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Transporteurs d’acides aminés et la virulence

Chapitre III : Nutrition et virulence

2. Nutrition et virulence chez Francisella tularensis

2.2 Systèmes de transport et virulence chez Francisella tularensis

2.2.2 Transporteurs d’acides aminés et la virulence

Plusieurs études récentes ont mis en évidence l’importance de l’acquisition des nutriments et de l’adaptation nutritionnelle pour la croissance intracellulaire de Francisella (Alkhuder et al., 2010; Napier et al., 2012; Peng and Monack, 2010; Schulert GS et al., 2009; Steele et al., 2013). De plus, les résultats de plusieurs recherches ont mis en lumière l’utilisation des acides

aminés comme source de carbone préférentielle de Francisella (Meibom and Charbit, 2010; Raghunathan et al., 2010; Steele et al., 2013). Leur capture est donc un enjeu majeur pour la multiplication de la bactérie.

a. Transporteurs d’acides aminés et virulence

Les acides aminés peuvent être une source de carbone, d’azote et participer à la synthèse des protéines de la bactérie. Pour cela, les acides aminés sous formes libres ou peptidiques dans le cytoplasme eucaryote, doivent être captés par la bactérie. L’importance du transport des acides aminés dans la virulence des pathogènes a notamment été mise en évidence chez

M. tuberculosis, où le transporteur d’asparagine AnsP2 y a été identifié. Ce transporteur, non

essentiel à la croissance de M. tuberculosis en milieu synthétique, est nécessaire à la réplication dans les macrophages et les souris (Gouzy et al., 2014). De plus, AnsP2 a été décrit comme essentiel pour le métabolisme de l’azote durant l’infection et comme impliqué dans la mise en place de la défense contre l’acidification du phagosome. En effet, l’asparagine capté par AnsP2, est clivé par l’asparaginase AnsA, entraînant ainsi la production d’ammoniac, nécessaire au maintien du pH dans le phagosome (Gouzy et al., 2014).

Chez F. tularensis, des transporteurs d’acides aminés, di, tri et oligo peptides sont prédits à la fois dans les transporteurs actifs primaires (1 protéine) et secondaires (36 protéines) (voir tableau 13). Près de 60% des transporteurs d’acides aminés prédits ont été identifiés dans des cribles comme possédant un rôle dans la virulence de F. tularensis. Ces résultats illustrent donc bien le rôle important de l’adaptation nutritionnelle et notamment du point de vue du transport des acides aminés, dans la virulence des pathogènes intracellulaires.

Tableau 13 : Tableau des transporteurs d’acides aminés, di tri et oligo peptides prédits

chez Francisella tularensis et de leur implication dans la virulence.

Famille de transporteurs Nombre de transporteurs d’acides aminés prédits Nombre de transporteurs identifiés dans des

cribles

Cribles

Transporteurs actifs primaires

ABC 1 1 (Asare et al., 2010; Kraemer et

al., 2009; Maier et al., 2007; Su et al., 2007)

Transporteurs actifs secondaires

MFS 10 8 (Asare and Kwaik, 2010; Asare

et al., 2010; Kraemer et al., 2009; Maier et al., 2007; Moule et al., 2010; Weiss et al., 2007)

APC 11 5 (Asare et al., 2010; Moule et

al., 2010; Peng and Monack, 2010; Su et al., 2007; Weiss et al., 2007)

HAAAP 7 4 (Asare and Kwaik, 2010; Asare

et al., 2010; Maier et al., 2007; Weiss et al., 2007)

POT 8 4 (Asare and Kwaik, 2010;

Kraemer et al., 2009; Moule et al., 2010; Tempel et al., 2006)

b. Les transporteurs phagosomaux d’acides aminés

Les relations entre capture des acides aminés et virulence ont bien été mises en évidence chez L.pneumophila. Ce pathogène intracellulaire, responsable de la maladie du légionnaire, est capable d’infecter les macrophages alvéolaires pulmonaires. Son cycle de croissance intracellulaire débute par une entrée dans les macrophages via un processus de phagocytose

