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VERS QUELS AXES S’ORIENTER ?

DE COMPRÉHENSION DU PROCESSUS PSYCHIQUE DE L’ADOLESCENCE 1 1

3 VERS QUELS AXES S’ORIENTER ?

Trois problématiques expliquent pour nous la vulnérabilité potentielle de cette période de la vie et l’émergence chez certains de troubles psychopatho-logiques manifestes : la nécessité des changements et par la même des résis-tances, apparemment paradoxales, qu’ils soulèvent, la nécessité de nouveaux choix et, en retour, la dépendance aux attachements de l’enfance qu’ils susci-tent, la nécessité des engagements identificatoires et identitaires et les mena-ces que mena-ces engagements soulèvent.

3.1 Le temps des changements et des résistances paradoxales à ces changements

Tout changement humain est marqué à des degrés divers, consciemment ou inconsciemment, par des désirs, des craintes et des effets de surprise.

L’adolescence est avant tout un processus de changement particulièrement riche en contradictions, en paradoxes et en conflictualité intrapsychique que seule la compréhension du besoin et du désir de changements et celle des résistances défensives en retour qu’ils suscitent permettent de supporter et de dépasser les obstacles rencontrés.

Tout psychologue clinicien est frappé de voir ces garçons et ces filles nouvellement habités par de récents désirs, sources d’espoir, de motivations et de volonté, manifestaient défensivement et paradoxalement une peur du changement et exprimaient même par moment un immobilisme, un désarroi,

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

voire un certain désespoir. Les attitudes provocatrices ou de prestance, parti-culièrement apparentes dès que l’attraction génitale est en jeu, cachent et protègent un manque de confiance en soi dont les adolescents parlent volon-tiers une fois qu’ils se sentent en confiance. De nombreuses formes explici-tes et impliciexplici-tes de la psychologie et de la psychopathologie à l’adolescence portent le travail délicat de ces transformations du narcissisme nécessitées par la conquête de la génitalité (Marty, 2002).

Ces paradoxes prennent de multiples formes pas toujours évidentes à cerner. L’adolescent peut exprimer à la fois égoïsme et générosité, avoir des réponses catégoriques à tout et douter profondément de son corps, de lui-même et des autres, revendiquer fortement son autonomie et solliciter ses parents pour des actes banals de la vie quotidienne, mettre en avant son origi-nalité et se fondre dans une mode ou dans un groupe où un conformisme évident est de règle, désirer de tout son être une relation charnelle et en avoir une peur intense.

Les changements psychologiques paradoxaux des plus apparents aux plus profonds, si spécifiques du processus d’adolescence, n’apparaissent-ils pas paradoxalement les plus immuables ? Rappelons ici cet adolescent qui se scarifiait le bras et avait inscrit au cutter sur son bras « kill them », « tues-les » en anglais qui s’entendait « aimes-tues-les » en français. Ne sommes nous pas devant le paradoxe qu’aime rappeler Philippe Jeammet concernant l’adolescence : « C’est ce dont ils ont le plus besoin qui les menace le plus. » L’adolescence n’a-t-elle pas été de tout temps prise par le paradoxe se jouant autour des questions autonomie/dépendance, identité/identification et amour objectal (aux imagos parentaux)/représentation de soi et narcissisme. C’est peut-être à ce niveau que les adolescents d’aujourd’hui sont des adolescents éternels, à une condition près : que leurs parents ne soient pas d’éternels adolescents.

3.2 La conquête de soi et de l’autre à l’âge des détachements

« Grandir est par nature un acte agressif » rappelait D. Winnicott. Dans sa relation aux parents et aux imagos parentales, le désir de séparation, de distance et de désengagement qui caractérise l’adolescence commence par un sentiment de conquête de soi et de déception de l’adolescent à leur égard : il les « désidéalise » mais doit aussi renoncer à leur protection. II lui faut alors trouver un autre idéal et une autre protection qu’il cherchera, souvent répétitivement à l’extérieur du cercle familial. Ainsi, la communication avec les parents devient plus difficile et nécessairement conflictuelle. De la compréhension de ces derniers et de leur capacité à faire face à ces attaques et à ces mouvements paradoxaux dépendra en grande partie le devenir de ces

paradoxes. Toute démission plus ou moins explicite des adultes ne fera qu’entretenir si ce n’est aggraver ces paradoxes (Jeammet, 2008). Le risque alors d’« abandonnismes parentaux », soit pour des raisons socio-économi-ques, soit pour des raisons personnelles liées aux problèmes que rencontrent eux-mêmes psychologiquement les parents, n’est pas négligeable.

