte d’intérêt pour le monde, une perte de la 

capacité à aimer et une inhibition de toute activité. Pour Lacan (1966), rapprochant deuil et 

« douleur d’exister »,  le  manque  est fondateur du  désir.  La  perte  ébranle  le désir  et 

réinstaure l’objet perdu, essentiel pour combler le manque. Dans sa conception, le deuil fait 

appel  à  la  notion  de  perte  d’objet  consécutive  au  développement  de  l’être  humain. 

Widlöcher  (1994)  fait  le  rapprochement  entre    « travail  de  deuil »  et  « travail 

d’interprétation », réévaluant ainsi le modèle psychanalytique freudien.  

Les survivants s’avancent vers « un travail à travers » leurs ressentis face à la perte 

éprouvée  afin  de  résoudre,  avec  succès ou  fragilité, ce qu’elle  a  engendré.  Ceux  qui 

éviteraient le sentiment de deuil ou qui dénieraient leurs sentiments présenteraient un 

risque accru de développer « des réactions de deuil compliqué » ou un trouble du deuil 

persistant. Les « théoriciens » des stades du deuil (Bowlby & Parkes, 1970 ; Kübler‐Ross, 

1969) ont identifiés plusieurs phases (stades) en jeu lors de l’expérience liée à la perte. 

Bowlby et Parkes (1970) sont les premiers à proposer une théorie des stades du deuil, stades 

servant à l’ajustement du survivant. Cette théorie stadiste décrit quatre phases : 

1) Phase de choc et d’engourdissement, 

2) Phase de nostalgie et de recherche, 

3) Phase de désespoir et de désorganisation, 

4) Phase de réorganisation. 

 Kübler‐Ross  (1969)  adapte  la  théorie  des  stades  et  distingue  cinq  phases 

3.2.2. Les théories contemporaines du travail de deuil 

Worden  (1991)  ajoute  l’idée  qu’il  est  important  d’inclure,  au  sein  des  stades 

d’élaboration du deuil, l’acceptation de la réalité de la perte ainsi que l’expérience du 

chagrin engendrée par cette perte. Ces deux éléments permettent de redéfinir les relations 

avec le défunt et de s’ajuster à un environnement dans lequel celui‐ci ne fait plus partie, 

pour, enfin, y retirer l’énergie émotionnelle allouée et réinvestir d’autres relations. Le travail 

de deuil, selon Worden (1991), s’élabore ainsi selon cinq phases. Cependant, la plupart des 

modèles du deuil s’articulent selon trois stades importants : 

1) Une période initial de choc qui s’accompagne d’un sentiment d’incrédulité et 

de déni. Ce stade dure quelques semaines, 

2) Une période d’acceptation de la réalité de la perte qui englobe la phase de 

deuil  durant  laquelle  s’expriment  d’intenses  sentiments  de  tristesse,  du 

désespoir, de l’anxiété, de la colère, de la solitude. Ce stade dure quelques 

mois, 

3) Une période de réorganisation et d’acceptation durant laquelle les sentiments 

intense de deuil s’amenuisent, les sentiments du survivant se stabilisent, 

d’autres relations et activités peuvent alors être investies. 

Des  chercheurs (Bonanno  et al., 2002 ;  Carr, Nesse &  Wortman,  2005 ; Parkes,  2001) 

questionnent ces théories car, selon eux, le travail de deuil dépend également d’autres 

composantes telles que : 

 les circonstances de la mort, 

 le contexte culturel et socio‐économique,  

 le style d’attachement, 

 la qualité de la relation avec la personne défunte.  

De plus, de nombreuses études se sont intéressées aux aspects particuliers des réactions au 

deuil et de leur évolution au cours du temps. Dans ce sens, Bonanno et ses collaborateurs 

perte et dix‐huit mois après celle‐ci (le deuil commun ou normal, le deuil chronique, la 

dépression chronique, une amélioration durant le deuil et la résilience).  

Dans  une  perspective  constructiviste,  Neimeyer  et  ses  collaborateurs  (2002) 

proposent un modèle d’élaboration du deuil selon divers aspects psychologiques que reflète 

la personne. Le «Modèle de Travail Interne  »

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 repose sur des schémas mentaux que l’on 

aurait de soi, des autres et du monde social construit au cours du développement humain. 

Ces schémas œuvreraient activement dans le traitement de l’information mais, aussi, dans 

les rapports qu’entretient l’individu avec soi‐même et avec les autres. Le « Internal Working 

Model » met en évidence que le vécu insécure de l’enfant (et ainsi son style d’attachement 

de type insécure) sous‐tendrait la façon dont il se mettrait en relation avec soi, les autres et 

le monde. Ce schéma interne de la personne accorderait à la mort un caractère menaçant 

pour sa propre vie et sa sécurité. La personne serait, dans ce cas, encline à des réactions au 

deuil pénibles et compliquées. Il en irait tout autrement si la  personne présentait un 

fonctionnement interne plus sécure.  

