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La subversion de la voie de dégradation des protéines

Chapitre III : Nutrition et virulence

1. Virulence et immunité nutritionnelle

1.2 Adaptation à l’environnement nutritionnel de l’hôte

1.2.1 La subversion de la voie de dégradation des protéines

La dégradation des macromolécules de l’hôte par des enzymes sécrétées spécifiques est une stratégie directe et efficace de nutrition des pathogènes. Cependant, certaines bactéries intracellulaires utilisent une autre méthode pour s’assurer un accès aux nutriments, et notamment aux acides aminés : les mécanismes de dégradation de l’hôte.

Le lysosome, par exemple, qui est le principal compartiment cellulaire de dégradation, se trouve être la source d’acides aminés obligatoires lors des infections par Coxiella et

Chlamydia (Ouellette et al., 2011). Des études récentes mettent en lumière une nouvelle

eucaryotes, tels le protéasome et l’autophagie, comme une source d’acides aminés, de carbone et d’énergie (Niu et al., 2012; Price et al., 2011).

a. Legionella et la dégradation protéosomale

Le protéasome, présent dans tous les organismes eucaryotes, fait partie de la machinerie de dégradation des protéines. Il permet le recyclage de protéines anormales ou à la conformation aberrante, auparavant marquées, notamment via ubiquitinylation. Legionella pneumophila est un micro-organisme à multiplication intracellulaire facultative, issu de l’environnement, qui prolifère notamment au niveau des amibes (Al-Quadan et al., 2012). Cette bactérie peut accidentellement contaminer l’humain, par la voie d’aérosols, où elle provoque une pneumonie atypique. La croissance de Legionella dans les macrophages se fait, après échappement du phagosome, dans des « Vacuoles Contenant le Pathogène » ou PCV (Al- Quadan et al., 2012). La principale source d’énergie de L. pneumophila est le métabolisme des acides aminés par le TCA (cycle des acides tri-carboxyliques). En effet, cette bactérie ne possède pas les enzymes nécessaires à la réalisation de la voie de la glycolyse. Le nutriment préférentiel de Legionella est la cystéine. Une grande quantité extérieure de cet acide aminé est donc nécessaire à sa croissance. La cystéine, après sa conversion en pyruvate, est en effet métabolisée dans le TCA. Dans la cellule, afin d’obtenir de la cystéine, L. pneumophila injecte dans le cytosol, un effecteur protéique semblable aux eucaryotes, appelé F-Box. Cette F-Box, ou Ankyrin B (AnkB) est lipidée par la machinerie cellulaire de farnesylation afin d’être ancrée dans la double membrane phospholipidique du PCV (Al-Quadan et al., 2012). L’ancrage de AnkB à la membrane de PCV provoque un assemblage local de protéines poly- ubiquitinylées au niveau de leur Lysine48 (Price et al., 2011). L’ubiquitinylation des protéines a pour rôle leur adressage au protéasome et leur destruction. Cela entraîne donc, au niveau de la membrane du PCV, un niveau élevé d’acides aminés pouvant être importés (Al-Quadan et al., 2012). La suppression de la F-Box ou l’interférence avec la machinerie d’ubiquitinylation rend la bactérie incapable de se multiplier dans les macrophages. A l’inverse, une supplémentation du milieu par un mix d’acides aminés ou par de la cystéine permet de complémenter totalement ce défaut (Price et al., 2011). De façon remarquable, l’adjonction de pyruvate ou de citrate, deux intermédiaires du TCA, est aussi en mesure de rétablir la croissance intracellulaire d’un mutant dans le gène ankB (Price et al., 2011).

b. Anaplasma et l’autophagie

L’autophagie est un processus cellulaire possèdant un double rôle. Elle assure à la fois le recyclage des éléments cellulaires endommagés et une défense immunitaire innée contre les pathogènes intracellulaires. Ainsi, de nombreux pathogènes ont évolué pour éviter cette voie de dégradation par la cellule hôte (Kuballa et al., 2012). A l’inverse, d’autres pathogènes, comme Anaplasma, Coxiella, Rickettsia, Helicobacter, Porphyromonas, Legionella et

Brucella, provoquent l’autophagie (Gutierrez and Colombo, 2005; Kuballa et al., 2012; Starr

et al., 2012). De récentes études ont ainsi permis de mettre en évidence une augmentation provoquée de l’autophagie lors de l’infection intracellulaire par Anaplasma, dans le but d’obtenir les acides aminés nécessaires à sa croissance (Niu et al., 2012).

Anaplasma phagocytophilum, qui fait partie de l’ordre des Rickettsiales, est un parasite

obligatoire des granulocytes et des cellules endothéliales de différents mammifères (Niu et al., 2008). Chez l’Homme, l’anaplasmose (encore appelée ehrlichiose) est généralement provoquée par une piqûre de tique et provoque une maladie fébrile aiguë pouvant potentiellement être fatale (Niu et al., 2008). Dans la cellule, la bactérie se multiplie dans des PCV, des vésicules ressemblant à des autophagosomes, mais ne fusionnant pas avec des lysosomes (Niu et al., 2008). Il est intéressant de noter qu’une inhibition de l’autophagie, par le PI3K de classe III, empêche la prolifération de A. phagocytophilum, quand une induction de l’autophagie l’augmente notablement (Niu et al., 2008).

Le processus utilisé par A. phagocytophilum pour augmenter l’autophagie a été mis en évidence en 2012. L’effecteur bactérien Ats-1 (substrat de secretion-translocation de type IV - 1) est capable de capter Beclin-1, une sous-unité du PI3K de classe III, et Atg14L, qui deviennent localisés au niveau du PCV (Niu et al., 2012). La surexpression d’Ats-1 entraîne le ciblage des PCV et favorise l’infection. A l’inverse, la neutralisation cytosolique, d’Ats-1 via des anticorps spécifiques, ou de Beclin 1 via des siARN suppriment la croissance intracellulaire de la bactérie (Niu et al., 2012). Plus précisément, des souris hétérozygotes pour le gène codant Beclin 1 seront résistantes à une infection à A. phagocytophilum (Niu et al., 2012). Ces résultats suggèrent une dépendance de l’infection au niveau d’expression de Beclin 1, exprimée par les cellules. De façon intéressante, l’arrêt de la croissance intracellulaire, dans les cellules pour lesquelles l’autophagie est inhibée, peut être inversé par une supplémentation en excès d’acides aminés essentiels (Niu et al., 2012). Ces résultats soutiennent l’hypothèse d’une base nutritionnelle à la subversion de l’autophagie par A.

phagocytophilum. Il est important de noter que des protéases associées à la membrane de A. phagocytophilum sont nécessaires à la dégradation des protéines apportées dans le PCV par

l’autophagie. Ces observations accréditent l’hypothèse d’un rôle de l’autophagie comme source de nutriments pour les bactéries (Niu et al., 2012). Ainsi A. phagocytophilum utiliserait l’autophagie comme un moyen de pomper des protéines de l’hôte afin qu’elles soient dégradées par ses propres enzymes et puissent servir de source d’énergie.

Les deux exemples, L. pneumophila et A. phagocytophilum, mettent bien en évidence un lien direct entre la nutrition bactérienne in vivo et la virulence, médiée par des facteurs de virulence dédiés à la subversion des mécanismes de dégradation des protéines de l’hôte.