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Les transitions énergétiques passées : une approche pour appréhender la transition énergétique « bas carbone »

« bas carbone »

B- Les transitions énergétiques passées : une approche pour appréhender la transition énergétique « bas carbone »

1- Les transitions ruptures et les transitions énergétiques-substitutions dans l’Histoire.

Les transitions énergétiques-ruptures correspondent à des transitions énergétiques majeures couplant des substitutions énergétiques multiples à des ruptures de grande ampleur du système sociotechnique dominant alors que les transitions énergétiques-substitutions se réduisent à des substitutions énergétiques associées à des réajustements mineurs du système sociotechnique qui reste inscrit dans le système énergétique dominant. Celles-ci se distinguent également dans leur dimension temporelle, les transitions énergétiques-ruptures étant associées à une longue durée alors que les transitions énergétiques-substitutions s’inscrivent dans une courte durée (Duruisseau, 2014).

On peut identifier deux transitions énergétiques-ruptures dans l’Histoire (Smil, 2010 ; Debeir et alii, 2013). La première correspond au développement de la culture céréalière irriguée qui accompagne la sédentarisation des sociétés humaines au Moyen-Orient et en Égypte à partir du IVe millénaire avant notre ère. La seconde correspond au passage combiné des énergies biomasses aux énergies fossiles et de la force animale à la force mécanique au cours des Révolutions Industrielles auquel s’ajoutera à la fin du 19e siècle « l’invention » puis la diffusion de l’électricité. Amorcée dans les Pays du Nord (PN), cette dernière transition se poursuit actuellement dans les Pays Émergents et des Suds (PES).

La première transition énergétique-rupture conduit à l’émergence du système agro-énergétique. La culture céréalière irriguée, le travail musculaire humain et la traction animale sont les convertisseurs énergétiques initiaux associés à cette transition (Debeir et alii, 2013).

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Ce système agro-énergétique n’entrera en déclin qu’à partir de la première Révolution Industrielle en Europe. Ce premier grand anthroposystème énergétique révèle l’existence d’un tryptique énergie-technique-civilisation (Arnoux, 2013). Au cours de son histoire, ce système, basé sur des énergies de flux, a vu ses convertisseurs et ses ressources énergétiques se diversifier : les moulins à eau et à vent en constitueront les convertisseurs emblématiques. La dépendance progressive de ce système à la ressource forestière stimulera la recherche de nouvelles ressources énergétiques, non exclusivement de flux, ouvrant la voie à l’émergence du système thermo-énergétique.

La deuxième transition énergétique-rupture correspond au passage progressif des ressources énergétiques de flux aux ressources énergétiques de stock au cours des Révolutions Industrielles qui conduisent à des ruptures majeures du système sociotechnique dominant. En Angleterre, territoire pionnier d’où elle se diffusera, de multiples facteurs concourent à cette transition dans un ensemble de processus combinés liés à l’urbanisation, au commerce, aux innovations technologiques et à la découverte d’importants gisements de charbon (Solomon et Krishna, 2011). L’ensemble des technologies énergétiques associées et la diversification des usages énergétiques (chauffage, énergie, transport et éclairage) y sont identifiables. Les facteurs les plus importants de cette deuxième transition énergétique-rupture furent sa capacité à fournir des services énergétiques de meilleure qualité à meilleur prix, la réalisation de ces caractéristiques dépendant obligatoirement d’une chaîne d’innovations techno-énergétiques concomitantes (Fouquet, 2010). Le recours au charbon comme nouvelle source d’énergie et la colonisation « vont permettre de lever les contraintes qui pèsent sur les deux ressources rares

des économies européennes du [18e] siècle, la terre et l’énergie » (Desjeux, 2015, p. 31), facteurs limitants au développement. L’invention puis à la diffusion de l’électricité dans le monde occidental constitue une seconde étape de cette transition énergétique-rupture. L’efficacité énergétique supérieure de l’électricité par rapport aux énergies fossiles, sa meilleure productivité et sa réelle flexibilité dans ses utilisations domestiques et industrielles constituent les trois principaux facteurs expliquant sa rapide diffusion qui s’est effectuée en deux phases (Smil, 2010). Au cours de la première phase, l’électricité est produite grâce aux énergies fossiles et à l’énergie hydraulique. Au cours de la seconde phase, l’électricité est produite grâce à un mix-énergétique plus diversifié associant énergies carbonées et décarbonées, le passage de la première à la seconde phase pouvant s’apparenter à un ensemble de transitions énergétiques-substitutions.

