Chapitre II : Relations hôtes pathogènes lors de l’infection par Francisella tularensis
3. Bases moléculaires de la virulence de Francisella tularensis
3.5. L’îlot de pathogénicité de Francisella
3.5.1 Découverte et constitution
En 2004, Nano et al. ont mis en évidence par mutagénèse dirigée 2 locus : iglA et iglC (Nano et al., 2004). Ces locus, présents au sein de l’opéron iglABCD (pour intramacrophage growth locus ABCD), ont été identifiés comme nécessaires à la croissance dans les
mettre en évidence l’existence, dans cette région, d’un îlot de pathogénicité d’une taille de 33,9 kb et constitué de 25 gènes, baptisé FPI pour « Francisella pathogenicity island » (voir figure 17). Ce FPI présente un pourcentage en G+C significativement différent du reste du génome de Francisella et est flanqué d’éléments de transposition (Barker and Klose, 2007; Nano et al., 2004).
Figure 17 : Ilot de pathogénicité de Francisella tularensis subsp tularensis SCHU S4.
D’après (Broms et al., 2010). Les flèches de couleur noire indiquent les gènes ne possédant pas d’homologie avec d’autres gènes bactériens. Les flèches blanches indiquent les gènes présentant des homologies significatives avec des gènes d’autres systèmes bactériens.
L’îlot de pathogénicité, bien que très conservé d’une espèce à une autre, est dupliqué chez toutes les sous-espèces de F. tularensis à l’exception de la sous-espèce novicida. Cette présence du FPI en simple copie pourrait être à l’origine de la moindre pathogénicité de cette sous-espèce chez l’Homme (Titball and Petrosino, 2007). Des études ont permis de formuler l’hypothèse d’une présence du FPI en simple copie dans le génome ancestral de Francisella
tularensis (Larsson et al., 2009). La duplication serait due à l’insertion de copies de l’élément
d’insertion ISFtul en amont et en aval du FPI, permettant une recombinaison non réciproque. Cette duplication chez les sous-espèces de F. tularensis, à l’exception de la sous-espèce
novicida, explique en partie que les mutagénèses aléatoires dans les souches de F. tularensis
LVS ou SCHU S4 ne parviennent que peu fréquemment à identifier des gènes de virulence associés au FPI (Kawula et al., 2004; Qin and Mann, 2006). L’identification plus fine des gènes impliqués dans la virulence associée au FPI n’a donc pu se réaliser qu’à partir des études sur la sous-espèce novicida (Gray et al., 2002; Tempel et al., 2006).
Le FPI est constitué de deux opérons contenant au total 17 gènes. Le premier est constitué de 5 phases ouvertes de lecture (ORF en anglais) : pdpD, iglA, iglB, iglC et iglD ; codant les protéines Igl.
Le second, orienté en sens inverse, code pour 12 gènes et contient notamment pdpABC « pathogenicity determinant protein ABC » ( pdpA, pdpB, iglE, vgrG, iglF, iglG, iglH, dotU,
iglI, iglJ et pdpC) (Barker and Klose, 2007). La majorité du FPI est conservée chez les
différentes sous-espèces à l’exception de la région amont de iglA, qui contient les gènes anmK et pdpD. Celle-ci varie entre les souches américaines de Francisella et les souches européennes (Ludu et al., 2008; Nano and Schmerk, 2007; Nano et al., 2004). Chez la sous- espèce novicida, les copies de ces deux gènes sont intactes. Chez la souche SCHU S4, le gène
anmK est séparé en 3 ORF distinctes et le gène pdpD possède une troncature de 150 pb. Chez
les souches OSU18 et LVS, le gène anmK et la plus grande partie du gène pdpD sont absents (Nano and Schmerk, 2007; Nano et al., 2004). L’étude de ces deux gènes chez novicida a permis de mettre en évidence une atténuation des mutants de délétion dans le gène pdpD lors d’infections d’embryons de poulets et de souris, sans perte de virulence dans les macrophages (Ludu et al., 2008), ainsi qu’un effet minimal de la délétion de anmK sur la virulence dans les embryons de poulet.
