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3.3.  La dynamique  psychologique  de la personne âgée et les processus  psychiques à  l’œuvre lors

3.3.2.  Les mécanismes psychiques en jeu lors du deuil

3.3.2.1. Les mécanismes psychiques généraux en jeu lors du deuil 

La mentalisation est un processus psychique renvoyant à une succession d’étapes 

inconscientes permettant l’adaptation consciente au changement général. Pour qu’il puisse 

y avoir mentalisation, il faut d’abord que le sujet accède à une représentation de l’objet en 

jeu puis à sa symbolisation – ici est considéré l’objet perdu (Bacqué, 1997 ; Dollander & de 

Tychey, 1999 ; Hanus, 2000). Dans le travail de deuil, une première étape essentielle est la 

mise en représentation comme « un processus d’élaboration et d’utilisation d’une image 

mentale stable de la chose à la place de la chose » (Lecours & Bouchard, 1997). Cette étape 

permet de dépasser l’état de sidération initial. Ce mécanisme psychique permet alors au 

sujet d’être face à la réalité et à sa propre mort. Le jeu de ces représentations qui se forment 

mentalement pour tenter de donner du sens à la perte, à l’objet perdu, ne peut servir sans le 

concours d’un autre mécanisme qu’est la symbolisation. Cette dernière est un processus, 

non plus  de mise en représentation mais  de  mise en lien(s)  entre  la réalité externe 

traumatique et la réalité interne du sujet. La symbolisation lie les représentations et les 

affects inhérents au traumatisme vécu. Pour garantir son efficience, elle s’élabore en deux 

temps :  

1) la  symbolisation autour de l’objet perdu,  

2) la symbolisation autour des affects liés à cette perte.  

A la suite de quoi se met en place une mise à distance de l’objet perdu. Enfin, l’étape 

processuelle ultime est la mentalisation en tant que telle. Il devient possible pour l’endeuillé 

d’élaborer une « classe générale d’opérations mentales incluant les représentations qui 

circulent dans l’espace imaginaire, la symbolisation conduisant à une transformation et à 

une élaboration des expériences pulsionnelles chargées d’affects en structure mentale de 

mieux en mieux organisée » (Lecours & Bouchard, 1997).  

Les affects de dépressifs comme la tristesse induisent l’absence de désir pour soi‐

même et pour autrui. Ces affects prennent racines dans un désinvestissement libidinal, dans 

une réactualisation de l’ambivalence vis à vis du défunt ainsi que dans une intériorisation de 

fréquente lors du deuil (Bacqué, 1997 ; Dollander & de Tychey, 1999 ; Hanus, 2000). De cet 

effondrement psychique, le syndrome dépressif peut advenir comme une réaction possible à 

la perte. La lourde tâche mentale de l’endeuillé réside, alors, en un véritable travail de 

déculpabilisation afin d’accepter la perte.  

  La perspective d’évolution à travers différentes étapes du processus psychique lors 

du deuil fait écho à un autre mécanisme très particulier qui est celui de la résilience. La 

résistance  ou  résilience,  durant  la  perte,  renvoie  aux mécanismes qui  permettent de 

dépasser, de « rebondir » face à l’obstacle d’un évènement de vie pénible. Comme le 

souligne  Norris, Tracy  et Galea  (2009), ce  concept  a  suscité  un  fort intérêt  pour  les 

recherches axées sur les capacités psychiques adaptatives lors de traumatisme ou de stress. 

Dans  cette  perspective,  Bonanno  (2004)  soutient  l’idée  selon  laquelle  la  capacité  de 

résilience est le fruit d’une récupération psychique, ponctuée de périodes transitoires de 

dysfonctionnement, qui a permis de retrouver l’état d’équilibre psychique avant la survenue 

de l’évènement traumatique. Cet auteur développe cette idée de la résilience en arguant 

que l’absence de réactions négatives lors d’un deuil n’est pas nécessairement une réaction 

« anormale »  portant  une  teinte  morbide  mais  reflète  davantage  un  haut  niveau 

d’adaptation psychique possible grâce à la particulière efficience de ce mécanisme. D’une 

manière générale, la notion de résilience traduit l'idée que les individus puissent surmonter 

les évènements de vie négatifs malgré la présence de facteurs de risque significatifs. En 

revanche, les conceptions stéréotypées concernant la personne âgée soutiennent que cette 

période de la vie n’est pas caractéristique d’une grande résilience face aux adversités qui se 

multiplient (Staudinger et al., cité par Nakashima &  Canda, 2005). Toutefois, il  existe 

différentes possibilités d’être résilients comme déployer une certaine ténacité pour réagir de 

manière proactive à la crise de mourir et de la dépasser dans le grand âge, atteignant avec 

succès un niveau élevé de qualité de vie (Nakashima & Canda, 2005). Un des supports de 

résilience  lors  du  vieillissement  est  la  création  du  récit  de  vie,  appelé  également 

réminiscence qui, couplée à la relecture de vie ou rétrospective de vie comme un moyen 

ultime d’ « analyse systématique » permet, à la personne âgée, une ultime résolution de ses 

conflits existentielles latents (Gana & Mezred, 2009).    

