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CHAPITRE I – REGARD SUR L’ÉVOLUTION DES CONNAISSANCES SUR LES

2.2 Des modèles explicatifs de l’adaptation des membres de la famille

2.2.4 L’adaptation au stress

Les modèles basés sur la notion d’adaptation au stress permettent de comprendre l’adaptation des membres de la famille de manière différente. C’est notamment la documentation des impacts d’un trouble mental sur les familles qui a amené les chercheurs à comprendre les réactions des membres de la famille devant composer avec le trouble mental d’un des leurs comme une réponse au stress engendré par la situation. La notion de stress peut être définie comme une demande résultant de l’interaction personne/environnement qui est évaluée comme excédant les ressources dont dispose la personne pour y faire face et qui menace son état de bien-être physique et psychologique (Joyce et al., 2003). Dans le contexte de l’émergence d’un trouble mental, le caractère nouveau et unique de cet événement dans la famille, les difficultés de fonctionnement et les comportements qui y sont associés, le risque de rechute et de résurgence des manifestations du trouble, aussi bien que l’ambiguïté marquant le trouble en début d’évolution, illustrent en quoi cette situation est stressante et interpelle les capacités d’adaptation des membres de la famille (Hatfield & Lefley, 1987). Tenant compte de la perspective théorique de l’adaptation au stress plutôt que du fardeau familial, les réactions des familles peuvent être normalisées dans la mesure où elles sont comprises comme des efforts faits pour résoudre une situation stressante qui sollicite grandement leurs capacités d’adaptation (Doornbos, 1996; Hatfield & Lefley, 1987). De même, les modèles basés sur l’adaptation au stress permettent de considérer les forces, les capacités et les stratégies d’adaptation des membres de la famille, en s’éloignant des courants théoriques qui mettent l’accent sur l’influence potentiellement négative des familles dans l’émergence ou l’exacerbation des manifestations du trouble (Doornbos, 1996). Marsh souligne qu’un modèle d’adaptation au stress permet de reconnaître les efforts d’adaptation ainsi que le courage et la ténacité que les membres de la famille doivent déployer pour composer avec le trouble mental d’un des leurs (Marsh, 1998).

2.2.4.1 Le modèle de stress de Lazarus et Folkman

Le modèle proposé par Lazarus et Folkman (1984) est probablement celui qui est le plus détaillé et opérationnalisé lorsqu’il est question de comprendre l’adaptation au stress. Cela n’est sans doute pas étranger au fait qu’on y a fréquemment recours dans le cadre des recherches portant sur l’adaptation à un trouble physique ou mental (Ricard et

al., 1995; Samson, Siam, & Lavigne, 2007; Schwartz & Gidron, 2002; Szmukler et al., 1996). Le modèle de Lazarus et Folkman présente l’adaptation comme un processus qui résulte de l’interaction entre l’évaluation de la situation faite par la personne soumise à une situation potentiellement stressante et les stratégies d’adaptation utilisées pour composer avec celle-ci, le cas échéant. Ainsi, il s’agit d’un modèle interactif et circulaire où l’évaluation cognitive (appraisal) influence le recours à certaines stratégies d’adaptation (coping skills), dans un processus d’adaptation dont les résultats sont opérationnalisés par l’état de bien-être physique et psychologique. L’évaluation cognitive, les stratégies d’adaptation et les résultats de ce processus d’adaptation étant des concepts centraux de ce modèle, ils sont expliqués plus en détails dans les prochains paragraphes.

2.2.4.2 L’évaluation cognitive

De façon générale, l’évaluation cognitive permet d’apprécier si une interaction donnée entre la personne et son environnement est jugée stressante. Lazarus et Folkman définissent deux types d’évaluation cognitive, soit l’évaluation primaire (primary appraisal) et l’évaluation secondaire (secondary appraisal). L’évaluation primaire représente le processus par lequel la personne fait une évaluation des impacts de la situation sur son bien-être. La situation peut alors être évaluée comme étant peu importante (irrelevant), sans gravité (benign) ou stressante (stressfull). Dans le cas où la situation est jugée stressante, la personne attribuera l’une ou l’autre des significations suivantes à la situation, à savoir si elle est perçue comme une blessure ou une perte, une menace ou un

défi. La blessure ou la perte renvoie aux conséquences déjà subies par la personne; la

menace désigne la blessure ou la perte anticipée, tandis que le défi correspond à un événement ayant la possibilité d’être maîtrisé et pouvant favoriser la croissance (Joyce et al., 2003). Selon la signification donnée, les réactions adaptatives des personnes seront différentes. Par exemple, si la situation est perçue comme un défi, la personne pourra davantage se mobiliser pour y faire face, étant alors plus susceptible d’avoir un sentiment de contrôle sur la situation :

« Presumably families coping with mental illness do see mental illness as a threat to their needs and integrity and thus react with anxiety; they also see mental illness as a loss or loss of an ideal and therefore react with grieving and depression. To the extent that families can be helped to see the problems as a challenge, they will be able to mobilize their resources and actively seek solutions. » (Hatfield & Lefley, 1987, p. 68)