Les gènes igl. Les gènes de l’opéron igl encodent quatre protéines : IglA, IglB, IglC et IglD. Leur rôle dans la croissance intracellulaire de Francisella a été mis en évidence chez les sous-espèces novicida (de Bruin et al., 2007; Deng et al., 2006; Gray et al., 2002; Lauriano et al., 2004; Ludu et al., 2008; Santic et al., 2005a), holarctica (Bonquist et al., 2008; Golovliov et al., 1997, 2003; Lindgren et al., 2004) et tularensis (Twine et al., 2005). Les protéines IglA et IglC ont été décrites comme importantes pour la croissance dans les macrophages péritonéaux de souris (Gray et al., 2002). La protéine IglA est produite au cours de l’infection de macrophages et semble, de par ses caractéristiques biochimiques, être une protéine cytoplasmique interagissant avec IglB (de Bruin et al., 2007). La protéine IglC a été la plus étudiée de l’opéron igl et particulièrement chez la sous-espèce novicida via des approches in
vitro et in vivo (Golovliov et al., 2003; Santic et al., 2005a; Twine et al., 2005). Son
importance dans la croissance intracellulaire a notamment été mise en évidence chez l’amibe
Acanthamoeba castelanii (Lauriano et al., 2004). Chez la sous-espèce holarctica, la délétion
des deux copies d’iglC provoque un défaut de croissance intramacrophagique, ainsi qu’une atténuation totale chez la souris. Le mécanisme d’action de la protéine IglC commence à être connu. Elle est produite par Francisella dès son entrée dans le macrophage et est nécessaire à la sortie du phagosome. En effet, dans les macrophages péritonéaux de souris, on retrouve 99% des mutants dans le gène iglC au niveau de la vacuole phagosomale (Golovliov et al.,
L’action d’IglC passe par une inhibition des voies NF-κB et MAP kinases conduisant à une faible production de TNFα et d’IL-1 et une atténuation de la réponse inflammatoire dans les macrophages infectés (Telepnev et al., 2005). La protéine IglD semble posséder, dans la sous- espèce novicida, un rôle dans l’échappement du phagosome. En effet, un mutant dans le gène
iglD s’échappe plus rapidement du phagosome vers le cytosol de cellules pulmonaires et
hMDMs de souris BALB/c, mais ne peut s’y répliquer (Santic et al., 2007). Pour terminer, le gène iglE, requis pour la croissance intramacrophagique de Francisella, code pour une lipoprotéine putative.
Les gènes pdp. L’importance des gènes pdp du FPI dans la virulence et la pathogénicité de
Francisella a été mise en évidence chez la sous-espèce novicida par l’étude in vitro et in vivo
de mutants des gènes pdpA, pdpD (Ludu et al., 2008; Mariathasen et al., 2005; Nano et al., 2004) et pdpB (Brotcke et al., 2006; Tempel et al., 2006). Une mutation dans le gène pdpD de
novicida entraîne un défaut de croissance intracellulaire dans les macrophages de moelle
osseuse et de virulence chez la souris (Nano et al., 2004). Ces résultats sont cependant à confirmer car la présence d’un effet polaire sur la transcription des gènes iglABCD lors de la mutation de pdpD pourrait modifier le phénotype observé (Nano and Schmerk, 2007). Une étude de 2008 suggère que l’expression du gène pdpD est en lien avec celle des gènes iglA,
iglB et iglC (Ludu et al., 2008). En effet, une augmentation de la production de PdpD induit
une augmentation de la synthèse de ces protéines. Cette étude a émis l’hypothèse d’un lien entre les protéines IglA, IglB et pdpB et un système de sécrétion permettant le passage des protéines PdpD et IglC vers la membrane externe. Un mutant dans le gène pdpA est incapable de s’échapper du phagosome des macrophages C57BL/6 (Mariathasen et al., 2005; Nano et al., 2004) et reste associé au marqueur lysosomal Lamp-1. Ces résultats suggèrent un effet de la protéine PdpA, identifiée comme une protéine soluble induite dans des conditions de carence en fer, dans la maturation du phagosome précoce jusqu’au stade tardif (Schmerk et al., 2009). Le gène pdpB est, lui, impliqué dans l’entrée et la croissance dans les macrophages murins J774 (Tempel et al., 2006). Une mutation dans ce gène entraîne une diminution de l’ordre d’un million de fois de la virulence chez les souris BALB/c.
Et les autres… Plus récemment, d’autres gènes du FPI ont été étudiés. Les gènes iglG et
iglI semblent impliqués dans l’échappement du phagosome, l’activation de l’inflammasome et
la virulence chez la souris (Broms et al., 2011). Des mutants dans les gènes vgrG et dotU ne peuvent plus s’échapper du phagosome, ne peuvent activer l’inflammasome et sont atténués chez la souris (Broms et al., 2012). Le gène iglH semble quant à lui, être nécessaire à la sortie
du phagosome ainsi qu’à la croissance intracellulaire (Straskova et al., 2012). Un mutant de ce gène est totalement avirulent chez la souris.