Neimeier (2005, 2006) complète son modèle avec celui de « la reconstruction du 

sens »  (« meaning  reconstruction »)  en  mettant  en  exergue  que  l’individu  doit  (pour 

surmonter cette expérience de vie douloureux qu’est le deuil) :  

a) donner du sens à la perte,  

b) tirer des bénéfices de l’expérience, et,  

c) réorganiser certaines de ses identités (Gillies & Neimeier, 2006).  

Sans  cette  « reconstruction  du  sens »,  le  prédicat  est  le  développement  d’une 

symptomatologie propre au TDP (Neimeier et al., 2006). 

3.2.3. La théorie des stades du travail de deuil : mythe ou réalité ? 

Ces dernières décennies, ce qui semble le plus intriguer la communauté scientifique 

sur les aspects du travail de deuil, au regard de la dominance historique en matière de deuil, 

tient aux tenants empiriques (Stroebe, 1987 ; Wortman & Silver, 1989). Wortman et Silver 

(1989)  apportent  la  conclusion  qu’il  existe  relativement  peu  d’évidences  empiriques 

permettant d’appréhender les issues du « travail direct » (« working through ») du deuil mais 

qu’il existe des évidences actuellement valables qui suggèrent des signes précoces d’efforts 

intenses dont le « travail direct » peut supporter les difficultés. Stroebe et ses collaborateurs 

(1992, 1994) soulignent l’idée selon laquelle l’absence de toute opérationnalisation claire de 

définitions en matière d’hypothèses du travail de deuil induit nécessairement de grandes 

difficultés d’évaluations empiriques. Dans ce sens, beaucoup de recherches ont pris appui 

sur  les  théories  cognitivistes.  Par  ailleurs,  une  récente  étude  de  Prigerson  et  ses 

collaborateurs (2007) marque un tournant dans la question souvent posée à propos de la 

légitimité du concept de « travail du deuil et de ses différents stades ». Pour la première fois, 

ces chercheurs ont tenté d’examiner expérimentalement la théorie des stades du deuil. 

Grâce à une étude longitudinale suivant une cohorte de 233 endeuillés, Prigerson et ses 

collaborateurs (2007) ont identifié les caractéristiques du deuil au cours de sa période 

initiale  en  y  distinguant  cinq  indicateurs  (l’incrédulité,  l’alanguissement,  la  colère,  la 

dépression et l’acceptation). Il en résulte de cette étude une définition encore plus affinée 

du deuil compliqué (ou trouble du deuil persistant) : « derrière le terme compliqué, qui se 

définit comme une difficulté à analyser, à comprendre et à expliquer, les troubles du deuil 

persistant décrivent avec exactitude des troubles mentaux spécifiques au deuil, basés sur 

une symptomatologie du deuil perdurant au‐delà de 6 mois ».

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Beaucoup d’auteurs mettent en avant qu’une absence de tout signe de chagrin lors 

du deuil est un indicateur psychopathologique (Jacobs, 1993 ; Worden, 1991). Certains 

auteurs appuient même le fait que cette absence de chagrin s’exprimerait dans des formes 

particulières de personnalités pathologiques (Osterweis et al., 1984). Cependant, dépression 

mélancolique, auto‐accusation, effondrement de l’estime de soi, ambivalence vis à vis de 

l’objet perdu et identification à cet objet, permettant un éventuel abandon, ne sont que des 

formes possibles du deuil, ce dernier revêt en réalité plus de variétés — il est multiforme —. 

De plus, il n’y aurait ni universalité de l’effondrement dépressive ni indispensabilité. La 

personne en deuil serait alors encore capable d’amour et d’investir de nouveaux objets. 

Fraley et Shaver (2001) développent cette idée en postulant que les habiletés de bases chez 

l’adulte prennent racine dans leurs expériences douloureuses ainsi que dans leurs tentatives 

de négociation émotionnelle et cognitive avec la perte. Bonanno (2004) avance l’idée selon 

laquelle l’absence de douleur, de peine lors du deuil n’est pas forcément signe d’une 

pathologie psychique mais la marque d’une résilience particulière de l’individu et d’un 

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Traduction tirée de : Prigerson, H. G., Block, S. D., Zhang, B. & Maciejewski, P. K. (2007). An empirical  examination of the stage theory of grief (p. 721). Journal of American Medical Association, 297(7), 716‐723.  

déploiement, de ce dernier, fonction de sa dynamique psychologique et de mécanismes 

psychiques d’une singulière efficience.