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Territoire et territorialisation des EnR : vers l’émergence de nouveaux territoires électriques ?

« bas carbone »

A- Territoire et territorialisation des EnR : vers l’émergence de nouveaux territoires électriques ?

ainsi que le rôle que pourrait jouer cette territorialisation dans la réussite de la transition énergétique en cours (B).

A- Territoire et territorialisation des EnR : vers l’émergence de nouveaux

territoires électriques ?

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1- Territoire et territorialisation : des notions géographiques récentes.

La notion de territoire prend un nouveau sens en géographie dans les années 1980 remplaçant progressivement la notion plus neutre d’espace. « Par rapport à celle d’espace, [la notion de territoire] permet de réintroduire le sujet et l’acteur, ses pratiques et

représentations » (Ozouf-Marignier, 2009, p. 33). « Sur le socle de l’espace géographique aménagé et transformé par les sociétés, la notion de territoire témoigne de son appropriation délibérée, à la fois économique, idéologique et politique (sociale donc, au total) par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire, de leur singularité, bref de leur identité » (Ciattoni et Veyret, 2013, p. 103). Cette notion fut et reste au

centre de débats au cours desquels se sont forgées ses multiples définitions lui donnant son caractère polysémique (Le Berre, 1992 ; Champollion, 2006 ; Vanier, 2009 ; Chanard, 2012 ; Girard, 2012). Dans le « Dictionnaire de la Géographie et de l’espace des sociétés » (2003) B. Debardieux en recense huit. Cette trajectoire de la notion « recouvre les débats

épistémologiques traditionnels de la discipline : entrée par l’espace ou par le social, par les formes ou par les processus, par l’individu ou par le collectif » (Girard, 2012, p. 57). Cette

polysémie s’accompagne d’associations toujours plus nombreuses avec d’autres termes comme institutionnel, identitaire, appartenance, vécu, de projet, d’action, de subsidiarité, virtuel (Goux-Baudiment, 2002 ; Scarwell et Roussel, 2006 ; Melé, 2009). Une majorité des définitions l’appréhende comme un système complexe et évolutif.

Un système territorial associe trois pôles principaux (Gumuchian, 1991 ; Di Meo, 1998 ; Brunet, 2001a ; Elissalde, 2005 ; Moine, 2006, 2007 ; Vanier, 2008) : « l’un autour de l’espace

géographique, approprié et aménagé par les hommes, notamment au travers de leurs actes techniques et activités économiques ; l’autre autour des représentations de cet espace […] ; et le dernier autour de l’organisation politique des hommes considérés comme des acteurs en interaction » (Girard, 2012, p. 47). Un territoire apparaît donc comme un support des activités

anthropiques présentes mais aussi comme le résultat des activités anthropiques passées (Chanard, 2011). Cette dimension historique du territoire fait que les activités anthropiques futures ne peuvent se concevoir qu’en considérant cette historicité. Les structures territoriales héritées influencent donc les structures territoriales à venir induisant un possible phénomène de dépendance de sentier (Boschma, 2004 ; Mendez et Mercier, 2006 ; Laperche et Uzunnidis, 2010 ; 2011 ; Laperche et alii, 2011). Il existe ainsi une boucle de rétroaction entre les jeux d’acteurs et le territoire : les jeux d’acteurs façonnent le territoire et le territoire influence en retour les jeux d’acteurs (Brunet, 1980, 2004 ; Moine, 2006). D’un point de vue énergétique, ces boucles de rétroactions entre jeux d’acteurs et territoire influencent la demande énergétique et les conditions d’activation des ressources énergétiques renouvelables potentielles du territoire (Chanard, 2012 ; Chabrol et Grasland, 2014 ; Durand et alii, 2015). Le territoire peut être appréhendé comme une réalité sociale construite à identifier et à décrire ou comme le résultat d’un processus de territorialisation en cours à expliciter (Lajarge, 2009 ; Girard, 2012).