Loin d’être restreinte à des substitutions énergétiques successives et à des changements de « paradigme technologique » (De Brandt, 2002), la succession de ces trois transitions correspond à des « processus de changement multidimensionnels relatifs aux technologies, aux

marchés, aux industries, aux politiques mais aussi aux valeurs et [aux] comportements » (Jaglin

et Verdeil, 2013, p. 8). Elles s’inscrivent dans la catégorie des transitions énergétiques-ruptures car elles incluent des ruptures majeures du système sociotechnique dominant et ont conduit à

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la mutation d’une société rurale et proto-industrielle en une société urbaine et industrielle. Les changements identifiés ont particulièrement affecté « les systèmes sociotechniques

énergétiques, dispositifs relativement stables associant des éléments matériels […], des acteurs sociaux […], des cadres réglementaires, des normes mais aussi des valeurs et des représentations intériorisées par les différents acteurs » (Jaglin et Verdeil, 2013, p. 9) et ce sur

la longue durée caractéristique des transitions énergétiques-ruptures. Elles provoqueront une bifurcation entre le monde occidental et le reste du monde (Desjeux, 2015).

Caractérisées par une absence de rupture majeure du système sociotechnique et une inscription dans le système énergétique dominant, les transitions énergétiques-substitutions correspondent à l’introduction dans celui-ci de nouvelles ressources énergétiques associées à des réajustements du système sociotechnique. Une courte durée suffit pour que ces nouvelles ressources énergétiques entrent en concurrence ou se substituent aux énergies du système énergétique initial (Duruisseau, 2014).

Depuis les années 1990, les études portant sur les transitions énergétiques-substitutions dans l’Histoire se sont multipliées. Toutes situées dans un cadre spatio-temporel national et post-Seconde Guerre mondiale, elles répondent à la nécessité de faire évoluer le mix-énergétique associée à une volonté politique s’appuyant sur une ressource naturelle et/ou technologique disponible. Illustrant cette catégorie de transition, on peut évoquer la montée en puissance du gaz naturel dans le mix-énergétique des Pays-Bas à partir de la découverte du gisement de Groningen en 1959. Cette nouvelle ressource a alors répondu à l’accroissement de la demande énergétique néerlandaise en remplacement du pétrole, et dans une moindre mesure du charbon (Van Der Woude, 2003 ; Verbong et Geels, 2007 ; Solomon et Krishna, 2011). On peut également évoquer la montée en puissance du bioéthanol, à partir de canne à sucre, dans le mix-énergétique du Brésil à partir de 1975 dans le double contexte de crise pétrolière et de crise de la canne à sucre (Leite, 2009 ; Hira et de Oliveira, 2009 ; Solomon et Krishna, 2011). On peut enfin évoquer le choix de la France de développer une filière électronucléaire dans les années 1970 en réponse à son niveau élevé de dépendance au pétrole (Ikenberry, 1986 ; Taylor

et alii, 1998 ; Solomon et Krishna, 2011 ; Debeir et alii, 2013 ; Evrard, 2013). Cette transition

énergétique-substitution française doit sa réussite à un environnement politique favorable, des ressources financières disponibles considérables et une réelle maîtrise technologique, dans un contexte de choc pétrolier ayant révélé la dépendance énergétique de la France. En 1974, pour atténuer cette dépendance, les pouvoirs publics renforcèrent considérablement le programme électronucléaire français et facilitèrent sa mise en œuvre par l’entreprise publique Électricité de France (EDF). Les programmes successifs ont ainsi donné ses principales caractéristiques actuelles au système énergétique français, et plus particulièrement à son système électrique.

