• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE I – REGARD SUR L’ÉVOLUTION DES CONNAISSANCES SUR LES

1.3 Des transformations marquant les pratiques en santé mentale, les

1.3.1 La transformation du système de soins en santé mentale

Au Québec, on assiste à une transformation du système de soins en santé mentale depuis les années 1960. À la fois attribuables à l’adoption de politiques sociales et au développement des connaissances dans ce champ de recherche et d’intervention, ces changements ont considérablement modifié l’offre de services faite aux personnes devant composer avec un trouble mental, dont celles atteintes de troubles psychotiques. S’il y a d’abord eu une période de désinstitutionnalisation visible par une diminution du nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques, c’est la non-institutionnalisation des personnes nouvellement atteintes d’un trouble mental et le développement de modes de traitement appliqués dans la communauté qui caractérisent l’organisation du système de soins et de services sociaux en santé mentale depuis les années 1960 (Comité de la santé mentale du Québec, 1997; Lecomte, 1997).

C’est notamment la commission d’enquête sur les hôpitaux psychiatriques menée par Bédard, Lazure et Roberts (1962) qui a provoqué une rupture dans la manière d’offrir les services psychiatriques, en dénonçant le nombre important de personnes traitées en institution et les coûts sociaux élevés liés à ce type de pratiques. Une réforme du système psychiatrique et une première vague de désinstitutionnalisation sous l’égide d’une politique d’humanisation des soins ont donc vu le jour au début des années 1960 (Bédard, Lazure, & Roberts, 1962). À partir des années 1970, les pratiques interventionnistes de l’État ont eu pour conséquence d’augmenter considérablement les dépenses du système de santé. La récession du début des années 1970, combinée au choc pétrolier du début de la décennie suivante, a rapidement entraîné l’État-providence dans une crise à la fois fiscale et sociale. En réponse à cette crise, la Commission Rochon a été mandatée pour étudier le système de santé en profondeur. Les recommandations de cette commission ont mené à limiter les coûts du système et elles ont entraîné un désengagement de l’État dans le domaine social ainsi qu’une réduction considérable des institutions publiques (Tremblay, 1996). Puis, des mesures de non-institutionnalisation relancées à la fin des années 1990 par le virage ambulatoire ont mené à d’autres compressions budgétaires et la fermeture d’établissements, toujours dans une visée de réduction des coûts de l’appareil sociosanitaire.

Le secteur des pratiques psychosociales en santé mentale n’échappe pas à ce virage et de plus en plus, les services sont octroyés dans la communauté, tandis que les hospitalisations de longue durée sont devenues des interventions de dernier recours (Lecomte, 1997). Par conséquent, une bonne partie des pratiques psychosociales en santé mentale qui s’adressaient aux personnes traitées en milieu institutionnel, privé ou public, sont transférées vers la communauté (Lecomte, 1997; Tremblay, 1996). Par ailleurs, tout en reconnaissant la difficulté, voire la dureté de ces changements et de leurs conséquences pour les personnes vulnérables ainsi que pour les membres de la famille qui les soutiennent, Lesemann (2002) propose d’envisager le virage ambulatoire comme une source d’innovation et de découverte de liens sociaux et de nouvelles formes de solidarité. Tout en reconnaissant les impacts négatifs, il propose de comprendre cette restructuration du rôle de l’État comme une ouverture sur :

[…] des espaces de critique du monopole étatique et professionnel sur la santé et sur la vie des individus et de nouveaux espaces de participation démocratique et, pour l’individu, de ‘déprise’ de la normativité institutionnelle, et donc d’un possible exercice de sa liberté d’acteur et de ses choix de vie. (Lesemann, 2002, p. XI)

Bien qu’il s’agisse d’un point de vue somme toute positif, qui ne fait pas l’unanimité, Lesemann amène à percevoir le virage ambulatoire comme une façon de permettre aux membres de la famille de reprendre du pouvoir sur leur manière d’exercer leur rôle de soutien, à la condition bien entendu qu’ils reçoivent le soutien nécessaire.

