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L’adaptabilité psychologique à l’épreuve du TDP

Les ressources psychologiques de l’endeuillé sont au cœur des considérations en 

matière  de  deuil  et  de  résolution  de  celui‐ci.  Afin  d’appréhender  les  mécanismes  et 

processus émotionnels et cognitifs qui servent l’adaptation psychologique, tournons‐nous 

vers  leurs  constituants  dans  l’optique  de  dégager  les  caractéristiques  qui  servent  ou 

desservent l’adaptabilité face aux contingences de deuil.   

2.2.1. La personnalité et l’adaptation 

Durant ces dernières décennies, certaines preuves empiriques ont démontré que la 

personnalité est un déterminant important dans l’adaptation d'un individu au cours de sa 

vie. Un certain nombre d'études longitudinales ont souligné qu’en effet, la personnalité 

prédit une variété de conséquences dans la vie d’un individu, à travers des périodes de 

développement  marquées  par  des  changements  significatifs  dans  des  contextes 

environnementaux (Shiner & Caspi, 2003 ; Shiner & Masten, 2002). Dans cette acceptation, 

la personnalité est « susceptible d'affecter sensiblement la vie d'une personne », mais il est 

également probable que les expériences vécues et celles mettant en jeu   les capacités 

d’adaptation peuvent considérablement, en retour, affecter la personnalité de cette même 

personne (Shiner & Masten, 2002).  

Ainsi, Wijngaards‐de Meij, Stroebe, Schut et leurs collaborateurs (2007) soulignent le 

poids de la composante névrotique de la personnalité en jeu lors du ressenti de douleur et 

de l’émergence d’une dépression à l’occasion d’un deuil – la personnalité de type névrotique 

dépression, la conscience de soi, l'impulsivité et la vulnérabilité (McCrae & Costa, 1999 ; 

McCrae & Costa, 1986), l’expression d’une détresse élevée, de plaintes somatiques et d’un 

affect négatif (Watson & Hubbard, 1996). La personnalité ou, du moins, certains traits 

relatifs à des composantes émotionnelles, dispositionnelles ou de tempérament, jouent un 

rôle fondamental dans la majeure partie des processus psychologiques éprouvés lors d’un 

évènement stressant. Elle est souvent associée à l'appréciation de cet évènement (Gunthert, 

Cohen & Armeli, 1999), à la tendance d’utiliser certaines stratégies d'adaptation (David & 

Suls, 1999 ; McCrae & Costa, 1986), et à l'efficacité de ces stratégies d'adaptation (Bolger & 

Zuckerman, 1995). Parmi les cinq facteurs de personnalité, les  implications du facteur 

névrotique dans la gestion de situations stressantes sont celles qui ont été le plus étudiées. 

Par ailleurs, les autres traits de personnalité (reposant sur le Big Five) ont également dévoilé 

des  particularités  intéressantes,  notamment  lors  d’un  deuil.  Une  personnalité  plutôt 

extravertie tend à se centrer davantage sur les problèmes en déployant une réévaluation 

positive, mettant de côté les émotions négatives pour favoriser des stratégies bien ciblées 

(Hooker et al., 1994 ; McCrae & Costa, 1986 ; Watson & Hubbard, 1996). Concernant les 

personnes ouvertes à l'expérience, elles utilisent, de manière privilégiée, l'humour pour 

surmonter l’adversité (McCrae & Costa, 1986). Quant à celles dont les composantes de la 

personnalité  sont  l’amabilité  et  la  conscience,  elles  auront  tendance  à  déployer  des 

stratégies  de  recherche,  s’orienteront  vers  la  résolution  de  problème,  à  l’aide  d’une 

réévaluation positive, écartant tout aspect émotionnel et évitant les pensées ruminatives 

pour s’axer sur les stratégies d'adaptation (David & Suls, 1999 ; Hooker et al., 1994 ; Watson 

& Hubbard, 1996).  

