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CHAPITRE I – REGARD SUR L’ÉVOLUTION DES CONNAISSANCES SUR LES

2.2 Des modèles explicatifs de l’adaptation des membres de la famille

2.2.3 L’expérience de soutien

2.2.3.1 La notion d’expérience de soutien

Les limites associées au concept de fardeau familial ont entraîné une remise en question de l’utilisation de cette notion au profit d’une conceptualisation plus nuancée et globale de l’expérience des membres de la famille qui exercent un rôle de soutien. En

réaction à ces limites, Szmukler et ses collaborateurs se sont basés sur le modèle de stress de Lazarus et Folkman (1984) pour conceptualiser l’expérience d’aide dans un cadre plus large où le fait d’être engagé dans un rôle de soutien n’est pas considéré comme un fardeau, mais comme une expérience qui s’inscrit parmi toutes celles pouvant être vécues dans la vie familiale, comportant à la fois des dimensions négatives et potentiellement positives (Szmukler et al., 1996). Ils ont alors remplacé le concept de fardeau par l’expression caregiving pour désigner l’expérience d’aide ou de soutien. De la perspective de cette équipe de chercheurs, l’expérience liée à l’exercice d’un rôle de soutien est considérée comme une source de stress. Ceux-ci proposent un modèle interactif et circulaire où l’évaluation de la situation (appraisal) influence le bien-être physique et psychologique, considérés comme le résultat du processus d’adaptation (Szmukler et al., 1996).

Des études récentes ont tenu compte de la perception des parents concernant leur expérience en considérant les dimensions négatives et positives telles que définies par Szmukler et al. (1996). L’étude de Martens et Addington (2001), qui porte sur le bien- être psychologique des membres de la famille de personnes atteintes de schizophrénie, est du nombre. Plus spécifiquement, ces chercheurs ont visé à déterminer si la mesure de l’expérience de soutien est un meilleur déterminant du bien-être psychologique des membres de la famille de personnes atteintes de schizophrénie, que la mesure du fardeau. Leur étude a été menée auprès de 41 membres de familles qui ont tous rempli trois instruments, soit : 1) une mesure de fardeau, le Family Concerns Questionnaire (FCQ) de (Smith, Birchwood, & Cochrane, 1993); 2) une mesure de l’expérience d’aide,

Experience of Caregiving Inventory (ECI) de Szmukler et al. (1996); 3) une mesure de

bien-être psychologique, le Psychological General Well-Being Schedule (PGWS). Les résultats obtenus à la suite des analyses de régression, une fois que la durée écoulée depuis le début du trouble mental ait été contrôlée, mettent en évidence que l’utilisation de

l’ECI, plus particulièrement la sous-échelle mesurant les aspects négatifs, est un important

déterminant de la détresse psychologique des familles, expliquant 22 % de la variance. Quant aux résultats obtenus à la sous-échelle positive, ils ne se sont pas révélés être associés significativement à la détresse psychologique; alors que le pourcentage de variance expliqué par la mesure de fardeau est négligeable et non significatif (Martens & Addington, 2001). Par ailleurs, les résultats obtenus aux analyses de régression hiérarchique permettent aux chercheurs de conclure que les aspects négatifs de l’ECI sont un meilleur prédicteur de la détresse psychologique, que la mesure de fardeau familial. De

fait, c’est la sous-échelle mesurant les dimensions négatives de l’expérience qui constitue la seule variable significativement associée au bien-être psychologique et ce, peu importe l’ordre dans lequel elle est entrée dans le modèle de régression hiérarchique. Notons toutefois que les dimensions négatives mesurées par la sous-échelle négative de l’instrument et l’échelle de fardeau familial sont des notions qui s’apparentent sur le plan conceptuel, ce qui peut expliquer la forte corrélation positive et significative obtenue entre la sous-échelle négative et l’échelle de fardeau (r = .72, p < 0.01). En outre, l’apport intéressant de l’ECI réside dans sa capacité à évaluer les deux côtés de l’expérience des membres de la famille, en allant au-delà de la simple identification de comportements ou d’impacts dérangeants, particulièrement dans le contexte de l’émergence du trouble psychotique (Martens & Addington, 2001).

2.2.3.2 Les aspects gratifiants de l’expérience de soutien

Si les recherches menées depuis les années 1960 ont permis de documenter les impacts négatifs vécus par les membres de la famille lorsqu’ils sont engagés dans un rôle de soutien, quelques études font également état des aspects positifs pouvant être associés à cette expérience, laissant entendre qu’elle n’entraînerait pas invariablement et uniquement un fardeau (Lefley, 1996). En effet, l’expérience de soutien peut comporter des sources de satisfaction et de valorisation pour les membres de la famille (Lefley, 1996, p. 75). Les études, qui portent à la fois sur les dimensions négatives et positives de l’expérience de soutien, sont toutefois récentes. Elles ont émergé dans les années 1990, ce qui est cohérent avec l’arrivée de paradigmes délaissant la vision pathologique des problématiques, au profit d’une vision accordant de l’importance aux forces et aux compétences développées dans l’adversité.

