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CHAPITRE I – REGARD SUR L’ÉVOLUTION DES CONNAISSANCES SUR LES

2.4 Les objectifs poursuivis par la thèse

2.4.1 La proposition d’un modèle d’adaptation des parents

Il est généralement admis que les réactions des membres de la famille doivent être normalisées dans la mesure où elles sont comprises comme des efforts d’adaptation (Hatfield et Lefley, 1987 ; Fadden, Bebbington et Kuiper, 1987 ; Maurin et Boyd, 1990 ; Doornbos, 1996). Le modèle de stress et coping mis de l’avant par Lazarus et Folkman (1984) propose que l’adaptation résulte de l’interaction entre l’évaluation d’une situation potentiellement stressante et les stratégies d’adaptation utilisées (Lazarus et Folkman, 1984). Selon Hatfield et Lefley (1987), l’émergence de la psychose est une situation qui comporte un important potentiel de stress qui interpelle grandement les capacités d’adaptation des parents. Le caractère nouveau et unique d’un PEP, la détérioration du fonctionnement social de la personne atteinte, le risque de résurgence des manifestations du trouble, aussi bien que l’ambiguïté qui marque le trouble mental en début d’évolution, démontrent ce potentiel de stress.

Dans les années 2000, des modèles d’adaptation au stress, basés sur le modèle vulnérabilité-stress ou sur les travaux de Lazarus et Folkman ont été utilisés pour comprendre l’adaptation des personnes atteintes de schizophrénie (Betensky et al., 2008; Delawalla, 2011; Ritsner et al., 2006) ou de troubles psychotiques en début d’évolution (Phillips et al., 2007; Pruessner et al. 2011). La recension effectuée dans le cadre de cette étude a révélé que les modèles d’adaptation testés spécifiquement auprès des membres de la famille sont peu représentés dans les écrits scientifiques de la dernière décennie à l’exception de certains études menées par des chercheurs en sciences infirmières, notamment les travaux de Doornbos (2001; 2002a, 2002b, 2007) et Harvey et al. (2001) ainsi que de Rungreangkulkij et Gilliss (2000) de même que (Knafl et Gilliss, 2002).

Les travaux de Rungreangkulkij et Gilliss (2000) ont permis de porter un regard critique sur des modèles basés sur les notions de fardeau familial, d’émotions exprimées et de stress. En sol québécois, l’étude de Provencher, Perreault, St-Onge et Vandal (2001), basée sur le modèle de stress de Aneshensel et Pearlin est une importante recherche qui a été menée auprès de 154 aidants familiaux de personnes atteintes d’un trouble mental recrutés dans les associations de familles affiliée à la FFAPAMM et qui a mis en évidence la détresse vécue par les familles. De plus, l’étude populationnelle auprès de proches-aidants de personnes atteintes de problèmes de santé mentale de Lavoie, Lemoine, Fournier et al. (2002) a permis de dégager un modèle des déterminants de l’expérience d’aide en se basant sur l’instrument de mesure développé par Szmulker et al. (1996) afin de dégager les aspects négatifs et positifs pouvant être associés à l’exercice d’un rôle de soutien.

La réalisation de cette étude vise donc à contribuer au développement des connaissances en apportant un éclairage nouveau sur les facteurs pouvant prédire l’adaptation des parents dans le contexte spécifique d’un PEP. L’apport de cette thèse sur le plan théorique repose donc sur la proposition d’un modèle d’adaptation au stress qui permet de se distancer des modèles considérés comme étant blâmants à l’endroit des membres de la famille, visant plutôt à normaliser leurs réactions dans le contexte où l’émergence du trouble psychotique met leurs capacités d’adaptation à rude épreuve.

Le modèle initial a été élaboré à partir de l’état des connaissances sur les modèles explicatifs de l’adaptation des familles recensés dans le cadre de cette thèse. Plus spécifiquement, trois modèles ont servi de base à la construction du modèle initial, soit le modèle d’adaptation au stress de Lazarus et Folkman (1984), le modèle d’Hatfield et Lefley (1987), de même que le modèle des déterminants de l’expérience d’aide de Lavoie et al. (2002). Les principaux concepts et dimensions de chacun de ces modèles sont présentés ici de manière synthétisée.

o Le modèle de Lazarus et Folkman (1984)

 Ce modèle conçoit l’adaptation comme un processus résultant de l’interaction entre l’évaluation de la situation faite par la personne soumise à

une situation potentiellement stressante et les stratégies d’adaptation qu’elle utilise pour composer avec celle-ci. Il s’agit d’un modèle interactif et circulaire, non linéaire.

 Il permet de considérer les forces, les capacités d’adaptation en s’éloignant des modèles qui mettent l’accent sur l’influence négative des familles dans l’émergence ou l’exacerbation des manifestations du trouble.

 Ce modèle été utilisé dans différents contextes d’adaptation à un trouble physique ou mental. Bien que développé dans les années 1980, il s’agit d’un modèle toujours pertinent pour étudier l’adaptation à des événements stressant.

o Le modèle de Hatfield et Lefley (1987):

 Ce modèle repose sur le modèle de Lazarus et Folkman sur le plan de sa structure et de ses composantes. L’adaptation résulte de l’interaction entre l’évaluation et les stratégies d’adaptation.

 L’utilisation de ce modèle dans la situation spécifique de l’adaptation des aidants dans le contexte du soutien à une personne atteinte d’un trouble mental est une contribution importante de ces auteures qui a orienté le choix de ce type de modèle dans cette thèse.