Ces transitions énergétiques-substitutions se sont réalisées dans un cadre national s’appuyant sur une ressource et/ou une culture technologique nationale. Leur courte durée

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résulte de choix politiques nationaux forts et des fonds considérables permettant le développement massif de technologies associées.

Aux transitions énergétiques-ruptures et aux transitions énergétiques-substitutions correspondent des effets spatiaux majeurs [cf. figure 9]. Les Révolutions Industrielles, qui ont nécessité et permis le passage, sur une longue durée, d’un système agro-énergétique à un système thermo-énergétique, marquent la fin du primat des énergies de flux au profit des énergies de stock, c’est-à-dire l’abandon progressif de ressources énergétiques diffuses, à faibles densités, au profit de ressources énergétiques concentrées, à fortes densités (MacKay, 2009 ; Debeir et alii, 2013 ; Deshaies et Baudelle, 2013). Les Révolutions Industrielles correspondent donc au passage d’une « energy from space » à une « energy for space » (Brücher, 2001, 2009).

Figure 9 – Les deux transitions énergétiques-ruptures et leurs effets spatiaux

Le système agro-énergétique reposait exclusivement sur des ressources énergétiques dépendant de l’énergie solaire, pour lesquelles la quantité d’énergie produite est proportionnelle à l’aire d’approvisionnement, soit la surface terrestre irradiée. Les capacités de transport, et donc d’approvisionnement énergétique, étant limitées, l’énergie est alors produite à partir de ressources locales, ce qui limite les capacités du système énergétique et plus largement les concentrations de population (Deshaies et Baudelle, 2013). Cela s’est ainsi traduit, au cours de la période de proto-industrialisation en Europe, par une dispersion des industries au fil de l’eau et dans les forêts, au plus près des gisements énergétiques (Debeir et alii, 2013). Dans le système agro-énergétique, il existe donc une corrélation entre les lieux de production et de consommation énergétiques. Le système industrialo-énergétique se caractérise par une double concentration : une concentration des lieux de production d’énergies de stock à haute densité et

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une concentration des lieux de consommation. Lieux de production et de consommation connaissent une dissociation importante. Ce système repose donc sur l’établissement de réseaux de transport d’énergie performants liant lieux de production et lieux de consommation. L’efficacité de ce système énergétique n’est plus « tributaire de la surface de production locale [mais repose sur] la capacité de la société à accéder aux gisements d’énergie fossiles locaux

ou éloignés » (Deshaies et Baudelle, 2013, p. 57). L’émergence successive de nouvelles filières

énergétiques, au cours de transitions énergétiques-substitutions ont accru l’aire d’approvisionnement du système énergétique dominant.

Pour améliorer l’appréhension de la transition énergétique-rupture que constitue le passage du système agro-énergétique au système industrialo-énergétique, l’ajout à son étude d’une dimension paysagère est pertinent, le concept de paysage ayant été largement utilisé par la géographie (Brunet et alii, 1993 ; Berque, 1996 ; Bertrand et Bertrand, 2002 ; Claval, 2007 ; Labussière, 2007 ; Besancenot et alii, 2008). La forte intensité des ressources énergétiques de stock et leur concentration géographique dans des gisements localisés, dont l’exploitation a conduit à un fort processus d’anthropisation « industrielle » de milieux jusqu’alors agraires (Baudelle, 1995), confirme la nécessité du recours au paysage. Au cœur de la géographie vidalienne où le paysage et son étude étaient « à la fois la traduction concrète des rapports

homme-milieu et un moyen de mettre en évidence les différenciations régionales » (Terrasson,