particulier. Par la suite, L. pneumophila inhibe la fusion phagosome/lysosome, via un système de sécrétion de type IV, transforme le phagosome en « Legionella-containing vacuole » (LCV) et s’y multiplie. La multiplication de la bactérie déclenche en 14h la rupture de la membrane plasmique cellulaire et la libération de Legionella dans le milieu extérieur. La multiplication de la bactérie se déroulant uniquement dans le phagosome du macrophage, la capture de nutriments dans ce compartiment cellulaire est donc essentielle à sa réplication. Peu de données sont connues quant aux nutriments présents dans le phagosome et la LCV, mais, plusieurs observations prédisent l’importance du transport d’acides aminés pour la croissance bactérienne. Dans les cellules, Legionella peut être présente sous deux formes. La première, observée dans un environnement nutritionnel favorable, est la forme réplicative, c’est à dire la forme dans laquelle la bactérie se multiplie. La seconde, appelée forme transmissible, est observable en conditions déplétées en nutriments. La différenciation de la forme réplicative en la forme transmissible, en conditions limitantes en nutriments, permet à la bactérie de favoriser sa transmission vers une nouvelle cellule hôte. Cette différenciation bactérienne en fonction des conditions environnementales garantit la survie et la multiplication de Legionella. C’est dans ce contexte qu’un mutant, appelé PhtA (pour phagosomal transporter A), a été identifié comme incapable de se différencier en forme réplicative dans des macrophages et comme exprimant de manière précoce des facteurs conduisant à la forme transmissive en milieu de culture (Sauer et al., 2005). Ce mutant semblait donc être, dans des conditions nutritionnelles carencées, incapable de se répliquer dans les LCV. De plus, le mutant dans le gène phtA a été identifié comme possédant un défaut de croissance, réversible par ajout de thréonine ou d’un dipeptide contenant la thréonine, à la fois en milieu synthétique et dans les macrophages. Pour terminer, des études de prédictions de séquence ont permis de mettre en évidence que le gène phtA encode un transporteur actif secondaire, de la famille des MFS. Ces recherches ont aussi permis de mettre en évidence que la souche L. pneumophila Philadelphia A possède 10 homologues de phtA, formant une nouvelle sous-famille de transporteurs MFS : les transporteurs phagosomaux ou Pht (Sauer et al., 2005). Cette étude a donc conduit à l’identification de PhtA, un transporteur de thréonine nécessaire à la multiplication et la différenciation de L. pneumophila dans les macrophages. D’autres études chez L. pneumophila ont identifié PhtJ, un transporteur de valine nécessaire à la réplication et à la différenciation dans les macrophages (Chen et al., 2008), ainsi que PhtC et PhtD, deux transporteurs contribuant à une protection de la bactérie contre la limitation en dTMP lors du cycle intracellulaire (Fonseca et al., 2014).

Des études bio-informatiques ont permis de mettre en évidencede nombreux paralogues du PhtA de L. pneumophila chez les bactéries, et plus précisément chez les Alpha- et Gamma-

proteobacteria (Chen et al., 2008). Le nombre de paralogues retrouvés chez les différents

organismes varie énormément (voir tableau 14). On retrouve 11 paralogues de Pht chez L.

pneumophila, 10 chez Coxiella burnetii, 6 chez Rickettsiella grylli, 6 chez Francisella tularensis subsp holarctica, 4 chez WolbachiaI, 2 chez Anaplasma, 2 chez Ehrlichia, 1 chez Protochlamidia amoebophila, 1 chez Zymomonas mobilis et 1 chez Prochlorococcus marinus

(Chen et al., 2008). Ces transporteurs Pht sont donc exclusivement retrouvés chez les bactéries à multiplication intracellulaire (obligatoire ou facultative).

Ces 37 Pht prédits ont été classés dans 11 clusters différents, suggérant des transferts de gènes horizontaux. Cette hypothèse a été validée par l’étude comparée des pourcentages en G+C des séquences Pht par rapport au reste des génomes bactériens (voir tableau 14).

Tableau 14 : Membres de la famille des transporteurs Pht de L. pneumophila et F. tularensis

classés par cluster phylogénique. D’après (Chen et al., 2008).

Gène Organisme Taille de la

protéine (aa)

