• Aucun résultat trouvé

L’acquisition de nouvelles voies métaboliques : le premiers pas vers la colonisation

Chapitre III : Nutrition et virulence

1. Virulence et immunité nutritionnelle

1.1 L’acquisition de nouvelles voies métaboliques : le premiers pas vers la colonisation

De nombreuses observations démontrent que pour envahir une nouvelle niche de l’hôte, un pathogène doit acquérir de nouveaux facteurs de virulence (Schmidt and Hensel, 2004). Afin de survivre dans ce nouvel environnement, la bactérie doit posséder la machinerie métabolique nécessaire à l’exploitation des nutriments présents dans cette niche. Dans ce cas, on peut observer des gènes impliqués directement ou indirectement dans la nutrition uniquement chez les souches pathogènes d’une même espèce. Ces gènes de métabolisme sont localisés dans des régions du génome acquis durant l’évolution de la bactérie et que l’on nomme îlot de pathogénicité.

L’acquisition de gènes de virulence nutritionnelle se fait, à la fois par des transferts horizontaux d’îlots de pathogénicité et via des éléments génomiques mobiles (Rohmer et al., 2011), de façon similaire aux autres gènes de virulence dit « classique ». Ces gènes de virulence nutritionnelle codent soit pour un processus métabolique spécifique, soit pour un effecteur bactérien, qui sera injecté dans la cellule hôte, afin de manipuler les besoins en nutriments de la cellule ou les enzymes de dégradation des macromolécules (Alkhuder et al., 2009; Niu et al., 2012; Price et al., 2011). Dans les parties suivantes, nous expliciterons le rôle de l’acquisition de gènes de nutrition dans la virulence de quelques bactéries pathogènes.

1.1.1 Utilisation du tétrathionate par Salmonella typhimurium

Des études récentes ont permis de mettre en évidence un avantage de croissance dans la lumière de l’intestin humain, pour des souches de Salmonella enterica subsp. enterica sérotype Typhimurium, ayant acquis, par un îlot de pathogénicité, la capacité de respirer le tetrathionate (Winter et al., 2010). En effet, les bactéries colonisant la lumière de l’intestin humain produisent de grandes quantités d’H2S, très toxiques pour la muqueuse intestinale.

Pour se protéger, la muqueuse est en mesure de convertir l’H2S en un composé moins toxique,

le thiosulfate (S2O32-) (Winter et al., 2010).

L’infection à S. typhimurium est caractérisée par une forte inflammation, induite par les facteurs de virulence de Salmonella, encodés par les îlots de pathogénicité SPI 1 et 2. Cette inflammation résulte de la production par la bactérie de grandes quantités de radicaux azotés et de réactifs oxygénés dans la lumière intestinale. La production de radicaux azotés libres a été acquise par certaines souches de Salmonella via un phage lysogénique encodant le translocateur SopE (Lopez et al., 2012).

En présence de ces radicaux libres, les thiosulfates sont oxydés en tétrathionates, toxiques pour les coliformes (Winter et al., 2010). Contrairement aux autres coliformes, Salmonella est en mesure d’utiliser le tétrathionate pour exploiter l’éthanolamine ou le 1,2-propanediol comme une source de carbone en anaérobie (Price-Carter et al., 2001)(voir figure 21). Ce métabolisme confère donc à cette sous-espèce un double avantage métabolique, lui permettant ainsi d’envahir efficacement l’intestin de son hôte (Lawley et al., 2008; Stecher et al., 2007) (voir figure 21).

unités de la tétrathionate réductase anaérobie (ttrABC) et un système à deux composants (ttrRS) assurant la régulation des gènes ttr.

Le locus ttr semble particulièrement important lorsque la réponse inflammatoire de l’hôte est mise en place, à la suite de l’activation de SPI1. Une hypothèse a donc été posée quant à la sélection des souches de S. typhimurium ayant acquis ce cluster de gène chez l’hôte. De façon notable, le SPI2 de Salmonella contient à la fois des gènes de virulence dit « classique » et des gènes de virulence nutritionnelle. Ce SPI2 est donc un bel exemple des liens indissociables entre virulence et nutrition.

1.1.2 Utilisation de l’acide sialique par Vibrio cholerae

L’infection par Vibrio cholerae met bien en avant le lien entre nutrition et virulence. En effet, l’îlot de pathogénicité de Vibrio (VPI2), exclusivement retrouvé chez les espèces colonisant l’intestin, code à la fois pour des protéines impliquées dans la virulence bactérienne classique et nutritionnelle. En effet, VPI2 encode une neuraminidase (nan-nag cluster) qui est en mesure de convertir un polysialoganglioside de membrane eucaryote en GM1 monoganglioside. Le monoganglioside ainsi formé est capable de fixer la toxine cholérique et de provoquer la pathologie (voir figure 21). Cette conversion, nécessaire à la pathogénicité de V. cholerae, entraîne la libération d’acide sialique par le récepteur membranaire GM1 (Galen et al., 1992; Jermyn and Boyd, 2002). C’est cette libération d’acide sialique qui va permettre d’apporter une source d’énergie à la bactérie. En effet, la VPI2 code aussi pour tous les gènes impliqués dans la capture (nanH), le transport (dctPQM) et le catabolisme (nanA, nanE, nanK et nagA) de l’acide sialique. Cet aspect de la virulence est particulièrement important pour Vibrio car l’inactivation de cette voie de catabolisme conduit à une réduction de la capacité de la bactérie à coloniser l’intestin de la souris (Almagro- Moreno and Boyd, 2009)(voir figure 21).

Il est intéressant de noter que le locus nan, permettant d’utiliser l’acide sialique comme source de carbone, est exclusivement retrouvé chez les espèces bactériennes et principalement chez les pathogènes des mammifères (E. coli, Shigella spp., S. enterica, S. aureus,

Clostridium spp.) (Rohmer et al., 2011). Chez ces espèces, le cluster nan semble montrer des

Figure 21 : Liens entre nutrition et virulence chez Salmonella typhimurium et Vibrio cholerea. D’après (Rohmer et al., 2011)

1.1.3 Helicobacter pylori, activité uréase et transport du nickel

H. pylori est l’une des seules bactéries capable de se développer dans l’estomac de

l’Homme. Cette bactérie est capable de le coloniser, de déclencher des gastrites, des ulcères et dans certains cas des cancers gastriques (Brown, 2000; Cover and Blaser, 2009). Pour ces bactéries, l’urée sécrétée dans le liquide gastrique, est un nutriment important. Ainsi, l’uréase est un facteur de colonisation de l’estomac pour H. pylori. Une bactérie dans laquelle l’activité de l’uréase est abolie ne peut se développer dans l’estomac. En effet, l’ammonium, généré par la dégradation de l’urée, neutralise localement l’acidité gastrique, formant ainsi un micro-environnement favorable à la bactérie (Follmer, 2010). Pour avoir lieu, l’activité uréase nécessite la présence de nickel. Chez Helicobacter, la capture du nickel est assurée par le transporteur NixA, qui contribue ainsi à la virulence de la bactérie (Bauerfeind et al., 1996; Kusters et al., 2006; Nolan, 2002). Des études bio-informatiques ont révélé que ce transporteur était uniquement présent chez les sous-espèces colonisant l’estomac (H. pylori,

de S. aureus responsables d’infections du tractus urinaire, où une activité uréase est aussi nécessaire à la virulence (Hiron et al., 2010).