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Le contexte énergétique européen : entre diversité et marché unique

climat européennes et des initiatives locales

A- Le contexte énergétique européen : entre diversité et marché unique

1- Le mix-énergétique et électrique communautaire : un patchwork de vingt-huit contextes nationaux différents.

En 2012, la consommation communautaire d’énergie primaire a atteint le niveau de 1 682 Mtep dans une dynamique baissière amorcée en 2007 (Eurostat, 2014). Le pétrole y contribuait à hauteur de 33,8 % contre 23,4 % pour le gaz naturel, 17,5 % pour le charbon, 13,5 % pour le nucléaire, 11 % pour les renouvelables et 0,8 % pour les déchets non-renouvelables. Le mix-énergétique communautaire est donc dominé à hauteur de 74,6 % par les énergies fossiles carbonées, et plus largement à hauteur de 88,1 % par les énergies de stock. Les caractéristiques du mix-énergétique communautaire sont atypiques par rapport aux caractéristiques du mix-énergétique mondial observables en 2012, ce dernier étant dominé à hauteur de 87 % par les énergies fossiles carbonées, et plus largement à hauteur de 91,4 % par les énergies de stock. Au sein de l’UE, la consommation communautaire d’énergie primaire apparaît comme très inégalement répartie : l’Allemagne (19,1 %), la France (15,6 %), le Royaume-Uni (12 %), l’Italie (9,5 %) et l’Espagne (7,6 %) représentaient à eux seuls 63,8 % de la consommation communautaire en 2012. L’ensemble des mix-énergétiques nationaux des membres de l’UE présente également une grande diversité et des niveaux de carbonisation

89 Ce processus est « une transition du cadre national traditionnel et multiséculaire de définition et d’organisation des activités économiques et sociales à une situation nouvelle marquée par un partage de compétences entre les États et un nouveau niveau qui émerge aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale avec l’intégration européenne. L’européanisation est un processus progressif, à la fois bottom up et top down, multi-acteurs et contradictoires » (Bauby, 2014, p. 7-8).

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variés [graphique 12]. La Suède présente le mix-énergétique le plus décarboné de l’UE (69,5 %) devant la France (50,4 %) et la Finlande (49,3 %) quand le Royaume-Uni (86,4 %), l’Italie (86,3 %) et l’Allemagne (80,5 %) possèdent des mix-énergétiques parmi les plus carbonés de l’UE.

Graphique 12 – Les mix-énergétiques nationaux des pays membres de l’UE en 2012 (en %)

La production communautaire d’énergie primaire n’atteignant que 809,5 Mtep en 2012, l’UE se situe donc dans une situation de dépendance énergétique avec un taux de 53,4 %. Cette situation concerne l’ensemble des énergies fossiles consommées dans l’espace communautaire et tend à se dégrader [cf. graphique 13]. Entre 1995 et 2012, les taux de dépendance au pétrole, au gaz naturel et au charbon se sont accentués respectivement de 12,4 points, de 22,4 points et de 20,7 points. La dégradation du taux de dépendance au gaz naturel est particulièrement problématique pour l’UE car le gaz naturel est considéré comme l’énergie fossile centrale de la transition énergétique « bas carbone ». Ce taux de dépendance fait ainsi l’objet de multiples réflexions et recherches de solutions au sein des instances européennes dans un contexte de tensions croissantes avec la Russie qui fournissait en 2012 près de 32 % du gaz naturel consommé dans l’UE (Geoffron, 2014). Cette situation de dépendance énergétique, excepté pour le Danemark qui est en situation d’excédents énergétiques, diffère fortement d’un pays membre à l’autre et d’une énergie primaire à l’autre.

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Graphique 13 – Évolution des taux de dépendance énergétique au pétrole, au gaz naturel, au charbon et globaux de l’UE entre 1995 et 2012 (en %)

En 2012, la production communautaire d’électricité atteignait 3 295 TWh dans une dynamique baissière amorcée en 2008 (Eurostat, 2014). Le charbon y contribuait à hauteur de 27,4 % contre 26,8 % pour le nucléaire, 24,2 % pour les renouvelables, 18,7 % pour le gaz naturel, 2,2 % pour le pétrole et 0,6 % pour les déchets non renouvelables90. Le mix-électrique communautaire était donc dominé à hauteur de 51,6 % par des énergies décarbonées mais également à hauteur de 75,8 % par des énergies de stock.