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Choisissant ce deuxième terme, notre recherche a pour ambition d’expliciter le processus de territorialisation du photovoltaïque au sol (PVS) dans les territoires du sud de la France comme un baromètre de la territorialisation de la transition énergétique « bas carbone ».

La notion de territorialisation est un objet d’étude traversant de nombreuses disciplines ce qui lui confère également une certaine polysémie. Les Sciences politiques considèrent la territorialisation comme résultant d’un effet de contexte : elle est à la fois une des conséquences inattendues des processus de décentralisation et une réponse aux problèmes auxquels sont confrontés les acteurs publics locaux (Duran et Thoenig, 1996 ; Douillet et de Maillard, 2007). A-C. Douillet considère la territorialisation comme « relativement flou quant à ce [qu’elle]

désigne ; se confondant parfois avec la décentralisation ou la déconcentration, [elle] évoque aussi plus largement la montée en puissance des « acteurs locaux » ou la valorisation de la « proximité » » (Douillet, 2003, p. 586). Les Sciences politiques considèrent que la

territorialisation « renvoie […] [d’une part] au lieu de définition des problèmes publics et [d’autre part] aux modalités de traitement des problèmes publics » (Douillet, 2003, p. 586). La notion de territorialisation apparaît comme intimement liée à celle de gouvernance qui rend compte de cette transformation de l’action publique, ou plus particulièrement de son changement d’échelle (Borraz et Le Gallès, 2001 ; Le Gallès, 2010). La notion de gouvernance a été souvent préférée à celle de territorialisation par les auteurs anglo-saxons (Kooiman, 1993, 2003 ; Minogue et alii, 1998 ; Hooghe & Marks, 2001 ; Salamon, 2002 ; Bevir, 2010).

Au sein même de la géographie, la notion de territorialisation montre également une certaine polysémie. Son irruption résulte d’une rupture importante dans l’approche disciplinaire au cours des années 1990 : la géographie passe d’une approche objectiviste à une approche compréhensive des faits inscrits dans l’espace géographique, ce passage mettant au centre le concept d’acteur (André, 1998 ; Gumuchian et alii, 2003 ; Girard, 2012). L’approche territoriale de la transition énergétique « bas carbone » retenue par notre recherche renvoie à la fois à une dimension décentralisée/déconcentrée de l’action publique et à la construction et/ou au renforcement de la notion de « territoire électrique ». M. Reghezza-Zitt propose une définition proche de celle d’A-C. Douillet relevant de la première dimension et décrivant la territorialisation ni comme une simple décentralisation ni comme une simple déconcentration mais comme une réinscription à l’échelle locale qui « aspire à adapter les cadres spatiaux de

l’action publique à la nouvelle réalité des territoires, en opérant un changement d’échelle »

(Reghezza-Zitt, 2012, p. 152). Situé à l’intersection des deux dimensions, P. Melé propose de caractériser la territorialisation comme découlant « non seulement de l’engagement dans des

actions collectives et de la confrontation d’habitants aux actions des pouvoirs publics, mais aussi de processus de (re)définition de biens communs localisés » (Melé, 2009, p. 46). Dans

cette optique, le concept de territorialisation peut être défini « à la fois au sens

d’identification/production d’espaces délimités, de diffusion d’une vision « territoriale » de la relation à l’espace des populations, et d’appropriation par des individus ou des collectifs

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d’espaces plus ou moins strictement délimités » (Ibid, p. 46). À cette même intersection des

deux dimensions, M. Vanier définit plus largement la notion révélant son hétérogénéité et sa plasticité. Il la décrit comme un ensemble de processus « engagés par les systèmes d’acteurs

et/ou d’agents, par les organisations sociales et politiques, par les dispositifs et procédures ad hoc, par les rapports de force et les mises en tension, par des déterminants économiques et structurels, par des configurations génériques existantes et/ou des configurations particulières émergentes, permettant de faire advenir le territoire, le faire exister, se maintenir et parfois de devenir opératoire » (Vanier, 2009, p. 12). Dans la seconde dimension, la territorialisation peut

