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DE LA TRANSMISSION DE FAIT AU PROCESSUS DE TRANSMISSION

2 LES GÉNÉRATIONS

3 DE LA TRANSMISSION DE FAIT AU PROCESSUS DE TRANSMISSION

La première des transmissions est celle qui se lit dans notre patrimoine géné-tique. Nous héritons d’une combinaison génétique de deux filiations. Nos traits physiques, notre constitution et, dans une certaine mesure, nos compé-tences, en dépendent.

La transmission entre générations dans la famille s’appuie sur des signes objectivables ou facilement atteignables par une compréhension psycholo-gique. Le groupe, la loi, c’est-à-dire le corps social, peut intervenir comme par exemple au moment de l’héritage. Non seulement la société en prélève une partie, mais elle doit assurer l’équité entre les héritiers. Les parents doivent transmettre une partie de leurs biens à leurs enfants, la loi leur interdisant de les déshériter totalement. À ce propos, on parle bien de succession comme on parle de droits de succession. Notons au passage que ce sont les enfants et non les conjoints qui héritent. La filiation prévaut sur l’alliance.

De la même façon le nom de famille échappe à celui qui le porte. Il est garant d’une continuité qu’on ne peut rompre sans un accord de la loi.

Ces transmissions de biens véhiculent évidemment des charges affectives extrêmement fortes. En privé, sans que la loi y mette son nez, quel fils ou quelle fille va garder tel ou tel objet chargé d’affects et de souvenirs ? Des conflits familiaux peuvent tenter de recouvrir le deuil mais viennent si j’ose dire déterrer des querelles anciennes sur fond de manque de reconnaissance et d’anciennes jalousies jamais dépassées.

Pour apprendre, il faut reconnaître qu’on ne sait pas. Ainsi pour que quel-que chose nous soit transmis il faut disposer d’une perméabilité à l’autre, perméabilité témoin d’une sécurité interne et d’une assise narcissique suffi-sante. C’est ainsi que peut s’engager un véritable travail appropriatif.

Tout ceci doit pouvoir s’étayer sur un contenant groupal et familial suffi-samment enveloppant.

Pour transmettre, il faut disposer de la même perméabilité pour accepter une forme de perte sans hémorragie narcissique. Il n’y a qu’à voir comment certains dirigeants – hommes politiques ou chefs d’entreprise – s’arrangent pour saborder la transmission : « Après moi, le déluge. » C’est comme si la reprise par l’autre, avec les modifications qu’elle nécessite, infligeait une blessure narcissique trop insupportable.

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

La transmission passe par tout un ensemble de vecteurs comme les rituels, les mythes, les objets dits de médiation et par toutes sortes de signes.

La transmission n’est pas magique mais s’étaie sur des éléments non verbaux (Robert, 1998) parfois au-delà des signes visibles comme le toucher, le goût, l’odorat… Tous nos sens sont mobilisés. Mais à ce stade il convient certainement de distinguer transmission consciente, non consciente, précons-ciente et inconsprécons-ciente.

La transmission consciente, nous l’avons évoquée, c’est celle qui s’appuie sur des intentions objectives comme notamment l’éducation au sens large du terme.

La transmission non consciente réfère au passage des habitudes, des façons de faire, s’effectuant à l’insu des individus, mais non refoulées.

Mais il est surtout question depuis quelques années de transmission psychique transgénérationnelle. Alain de Mijolla (2001) a critiqué ce terme en lui préférant celui de transmission intergénérationnelle. Il conteste en effet l’idée d’une transmission « purement » inconsciente qui ne passerait pas par le préconscient. Dans son article sur l’inconscient, de sa métapsycho-logie, Freud écrit : « Il est très remarquable que l’inconscient d’un homme peut réagir à l’inconscient d’un autre homme en tournant le conscient » (Freud, 1905, p 107). Dans la suite de son texte il s’interroge sur la fonction du préconscient dans la transmission. Le préconscient a certainement une

Un de mes patients souffrait beaucoup d’avoir eu un père très engagé auprès du régime nazi pendant la dernière guerre. Nous avions travaillé beaucoup de choses au cours de sa psychothérapie, au point que nous étions convenus, d’un commun accord, d’arrêter. Deux ans après, il revint me voir, et même si beau-coup de choses s’étaient améliorées dans sa vie affective, professionnelle, dans sa relation aux autres et à ses enfants…, il sentait une sorte de malaise persis-tant. Nous avons repris un travail. Nous avons avancé sur tout un ensemble d’éléments que je ne développerai pas ici. Mais la question de son père est réap-parue de façon particulièrement forte, sans pouvoir décrocher d’une certaine réalité. Ce patient s’intéressait à beaucoup de choses, et notamment à l’histoire.

En l’écoutant, un jour, je me souviens d’un livre que j’avais lu, racontant une histoire proche de la sienne. Alors que ce n’est pas dans mes habitudes de travail, je lui demande de façon presque « automatique » s’il a lu ce livre. Il me dit que non. La semaine suivante, il vient, extrêmement soulagé. Ce qui lui est apparu comme une révélation, c’est que dans le roman, le père n’avait pas été jugé. Il se rappelle alors que son propre père, ayant fui à l’étranger, était revenu en France pour être jugé. Bien entendu il s’en souvenait, mais pas de cette façon.

Le passage par le récit lui permettait de se réapproprier l’histoire, ou plus exacte-ment le passage par un transfert médiatisé par une lecture commune d’une histoire ressemblante le réinscrivait dans une filiation tolérable.

importance capitale pour comprendre le processus intergénérationnel. Il se manifeste par des signes non verbaux, comme je l’évoquais, ou par des comportements ou des événements symbolisant, le cas échéant, une problé-matique non résolue à la génération précédente.

