3.3. La dynamique psychologique de la personne âgée et les processus psychiques à l’œuvre lors
3.3.1. La personnalité et le vieillissement
Plusieurs approches théoriques de la personnalité diffèrent dans leur manière de
définir et d’étudier la personnalité. Les deux principales traditions ayant le plus contribué à
la compréhension de la personnalité chez les personnes âgées sont l’approche des traits
(Costa & McCrae, 1989) et l’approche des étapes de développement (Erikson, 1950 ; Jung,
1931). Une troisième approche, l’approche « interactionniste » (Vezina, Cappeliez &
Landreville, 1994) se centre davantage sur les effets de l’environnement socioculturel
comme influançant l’évolution de la personnalité.
3.3.1.1. L’approche des traits
L’approche des traits définit la personnalité comme un ensemble de traits
caractéristiques (les traits de personnalité), stables dans le temps et propres à chaque
individu. La personnalité est définie comme une structure dynamique disposant la personne
à ressentir, penser, agir à sa manière propre. Les traits de personnalité étant des entités
stables dans le temps, cette approche donne à l’évolution de la personnalité, durant l’âge
adulte, un caractère de stabilité. Cette approche est le support d’inventaires de personnalité
constitués de différentes échelles mesurant des traits particuliers et dont les différents
scores permettent d’établir un profil de personnalité propre au sujet (NEO‐PI‐R : Costa &
McCrae, 1990a ; MMPI‐2 : Hathaway & McKinsley, 1996). De nombreuses études ont abordé
dans le développement sous l’influence d’événements comme la retraite ou le veuvage, les
défenseurs de l’approche des traits considèrent que les individus gardent leurs traits de
personnalité durant la vieillesse. L’idée de changements majeurs de personnalité chez
l’ensemble des personnes au cours du vieillissement nourrit le débat. Une position
intéressante est celle soulignée dans le modèle de McAdams (1995, cité par Hooker, 2002)
qui postule trois niveaux constituants la personnalité, à savoir :
1) Le premier niveau est celui des traits universels qui ne sont pas liés aux
contextes spécifiques et qui sont généralement stables. Ces traits
conditionnent les aspects du comportement d'une personne.
2) Le deuxième niveau renvoie aux traits déterminés par les «préoccupations
personnelles» ou par des caractéristiques de l’adaptation. Sont inclus, à ce
niveau, les objectifs, les tâches de développement, les motivations et le
«faire» (Cantor, 1990, cité par Hooker, 2002). Bien que la personnalité, à ce
niveau, soit le siège de nombreux remaniements dans la construction de ses
constituants, l’ensemble qui la caractérise converge vers une construction de
soi plus contextualisée que les premiers traits. Au regard de toute une vie,
cette partie de la personnalité permettrait de surmonter les changements
considérables vécus et négociés lors de transitions normatives ou
d’événements de vie particuliers.
3) Le troisième niveau constitue un ensemble de la personnalité érigé à travers
l’histoire de vie comme étant une création de sens. Elle évolue
continuellement au fil de l’existence.
Ces trois niveaux de personnalité ne seraient pas nécessairement liés, et, comme le
soulignait Murray et Kluckholm (1953, cités par Hooker, 2002) « tout homme est à certains
égards a) comme tous les hommes, b) comme à travers d’autres hommes, c) comme aucun
autre homme. En outre, de nombreuses recherches ont tenté de discerner les liens qui
existaient entre psychopathologie et âge. L’une des critiques avancées à ce sujet par
Widigier et Seiddlitz (2002) est qu’il n’existe que trop peu d’études s’intéressant à ce lien
chez la personne âgée voire très âgée ; la problématique étant surtout abordée auprès d’une
population de milieu de vie. Par ailleurs, nous ne méconnaissons pas qu’à tout âge de la vie,
3.3.1.2. L’approche des stades du développement
L’approche des étapes de développement considère une série d’étapes séquentielles
au sein de l’évolution relative à la personnalité. Cette dernière est, alors, considérée comme
un système en développement passant par un ensemble de changements qualitatifs (ou de
structure) à des moments particuliers de la vie (Field & Millsap, 1991). Selon Jung (1931), les
orientations de la personnalité tendent progressivement vers un équilibre entre des opposés
à travers la vie adulte. Dans le cadre d’une évolution adaptée de la personnalité chez les
personnes âgées, cette perspective postule deux types de changements : un glissement
progressif vers le monde intérieur (vers l’introversion) et une réduction des manières de
penser et de se comporter associées typiquement à chaque sexe avec une adoption des
caractéristiques typiques de l’autre sexe.