Division bactérienne Cluster 1

PhtD Legionella pneumophila subsp pneumophila Philadelphia 1

427 Gammaproteobacteria

PhtC Legionella pneumophila subsp pneumophila Philadelphia 1

423 Gammaproteobacteria

Cluster 2 Ftu1 Francisella tularensis subsp. holarctica

FTL_1673

426 Gammaproteobacteria

PhtF Legionella pneumophila subsp pneumophila Philadelphia 1

425 Gammaproteobacteria

PhtE Legionella pneumophila subsp pneumophila Philadelphia 1

430 Gammaproteobacteria

Cluster 3 PhtI Legionella pneumophila subsp

pneumophila Philadelphia 1

429 Gammaproteobacteria

Cluster 4

FTL_0931

PhtL Legionella pneumophila subsp pneumophila Lens

429 Gammaproteobacteria

Cluster 6 PhtB Legionella pneumophila subsp

pneumophila Philadelphia 1

435 Gammaproteobacteria

PhtK Legionella pneumophila subsp pneumophila Philadelphia 1

421 Gammaproteobacteria

Cluster 7 Ftu4 Francisella tularensis subsp. holarctica

FTL_1647

400 Gammaproteobacteria

Ftu5 Francisella tularensis subsp. holarctica FTL_1645

403 Gammaproteobacteria

Cluster 8 Cluster 5 Ftu3 Francisella tularensis subsp. holarctica

FTL_0946

401 Gammaproteobacteria

Cluster 9 Ftu6 Francisella tularensis subsp. holarctica

FTL_1803

434 Gammaproteobacteria

PhtG Legionella pneumophila subsp pneumophila Philadelphia 1

432 Gammaproteobacteria

PhtJ Legionella pneumophila subsp pneumophila Philadelphia 1

426 Gammaproteobacteria

Cluster 10 PhtA Legionella pneumophila subsp

pneumophila Philadelphia 1

427 Gammaproteobacteria

Cluster 11 PhtH Legionella pneumophila subsp

pneumophila Philadelphia 1

430 Gammaproteobacteria

L'implication dans la virulence des 6 transporteurs Pht prédits de Francisella (chacun identique à plus de 95 % d'une sous-espèce à l'autre et à environ 30 % avec les protéines Pht de Legionella) a été mise au jour lors de criblage de banques de mutants in vitro (hépatocytes ou macrophages) et in vivo (drosophile, souris) (voir tableau 15).

Tableau 15 : Les transporteurs Pht de F. tularensis SCHU S4 LVS U112 Taille de la protéine Identité entre les Pht Pht (L.pneumophila) Références FTT_0104c FTL_1673 FTN_1611 426 98,4 % PhtD (27%) 1, 2 FTT_0056c FTL_1803 FTN_1654 434 99,3 % PhtJ (33,3%) 3, 4, 5, 6 FTT_0671 FTL_0946 FTN_1011 428 97,9 % PhtC (27%) 7 FTT_0053 FTL_1806 FTN_1657 432 99,5 % PhtJ (31,9%) 4, 6 FTT_0129 FTL_1645 FTN_1586 437 100 % 3, 7, 8 FTT_0127c FTL_1647 FTN_1588 400 96,3 % 2

1 : (Asare and Kwaik, 2010) F. tularensis subsp novicida, crible in vivo Drosophiles 2 : (Kraemer et al., 2009) F. tularensis subsp novicida, crible in vivo souris C57BI6 3 : (Qin and Mann, 2006) F. tularensis subsp tularensis SCHU S4, crible in vitro HepG2 4 : (Weiss et al., 2007) F. tularensis subsp novicida, crible in vivo souris

5 : (Peng and Monack, 2010) F. tularensis subsp novicida, crible in vivo poumons de souris 6 : (Moule et al., 2010) F. tularensis subsp novicida, crible in vivo Drosophiles

7 : (Asare et al., 2010) F. tularensis subsp novicida, crible in vivo Drosophiles

8 : (Llewellyn et al., 2011) F. tularensis subsp novicida, crible in vitro macrophages primaires murins

Une étude systématique par mutagénèse dirigée, des gènes codant pour les Pht prédits de

F. holarctica LVS, a été publiée au cours de mon projet. Ces recherches réalisées dans le but

d’identifier des souches potentiellement vaccinales, ont permis de mettre en évidence une altération de la virulence de Francisella lors de la mutation de deux transporteurs, codés par les gènes FTN_1586 et FTN_1654 (Marohn et al., 2012). De plus, ces mutants ont été identifiés comme étant en mesure de conférer une protection à la souris face à une dose létale de F. holarctica. Cependant, l’approche systématique de cette recherche, n’a pas permis d’en savoir plus sur la fonction de ces transporteurs dans la virulence de la bactérie.

Objectifs :

Ce travail de thèse qui fait l’objet des deux articles présentés ci-après, vise à illustrer l’importance de la nutrition, et plus spécifiquement du transport des acides aminés, dans la virulence de F. tularensis.

Aucun transporteur d’acides aminés n’ayant été jusqu’alors identifié comme jouant un rôle dans la virulence de F. tularensis, nous avons choisi d’étudier une sous-famille de transporteurs MSF, la sous-famille des Pht. Ces transporteurs prédits comme participant au transport des acides aminés chez F. tularensis, ont déjà été identifiés comme nécessaires à la multiplication phagosomale d’un autre pathogène intracellulaire : L. pneumophila.

Notre objectif premier était d’identifier les transporteurs Pht impliqués dans la pathogénicité et/ou la croissance de la bactérie. Pour cela, j’ai inactivé individuellement chacun des gènes codant pour un transporteur Pht prédit. J’ai ensuite caractérisé ces mutants pour leurs capacités de croissance en milieu minimum et de multiplication dans les macrophages murins J774, Ce crible a permis de mettre en avant deux candidats : un premier,

correspondant à la délétion du gène FTN_1586 et présentant un fort défaut de multiplication dans les macrophages ; un second, correspondant à la délétion du gène FTN_1654, présentant un défaut de croissance en milieu minimum.

Notre second objectif a été la caractérisation fonctionnelle, des capacités de transport et d’implication dans la virulence nutritionnelle, de chacun de ces deux mutants. Les résultats de ces recherches sont présentés dans la seconde partie de mon manuscrit sous la forme de deux articles, l’un publié dans le journal Cellular microbiology et l’autre actuellement soumis.

L’asparagine : Un acide aminé requis pour la