Dans la continuité des recherches sur la personnalité et de ses articulations avec les 

capacités d’adaptation, des recherches récentes suggèrent que les traits de personnalité 

peuvent avoir des influences importantes pour surmonter un deuil. Pai et Carr (2007) 

mettent en avant qu’une personnalité de type extraverti et consciencieuse préserverait du 

développement de symptômes dépressifs lors d’un veuvage. Ce constat semble d’autant 

plus vrai concernant les veuves – le rôle protecteur des traits de personnalité variant selon le 

sexe  de  l'endeuillé.  Bien  que  bon  nombre  d’études  ont  dégagé  des  éléments  de 

compréhension concernant le rôle de la personnalité dans le déploiement de capacités 

d’adaptation,  Pudrovska et Carr (2008) soulignent combien les stratégies qui en découlent 

également comprendre les liens qui existent avec d’autres facteurs en jeu lors du deuil. Il ne 

reste pas moins que la douleur éprouvée lors d’un vécu particulier est dépendante, dans sa 

gestion,  des caractéristiques de la personnalité d’un individu (Ranger & Campbell‐Yeo, 

2008). Lors de situations anxiogènes, la personne mobilise des « dérivés conscients de 

mécanismes  de  défense »  (l’humour,  l’anticipation,  la  formation  réactionnelle)  qui 

permettent, à un degré plus profond des constituants de sa personnalité, de dépasser les 

sentiments douloureux ainsi que les émotions négatives (Grebot & Paty, 2009). Une récente 

étude menée par Hansenne et Bianchi (2009), utilisant le Temperament and Character 

Inventory Revised (Cloninger, 1999), a permis d’établir combien les traits de personnalité 

tels que la persistance (comme relevant de la persévérance face à la frustration et à la 

fatigue) et l’auto‐direction (impliquant des ressources personnelles bien spécifiques pour 

faire face à un évènement stressant et l’acceptation de soi) étaient des « traits marqueurs » 

impliqués dans l’intelligence émotionnelle lors d’évènement de vie douloureux et, par là‐

même, des facteurs de protection ou de vulnérabilité (lorsqu’ils font défaut) face à un 

éventuel effondrement dépressif. Ainsi, Hansenne et Bianchi (2009) arguent en faveur d’un 

déploiement des capacités d’adaptation ou, de l’intelligence émotionnelle, dépendant des 

traits constituants la personnalité de l’individu.  

2.2.2. Les processus cognitifs et l’adaptation 

Il est important d'intégrer le processus cognitifs dans le jeu de l’adaptation au sein 

d’une analyse traitant des différences individuelles lors du deuil. Rando (1992) est le seul, à 

ce jour, à avoir proposé un des systèmes les plus élaborés en matière de complications au 

deuil. Selon lui, les complications se développeraient lorsqu’il y a « compromis, distorsion ou 

défaillance dans l’une des six « R » processus du deuil » (p. 45). Les six hypothétiques « R » 

processus se composent : d’une reconnaissance de la perte, d’une réaction à la séparation, 

d’un remaniement des expériences relatives à la personne décédée et aux relations, d’un 

abandon des anciens liens d’attachement au défunt et de l’univers de son vivant, d’un 

réajustement adapté de ses actions dans le nouvel univers sans oublier l’ancien et du 

réinvestissement. Dans ce système, toutes les formes du deuil compliqué résultent de la 

tentative de « dénier, réprimer ou éviter les aspects de la perte, sa douleur et toute 

l’abandon de cet amour disparu »

11

. Rando (1992) utilise son modèle des « R » processus 

pour définir les sept syndromes uniques engendrant des complications du deuil (l’absence 

de deuil, le deuil différé, inhibé, déformé, conflictuel, non‐anticipé et celui chronique). Ce 

chercheur souligne que les symptômes peuvent s’exprimer par des troubles mentaux et/ou 

physiques ou par la mort. Il existerait des facteurs de risques associés à la perte et relatifs 

aux variables antécédentes ou postérieures qui favorisent  « une relation pré‐morbide avec 

le défunt qui est marquée par la colère, l’ambivalence ou la dépendance ; ce qui a pour 

conséquence des problèmes de santé mentale et/ou une non accommodation à la perte et 

au stress qui en résulte, et enfin, la perception de l’endeuillé d’une perte de support social » 

(Rando, 1992, p. 47)

12

.  

Dans une autre perspective, Folkman (2001) met en garde que «l'adaptation peut 

avoir une influence relativement faible sur l'ajustement et la récupération par rapport à des 

facteurs tels que la date anniversaire et la nature de la mort, l'histoire et la personnalité» du 

survivant (p.564). Elle poursuivit en soulignant que «néanmoins l'adaptation est importante, 

car elle est l'un des quelques facteurs influant les résultats du deuil qui se prêtent à des 

interventions brèves» (p.564). En outre, comprendre le lien médiateur entre les facteurs de 

stress d'adaptation et ses résultats revient à définir les processus d'ajustement qui se 

mettent en œuvre lorsque nous devons faire face à l’adversité. Les notions d'évaluation 

primaire (l’évaluation du caractère stressant d'une situation) et d'évaluation secondaire 