Les caractéristiques du mix-électrique communautaire sont atypiques par rapport aux caractéristiques du mix-électrique mondial observables en 2012, ce dernier étant dominé à hauteur de 67,9 % par des énergies carbonées et à hauteur de 78,8 % par des énergies de stock. La production communautaire d’électricité apparaît comme très inégalement répartie : la production de l’Allemagne (19,1 %), de la France (17,1 %), du Royaume-Uni (11,1 %), de l’Italie (9,1 %) et de l’Espagne (9 %) représentait 65,4 % de la production communautaire en 2012. L’ensemble des mix-électriques nationaux des États membres présentait également une grande diversité et des niveaux de carbonisation variés [graphique 14]. Sur le plan des émissions de CO2, la Suède (98,3 %) et la France (91,8 %) présentaient les mix-électriques les plus décarbonés alors que Malte (99,1 %) et la Pologne (89,3 %) présentaient les mix-électriques les plus carbonés de l’UE en 2012. Sur le plan des énergies renouvelables, l’Autriche (75,9 %), la Lettonie (66,6 %) et la Suède (59,1 %) présentaient alors les mix-électriques les plus renouvelables de l’UE. En France, les énergies renouvelables n’avaient contribué qu’à hauteur de 15,7 % à la production nationale d’électricité.

90 En 2012, la production communautaire d’électricité d’origine charbonnière a atteint 901 TWh contre 882 pour le nucléaire, 798 pour les renouvelables, 614 pour le gaz naturel, 72,5 pour le pétrole et 20,6 pour les déchets non-renouvelables (Eurostat, 2014). 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 1995 2000 2005 2010 2012 T au x d e d ép en d an ce (e n % )

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Taux de dépendance au pétrole Taux de dépendance au gaz naturel

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Graphique 14 – Les mix-électriques nationaux des pays membres de l’UE en 2012 (en %)

La diversité des mix-énergétiques et électriques des États membres ainsi que leur multiples situations de dépendance énergétique s’inscrivent désormais dans un contexte d’achèvement d’un marché unique de l’énergie. Les systèmes électriques constituant un des objets d’étude de notre recherche, l’analyse du processus d’ouverture à la concurrence et de libéralisation des marchés européens et nationaux de l’électricité est ici pertinente.

2- L’introduction du marché dans les systèmes électriques européens : faire des politiques énergétiques autrement.

Si « la politique énergétique [est] une pierre angulaire de l’intégration européenne […] [et si] les questions d’énergie ont toujours joué une part importante dans la définition de

l’identité de l’Europe moderne » (Keppler, 2009, p. 215), les années 1950 n’ont pas montré de

progrès dans ce domaine, les traités CECA et Euratom ne permettant pas une meilleure intégration énergétique européenne et le Traité de Rome n’incluant pas l’énergie comme compétence communautaire. « L’Europe se trouve donc à devoir gérer la question énergétique

sur la seule base du traité organisant les activités économiques générales entre les États membres, c’est-à-dire le traité établissant la CEE. Or, ce traité ne contient aucun fondement juridique spécifique pour gérer les questions énergétiques » (Derdevet, 2009, p. 26). Ce vide

juridique explique, en grande partie, que « pendant des décennies, l’Europe, dans le domaine

de l’énergie, s’est apparentée à une mosaïque » (Delcour, 2008, p. 138). Il faut attendre l’Acte

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unique (1986) et le Traité de Maastricht (1992) pour que l’Europe dispose de leviers d’action indirecte sur la politique énergétique de ses membres via l’achèvement du marché intérieur, la lutte contre le réchauffement climatique et la promotion d’un développement durable.