Bulger et ses collègues (1993), ainsi que Greenberg, Greenley et Benedict (1994) sont reconnus comme les premiers chercheurs à s’être intéressés aux aspects positifs vécus par les membres de la famille qui exercent un rôle de soutien auprès de personnes atteintes de troubles mentaux. D’une part, l’équipe de Bulger a étudié l’expérience de soutien de soixante parents de personnes atteintes de schizophrénie afin de dégager les éléments de satisfaction liés à leur expérience. Au moment où ils entreprenaient leur recherche, les études sur les gratifications liées à cette expérience avaient principalement été réalisées auprès de conjoints de personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer (Bulger et al., 1993). Pour les fins de leur étude, cette équipe de chercheurs a utilisé

quatre grands thèmes relatifs au fardeau, mais également ceux relatifs aux aspects positifs pouvant être liés à leur rôle de soutien. Les parents ont identifié que cette expérience les a rendus plus forts, patients et tolérants envers la personne atteinte, ainsi que plus sûrs d’eux dans leurs relations avec les intervenants de la santé. D’autres ont noté que leur capacité à comprendre et à s’occuper d’autrui avait augmenté et qu’ils étaient maintenant moins portés à juger les autres (Bulger et al., 1993).

De leur côté, Greenberg et al. (1994), qui ont mené une vaste enquête auprès de 725 membres de familles de personnes atteintes de troubles mentaux, ont obtenu des résultats similaires. Selon ces chercheurs, c’est plus particulièrement la contribution des personnes atteintes à la vie familiale qui est une source de satisfaction pour les parents. De fait, la personne atteinte peut contribuer aux activités de la vie familiale par l’entremise de tâches instrumentales (tâches ménagères, emplettes) ainsi qu’être une source de soutien pour les membres de la famille, en offrant son écoute et sa présence, devenant à l’occasion le confident des membres de la famille (Greenberg et al., 1994). D’autres études se sont aussi intéressées à documenter les aspects positifs liés à l’exercice d’un rôle de soutien auprès d’une personne atteinte d’un trouble mental et leurs résultats vont dans le même sens (Cohen, Colantonio, & Vernich, 2002; Schwartz & Gidron, 2002; Veltman, Cameron, & Stewart, 2002).

L’étude de Schwartz et Gidron (2002), qui a été effectuée auprès de 93 parents de personnes atteintes de schizophrénie, révèle que l’assistance pratique dans la vie quotidienne et le soutien émotionnel sont des sources de satisfaction pour les parents (Schwartz & Gidron, 2002). De même, une importante source de satisfaction repose sur le caractère valorisant de cette expérience, qui entraîne un sentiment de croissance sur le plan personnel. Bien que la contribution de la personne atteinte par l’entremise de son aide concrète et de son soutien soit importante et liée à la satisfaction des aidants, il semble que ce soit la satisfaction obtenue dans la réalisation du rôle de soutien ainsi que les apprentissages faits sur soi-même qui soient davantage significatifs dans l’évaluation des dimensions positives de leur expérience (Schwartz & Gidron, 2002). De même, ce serait le sentiment d’être utile, de s’accomplir à travers la relation d’aide et voire même le don de soi vécu à travers cette expérience, qui seraient une source de valorisation pour les aidants (Lavoie et al., 2002).

Pour leur part, Veltman et al. (2002) ont réalisé une étude qualitative auprès de 20 aidants familiaux. Des entrevues en profondeur ont permis aux participants de

s’exprimer au sujet des dimensions négatives et positives liées à leur expérience de soutien auprès de leur proche atteint d’un trouble mental. Les chercheurs rapportent que des sentiments d’amour, de compassion et d’espoir ressortent des propos des participants. En effet, au-delà de la perte ressentie par les membres de la famille à la suite de l’annonce du diagnostic, certains ont ressentis de l’admiration et du respect pour la personne atteinte, qu’ils voient rivaliser avec la souffrance liée à son trouble mental. Par ailleurs, certains membres de la famille ont constaté une amélioration dans leur relation avec la personne atteinte après l’annonce du diagnostic (Veltman et al., 2002). Enfin, tous les participants à cette étude ont traité des apprentissages qu’ils retirent de cette expérience. Pour certains, ce fut d’apprendre à mieux connaître les rouages du système médical, tandis que pour d’autres, leurs apprentissages ont eu une plus grande portée et les ont amenés à changer leurs conceptions de la vie. En effet, certains ont mentionné que cette expérience leur a appris à être plus altruistes, non seulement avec la personne atteinte qui doit composer avec un trouble mental, mais aussi dans leur vie en général. En outre, Veltman et ses collaborateurs concluent que les membres de la famille qui exercent un rôle de soutien peuvent apprendre de leur expérience en prenant conscience de la force intérieure qu’ils détiennent, en devenant plus confiants en eux-mêmes et en grandissant sur le plan personnel (Veltman et al., 2002).

Faisant consensus chez les chercheurs recensés dans le cadre de cette thèse, ces résultats vont au-delà des recherches précédentes, en ajoutant du poids aux données qui émergent peu à peu au sujet des aspects positifs liés à l’expérience de soutien. Ces résultats contribuent à mettre l’accent sur les compétences que détiennent les membres de la famille pour composer avec une situation difficile, des éléments que Marsh et Lefley (1996) ont également souligné en traitant du potentiel de résilience des familles, en réponse à un événement qu’elles qualifient de dévastateur (Marsh & Lefley, 1996). Dans le contexte des troubles psychotiques en début d’évolution et donc, dans le cas de jeunes adultes composant nouvellement avec un trouble mental, ces résultats sont cruciaux et doivent être soulignés afin de mettre en évidence le potentiel de rétablissement détenu aussi bien par les personnes atteintes, que par les membres de leur famille qui exercent un rôle de soutien auprès d’eux.