Je voudrais maintenant développer la question des transmissions transgé-nérationnelles les situant résolument à un niveau inconscient. C’est à partir des travaux de Nicolas Abraham et de Maria Torok (1978) que se sont déve-loppées les réflexions sur le transgénérationnel. On peut aborder la question à partir du secret ou du traumatisme. Le secret de famille peut porter sur la filiation. Un père n’est pas le père biologique de l’enfant et les parents, comme l’entourage proche, gardent le secret. L’enfant n’en a pas de connais-sance consciente. Ce secret se transmettra de façon inconsciente aux généra-tions suivantes. Nicolas Abraham et Maria Torok écrivent ainsi :

« Le fantôme est une formation de l’inconscient qui a pour particularité de n’avoir jamais été consciente, et de résulter du passage de l’inconscient d’un parent à l’inconscient d’un enfant » (Abraham et Torok, 1987, p 429).

Dans ce cas de figure il ne s’agit pas de désirs interdits qui auraient été refoulés par le sujet mais de matériaux psychiques non conscients transmis d’une génération à une autre. Cela se traduirait par des symptômes ou des comportements qu’on ne pourrait pas relier à l’histoire du sujet ni à sa névrose infantile. Cet impensé, ce non-élaboré, non symbolisé, continuerait à

Il s’agit d’un groupe familial de huit personnes. Il y a là quatre adultes, parents, et trois de leurs enfants adolescents ou jeunes adultes. Les parents sont tous les quatre frères et sœurs entre eux. Ils viennent me voir car, alors que toute la famille était très unie, un vol a été commis au cours d’une fête de famille ; une des filles a été accusée et de là un grave conflit a surgi avec des conséquences sur tous les membres de la famille. Je demande pourquoi les quatre parents ici présents ne sont pas accompagnés par leurs conjoints ou conjointes. Il m’est répondu à chaque fois par des rationalisations, arguant que les uns ou les autres étaient trop occupés. Nous convenons assez rapidement que ces absences, de fait, marquent une branche de la filiation. Il est donc question des grands-parents, c’est-à-dire des parents de la génération d’adultes en présence. L’histoire des grands-parents se révèle très douloureuse, faite d’exil et de conditions extrê-mes nécessitant une « union sacrée ». Lors d’une deuxième séance, la génération des « jeunes » a pu dire alors d’une même voix qu’ils en avaient assez de cette famille où il était impossible de se disputer et d’avoir le moindre conflit. C’est comme si l’acte commis remettait en cause toute l’idéologie familiale (Aubertel, 2007). Ce mouvement de révolte générationnel a eu aussi pour effet de faire exister davantage « les pièces rapportées », c’est-à-dire les conjoints absents au cours de la première séance.

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être présent et actif et pourrait se révéler de façon spectaculaire dans des concordances avec la réalité. Par exemple dans le choix d’un métier, dans des dates d’anniversaire ou encore dans des lieux où se télescoperaient le présent et le passé méconnu.

À côté du secret je parlais du traumatisme. Telle ou telle situation – comme par exemple un deuil – aurait pu ne pas être élaborée par un sujet et faire porter ce travail impossible sur la génération suivante. Mais l’inélaborable, l’irreprésentable, là aussi pourrait se transmettre de génération en génération.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce n’est pas tant le secret ou le trauma en eux-mêmes qui posent problème mais les effets qu’ils peuvent avoir produits sur le processus même de la transmission. Il faut se méfier d’une mauvaise lecture des concepts de crypte et de fantôme. Ils peuvent s’ils sont mal compris présenter un côté magique et éviter l’Œdipe et le sexuel. Mais cela n’enlève rien au fait qu’un débordement de l’appareil psychique ait pu provoquer des dégâts dans le processus de transmission. La métapsychologie postule l’existence d’un appareil psychique. Les groupalis-tes ont parlé d’un appareil psychique groupal. Le terme d’appareil est extrê-mement important. Il permet un travail constant de rééquilibrage et de transformation dans le psychisme. Nous en arrivons donc à notre point crucial : il ne peut pas y avoir de véritable transmission psychique sans trans-formation. C’est en partie pour cela que Serge Tisseron se méfie du mot

« transmission », lui préférant celui d’« influence » (Tisseron, 1995). Dans ces cas de secret ou de traumatisme c’est l’appareil psychique avec ses quali-tés de transformateur qui est endommagé, voire partiellement détruit. Dans ces situations, il ne s’agit pas, de mon point de vue, d’un enkystement indivi-duel comme certains auteurs le laissent à penser (Faimberg, 1993 ; Rouchy, 1995), il s’agit d’une pathologie de contenant. ce n’est pas le secret qui compte, mais ses effets. Ce n’est pas l’individu qui encrypte le fantôme, mais le groupe qui subit et entretient sa radioactivité. On assiste alors à des répéti-tions de génération en génération où l’on a le sentiment que les pathologies familiales se reproduisent à l’identique. Du coup, pas de véritable place pour le tiers, la différence, la symbolisation, et du coup la pensée. C’est un peu comme une forme de clonage. C’est en partie à partir de ces théories que se sont développées les thérapies familiales psychanalytiques qui auraient pour fonction une remise en route de l’appareil psychique groupal, d’une enve-loppe contenante et à partir de là la remise en route des processus d’indivi-duation et de différenciation.

Je voudrais maintenant présenter une situation de thérapie familiale illus-trant le poids du traumatisme et la difficulté à transmettre1.

1. Ce cas est celui d’une famille suivie avec Madame Christiane Fonseca, que je tiens à remercier ici chaleureusement pour sa qualité d’écoute et sa grande humanité.