être identifiée comme un processus d’émergence de nouvelles territorialités si on la considère comme une tentative de structuration matérielle et idéelle d’un espace délimité et comme une appropriation d’un espace géographique par un groupe d’acteurs spatialisé (Turco, 1997 ; Elissalde, 2002 ; Girard, 2012). « Si des territorialités sont générées et transformées, elles ne

produisent pas nécessairement une construction territoriale lisible, stable et solide, c’est-à-dire un territoire. La territorialisation est donc un processus en cours dont on ne dit rien de ce que sera son résultat, si un territoire adviendra ou non » (Girard, 2012, p. 49).

Notre recherche qui s’intéresse à la transition énergétique « bas carbone » dans son approche territoriale à travers le déploiement spatial PVS dans les territoires du sud de la France s’inscrit dans cette double dimension de la notion de territorialisation. Elle interroge la territorialisation des politiques publiques énergétiques françaises qui implique un processus d’adaptation de l’action publique énergétique nationale aux caractéristiques territoriales locales. Elle interroge aussi la matérialisation géographique de la transition énergétique « bas carbone » qui correspond à une inscription territoriale de nouveaux types d’infrastructure énergétique. La territorialisation du PVS, au centre de notre recherche, implique l’acquisition ou la réactivation de compétences énergétiques par les collectivités territoriales, compétences pouvant être partagées entre ces acteurs publics décentralisés et/ou avec des acteurs publics déconcentrés. Elle implique également un processus collaboratif entre acteurs territoriaux publics et acteurs territoriaux privés, ces derniers devenant des acteurs énergétiques territoriaux essentiels. Elle implique enfin un processus d’appropriation des enjeux énergie-climat territoriaux par l’ensemble des acteurs de l’écosystème territorial. La réalisation de l’ensemble de ces caractéristiques est indispensable à l’émergence de nouveaux « territoires électriques ».

2- Les territoires électriques : un sous-type de territoire énergétique.

Selon T. Souami, trois conceptions distinctes permettent d’appréhender la notion de territoire énergétique : la conception « idéelle », la conception « opérationnelle » et la conception « évaluative de légitimation » (Souami, 2009). La conception « idéelle » est la plus répandue dans l’imaginaire collectif. Le territoire énergétique y est ici « une entité délimitée,

précise, considérée pour ses seules composantes, et ses seules performances intrinsèques […] On se représente alors ce territoire « imaginaire » ou « idéal » fonctionnant selon un principe d’autocentrement, d’autonomie ou d’autosuffisance » (Souami, 2009, p. 72). La conception

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« opérationnelle » est réalisée dans des situations de décision. Le territoire énergétique est ici un périmètre choisi par des acteurs territoriaux qui « visent l’optimisation énergétique des

composantes du périmètre : bâtiments, réseaux, moyens de déplacements, etc » (Ibid, p. 72).

La conception « évaluative de légitimation » du territoire énergétique le fait émerger dans un ensemble de processus de légitimation des projets sur le plan technique et politique. Le territoire énergétique est réduit ici au seul quartier de l’expérimentation : « le reste du territoire s’efface

le temps de l’évaluation car il semble nécessaire, aux yeux de certains acteurs, que le quartier fasse la preuve de son efficacité énergétique propre quelles que soient ses ponctions sur et ses apports pour l’ensemble de la ville » (Ibid, p. 72).

Figure 13 – Le système énergétique territorial (SET)