2006, p. 187), ce concept se dilue à partir des années 1970 dans une multiplicité d’approches pluridisciplinaires (Melin, 2010). M. J. Fortin classe les multiples approches actuelles du paysage en trois grandes orientations : territoriale, culturelle et politique (Fortin, 2005). Cette analyse retient une approche territoriale du paysage comme production matérielle des sociétés (Beucher et alii, 2005), comme « l’empreinte de l’énergie humaine à la surface du sol » (Dion, 1951, p. 25). Les paysages des bassins miniers charbonniers en sont une parfaite illustration. M. Deshaies identifie trois spécificités de l’évolution des paysages agraires aux paysages miniers charbonniers : (i) une modification de la surface topographique naturelle ; (ii) une organisation évolutive dépendante du gisement et des techniques d’exploitation ; et (iii) un assujettissement au système socioéconomique de sa réalisation (Deshaies, 2007a). La modification de la surface topographique naturelle est la conséquence de « formes […] de

creusement anthropiques (les puits de mine et les découvertes), […] [ou d’]affaissements en surface consécutifs à des effondrements miniers […] et [de] formes d’accumulation (les terrils) » (Ibid, p. 74). L’organisation du paysage charbonnier évolue en fonction des

caractéristiques géologiques du gisement et de l’état des techniques, une exploitation sous-terraine par puits pouvant, sous certaines conditions géologiques et technologiques, évoluer vers une exploitation à ciel ouvert. L’assujettissement au système socioéconomique de l’activité charbonnière, le plus souvent productiviste, conduit à la construction de paysage « sans grand

souci de l’environnement et du cadre de vie des populations » (Ibid, p. 75). Les paysages des

bassins miniers charbonniers s’enrichissent progressivement d’infrastructures ne se limitant pas uniquement au périmètre du site industriel de l’exploitation : logements ouvriers, réseaux de

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transport (routiers, ferroviaires, maritimes) et des usines utilisant les ressources charbonnières (sidérurgie, électricité). La morphologie urbaine des villes des pays noirs prennent progressivement la forme de vastes villes-usines dont le paysage est un révélateur de l’existence d’un géosystème industriel (Edelblutte, 2009).

L’empreinte paysagère du passage du système agro-énergétique au système industrialo-énergétique ne se limite pas aux territoires des pays noirs mais est identifiable à l’échelle des territoires nationaux. Les technologies associées, et en particulier dans le domaine des transports individuels et collectifs, vont remodeler l’ensemble des paysages urbains du monde occidental puis du reste du monde. Les révolutions des transports successives – chemin de fer, automobile, avion – combinées à une énergie bon marché abondante a favorisé « la

périurbanisation et la rurbanisation de nombreux territoires et, par voie de conséquence, l’étalement urbain » (Mérenne-Schoumaker, 2007a, p. 30). Le processus d’étalement urbain – urban sprawl – des villes nord-américaines a produit des paysages archétypaux de cette extrême

dilatation urbaine.

Intensité et temporalité distinguent les transitions énergétiques-ruptures des transitions énergétiques-substitutions dans l’Histoire. Les premières conduisent à des ruptures majeures du système sociotechnique dominant alors que les secondes conduisent à de simples réajustements du système sociotechnique dominant. Les premières relèvent d’un mouvement global complexe, « intégré à l’évolution générale des sociétés » (Chabrol et Grasland, 2014, p. 2), tandis que les secondes relèvent d’une volonté politique nationale assumée associée à l’existence d’une ressource nationale énergétique et/ou technologique. La transition énergétique « bas carbone » appartient à la catégorie des transitions énergétiques-ruptures mais se distingue des deux transitions énergétiques-ruptures dans l’Histoire par l’implication, à de multiples échelles géographiques, des pouvoirs publics. Cette nouvelle transition suppose de multiples transitions aux échelles, aux temporalités et aux modalités différentes (Bolzon et alii, 2013 ; Jaglin et Verdeil, 2013). Les mutations prévisibles qui affecteront le système sociotechnique dominant au cours de cette transition incitent à penser qu’aux gradients d’intensité et de temporalité, il faudra ajouter un gradient scalaire et territorial pour appréhender ce concept dans sa globalité. Considérant l’importance de l’empreinte paysagère des systèmes agro-énergétique et industrialo-énergétique, la transition énergétique « bas carbone » suppose d’être appréhendée à l’aune du concept de paysage.