(l’évaluation des ressources d'adaptation et les options possibles pour y répondre) jouent un 

rôle central dans l'analyse du comportement de survie: la personne évalue la signification 

personnelle de l'événement et l’éventail des ressources adaptatives dont elle dispose. Faire 

face est compris comme «une évolution constante des efforts cognitifs et comportementaux 

spécifiques pour la gestion externe et/ou des exigences internes qui sont évaluées afin de 

dépasser les ressources» internes (Lazarus & Folkman, 1984, p.14, cité par Folkman, 2001).  

Un élément de compréhension supplémentaire peut être empreinté au modèle de 

processus duel (Stroebe, Folkman, Hansson & Schut, 2006). Ainsi, le processus d'adaptation 

lors d’un deuil entraîne une oscillation entre l'évaluation et la négociation des deux types de 

11

 « deny, repress, or avoid aspects of the loss, its pain, and the full realization of its implications for the  mourner […] hold onto, and avoid relinquishing, the lost love one » (Rando, 1992, p. 45) 

12

 « a premorbid relationship with the deceased wich has been markedly angry or ambivalent or markedly  dependent, the mourner’s prior or concurrent mental health problems and/or unaccommodated losses and  stresses, and  the mourner’s perceived lack of social support »

stresseurs,  la  perte  et  la  restauration.  Cette  oscillation  désigne  un  processus  de 

confrontation et d'évitement dans le traitement de tout facteur de stress spécifiquement 

associé à la situation de deuil. L'oscillation est considérée comme un processus fondamental 

de  régulation  de  l'adaptation  (si  cette  oscillation  est  trop  exclusive,  c’est‐à‐dire,  soit 

concentrer sur la perte soit concentrer sur la restauration concernant les facteurs de stress, 

elle ne conduira pas à une adaptation réussie face à la perte du point de vue de la santé de 

l’endeuillé). Par ailleurs, il existe peu de preuves empiriques portant sur l'efficacité de la 

stratégie  employée  pour  surmonter le  chagrin  (Bonanno, 2001; Stroebe  et al., 2005 ; 

Wortman & Silver, 2001). Des constats semblables sont soulevés par les résultats négatifs 

dégagés d’études portant sur la communication émotionnelle, le partage social (Pennebaker, 

Zech & Rimé, 2001) et l'évasion (Bonanno, 2001).  

Récemment, Field et ses collaborateurs (2003) ont étudié l'impact des obligations 

continues  qu’entretient  l’endeuillé  avec  la  personne  décédée.  Contrairement  à 

l'argumentation théorique de Klass, Silverman et Nickman (1996), les obligations retenues 

par l’endeuillé n'étaient pas nécessairement associées à une mauvaise adaptation. D'autres 

chercheurs  ont  fourni  des  analyses  fines  concernant  les  stratégies  plus  spécifiques 

d'adaptation. Par exemple, une étude réalisée par Moskowitz et ses collaborateurs (2003) a 

démontré que le contrôle de la dépression et de l'affect positif, qui est fortement associée à 

un processus d'adaptation  connue comme la réévaluation positive, conduit à atténuer 

l'humeur dépressive avec le temps. Nolen‐Hoeksema et Larson (1999) montrent que le style 

médiateur de l'adaptation comme le contrôle de la douleur est associé à une moins bonne 

adaptation au deuil au cours du temps. Enfin, la recherche entreprise par Boelen (2005) 

suggère l'importance des processus cognitifs de (ré‐)évaluation sur les conséquences du 

deuil, tandis que d'autres ont exploré le sens de la décision comme un instrument dans la 

poursuite de l'adaptation (Davis, Nolen‐Hoeksema & Larson, 1998). 

2.2.3. Les facteurs psychosociaux de l’adaptation au deuil 

Les individus sont des acteurs sociaux, demeurant dans un environnement social qui 

contient, à des degrés divers, du soutien et des ressources. La notion d'assistance sociale, 

définie comme les ressources fournies par un réseau d'individus et par des groupes sociaux 

(Lepore, Evans & Schneider, 1991), est loin d'être nouvelle pour les chercheurs en sciences 

assistance de la part d'autres personnes constituent les principales formes de stratégies 

d'adaptation chez l’individu (Antonucci, 2001 ; Krause, 1997 ; Ren, Skinner & Kazis, 1999 ; 

Sherman, 2003 ; Turner & Lloyd, 1999).  