  

3.3.2.2.  Le  mécanisme  psychique  spécifique  à  la  personne  âgée  lors  du  deuil :  la 

réminiscence 

La  réminiscence est un  processus  d’émergence  de souvenirs  dans  un  contexte 

relationnel. Butler (1963, cité par Gana & Mezred, 2009) a introduit ce processus lors 

d’études portant sur la « relecture de la vie » et son implication dans la pathologie du sujet 

âgé. Il est également l’un des précurseurs de travaux portant sur les démences. Cependant, 

bien vite, d’autres cliniciens et chercheurs se sont centrés sur ce concept, démontrant ainsi 

son  rôle  pour  la  santé  et  pour  le  développement  d’une  nouvelle  forme  de  thérapie 

(Cappeliez, 2002 ; Cappeliez & Watt, 2000 ; Zeiss & Steffen, 1996). Cette rétrospective 

particulière de la vie suppose la résolution de problèmes, la compréhension de soi et la 

perception  de soi.  Elle  s’inscrit  dans  un  contexte social,  émotionnel  et  motivationnel 

(Staudinger, 2001). Des investigations ont mis en avant que l’âge avancé est une période 

durant laquelle les personnes s'investissent le plus dans la réminiscence et dans la réflexion 

du sens à donner à la vie (Erikson, 1950 ; Butler, 1963, cité par Gana et Mezred, 2009). De 

nombreux travaux en psychologie cognitive et en psychologie du développement se sont 

penchés  sur les enjeux  de  la  mémoire  autobiographique dans le  travail psychique de 

relecture de vie.   

Les différents types de réminiscences 

  Un consensus semble avoir récemment émergé en ce qui concerne la terminologie et 

la classification fonctionnelle des différents types de réminiscences (Webster & Haight, 

1995). Différentes taxonomies s’accordent autour d’un système en six catégories comme 

modèle de base. Webster et Haight (1995) ont identifié huit types de réminiscences selon 

leur fonction particulière au sein de la psyché : réminiscence intégrative, instrumentale, 

transmissive (ou instructive), narrative, d’évasion, ruminative (ou obsessionnelle), d’intimité 

ou préparative. Les classifications de types de réminiscence selon leur fonctionnement 

peuvent s’apprécier dans le Tableau 4. 

Les travaux de Watt et Wong (1991) ont mis en avant que la réminiscence intégrative et 

la réminiscence instrumentale sont associées à des indices d’une meilleure adaptation 

psychologique chez la personne âgée. Ce qui a valu une promotion particulière de ces deux 

types de réminiscence pour aider ces personnes emprises à la dépression (Watt & Cappeliez, 

1995). Dans ce contexte, la réminiscence intégrative se traduit par : 

- une  acceptation  des  expériences  négatives  et  une  intégration  avec  le 

présent ; 

- une réconciliation de la réalité avec l’idéal ; 

- une réconciliation avec les situations conflictuelles du passé ; 

- un rappel d’expériences qui ont contribué au développement des valeurs 

personnelles et du sens de l’existence ;  

- une édification d’un sentiment de cohérence dans le passé et dans le présent. 

La réminiscence instrumentale se caractérise par :  

- une remémoration d’objectifs de vie et d’activités dirigées vers des buts ; 

- un recours aux expériences du passé pour résoudre des problèmes présents ; 

- une remémoration d’épisodes d’adaptation à des difficultés rencontrées. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tableau 4. Les différents types de réminiscence et leur fonction. 

Type de réminiscence  Fonction 

Intégrative  Découvrir la signification et la continuité de l’existence. 

Instrumentale  Profiler  des  expériences  du  passé  pour  résoudre  les 

problèmes présents et s’adapter. 

Transmissive  Transmettre une histoire instructive. 

Narrative  Raconter une histoire. 

d’Evasion  Se réfugier dans le « bon vieux temps » et échapper au 

présent. 

Ruminative 

 

Ressasser les évènements dérangeants du passé. 

Intime  Volonté  de  maintenir  le  contact  avec  une  personne 

désorientée en gardant vivant le souvenir. 

 

Souvenirs qui émergent en lien avec la perspective de la mort 

ou de la question relative à la vie qui se termine. 

Préparative 

 

Réminiscence,  vieillissement et dépression 

Certaines fonctions des réminiscences auraient une importance plus accrue chez la 

personne âgée car la consolidation de l’identité (Webster, 1994 ; Gaucher, 1996) et la 

transmission des expériences de vie (Cappeliez, Lavallée & O’Rourke, 2001) y sont en jeu. 

Cependant, certains types de réminiscence desservent l’adaptation psychologique de la 

personne âgée. Il n’est pas toujours évident que la meilleure forme de réminiscence soit 

utilisée car certaines, comme celle ruminative, peuvent avoir des conséquences fâcheuses 

réminiscences intégrative et instrumentale joueraient un rôle primordial pour aider ces 

personnes à faire face à leur souffrance. Pour resituer les choses, l’approche cognitive 

considère que la vulnérabilité à la dépression prend racine dans certains schémas cognitifs 

développés précocement pendant l’existence. Lorsque la personne vulnérable fait face à un 

événement de vie difficile qui sollicite ses ressources adaptatives (typiquement face à une 

situation  de  perte),  des  schémas  dépressogènes  sont  activés  (Cappeliez,  1993). 

