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L’idée d’utiliser la maladie, pour affaiblir ou éliminer un ennemi, est apparue très tôt dans l’Histoire des civilisations. Bien avant la découverte des bactéries et virus, les armées d’invasion ou de défense ont utilisé ces procédés pour obtenir la victoire à moindre coût. De l’atteinte à la vie ou à la santé de la personne, en passant par la destruction des récoltes ou du bétail, les approches de guerre biologique sont multiples.

Dans ce chapitre, j’aborderai dans une première partie la classification des armes biologiques et dans une seconde partie l’implication de Francisella dans la guerre biologique

3.1 Classification des armes biologiques

Depuis le début du XXème siècle, de nombreux spécialistes ont tenté de construire une classification des armes biologiques. En 1947, le microbiologiste américain Théodor Rosenbury énonçait les dix critères qui, selon lui, devaient rendre compte de l’efficacité d’un agent en tant qu’arme biologique (Les armes chimiques et biologiques, Daniel Riche, Patrice Binder) :

- Son pouvoir infectant doit être élevé pour la plupart des sujets humains ; - L’incubation de la maladie doit être courte et la morbidité élevée ;

- Il doit pénétrer rapidement dans l’organisme par le maximum de voies (respiratoires, digestives, cutanées) ;

- Il doit posséder un potentiel de contagiosité élevé ;

- Il doit se prêter à une production massive et ne pas présenter d’atténuation de virulence pendant la fabrication, le stockage ou la dissémination ;

- Il doit pouvoir résister à la décontamination spontanée ou artificielle ; - Sa détection et son identification doivent être aussi difficiles que possible ; - Il doit laisser les populations visées dépourvues de moyen d’immunisation ;

- Le traitement de la maladie provoquée doit être sinon impossible, du moins très difficile ;

- L’agent doit présenter un danger très réduit d’action en retour pour l’utilisateur qui doit pouvoir se protéger contre lui.

Depuis 1999, les agents biologiques critiques pour la santé publique ont été classés, par un comité d’experts du « Center for Diseases Control and Prevention » (CDC), en trois catégories : A, B et C (Rotz et al., 2002). Cette agence gouvernementale américaine, dont le centre principal se trouve à Atlanta, a comme prérogatives la protection de la santé et de la sécurité publique. L’un de ces rôles est la surveillance internationale de l’émergence des maladies infectieuses, dont celles associées au bioterrorisme. Cette classification hiérarchisée prend en compte la facilité de dissémination, la transmission inter-humaine, la mortalité, les conséquences en terme de santé publique et de perturbation sociale, les exigences en terme de diagnostic et de surveillance (voir tableau 6).

La catégorie A comprend les pathogènes de haute priorité, dont l’utilisation aurait un impact majeur sur la santé publique et pourrait provoquer une désorganisation des structures économiques et sociales. Ils peuvent être produits et disséminés de façon aisée. Ces agents présentent une létalité importante et sont transmissibles par voie respiratoire. Les agents de la catégorie B sont faciles à disséminer mais présentent une morbidité modérée ainsi qu’une faible létalité. Ils possèdent donc un impact moins élevé sur la santé publique. Ils nécessitent cependant la mise en œuvre de procédures de diagnostic et d’un système de surveillance approprié. La catégorie C regroupe les agents ne représentant pas un haut risque, mais dont la modification, pour favoriser une dissémination de masse, est envisageable. Ils sont plus disponibles, plus faciles à produire et leur utilisation pourrait engendrer une mortalité élevée.

Cette classification est souvent utilisée comme référence et mise à jour par d’autres organismes nationaux, européens ou internationaux.

Tableau 6 : Classification des agents de bioterrorisme potentiels (Rotz et al., 2002)

Agents Biologiques Maladies provoquées

Catégorie A

Variola Variole

Bacillus anthracis Charbon

Yersinia pestis Peste

Clostridium botulinium Botulisme

Francisella tularensis Tularémie

Filovirus et Adenovirus (ex : Ebola, Laasa) Fièvres

hémorragiques Catégorie B

Coxiella burnetii Fièvre Q

Brucella spp. Brucellose

Burkholderia mallei Morve

Burkholderia pseudomallei Mélioïdose

Alphavirus Encéphalite

Rickettsia prowazekii Typhus

Toxines (ex : Enterotoxine B de S. aureus, Ricine) Syndromes toxiques

Chlamydia psittaci Psittacose

Agents menaçants pour la sécurité alimentaire (Salmonella spp. E. coli O157 :H7)