Le  soutien  social comporterait  deux aspects,  dans la  dynamique des processus 

adaptatifs : un aspect structurel et un aspect fonctionnel (Lee, Arozullah & Cho, 2004 ; Lin & 

Ye, 1999 ; Martire & Schulz, 1999 ; Sherbourne & Stewart, 1991). L'aspect structurel du 

soutien social se réfère à l’appartenance d'un individu à une structure sociale comme, par 

exemple, des organismes communautaires, des contacts sociaux et des réseaux sociaux 

étroits. Ces  positions  structurelles  peuvent  améliorer les chances d'accéder,  pour  une 

personne en détresse, à des aides et à des ressources qui, à leur tour, lui fourniront 

l’assistance et la protection  dont elle  a  besoin  pour  surmonter des conditions  de vie 

défavorables (Aneshensel, 1992 ; Bloom, Stewart, Johnston et al., 2001 ; Boaz & Hu, 1997 ; 

Pearlin, 1989). La famille, les parents ou les amis sont souvent les premières sources de 

soutien que nous consultons au sujet de problèmes rencontrés (Verbrugge & Ascione, 1987). 

Le soutien social structurel joue alors un rôle de modérateur dans le comportement de 

demande d’aide d’une personne en détresse psychologique (Lee, Arozullah & Cho, 2004). 

Par ailleurs, l’exposition à certaines structures sociales (abus de substances, alcoolisme, etc.) 

peut également être source de stress et de risque pour l’individu (Antonucci, Akiyama & 

Lansford, 1998 ; Ingersoll‐Dayton, Morgan & Antonucci, 1997 ; Lin, Woelfel & Dumin, 1986). 

Concernant l'aspect fonctionnel du soutien social, il comprend la communication et la 

transaction  lors  d’activités  qui  servent  à  une  variété  de  besoins  émotionnels, 

informationnels et tangibles, permettant ainsi l’information, la réduction de l'incertitude et 

le contrôle de soi (Lin, Ye & Ensel,  1999 ; Sherbourne & Stewart, 1991).  

Le  soutien  affectif  favorise  un  sentiment  d'estime  et  de  confiance  en  soi  qui 

permettent d'accepter et de traiter la perte efficacement avec les limites individuelles et 

leurs conséquences néfastes (Holahan, Moos & Bonin, 1997 ; McAvay, Seeman & Rodin, 

1996). Une des tendances concernant les recherches à ce sujet a été de dégager les effets 

indépendants des différents facteurs psychosociaux sur la santé physique, tout en ignorant 

les chevauchements possibles entre ces mêmes facteurs (Feldt, Metsäpelto, Kinnunen & 

Pulkkinen, 2007 ; Kaplan, 1995 ; Kontinen, Haukkala & Uutela, 2008). Ainsi, le sentiment de 

cohérence  a  provoqué  beaucoup  d’engouement  dans  les  recherches  après  le 

Antonovsky (1993) a, dès lors, fournit des éléments de compréhension quant à ces facteurs 

protecteurs impliqués dans la santé d’un individu. En effet, le sentiment de cohérence relève 

des  évaluations  internes  et  externes  qu’effectue  un  individu  en  interaction  avec  son 

environnement – évaluations compréhensives, maniables et ayant une signification. Ces 

trois  dimensions  sont  fondamentales  dans  la  réussite  des  capacités  d’adaptation  des 

individus face à l’adversité. Ainsi, pour exemple, un important degré de sentiment de 

cohérence préserverait l’individu des survenues de dépression et d’anxiété lors de situations 

pénibles (Kontinen, Haukkala & Uutela, 2008). 

A  la  lumières  de  ces  nombreuses  recherches  menées  pour  appréhender  les 

fondements mêmes de l’adaptabilité psychologique des personnes face à des évènements 

de vie stressant, douloureux et intrusifs, force est de constater la multitude de ressources 

dont disposent les personne pour faire face à l’adversité. Par ailleurs, comme l’ont suggéré 

certains  chercheurs,  nous  ne  sommes  pas  égaux,  dans  nos  ressources,  dans  nos 

appréciations du monde qui nous entoure, mettant ainsi à mal nos capacités adaptatives qui 

peuvent faire alors défauts et favoriser la survenue de pathologies tant physiques que 

mentales. Qu’en est‐il au juste des facteurs de risques qui peuvent faire basculer ces 

ressources dans un effondrement psychologique tragique ?