L’interprétation des évènements de vie passés, présents et futurs est systématiquement 

biaisée, conduisant, à travers la distorsion cognitive, à une spirale de pensées négatives qui 

alimente  la  dépression.  L’objective  de  la  réminiscence  transmissive  est  précisément 

« d’enclencher une réinterprétation de certains évènements du passé, de leurs causes et de 

leurs conséquences » (Capeliez & Watt, 2003). Concernant la réminiscence intégrative, il est 

question de redonner des moyens au sujet âgé afin que la vision négative qu’il a de lui 

« trouve une signification et une portée nouvelle à lumière du savoir, de la perspective et 

des préoccupations du présent, en vue d’une meilleure adaptation » (Capeliez & Watt, 

2003). La réminiscence instrumentale permettrait, quant à elle, de retrouver une estime de 

soi, un sentiment de contrôle et d’auto‐efficacité grâce à la remémoration d’épisodes de vie 

négatifs qui avaient trouvé leur résolution. La réminiscence narrative est davantage le siège 

de souvenirs teintés d’affects positifs (Cappeliez, Guindon & Robitaille, 2008). Cependant, 

nous ne pouvons faire abstraction du rôle de la mémoire, de la qualité de ses souvenirs ainsi 

que de leurs limites. 

Réminiscence et mémoire biographique chez le sujet âgé 

  Des recherches font le distingo entre mémoire autobiographique et mémoire de 

réminiscence.  La  mémoire  autobiographique  renvoie  aux  concepts  de  soi,  relatif  au 

fonctionnement social et à des fonctions directives (Bluck & Alea, 2002). La mémoire relative 

à la réminiscence souligne des processus universels de retour progressif et conscients aux 

expériences passées qui permettent la résurgence de conflits irrésolus. D’après certains 

auteurs, dans ce dernier type de mémoire, il y aurait un large degré de chevauchement des 

fonctions suggérées  (Webster  & Haight,  1995).  Ces  deux types  de  mémoires  seraient 

complémentaires  (Webster,  2003).  Cependant,  certains  s’accordent  à  penser  que  la 

mémoire ne serait qu’une reconstruction d’évènements passés, perdant leur authenticité. 

D’autres soulignent le fait qu’il puisse y avoir une propension chez le sujet âgé à refléter des 

remémoration (McGregor & Holmes, 1999). Il n’empêche que cette couleur positive de la 

réminiscence participerait de manière importante à l’efficience adaptative et au bien‐être 

psychologique de la personne âgée (Cappeliez, Guindon & Robitaille, 2008). 

  Malgré le grand âge, les stress et les traumatismes subis, la personne est pourvue de 

ressources adaptatives propres qui lui permettent de maintenir un bien‐être psychologique. 

Ces ressources ont parfois leurs limites comme nous venons de le souligner. A la lumière de 

tout ce développement, il nous semble essentiel de poursuivre nos interrogations quant aux 

conséquences du traumatisme du deuil sur la pensée de l’endeuillé et, ainsi, comprendre un 

syndrome bien particulier qu’est celui de la pensée répétitive. 

3.3.2.3. Le traumatisme comme support de la répétition psychique 

Selon la profondeur du mécanisme psychique considéré, les auteurs utiliseront soit la 

notion d’automatisme de la pensée, comme processus plus proche de la conscience, soit de 

répétition psychique, comme processus inconscient, à l’œuvre lors de la survenue d’un 

traumatisme d’une telle violence que l’individu est pris dans un tourbillon de pensées 

négatives  continuellement  réitérées  qu’il  ne  peut  dépasser.  Nous  nous  attarderons 

davantage, dans la perspective de la singularité de la dynamique psychique de la personne 

endeuillée, à comprendre le mécanisme de répétition psychique. 

Mécanisme de répétition psychique ou « compulsion de répétition » (Chérifi, 2008), 

ce phénomène renvoie, lorsqu’un évènement est vécu comme traumatique, et, ceci n’est 

qualifiable qu’à travers la subjectivité de la personne, à une recherche effrénée de sens 

comme pour restaurer l’infraction psychique subie. La répétition psychique peut enfermer la 

personne dans un schéma de pensée douloureux, comme elle peut recouvrir des aspects 

salutaires dans le sens où il s’agit d’une quête vers la reconquête d’un équilibre psychique 

perdu.  Chérifi  (2008)  précise  que  «la  répétition  pourrait  être  un  moyen  de  créer 

incessamment des liaisons pulsionnelles au sein d’un appareil psychique aux prises avec le 

vide, le néant ». Le jeu de liaison‐déliaison concourrait à activer, à un moment donné, un 

véritable « travail de restauration psychique » d’où adviendraient des associations donnant 

naissance à la parole, au récit de vie. Ce dernier adhère à un système de représentations 

permettant de construire du sens et de dépasser la douleur vécue (Chérifi, 2008). Il se