Conquérir, désidéaliser et choisir ne représentent pas à l’adolescence des tâches simples. Cela demande de prendre des positions actives, de prendre des engagements et surtout de décider suffisamment sereinement.

L’adolescence est le moment où ces conquêtes et ces choix se présentent consciemment à l’esprit du sujet et qu’il doit y réfléchir, s’y engager et les assumer. On comprend qu’un certain nombre d’adolescent s’en sentent angoissés, qu’ils adoptent des attitudes d’évitement, de retrait ou de refus dans une passivité qui en retour les déçoit sur eux-mêmes et sur la vie.

C’est difficile pour les adolescents eux-mêmes mais c’est complexe là aussi pour les parents. Cette difficulté des conquêtes et des choix doit être partagée entre les parents et les adolescents. On les voit initialement s’oppo-ser fortement aux parents et éventuellement aux professionnels que nous sommes, pour ensuite quelques minutes ou quelques heures plus tard, demander et accepter un réconfort totalement paradoxal par rapport à ce qui se passait deux heures auparavant ou la veille. Dans son comportement, ses pensées, ses sentiments, ses émotions, l’adolescent oscille entre un désir de séparation et un besoin d’attachement et de dépendance qui se contredisent réciproquement, et dont il peut parfois souffrir. Là aussi les attitudes parenta-les sont importantes. On voit ainsi des adoparenta-lescents en très grande difficulté face à cette vacuité que l’absence de parents sous une forme physique ou sous une forme psychologique représente ; ceci signifie et montre bien que l’adolescent a toujours besoin de ses parents, mais il en a besoin très diffé-remment qu’au cours de sa période d’enfance. Il en a dorénavant besoin pour s’y opposer, pour s’y confronter. Quand il a trop bien « réussi » à attaquer ses parents, c’est-à-dire que ses parents s’effondrent devant ces attaques plus ou moins explicites dans ces moments difficiles, il en est beaucoup plus culpabilisé que rassuré.

Une véritable dialectique s’engage entre des besoins d’indépendance ou de séparation et des besoins de dépendance, non seulement entre les person-nes réelles qui constituent le proche entourage de l’adolescent, mais égale-ment au niveau des images internes qu’il s’en est faites. Ce n’est pas forcément l’adolescent qui affiche un besoin de séparation très prononcé qui ressent le moins le besoin de dépendance, bien au contraire, on le constate à propos des conduites addictives quelle qu’elles soient. D’autant plus que le besoin profond de dépendance est présent et complique les choses, poussant quelquefois l’adolescent à des conduites d’opposition, de colère ou de risque, qui doivent être comprises comme des tentatives de lutte contre ce besoin de dépendance.

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Cette tâche de l’adolescence de devenir un jour adulte passe par cette confrontation avec ses propres imagos parentales et avec ses propres repré-sentations de lui-même. C’est là où le problème des choix et des décisions se pose ; ces choix et ces décisions des plus apparemment anodines (habille-ment, heure de sortie) aux plus sérieuses (choix amoureux, orientation scolaire puis professionnelle), peuvent être une source de relations interper-sonnelles et intrapsychiques particulièrement tendues ou angoissantes.

L’adolescent, au-delà d’une présentation assez souvent agressive ou excessivement affirmative, est au fond très inquiet ou très indécis sur ce qu’il doit faire et pourquoi il doit le faire. En tant que professionnels du champ psychique, on entend, au fil des séances de psychothérapie, combien derrière ces manifestations de prestance, d’affirmation agressive, ces adolescents peuvent être anxieux sur eux-mêmes et culpabilisés.