L’Acte unique (1986) modifie le Traité de Rome (1957) et concrétise une volonté de relance du processus d’intégration européenne. L’achèvement du marché intérieur est alors vu comme un moyen de relancer ce processus. Cet achèvement intègre des réformes touchant les industries de réseau des télécommunications, des transports, du gaz et de l’électricité. « Dès les

années 1980, la volonté de la Commission européenne de mener un programme d’ensemble de réforme des industries de réseau, dans le sens d’une « européanisation par le marché » est attestée [dans la mesure où] l’Acte unique conforte le mandat politique de la Commission à s’attaquer aux secteurs économiques protégés » (Grand et Veyrenc, 2011, p. 129). C’est après

de multiples négociations associant Commission européenne, Parlement européen et États membres, qu’en 1996, on assiste à l’ouverture à la concurrence et à la libéralisation des marchés européens de l’électricité. Ces deux processus concomitants s’appuient sur un ensemble de fondements théoriques et juridiques.

Sur le plan théorique, ce processus s’est appuyé sur des travaux économiques dont la genèse remonte aux années 1960 et 1970. Les travaux portant sur les biais de comportement des firmes régulées (Averch et Johnson, 1962 ; Leibenstein, 1966) et sur les biais de comportement des régulateurs (Stigler et Friedland, 1966 ; Posner, 1971 ; Stigler, 1971) ont constitué les bases de la remise en cause de la théorie des monopoles naturels au profit de la théorie des marchés contestables. « La remise en cause systématique du rôle de l’État à laquelle

les travaux des années 1970 ont concouru ne pouvait ainsi qu’aboutir à une vigilance beaucoup plus forte sur le périmètre des activités monopolistiques. C’est dans ce contexte que l’appartenance de l’activité de production d’électricité à la catégorie des monopoles naturels a été discutée » (Grand et Veyrenc, 2011, p. 109-110). Sur le plan juridique, ce processus

s’appuie sur les articles 10691 et 11492 TFUE. Ces deux articles donnent respectivement des compétences spécifiques dans le domaine de l’énergie à la Commission européenne, au Parlement européen et au Conseil. Dans ce contexte de remise en cause des monopoles naturels, les deux premières directives93 appliquées au secteur électrique sont adoptées par la CEE en 1990. Paradoxalement, ces deux directives « sont adoptées […] à la demande de la France

91 L’article 106 TFUE donne compétence à la Commission européenne pour que « les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux et exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité, notamment à celles prévues aux articles 18 et 101 à 109 ». Les articles 18 et 101 à 109 ne sont autres que les articles portant sur la concurrence. 92 L’article 114 TFUE donne compétence au Parlement et au Conseil européens pour « arrêter les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur ».

93 Directive 90/377/CEE du 29 juin 1990 instaurant une procédure communautaire assurant la transparence des prix au consommateur final industriel de gaz et d’électricité et Directive 90/547/CE du 29 octobre 1990 relative au transit de l’électricité sur les grands réseaux.

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(pourtant opposée à toute forme de libéralisation), visant en particulier à empêcher l’Espagne de lui interdire d’exporter son électricité vers le Portugal » (Bauby, 2014, p. 20-21).

Le Traité de Maastricht (1992) pose que « dans le cadre d’un système de marchés

ouverts et concurrentiels, l’action de la Communauté vise à favoriser l’interconnexion et l’interopérabilité des réseaux nationaux ainsi que l’accès à ces réseaux » (Geoffron, 2014, p.

239). Ce traité renforce les dispositions d’achèvement du marché intérieur prises dans l’Acte unique (1986) et entérine « l’énergie comme support au marché intérieur ainsi que comme

élément de cohésion sociale et territoriale » (Derdevet, 2009, p. 28). En 1992, la directive

