2.3. Les facteurs de risque et les conséquences sur la santé de l’endeuillé
2.3.1. Les facteurs de risque endogènes
Ces facteurs de risques sont des constituants de la dynamique psychique de l’individu
révélés à travers un vécu douloureux, parfois même, insurmontable de la perte. Ils ont un
2.3.1.1. Les constituants de la personnalité
La personnalité de l'endeuillé joue un rôle fondamental dans la survenue du deuil
compliqué et de ses issues parfois dramatiques. Dans une recherche menée par Stroebe et
Schut (2001), il apparaît que les individus développant un sentiment de contrôle sur leur
propre vie dévoilent une plus grande capacité à contrer l’impact d’un évènement stressant
(comme la perte d’un être cher) que les individus qui estiment avoir très peu de contrôle sur
leur vie. Ces derniers auraient tendance à développer de forts sentiments de culpabilité et
d’anxiété deux ans encore après la perte de l'être cher (Vachon, 1982). Ces caractéristiques
de la personnalité seraient en lien, très fortement, avec un état de détresse psychologique,
au‐delà d’une situation de perte (Bruno, Lutwak & Agin, 2009 ; Teachman, Siedlecki &
Magee, 2007). Par ailleurs, comme le souligne Zech (2006), les recherches manquent
cruellement à ce sujet et, de fait, les connaissances pertinentes à ce sujet également.
2.3.1.2. Le style d’attachement avec la personne décédée
Nous ne sommes pas sans connaitre l'importance que possède la théorie de
l'attachement dans les considérations de la dynamique du deuil chez le survivant ainsi que
l'étayage qui en a été fait concernant les différentes catégorie de styles d'attachement
(Hazan et Shaver (1987) avec leur modèle en trois styles d'attachement ; Bartholomew,
1990, suivant l'approche de Main, Kaplan et Cassidy (1985) avec un modèle en quatre
catégories de styles d'attachement). Ce n'est que très récemment que des études
scientifiques ont pu mettre en évidence l'impact du lien d'attachement d'avec le défunt sur
les réactions face à la perte du survivant. Comme le soulignent Stroebe, Schut et Stroebe
(2006), un certain nombre de chercheurs ont attiré l'attention sur l'association entre les
styles d'attachement et les réactions face au deuil (Parkes, 2001; Shaver & Tancredy, 2001 ;
Stroebe et al., 2005). Selon les analyses théoriques réalisées par Parkes (2001) ainsi que par
Shaver et Tancredy (2001), l'attachement de type sécure serait associé au deuil non
compliqué (à moins que la perte n'ait eu lieue dans des circonstances particulièrement
traumatisantes), et, ainsi, à une certaine «normalité» du processus de deuil.
Bien que ces personnes fassent l'expérience douloureuse du chagrin, elles s'adaptent,
néanmoins, à la perte relativement bien au cours du temps. En revanche, les personnes
possédant un style d'attachement de type insécure, rendant précaire leur stabilité
Concernant les personnes ayant un style d'attachement de type rejetant, elles ont
davantage tendance à supprimer et à éviter les émotions liées à l'attachement, et, peuvent
dévoiler un deuil retardé, non‐résolu ou nié. Celles qui possèdent un type d'attachement
préoccupé sont, en général, très sensibles émotionnellement aux pertes à venir, et, peuvent
faire l'expérience d'un deuil chronique. Dans le cas de l'attachement de type craintif, style
plutôt inhabituelle, les personnes dévoilent, préférentiellement, une dynamique de peur et
de «deuil non résolu», caractérisée par une incapacité d'évoquer de manière cohérente leur
ressenti face à la perte. Parkes (2001) suggère que ces personnes possèdent dans leur
fonctionnement d'adaptation une «impuissance acquise» (Seligman, 1975, cité par Parkes,
2001), alors précurseur du développement d'une dépression et du comportement de retrait.
Stroebe, Schut et Stroebe (2006) soulignent combien la recherche à ce sujet est insuffisante
puisque certaines hypothèses cruciales n'ont pas encore été éprouvées telles que : quels
types de deuil compliqué sont associés à un style d'attachement particulier?, ou, le bien‐être
et l'ajustement au deuil varient‐ils selon le mode d'attachement?