Le Système Énergétique Territorial (SET) est un outil conceptuel utile à l’appréhension de la complexité d’un territoire énergétique et de son fonctionnement. Un SET permet d’étudier « dans leur ensemble les énergies du territoire (énergie potentielle et produite, modes de

production, de distribution et de consommation) et plus largement l’imbrication structurelle et fonctionnelle entre territoire et énergie » (Chanard, 2011, p. 54). Il se compose « de multiples chaînes et processus qui englobent les matières premières/gisements, les centres de production et les réseaux de consommation, avec des modes de régulation, de gestion, de localisation, de production, de distribution et de consommation spécifique » (Ibid, p. 55) et correspond à

l’ensemble des énergies primaires et secondaires, des acteurs, des modes de régulation et des interactions existant au sein d’un territoire énergétique (Chanard, 2011). Un SET s’organise autour de trois pôles : l’espace géographique qui regroupe l’ensemble des caractéristiques naturelles et anthropiques du territoire telles que les aspects climatiques et géomorphologiques, les caractéristiques des systèmes productifs – agricole, industriel, énergétique, etc –, l’organisation des systèmes urbains ou encore la question de la densité de population ; le

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système d’acteurs intervenant dans le territoire (l’État et ses services déconcentrés, les collectivités territoriales, les entreprises ou encore les représentants de la société civile (association, individu, etc)) ; et les gisements énergétiques qui regroupent l’ensemble des ressources énergétiques exploitées ou exploitables, ainsi que l’ensemble des infrastructures du système énergétique. Aujourd’hui, un SET s’inscrit dans un système sociotechnique dominant et « est fortement contraint par la législation nationale et évolue en fonction de l’organisation

interne des autorités locales intervenant sur le territoire ainsi que des objectifs fixés par les élus » (Chanard, 2011, p. 56). [cf. figure 13]. La construction de la notion de « territoire

énergétique, et plus particulièrement de « territoire électrique », peut utiliser certains éléments constitutif du SET.

Figure 14 – Les processus de territorialisation électrique

Notre recherche s’intéresse à la notion de « territoire électrique » en tant que territoire énergétique particulier [cf. figure 14]. Elle considère un territoire électrique comme un espace géographique délimité qui a été ou qui est un lieu de production d’électricité associé à un système d’acteurs complexe. Les infrastructures de production d’électricité peuvent valoriser des ressources énergétiques primaires endogènes ou exogènes au territoire. Le caractère endogène et exogène des ressources peut être une caractéristique initiale du territoire ou une construction historique. Certains territoires ont pu ainsi valoriser une ressource endogène puis, suite à l’épuisement de celle-ci, avoir recours à une ressource similaire mais exogène. Un territoire électrique se caractérise toujours par une « atmosphère électrique » dans laquelle agissent les différents acteurs territoriaux intervenant directement ou indirectement dans le processus productif. Les territoires électriques historiques sont toujours caractérisés par une culture énergétique. Cette culture conditionne positivement le niveau d’acceptabilité sociale des infrastructures de production d’électricité. Le caractère diffus et endogène des ressources

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énergétiques primaires disponibles pour la mise en œuvre de la transition énergétique « bas carbone » et le nécessaire abandon des ressources énergétiques primaires carbonées associé à la lutte contre le réchauffement climatique auront de multiples impacts territoriaux : l’activation de nouveaux territoires électriques ; le renforcement de territoires électriques émergents ou historiques ; la bifurcation de territoires électriques émergents ou historiques ; la réactivation de territoires électriques historiques ; et le déclin de territoires électriques historiques.

Cependant, malgré les injonctions à la transition énergétique « bas carbone », certaines portions d’espaces géographiques resteront à l’écart du processus de redéploiement du système productif électrique. « Faute de système territorial fondé sur le volontarisme, le lieu est

amorphe […] [où] seuls des acteurs extérieurs peuvent mettre les contraintes et les opportunités spécifiques à jour » (Woessner, 2010, p. 673). Dans ce cas de figure, le lieu devient soit un

espace périphérique dépendant d’acteurs décisionnels exogènes soit un espace marginalisé n’intéressant par d’acteurs décisionnels exogènes. Dans le cas d’une réaction du lieu à l’injonction de transition, la territorialisation volontariste peut prendre deux formes : une « territorialisation induite résultant de l’existence d’une « atmosphère électrique » ou une « territorialisation construite » dans laquelle une « communauté de travail se déploie

formellement dans le but de définir un projet territorial » (Ibid, p. 674).

B- La territorialisation du système électrique et des EnR : une condition