électricité visant à l’ouverture à la concurrence et à la libéralisation des marchés européens de l’électricité, proposée par la Commission européenne, s’inscrit dans la dynamique amorcée par les directives électricité précédentes et le Traité de Maastricht. Cette nouvelle directive va soulever une forte opposition, en particulier celle de la France et de plusieurs grands opérateurs historiques. Quatre années supplémentaires de négociations seront nécessaires pour que cette nouvelle directive94 soit adoptée en 1996 par l’UE. Cette nouvelle directive impose aux États membres quatre grandes réformes de leurs systèmes électriques : l’ouverture à la concurrence du secteur de la production, la séparation verticale des secteurs du transport et de la distribution, l’instauration d’un régime d’accès des tiers au réseau ainsi que des mécanismes de régulation indépendants des gouvernements nationaux et l’ouverture à la concurrence du secteur de la fourniture. Ces réformes ont constitué un premier paquet qui sera suivi d’un deuxième paquet95

en 2003 et d’un troisième paquet96 en 2009 [cf. tableau 12]. L’ensemble des réformes du premier paquet était déjà présente dans la proposition formulée par la Commission européenne en 1992 : « on peut [donc] aujourd’hui considérer, avec un recul de 20 ans sur le mouvement

de libéralisation en Europe, que la Commission a progressivement imposé, sans altération majeure, l’ensemble du programme concurrentiel qui était le sien au début des années 1990 »

(Grand et Veyrenc, 2011, p. 133-134).

Contrairement aux réformes mises en œuvre aux États-Unis et au Royaume-Uni, « la

réforme européenne ne traite pas [néanmoins] directement de la question de la propriété publique des opérateurs, ne prévoit aucun programme de privatisation, et met l’accent sur une « intégration positive » des marchés électrique et gazier par le renforcement de l’interconnexion et de l’interopérabilité technique des réseaux et la création d’un jeu d’institutions chargées de promouvoir la coordination des opérateurs et autorités de régulation » (Grand et Veyrenc, 2011, p. 125). La réforme du secteur électrique vise à

introduire des changements d’échelles dans les systèmes électriques nationaux dans l’optique d’un élargissement du « périmètre géographique d’optimisation de l’utilisation des

94 Directive 96/92/CE du 19 décembre 1996 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité.

95 Directive 2003/54/CE du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité. 96 Directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité.

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ressources » (Ibid, p. 125). L’ouverture à la concurrence et la libéralisation du secteur apparaît

comme un vecteur de mutualisation des ressources quand la construction d’un réseau électrique européen apparaît comme le vecteur physique de cette mutualisation.

Premier paquet [Directive 96/92/CE] Deuxième paquet [Directive 2003/54/CE] Troisième directive [Directive 2009/72/CE] Ouverture du secteur de la production ►Principe de liberté d’établissement pour les producteurs (procédure d’autorisation ou par appel d’offres)

►Principe de liberté d’établissement pour les producteurs (procédure d’autorisation devient la règle tandis que la procédure par appel d’offres devient l’exception)

►Idem au deuxième paquet

Ouverture du secteur de la fourniture

►Immédiat pour les plus gros clients (> 100 GWh/an) ►Progressive pour les autres clients sans aller jusqu’à une ouverture totale

►Ouverture totale au 1er

juillet 2004 pour les clients non résidentiels

►Ouverture totale au 1er

juillet 2007 pour tous les clients

►Ouverture totale depuis le

1er juillet 2007 Séparation verticale pour les GRT ►Séparation comptable et managériale ►Séparation juridique et fonctionnelle au 1er juillet 2004

►Idem au deuxième paquet

Séparation verticale pour les GRD ►Séparation comptable ►Séparation juridique et fonctionnelle au 1er juillet 2007

►Idem au deuxième paquet

Accès des Tiers aux Réseaux

►Accès régulé au réseau ou ►Accès négocié au réseau ou

►Acheteur unique ►Accès régulé au réseau ►Idem au deuxième paquet

Compétences de l’autorité nationale de régulation ►Existence de mécanismes de régulation, de contrôle et de transparence

►Obligation de désigner une autorité de régulation indépendante du secteur

►Harmonisation des compétences des régulateurs nationaux en Europe selon un jeu unique de compétences © Kévin Duruisseau – 2016 / Grand et Veyrenc (2011)

Tableau 12 – Les principales dispositions des trois paquets électricité européens

B- Les politiques européennes énergie-climat : entre rôle programmatique