2- Le modèle du Multi-Level Perspective : un outil analytique des évolutions du système sociotechnique dominant dans la transition énergétique « bas carbone ». La transition énergétique « bas carbone » à venir « doit conduire à une profonde refonte

des systèmes sociotechniques énergétiques […] [et] une des questions ainsi posées à la recherche concerne les mécanismes et les phases [de ce] changement sociotechnique » (Jaglin

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technologique » (Nelson et Winter, 1977, 1982), correspond aux « relations entre les systèmes

techniques et l’ensemble de ce qui est généralement entendu sous le vocable de « contexte » ou « d’environnement », et qui va de l’organisation sociale aux représentations du monde physique et naturel, en passant par les modèles culturels » (Akrich, 1989, p. 31). Le régime

technologique est « the rule-set or grammar embedded in a complex of engineering practices,

production process technologies, product characteristics, skills and procedures, ways of handling relevant artefacts and persons, ways of defining problems ; all of them embedded in institutions and infrastructures » (Nelson et Winter, 1982, p. 340). Le système sociotechnique

intègre aux groupes sociaux associés dans le régime technologique d’autres groupes sociaux extérieurs au monde de la production mais interagissant avec eux. Considéré comme système complexe, un système sociotechnique « consist of qualitatively different organisational strata,

in particular, a microlevel and a macrolevel. Between them there exists a « bottom up » and « top down » interaction, i.e., a quasi-cyclical causal relation » (Weidlich, 2006, p. 161).

Les travaux relevant des deux disciplines innovation studies et history technology ont généré des modèles de transitions sociotechniques technologiques puis énergétiques en s’appuyant sur des données relatives aux transitions passées (Rotmans et alii, 2001 ; Kemp et Rotmans, 2004 ; Van den Bergh et alii, 2011 ; Grin, 2012). Ces travaux « insistent sur l’idée de

processus de changement multidimensionnels (relatifs aux technologies, aux marchés, aux industries, aux politiques mais aussi aux valeurs et [aux] comportements » (Jaglin et Verdeil,

2013, p. 8). Ils sollicitent en particulier le modèle Multi-Level Perspective (MLP) (Rip et Kemp, 1998 ; Geels, 2002, 2005a, 2005b, 2005c, 2005d, 2006, 2007, 2010, 2011 ; Geels et Kemp, 2007 ; Geels et Schot, 2007 ; Genus et Coles, 2008). Cet outil analytique décrit « une

organisation des univers sociotechniques en trois niveaux (landscape, regimes, niches) [et il] conceptualise l’avènement du changement à partir de mécanismes de déstabilisation du niveau intermédiaire (regimes) qui, dans les fenêtres d’opportunité ainsi ouvertes, suscitent des processus de concurrence et de sélection des innovations » (Jaglin et Verdeil, 2013, p. 8) [cf.

figure 10].

Geels (2005d)

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Le niveau niches – micro-level – est formé des niches technologiques qui sont des lieux d’innovation placés à l’abri de la pression des marchés. Ces niches technologiques sont particulièrement importantes dans la déstabilisation du régime sociotechnique dominant dans la mesure où elles font évoluer les processus d’apprentissage dominant. Le niveau regimes –

meso-level – est constitué par l’ensemble des composantes constituant le régime sociotechnique

dominant précédemment défini. Le niveau Landscape – macro-level – correspond à l’environnement, au sens large, affectant les évolutions du régime sociotechnique dominant (mondialisation, problèmes environnementaux, changements de mentalités). Les trois niveaux du système sociotechnique apparaissent comme encastrés et interdépendants (Geels, 2005d).