En ce qui concerne les complications au deuil, Parkes (2001) a suggéré que les
personnes présentant un attachement insécurisant sont surreprésentées parmi une
population de patients psychiatriques en deuil. Ce constat conduit à penser que le deuil
compliqué est en fait lié à des styles d'attachement. Considérant les associations concernant
le bien‐être et la santé, quelques études ont montré des liens entre les styles d'attachement
et l'ajustement au deuil (Field et al., 1999 ; Field & Sundin, 2001 ; Mireault et al., 2001 ;
Prigerson et al., 1998 ; Wayment & Vierthaler, 2002). Considérée dans leur ensemble, les
études réalisées démontrent, toutefois, que les personnes dont le type d'attachement est
plutôt sécure s'adaptent à des expériences de vies stressantes telles que le deuil plus
facilement que celles dont le type d'attachement est plutôt insécure.
2.3.1.3. Les caractéristiques biologiques de l'endeuillé : le sexe et l'âge
Le sexe de l’individu influence également sa capacité d’adaptation au deuil. Les
hommes présenteraient un risque plus important de mortalité que les femmes, tandis que
ces dernières présenteraient un risque plus élevé de développer une dépression que les
hommes. Dans cette perspective, Rogers (1995) a mis en évidence que le décès de l’épouse
avait un impact néfaste sur la santé des hommes, comparativement au décès de l’époux
différentes manières (Martin‐Matthews & Davidson, 2006; Subramanian, Elwert, &
Christakis, 2008). Certains auteurs avancent l’hypothèse que les stratégies de coping chez les
femmes sont plus efficaces que chez les hommes (Stroebe & Schut, 1999). Bennett (2007,
2008), tout comme Courtenay (2000), préfère mettre en avant que l’homme est davantage
victime du stéréotype propre au genre masculin, à savoir, il est le représentant du sexe fort
devant s’adapter rapidement à la perte. Dans cette acceptation, ses émotions sont souvent
contenues et sa souffrance cachée du regard de la société alors qu’elles sont profondément
douloureuses.
Nous ne sommes pas sans savoir que l’âge aussi est un facteur influençant la santé
tant physique que mentale de tout individu d’autant lorsque des évènements de vie
viennent ébranler ses capacités à faire face et marquent de leur sceau l’individu, alors
devenu plus vulnérable (Nolen‐Hoeksema & Larson, 1999 ; Sanders, 1981). Dans cette
perspective, l'âge du survivant est un facteur déterminant dans les risques qu'il implique
pour la santé. En effet, de nombreuses études ont pu mettre en exergue que plus le
survivant est jeune, plus fort sont les risques de développement de complications au deuil
(Disjkstra, 2000 ; Shanfield & Swain, 1984, cité par Zech, 2006) – la personne âgée
supportant davantage la perte puisqu’il s’agit d’un stade de la vie durant lequel la mort est
très présente.
2.3.1.4. La situation socio‐économique, relationnelle, culturelle et religieuse de l'endeuillé
La situation sociale et économique d’une personne est souvent tributaire du ou des
réseaux sociaux auxquels elle appartient qui sont fortement liés avec une activité
extérieures comme, par exemple, le travail. Des recherches se sont intéressées aux liens
particuliers que pouvaient entretenir la situation socio‐économique de la personne et le
développement de complications face à la perte (Zech, 2006). Travailler à l’extérieur, selon
Zech (2006), permettrait à des parents endeuillés de penser à autre chose qu’à leurs
difficultés, évitant, par la même, de s’inscrire dans une rumination incessante. De plus, le
support social et les relations interpersonnelles dans ce qu’ils recouvrent comme facteurs de
protection lorsqu’ils sont présents et comme facteurs de risque lorsqu’ils sont peu
développés ou néfastes interviennent aussi dans la survenue de complications au deuil,
Considérer la perte d’un être cher renvoie, également, à considérer les pratiques
culturelles et religieuses de l’endeuillé comme rituels et comme vertu de donner du sens à la
mort. Par ailleurs, toutes les recherches menées à ce sujet n’ont pu être, généralement,
concluantes – leurs résultats étant contradictoires entre elles (Nolen‐Hoeksema & Larson,
1999 ; Rogers, Qualter, Phelps & Gardner, 2006) –. De ce fait, ne doit‐on pas simplement
penser que l’apport culturel et religieux aide à surmonter le deuil dans ce que leurs
pratiques peuvent apporter comme soutien social et, peut‐être, selon l’utilisation qu’en fait
l’endeuillé de manière à servir ou non son adaptation ? Cette présomption laisse entrevoir
que l’éventuel pouvoir protecteur de la culture et de la religion est avant tout, dans le jeu de
l’adaptabilité face au deuil, une histoire de personne plutôt que de communauté.
Dans le document
Le Trouble du Deuil Persistant chez la Personne Âgée : évaluation et Étude des Effets de la Personnalité
(Page 59-63)