Syndromes digestifs

Agents transmissibles par l’eau (Vibrio cholerae, Cryptosporidium

parvum)

Syndromes digestifs

Catégorie C

Agents émergents (ex : virus Nipah, hantavirus) Fièvres

hémorragiques

En France, la classification réalisée par l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé) est basée sur celle du CDC mais est complétée par des agents biologiques ayant des spécificités épidémiologiques nationales. La « Health Protection Agency » en Angleterre, ainsi que l’Agence Européenne du médicament, répertorient les

agents du risque biologique sur une base commune au CDC et établissent des recommandations concernant les agents des différentes catégories.

3.2 F. tularensis, un agent de bioterrorisme de première catégorie

La primauté des cas de guerre biologique documentés semble revenir à F. tularensis au 14ème siècle avant Jésus Christ dans la région de Zemar, en actuelle Syrie. En effet, vers - 1.350, la région connaît de nombreux envahissements. De l’appartenance à l’Egypte, elle devient tour à tour Hittite puis sous contrôle du peuple Arzawas (Trevisanato, 2007). Lors de leur fuite face aux armées d’Arzawas, les Hittites auraient laissé volontairement derrière eux des béliers contaminés par la tularémie, qui auraient décimé les troupeaux des envahisseurs. Ces cas d’attaques microbiologiques ont été mis récemment en lumière par l’étude des courriers diplomatiques du pharaon Akhenaton.

Beaucoup plus tard, la découverte en 1911 d’une bactérie responsable de la mortalité de l’écureuil et du lapin en Californie entraîne le début des études sur F. tularensis. Le potentiel infectieux humain de cette bactérie ne sera mis en évidence que dans les années 1930 avec des cas d’infections humaines et d’épizootie en Europe, en Union Soviétique et aux Etats Unis. Rapidement, ce potentiel infectieux est exploité dans le but de réaliser des armes bactériologiques. En témoignent les études japonaises de l’unité 731 du docteur Shiro Ishii dès 1932 (Harris, 1992). Cette bactérie semble également avoir été rapidement militarisée par l’Union Soviétique. En effet, un ouvrage d’Alibek (Frischknecht, 2003), directeur adjoint du programme d’armement russe « Biopreparat » durant de nombreuses années, suggère que l’épidémie ayant touché plusieurs milliers de soldats russes et allemands sur le front de l’Est lors de la seconde guerre mondiale serait due à une dissémination intentionnelle de la bactérie.

Entre 1952 et 1973, les américains, dans le cadre de leurs recherches sur l’armement biologique à Fort Detrick, testent de nombreux agents infectieux sur des volontaires (jeunes recrues de l’armée, prisonniers des pénitenciers, objecteurs de conscience, adventistes du septième jour,…) dans le cadre du projet Whitecoat. Des essais sont plus particulièrement réalisés entre 1955 et 1957 avec différentes souches de F. tularensis (Christopher et al., 1997). Ces essais, avec des doses variables d’aérosols et des gouttelettes de taille croissante, ont permis de prouver l’efficacité et le potentiel de dissémination de Francisella. A la fin des années 1960, F. tularensis faisait partie des agents biologiques militaires stockés par l’armée américaine. D’après Alibek (Christopher et al., 1997), l’Union Soviétique continua les

recherches sur Francisella jusque dans les années 1990 et développa des souches résistantes aux antibiotiques et aux vaccins.

Pour mesurer la dangerosité de F. tularensis, un comité d’experts de l’Organisation Mondiale de la Santé estima en 1969 que la dispersion par aérosols de 50 kg d’une souche virulente de F. tularensis au-dessus d’une ville peuplée de 5 millions d’habitants ferait 250 000 victimes dont 19 000 morts. De plus, la persistance de la maladie serait de plusieurs semaines et les individus vaccinés ne seraient pas totalement protégés. L’estimation du coût de la prise en charge d’un tel attentat pour une nation serait de l’ordre de 5,4 milliards de dollars (Kaufmann et al., 1997).

Chapitre II : Relations hôtes pathogènes lors de