Le modèle du MLP séquence en quatre phases successives les processus de transitions sociotechniques que sont les transitions énergétiques-ruptures passées et à venir [cf. figure 11]. Au cours de la première phase, des innovations technologiques émergent au niveau micro, plus ou moins indépendamment des deux autres niveaux. Au cours de la deuxième phase, ces innovations technologiques trouvent leurs premiers débouchés sur des marchés de niche jusqu’à ce que les différents groupes du régime sociotechnique se les approprient via de nouvelles productions et de nouveaux usages. Au cours de la troisième phase, ces innovations technologiques entrent en concurrence avec le régime sociotechnique dominant et se substituent à ce dernier quand celui-ci subit des pressions internes et/ou des pressions externes provenant du niveau macro. Au cours de la quatrième et dernière phase, ces nouvelles technologies remplacent les anciennes technologies dominantes créant progressivement un nouveau régime sociotechnique. Cette modélisation des transitions sociotechniques permet de mettre en évidence trois éléments fondamentaux : (i) de multiples changements et co-évolutions dans le système sociotechnique dominant ; (ii) de multiples interactions entre les acteurs de ce système sociotechnique dominant et les acteurs d’autres systèmes mineurs ; (iii) des ruptures technologiques majeures se diffusant lentement ; et (iv) une longue durée comprise entre 40 et 50 années (Geels et Schot, 2007).

Le modèle du MLP peut s’interpréter dans un cadre espace-temps, ce qui suppose associer aux trois niveaux du MLP une ou des échelles géographiques. Tout en tenant compte des critiques contenues dans certains travaux rejetant cette association scalaire (Shove et Walker, 2007 ; Truffer, 2008 ; Hodson et Marvin, 2009 ; Truffer et Coenen, 2012 ; Coenen et

alii, 2012), notre recherche considère la piste d’une association partielle entre niveaux scalaires

géographiques et niveaux du MLP comme un postulat pouvant permettre une lecture géographique de la transition énergétique « bas carbone » en cours. L’hypothèse retenue associe le niveau macro aux échelles mondiale et régionale (« régime international du climat », politiques énergie-climat communautaires), le niveau micro à l’échelle locale (les territoires d’innovation technologique tels que les clusters et les districts industriels ainsi que les territoires d’innovation énergétique tels que les éco-quartiers et les territoires à énergie positives). L’hypothèse retenue n’associe pas le niveau meso à une échelle géographique précise. Les

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systèmes sociotechniques sont par nature multidimensionnels et multiscalaires et présentent des spécificités nationales et régionales.

Geels et Schot (2007) Figure 11 – Le modèle du MLP

Le modèle du MLP est dorénavant utilisé comme grille d’analyse dans des recherches de nature prospective sur la transition énergétique « bas carbone » (Shackley et Green, 2007 ; Verbong et Geels, 2007). Ces recherches prospectives inscrivent cette transition énergétique-rupture dans le cadre des transition management qui identifient, pour les acteurs concernés, les dynamiques existantes pouvant leur permettre de réaliser leurs objectifs (Rotmans et alii, 2001 ; Rumpala, 2010 ; Defeuilley, 2014). Cependant elles font l’objet de critiques vigoureuses : «

Construites sur l’hypothèse d’un consensus ex ante relativement stable, produit d’une négociation et d’un management centralisés, ces approches induisent une dépolitisation des processus de transition considérés hors de leur contexte » (Jaglin et Verdeil, 2013, p. 8). La

transition énergétique « bas carbone » est alors envisagée comme une trajectoire normative et uniforme sans considération des spécificités géographiques, sociopolitiques, historiques et culturelles propres à chaque société (Meadowcroft, 2009 ; Coutard et Rutherford, 2010).

Le concept de transition énergétique « bas carbone », avatar du concept de transition énergétique, qui intéresse de multiples disciplines des SHS, se construit actuellement dans un débat interdisciplinaire foisonnant. L’étude des transitions énergétiques-ruptures et des