À la fin des années 1980, l’adoption de différentes politiques sociales a permis de redéfinir l’organisation des soins et des services en santé mentale. D’abord, la Politique de

santé mentale au Québec de 1989 a fait en sorte que les personnes avec des troubles

mentaux doivent maintenant recevoir la majorité des soins de santé et des services sociaux dont elles ont besoin dans la communauté. La consolidation du partenariat, notamment avec les membres de la famille des personnes atteintes de troubles mentaux, ainsi que la recherche de solutions dans le milieu de vie des personnes constituent deux des cinq grandes orientations de cette politique (Tremblay, 1996). Puis, le ministère de la Santé et des Services sociaux, dans le Plan d’action pour la transformation des services

de santé mentale paru en 1998, avait annoncé un transfert de ressources vers la

communauté. Plus spécifiquement, il souhaitait que 60 % des budgets soit attribué aux services communautaires et que 40 % soit destiné aux services institutionnels (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 1998). Bien qu’amorcé, ce transfert de ressources n’a pas été complété de sorte que l’amélioration de l’accessibilité et de la continuité des

services en santé mentale s’est retrouvée à nouveau dans les principes directeurs du Plan

d’action en santé mentale 2005-2010 (Ministère de la Santé et des Services sociaux,

2005). Comme en fait état ce plan d’action, les problèmes d’accessibilité et de continuité sont particulièrement vécus par les jeunes atteints d’un trouble mental. Pour cette population, les services sont peu développés dans la plupart des régions du Québec et, lorsqu’ils le sont, ils sont morcelés, peu intégrés et répartis inégalement dans la province (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2005).

Mises à part les préoccupations budgétaires des décideurs, d’autres facteurs influencent la façon dont ont été et sont toujours octroyés les soins et les services en santé mentale au Québec. Le courant de la psychiatrie communautaire étasunienne est de ceux-là puisqu’il a influencé le système québécois en favorisant des modes de traitement dans la communauté, en restreignant considérablement le recours aux hospitalisations (Comité de la santé mentale du Québec, 1997; Lecomte, 1997; Tremblay, 1996). La

Politique de soutien à domicile (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2003) et le Plan d’action en santé mentale (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2005)

interpellent de plus en plus les membres de la famille afin qu’ils assurent un rôle de soutien à leurs proches. Par ailleurs, ces politiques reconnaissent le besoin des membres de la famille d’être soutenus et parfois même soulagés temporairement de leur rôle de soutien, notamment par l’entremise de mesures de répit. Le plan d’action en santé mentale (PASM) énonce également la demande des familles qui souhaitent se rapprocher des équipes traitantes et participer autant aux mécanismes de concertation, qu’aux prises de décisions dans l’organisation des services. Par contre, les actions concrètes pour y arriver demeurent floues. De même, des lacunes sont toujours présentes quant à l’offre de services qui demeure insatisfaisante pour les membres de la famille, tant sur le plan de l’accessibilité et de la continuité des services (Perreault, Provencher, St-Onge, & Rousseau, 2002), que sur le plan de la reconnaissance réelle de leur rôle de partenaire.

Au Québec, la Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale (FFAPAMM) est un acteur politique actif qui se veut la voix des familles. Elle représente les familles regroupées en associations et elle milite en revendiquant une reconnaissance du rôle des membres de la famille comme source de soutien, une meilleure allocation des ressources communautaires et la mise sur pied de services répondant réellement à leurs besoins. Les associations membres de la fédération sont déployées dans toutes les régions du Québec et œuvrent afin de sensibiliser et d’informer

la population sur les troubles mentaux, tout en luttant contre les préjugés entretenus à l’égard des personnes atteintes et les membres de leur famille (FFAPAMM, 1998). Lors de l’élaboration du plan d’action en santé mentale 2005-2010, elle a émis des commentaires et des pistes de solutions tout en déplorant le manque d’actions concrètes pour en arriver à un réel partenariat, le peu de considération à l’endroit du mouvement communautaire et l’irréalisme des échéanciers proposés (FFAPAMM, 2005).

En somme, après 50 ans de transformation, le système actuel de soins et de services sociaux en santé mentale est caractérisé par la cohabitation des systèmes médicaux, sociaux et communautaires. Plus que jamais, il existe une volonté de créer des programmes et des ressources visant à favoriser le retour et le maintien dans la communauté des personnes institutionnalisées et à éviter aux plus jeunes qui vivent un trouble mental pour la première fois les longs parcours d’hospitalisation en psychiatrie (Rodriguez, 2006). Bien qu’une gamme de services s’adressant particulièrement aux personnes qui vivent avec un trouble mental soit en voie d’implantation dans toutes les régions du Québec, l’offre de services correspondant à des standards reconnus n’est pas encore atteinte; l’accès aux services demeure difficile et les ruptures entre les différents services sont fréquentes (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2005). En revanche, le partenariat entre les fournisseurs de soins et les ressources de la communauté fait partie des principes directeurs du plan d’action en santé mentale 2005- 2010 comme gage de succès pour doter le Québec d’un système de soins et de services sociaux en santé mentale efficient. Quant au Plan d’action en santé mentale 2014-2020, il fait l’objet de consultations depuis janvier 2014. Le lancement de ce nouveau plan d’action, qui mettra notamment l’accent sur la santé mentale des jeunes est prévu, en principe, à l’automne 2014.