3.3 Le temps des engagements identitaires

Identité et identifications ne peuvent se concevoir séparément à l’adoles-cence (E. Kestemberg). Ainsi la dynamique identité/identification doit être différenciée de l’imitation avec laquelle elle est souvent confondue. L’identi-fication représente pour certains un processus, pour d’autres un fantasme se situant toujours au niveau inconscient. De nos jours, la tension entre l’iden-tité (au singulier) et les identifications (au pluriel) tend à être comprise comme le reflet de l’antagonisme narcissico-objectal qui constitue le cœur du travail psychique de l’adolescence. Si celui-ci s’inscrit dans la psyché humaine dès la naissance, c’est à l’adolescence, comme la clinique nous le montre que ses enjeux deviennent essentiels (A. Braconnier et B. Golse). Le concept d’identité renvoie en effet d’abord au narcissisme de l’individu et à la qualité des premières relations, en particulier des relations de soins préco-ces constitutives de ce narcissisme. Plus préco-ces relations précopréco-ces ont été satis-faisantes, ont permis un investissement du soi en continuité et équilibré (l’investissement libidinal du soi « neutralisant » en partie les investisse-ments agressifs du soi), plus le sentiment d’identité sera stable et assuré, et à l’inverse moins l’antagonisme entre le besoin objectal et l’intégrité narcissi-que se fera sentir : l’objet n’est pas une menace pour le sujet dans la mesure où la relation d’objet précoce a toujours étayé l’investissement narcissique.

Dans ce cas, la survenue de l’adolescence marquée par son « besoin d’objet » ne menacera pas l’assise narcissique de l’individu. Quand l’identité narcissique est assurée, l’adolescent peut sans danger s’engager dans une quête identificatoire qu’elle soit mimétique ou oppositionnelle. À l’opposé, le sentiment d’identité est d’autant plus fragile et/ou incertain que le besoin objectal est éprouvé comme une menace potentielle pour l’assise narcissi-que. Cela renvoie là aussi aux premiers développement au cours desquels que le sujet a connu et subi des défaillances, excessives dans la qualité ou la

continuité de son investissement, a vécu des ruptures traumatiques ou n’a jamais pu faire l’expérience de brèves et positives séparations lui procurant les préformes de son autonomisation : les défaillances de l’objet précoce ont créé des brèches narcissiques. Le réveil pulsionnel de l’adolescence et son besoin objectal seront alors ressentis comme un danger pour l’assise narcis-sique et identitaire contraignant l’adolescent à une attitude d’opposition, de rejet ou de négativisme à cause de l’aspect antinarcissique que prend l’inves-tissement d’objet. Ceci explique l’appétence objectale vécue par certains adolescents comme une insatiable envie qui les menace là aussi paradoxale-ment d’un débordeparadoxale-ment et d’une perte d’autonomie, c’est-à-dire d’une menace narcissique. Beaucoup d’auteurs pensent que cette tension conflic-tuelle entre l’appétence objectale pour quérir les identifications nouvelles et la préservation narcissique pour conserver l’assise identitaire représente l’un des enjeux essentiel de l’adolescence. L’expression de ces tensions passe tout particulièrement par l’acte et par le corps (R. Roussillon).

Ces constats permettent de comprendre l’importance des relations établies entre l’adolescent et ses pairs. Le besoin pour l’adolescent d’être « en groupe » répond à des motivations intrapsychiques, essentiellement identifi-catoires liées à cette dynamique narcissico-objectale. Nous devons ainsi comprendre le rôle du groupe et de ses membres comme intermédiaire ou médiateur des systèmes d’identification et d’identité et comme relais de l’idéal du moi. Le groupe peut aussi être utilisé comme lieu d’externalisation des différentes parties de l’adolescent :

« Grâce à la distribution des parties du self sur les membres du groupe, les be-soins masturbatoires peuvent s’atténuer et les processus sociaux mis en route favorisent à travers la réalisation dans le monde réel, la diminution graduelle du clivage, le déclin de l’omnipotence et la décrue de l’angoisse de la persécution » (Meltzer, 1977).

La question centrale de l’adolescence est ainsi sans aucun doute la cons-truction définitive de ses identifications et par la même de la représentation suffisamment cohérente de soi, de son identité, de sa personnalité et de sa propre subjectivité. Pour que ces identifications à son père et à sa mère, ou à son père contre sa mère, ou à sa mère contre son père, se transforment en une certaine représentation complexe mais compréhensible de sa propre psyché, lui permettant de se construire son identité propre et un jour ou l’autre de devenir parent, l’adolescent se confronte à différentes menaces.