 L’opérationnalisation de l’adaptation en tenant compte de la santé physique et psychologique de l’aidant en mettant l’accent sur la santé plutôt que sur la maladie est un apport de ces chercheures qui a inspiré la perspective du modèle initial.

 Ce modèle propose de tenir compte des caractéristiques de la personne atteinte (caractéristiques personnelles et manifestations du trouble), éléments qui ont été également retenus dans le modèle initial.

o Le modèle de Lavoie et al. (2002):

 Basé sur les travaux de Lazarus et Folkman, ces chercheurs ont élaboré un modèle des déterminants de l’expérience de soutien en utilisant l’échelle d’expérience de soutien de Szmukler et al. (1996) qu’ils ont traduite dans le cadre d’une étude populationnelle auprès d’aidants familiaux.

 Le modèle de Lavoie et al. a permis de guider le choix des variables contextuelles du modèle initial, ceux-ci ayant documenté quatre catégories de déterminants pouvant influencer l’expérience de soutien.

 Le recours à l’échelle d’expérience de soutien en sol québécois a mené au choix de cette variable, dans son aspect positif et négatif dans le modèle initial.

En résumé, le modèle proposé dans cette étude s’appuie sur le fait que l’adaptation mène à la croissance et au développement des parents qui peuvent s’adapter en développant du pouvoir d’agir et en maintenant un bon fonctionnement social. De plus, le recours à des variables telles que le fonctionnement social et le pouvoir d’agir pour opérationnaliser l’adaptation des parents apportera un éclairage nouveau sur le phénomène de l’adaptation. Puis, l’utilisation d’une mesure de l’expérience vécue par les parents permettra de mieux connaître leur évaluation de la situation en documentant les aspects potentiellement négatifs et positifs associés à l’exercice du rôle de soutien, fournissant un portrait nuancé de leur expérience en misant sur l’espoir qu’il est possible d’entretenir par rapport à l’avenir.

La figure 1 illustre le modèle d’adaptation initial qui propose que l’adaptation des parents (E) résulte de l’interaction entre l’évaluation des aspects négatifs et positifs de leur expérience (D) et des stratégies d’adaptation utilisées (F). Le contexte particulier dans lequel les parents exercent un rôle de soutien auprès de leur enfant d’âge adulte est défini par trois types de caractéristiques (A, B et C), qui sont mises en relation avec l’évaluation de l’expérience des parents (D). Puis, l’adaptation (E) est opérationnalisée par deux variables dépendantes : le fonctionnement social et le pouvoir d’agir. Enfin, des stratégies d’adaptation relatives à l’intervention familiale et aux services utilisés par les parents (F) sont positionnées de sorte à avoir un effet modérateur sur la relation entre l’évaluation et l’adaptation.

Figure 1 : Modèle d’adaptation initial5

Sources : Lazarus et Folkman (1984), Hatfield et Lefley (1987) et Lavoie et al. (2002).

Par ailleurs, un large consensus émerge des lignes directrices pour le traitement de la schizophrénie, c’est-à-dire de miser sur des interventions précoces afin de prévenir d’autres épisodes et limiter une détérioration du fonctionnement social de la personne vivant une psychose pour la première fois (Ehmann et al., 2004; Malla et al., 2005). D’ailleurs, la nécessité d’offrir des services appropriés aux membres de la famille est une priorité dans le cas des parents devant composer avec un PEP où des interventions précoces sont souhaitées. À cet égard, les lignes directrices d’intervention, déterminées et votées par un regroupement international intéressé par le traitement précoce des premières psychoses, l’IEPA, sont éloquentes. Elles accordent une importance cruciale au travail en partenariat avec les personnes atteintes, aussi bien qu’avec les membres de la famille, dans le but de développer de meilleures interventions en mettant à profit l’expertise respective de chacun (International Early Psychosis Association, 2005).

Cette étude s’inscrit dans ce créneau de préoccupations actuelles et vise à apporter des recommandations concrètes qui contribueront à l’amélioration des interventions précoces offertes des personnes qui doivent composer avec un PEP ainsi que des membres de leur famille. Cette étude s’inscrit également dans le champ de pratique du travail social, puisque la réalité des membres de la famille qui exercent un rôle

5 Une description plus exhaustive du modèle et des variables à l’étude est présentée dans le chapitre IV de la

thèse.

Caractéristiques des parents et des familles

Les stratégies d’adaptation des parents Collaboration L’évaluation de

l’expérience des parents

L’adaptation des parents Pouvoir d’agir Fonctionnement social Caractéristiques des

jeunes adultes et des manifestations du trouble

psychotique

Caractéristiques de l’intervention et des services utilisés par les

jeunes F E D C B A

de soutien dans ces circonstances fait partie des réalités sociales pour lesquelles notre profession a un important rôle à jouer. De fait, le recours aux membres de la famille à titre de source informelle de soutien fait partie des problématiques sociales avec lesquelles un bon nombre de travailleurs sociaux doivent composer, plus particulièrement depuis l’adoption de politiques sociales favorisant ce recours. L’engagement des intervenants sociaux auprès des membres de ces familles vise aussi bien la réponse à leurs besoins, que la mise en place d’actions favorisant une plus grande reconnaissance sociale de ce rôle ainsi que la création de ressources visant leur mieux-être, notamment par l’entremise de mesures de répit adéquates. En outre, les recherches effectuées en sol québécois à partir d’une population issue de programmes pour premiers épisodes psychotiques sont, à ma connaissance, inexistantes en service social. Ultimement, cette thèse est une contribution à l’amélioration des pratiques auprès des personnes atteintes de troubles psychotiques et des membres de leur famille, en valorisant le rôle spécifique du travail social dans ce champ de recherche et de pratique.