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2. La transmission de la culture haïtienne, entre nécessité et obligation

2.3. Transmission des valeurs culturelles haïtiennes

Dans son livre L’éducation : Pratique de la liberté, Paulo Freire affirme : « Toutes les sociétés doivent transmettre des savoirs d’une génération à l’autre ; on pourra donc comparer la façon dont elles organisent cette transmission142 ». Dans cette dynamique, il nous semble important, de préciser, dans le cadre de cette réflexion, ce que nous entendons par valeurs culturelles haïtiennes. En fait, il s’agit d’un ensemble d’éléments se rapportant quelquefois aux dates importantes de l’histoire d’Haïti, des éléments de l’art haïtien et de la cuisine haïtienne. À propos de cette transmission Josué affirme ceci : « La meilleure façon pour nous parents d’apprendre à nos enfants les réalités de la culture haïtienne, c’est de leur faire visiter le pays ». Cette approche de Josué nous paraît d’une importance capitale pour au moins deux raisons majeures : d’une part, les informations que l’on entend dans les médias sur Haïti font souvent peur à ceux qui ne connaissent pas encore le pays. Souvent les médias projettent de fausses images du pays. D’autre part, les voyages offrent aux enfants l’opportunité d’acquérir de nouvelles connaissances.

Le fait même de réduire tout le pays à quelques bidonvilles de Port-au-Prince constitue une grosse erreur. Port-au-Prince n’est pas Haïti. Elle est tout simplement la capitale du pays. En ce sens, l’enfant qui voyage, qui fait sa propre expérience, comprend mieux les discours véhiculés dans les médias. Le fait pour lui de découvrir ce pays, cela lui donne la possibilité de pouvoir, par lui-même, faire sa propre évaluation et par conséquent de mieux mesurer l’ampleur du discours des médias. Hanna Maleweska-Peyre nous attire l’attention sur la difficulté de certains jeunes à bien accueillir les valeurs culturelles de leurs pays d’origine : « Le refus des valeurs des parents et de la communauté d’origine est parfois provoqué par deux facteurs : d’une part par la connaissance assez fragmentaire de la culture d’origine, d’autre part par l’application très autoritaire des normes qui sont extraites d’un système plus global et qui sont mal adaptées à la réalité actuelle143 ».

En disant : « c’est très important d’apprendre à mes enfants l’amour de la culture haïtienne, c’est- à-dire la fête du drapeau haïtien le 18 Mai, les œuvres d’art », Éléonore se situe dans une

142 Pierre R. Dasen et Christiane Perregaux, Op.cit., p.109.

143 Hanna Maleweska-Peyre, in Claude Clanet L’interculturel en éducation et en sciences humaines, Paris, Université

perspective historique. L’histoire d’Haïti est une histoire souvent méconnue. Donc, garder la mémoire de cette histoire, cela peut être considéré comme une manière d’assumer son existence de peuple appelé à construire une nouvelle histoire. La finalité de cet apprentissage de l’histoire nous est présentée par Éléonore comme une condition de possibilité pour maintenir vivante ses racines : « C’est la meilleure façon pour moi de les [les enfants] aider à garder leurs racines ». Cet effort pour garder ses racines ne signifie nullement que l’enfant doit ignorer la culture ambiante. D’ailleurs, il ne pourra jamais y arriver puisqu’il vit dedans continuellement. Cela supposerait en fait une capacité de positionnement, ce qui n’est pas toujours évident pour les enfants. En tout cas, l’essentiel pour celui ou celle qui vit dans une culture étrangère est de savoir faire la part des choses. C’est ce qui nous semble exprimé à travers ces mots de Josué : « Il y a parfois un mélange des deux cultures et cela nous paraît tout à fait correct parce que nous ne pouvons pas ignorer la société dans laquelle nous vivons ». Ce mélange des deux cultures apparaît comme une alternative à la tentation de vouloir tout rejeter ou tout prendre. Au sujet de ce mélange H. Gratiot-Alphandéry et S. Yakoub nous avancent :

Le petit enfant étranger vivant en pays d’accueil vit en situation biculturelle. En employant ce terme plutôt que celui d’interculturel, nous voulons dire qu’il n’est pas écartelé entre deux cultures mais qu’il superpose deux cultures. On ne peut pas dire qu’il fait un choix entre les deux, ni qu’il crée une troisième culture […]. Il passe plutôt d’une culture à l’autre selon les circonstances, les priorités affectives, les influences du moment, les appels144.

Ces différentes stratégies mises en place par l’enfant ont pour but de lui permettre de frayer son chemin, de trouver sa vraie place dans le milieu environnant. La superposition des cultures telle qu’elle est nous est rappelée par nos deux auteurs est un phénomène naturel que l’on retrouve souvent chez les enfants issus de l’immigration. Probablement, il existe d’autres stratégies d’intégration, mais celle-ci demeure très fréquente et sa finalité est de trouver sa place au sein de la société dans laquelle on vit. Certes, nous ne sommes pas tous marqués de la même manière lorsque nous entrons dans une nouvelle culture. En fait, nos capacités d’adaptation ne sont pas toujours identiques. Donc, chacun selon ses désirs et sa capacité d’adaptabilité fraie son chemin à

144 H. Gratiot-Alphandéry et S. Yakoub, « Image de soi et appropriation culturelle chez l’enfant », in J. Retschitzky,

son rythme personnel et selon les outils dont il dispose. C’est ce que nous révèle Vygotski dans la théorie du développement de l’enfant.

Enfin, que dire de la cuisine haïtienne comme l’un des traits fondamentaux de cette culture ? Les enfants migrants apprécient-ils tous les plats haïtiens ? Peut-être, avant même de se poser cette question, il fallait savoir si les parents ont l’habitude de cuisiner à l’haïtienne. Écoutons ce que nous dit Josué : « Dans la famille, ma femme et moi, nous faisons la promotion des plats haïtiens même si parfois les enfants préfèrent les autres repas ». Il n’est pas étonnant que la plupart des enfants migrants haïtiens ici en France, soient peu intéressés par certains plats haïtiens. En fait, le désintéressement se situe, pour certains, au niveau de la cantine scolaire. À force de manger les mets français ils finissent par s’y faire très facilement. C’est un phénomène qui est assez courant chez pas mal d’enfants. Chez les adolescents, le problème est moins fréquent. Un autre trait de la culture haïtienne est la musique particulièrement les danses folkloriques et le « kompa145 ». C’est en ce sens que Josué nous dit qu’il fait « la promotion de la musique haïtienne ». C’est un mode d’identification. Car l’haïtien est par nature un amoureux de la musique. Il aime la musique. Il suffit de frapper le tambour pour qu’il se mette à danser. Donc, promouvoir la musique haïtienne a un double effet. D’une part, cela permet aux enfants de garder le lien avec leur langue maternelle, c’est-à-dire le créole et d’autre part, d’apprécier les spécificités de la culture haïtienne, d’aimer davantage leur pays d’origine, bref, d’apprécier les richesses d’Haïti.