3.4 Le temps des menaces, en particulier de la « menace dépressive »

Quelles sont-elles ? Nous pourrions les résumer ainsi : celle des transforma-tions imprévisibles de son corps, celle des émois inattendus suscités par la

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rencontre avec l’autre, celle de l’intrusion ou du manque, celle de l’ennui, de la solitude et de la déception de soi. À nouveau, il est nécessaire de souligner l’importance de la prise en compte de la lignée narcissique confrontée à la lignée objectale comme le montre l’investissement des limites, l’investisse-ment libidinal de la représentation de soi, les effets de l’investissel’investisse-ment narcissique sur la relation d’objet, l’utilisation positive et négative des défen-ses narcissiques. La clinique mais aussi les épreuves projectives (Chabert et Emmanuelli, 2001) le montrent bien.

D’un point de vue psychopathologique, la menace la plus importante de l’adolescence est probablement la « menace dépressive » (A. Braconnier).

L’adolescence est un temps où le sujet est, pour différentes raisons, confronté à l’image de lui-même : derrière cette certitude qu’il affirme parfois se cache une grande incertitude sur ce qui l’amène à tel ou tel comportement ou à telle ou telle action, face à son agressivité à l’égard de ceux auxquels il se confronte il ressent plus ou moins consciemment une grande culpabilité.

Ceci peut amener un certain nombre d’adolescents à ressentir une certaine impuissance face aux autres, face à la vie, impuissance qui est parfois confortée par le contexte social, culturel, économique. Ces adolescents se sentent alors menacés par cette dépressivité qui, quand elle arrive à son extrême, se manifeste par le sentiment qu’on ne peut plus rien faire et ne pouvoir plus faire que ce rien. La menace dépressive qu’un certain nombre d’adolescents rencontrent va être en effet pour certains particulièrement difficile à élaborer et à dépasser. Certains adolescents en arrivent ainsi à une véritable dépression : être confronté au fait qu’on est totalement impuissant face à ses désirs, face à ce qui devrait vous aider, ou face à une vie qui vous paraît particulièrement difficile à affronter.

Mais plus généralement la menace dépressive se manifeste sous des formes défensives vis-à-vis de la dépression proprement dites, c’est pour cela qu’il s’agit bien d’une menace et non pas d’un seuil déjà franchi. Cette menace se manifeste souvent sous des formes déplacées d’attaque sur son propre corps comme on le voit dans un certain nombre de conduites à risques répétitives : il s’agit ici de ces adolescents qui multiplient les accidents de la route, d’autos, de mobylettes. On voit aussi des adolescents qui vont un peu plus explicitement vers une attaque d’eux-mêmes à travers des conduites d’automutilation explicites. Tous ces comportements apparaissent comme une manière absurde de s’attaquer et en même temps de se confronter au sentiment de rester vivant, c’est-à-dire de se ressentir encore vivant. Ces atta-ques peuvent être encore plus explicitement exprimées sous la forme de trou-bles alimentaires graves. Actuellement, on constate une augmentation importante d’anorexies mentales ou de troubles boulimiques. On peut être confronté à des situations très impressionnantes, soit sous forme d’anorexie, où on voit des adolescents maigrir et refuser l’idée qu’ils se mettent en danger, ou ces adolescentes boulimiques qui se gavent sans aucun plaisir, et après se font vomir dans des crises dont ils sortent, d’ailleurs avec beaucoup

de honte, ce qui les amène à recommencer le même comportement dans des modalités addictives assez comparables à celles qu’on rencontre dans d’autres types d’addiction, en particulier la toxicomanie.

Car bien évidemment, ces comportements d’attaque de soi, d’attaques de son corps, se manifestent aussi à travers des comportements toxicomania-ques graves ou suicidaires à répétition.

Cette menace dépressive peut aussi s’exprimer sous des formes d’attaque contre ses capacités de penser ou plus explicitement sous des formes d’effondrement scolaire. On voit là, beaucoup plus proche de ce que l’on rencontre chez l’adulte, des sujets qui expriment une difficulté de concentra-tion de la pensée, une difficulté à prendre du plaisir à apprendre, un désinté-rêt, une grande lassitude, une grande fatigue, une difficulté à penser, qui vont se présenter à l’extrême sous une forme beaucoup plus comparable aux dépressivités plus ou moins graves que l’on rencontre chez l’adulte.

Cette menace dépressive ne résume pas tous les problèmes de l’adoles-cence, mais représente sans doute, actuellement, une des formes les plus profondes du mal-être de beaucoup d’adolescents.

4 L’ADOLESCENT ET SON CONTEXTE