Dans cette perspective développementale de la personnalité, Erikson (1950) étaie la
succession des stades de l’évolution comme un processus continu hiérarchisé en huit étapes,
présentée dans le Tableau 3 – Les huit étapes du développement de l’identité du moi.
Tableau 3. Les étapes du développement de l’identité du moi selon Erikson (1950).
Phases Crises Résolution positive
Prime enfance Enfance Age du jeu Age de l’école Adolescence Début de l’âge adulte Age adulte moyen
Age adulte avancé
Confiance/méfiance Autonomie/doute Initiative/culpabilité Industrie/infériorité Identité/confusion Intimité/isolement Générativité/stagnation Intégrité du moi/désespoir Espoir, motivation Volonté, Maîtrise de soi Finalité, sens des objectifs Compétence Fidélité, dévotion Affiliation, amour Souci des autres, productivité Sagesse, renonciation
Chaque étape représente une crise émotionnelle caractérisée par un conflit entre des
tendances opposées. La résolution positive d’une étape est cruciale pour la résolution des
étapes suivantes. Un conflit non résolu de manière satisfaisante continuera à mobiliser de
l’énergie et sera cause de difficultés psychologiques adaptatives. En ce qui concerne la
période de l’âge adulte avancé, la question centrale concerne le conflit entre l’intégrité du
moi et le désespoir. La résolution positive du conflit correspond à la capacité d’intégrer puis
d’évaluer les stades précédents de la vie dans une juste perspective et avec sérénité. Elle
permet le développement de la sagesse, définie par Erikson comme une attitude sereine et
fait d’apprécier son existence comme une série de chances échues et de mauvais choix, ainsi
que par la crainte de la mort, par l’amertume et par le regret. D’autres études ont appuyé
les hypothèses formulées par Jung (1931) et Erikson (1950) en fournissant des arguments
supplémentaires en faveurs de certains changements normatifs de la personnalité à l’âge
adulte avancé. En outre, il s’agit davantage d’aborder les traits de personnalité comme
support de plasticité dans le jeu développemental de la personnalité tout au long de la vie –
il y aurait ainsi une continuité des changements au niveau des traits de personnalité, même
à un âge avancé (Helson et al., 2002 ; Roberts et al., 2006 ; Srivastava et al., 2003, cités par
Gomez, Krings, Bangerter & Grob, 2009). Ces changements prennent racine dans les liens
qu’entretiennent la personnalité, le bien‐être subjectif ainsi que les évènements de vie
positifs et négatifs à travers les âges (Gomez, Krings, Bangerter & Grob, 2009).
3.3.1.3. L’approche interactionniste de la personnalité
Dans la lignée d’Allport (1937, cité par Griffo & Colvin, 2009), de Murray (1938, cité
par Griffo & Colvin, 2009) et de Cattell (1965, cité par Griffo & Colvin, 2009), Vezina,
Cappeliez et Landreville (1994) adoptent une perspective « interactionniste » de la
personnalité qui est, dans cette acceptation, un processus continu, alliant stabilité et
changement, impliquant une interaction entre la personne et son milieu socioculturel. Ces
chercheurs mettent l’accent sur le fait que la personnalité, à l’âge adulte, se façonne selon
l’impact des facteurs du milieu social. Cette perspective s’appuie sur les recherches illustrant
le rôle moteur que jouent les évènements de vie difficiles et le stress, ainsi que la
reconnaissance par la personne de la nécessité du changement, dans l’évolution de la
personnalité. Comme le souligne Hooker (2002), nous ne pouvons considérer la personnalité
sans les effets de contexte qui engendrent non seulement une évolution au sein de la
dynamique psychologique d’une personne mais également de tout un ensemble d’individus
(effet de cohorte) à la lumière des différentes époques de l’histoire humaine.
La personnalité est un constituant fondamental de tout individu. Selon ses
différentes expressions, elle sous‐tendra tel ou tel type de mécanismes psychiques
adaptatifs face aux contingences de la vie. Nous pouvons distinguer, nous semble‐t‐il, deux
types de mécanismes à l’œuvre lors d’un vécu de perte : des mécanismes psychiques
réminiscence. Apprécions, dès à présent, leurs caractéristiques et leurs particularités au
service de l’équilibre psychique de la personne âgée.
Dans le document
Le Trouble du Deuil Persistant chez la Personne Âgée : évaluation et Étude des Effets de la Personnalité
(Page 86-90)