Que la situation soit perçue comme une menace ou un défi, la seconde évaluation vise à examiner ce qui peut et doit être fait en réaction à cette situation stressante. Ainsi, une évaluation des ressources pouvant favoriser l’adaptation et la gestion des demandes imposées par cette situation est réalisée; la personne évalue quelles stratégies ou combinaisons de stratégies sont disponibles et peuvent être efficaces pour faire face à la situation (Joyce et al., 2003). Ainsi, l’évaluation cognitive amène la personne à évaluer la signification de l’événement stressant, à prendre conscience des impacts de celui-ci sur son bien-être et à évaluer ce qui peut être fait pour y faire face. C’est sur cette base que l’évaluation cognitive est considérée comme un facteur influençant la réponse au stress. Par conséquent, la façon dont une personne juge ou évalue une situation influence l’effet stressant, ses efforts pour l’affronter ainsi que ses réactions émotives, physiologiques et comportementales (Ricard et al., 1995).

2.2.4.3 Les stratégies d’adaptation

Lazarus et Folkman proposent le concept de coping (gestion du stress), qui provient du verbe to cope et qui signifie « composer avec ». Ils définissent le coping comme : « Un processus par lequel une personne gère les demandes jugées comme stressantes dans l’interaction personne-environnement et les émotions qu’elles entraînent » (Joyce et al., 2003, p. 29). Le concept de stratégies d’adaptation (coping

skills) est utilisé pour désigner l’ensemble des efforts destinés à gérer, tolérer et réduire

les difficultés et les demandes associées à la situation stressante qui menace ou dépasse les ressources de la personne (Anaut, 2005). Différents types de stratégies peuvent être utilisées, notamment des stratégies centrées sur les émotions, des stratégies centrées sur la résolution de problème, des stratégies passives ou d’évitement et des stratégies actives (Anaut, 2005). Les stratégies centrées sur l’émotion consistent à réguler la détresse émotionnelle, notamment par le partage d’émotions avec les autres. Les personnes peuvent également avoir recours à des stratégies passives, par exemple l’évitement, la minimisation, la distanciation, etc. Quant à elles, les stratégies centrées sur la résolution de problème visent à gérer la situation en définissant le problème, en cherchant des solutions, en faisant un calcul coût/bénéfice, etc. (Joyce et al., 2003). Puis, les stratégies actives sont utilisées pour affronter la situation, notamment par la recherche d’information, le recours au soutien social et aux services d’aide (Anaut, 2005). De la même manière, Provencher et Dorvil (2001) identifient un ensemble de stratégies adaptatives qui visent à

ce que la personne soumise à une situation stressante maintienne une ouverture sur le monde extérieur : se renseigner sur l’existence d’un groupe d’entraide, adhérer à ce type de groupe, établir des liens de collaboration avec les intervenants qui participent au traitement de la personne atteinte et contribuer à l’amélioration des conditions de vie des membres de la famille et des personnes atteintes de troubles mentaux en jouant un rôle de revendication de droits, sont du nombre des stratégies dites « actives » définies par ces chercheurs (Provencher & Dorvil, 2001).

Par ailleurs, le soutien social est considéré comme ayant un effet atténuant sur la réponse au stress (stress buffering-effect) en modifiant la perception de la situation menaçante, en rendant ses conséquences moins importantes ou en fournissant des ressources pour s’y adapter (Joyce et al., 2003). Il en est de même pour les stratégies d’adaptation qui sont considérées comme ayant un effet modérateur sur la réponse au stress; elles viennent modifier la relation entre la situation stressante et les résultats de l’adaptation (Aneshensel, Pearlin, Mullan, Zarit, & Whitlatch, 1995; Lazarus & Folkman, 1984; Pearlin, Mullan, Semple, & Skaff, 1990). En effet, les facteurs modérateurs diminuent les impacts du stress en ayant un effet direct et bénéfique sur l’interaction stress/adaptation, agissant alors à la manière d’un facteur de protection. De même, Pearlin, Mullan, Semple et Skaff ainsi que Aneshensel et al., mentionnent que ces facteurs expliquent en partie pourquoi des personnes soumises au même événement stressant s’adaptent différemment (Aneshensel et al., 1995; Pearlin et al., 1990), dans la mesure où elles n’ont pas recours aux mêmes stratégies d’adaptation.

2.2.4.4 Le résultat de l’adaptation

Les modèles d’adaptation au stress mesurent généralement le résultat de l’adaptation par des indicateurs tels que l’état de bien-être des personnes, l’état de santé physique et mentale ainsi que les habiletés à occuper leurs rôles sociaux (Pearlin et al., 1990). Globalement, ces indicateurs permettent de mesurer la qualité de vie de la personne soumise à un stress, ce qui est directement lié à sa façon d’évaluer et de s’adapter à une situation stressante (Joyce et al., 2003). Selon Lazarus et Folkman, la présence d’un stress ne mène pas nécessairement à une détérioration de ces indicateurs, des stress majeurs pouvant aussi amener les personnes à utiliser des ressources adaptatives qu’elles ne croyaient pas posséder. De même, certaines personnes peuvent acquérir des forces dans une situation stressante qui pourront être mises à profit

lorsqu’elles auront à nouveau à composer avec un stress (Joyce et al., 2003). Ces auteurs soulignent l’importance de tenir compte de plusieurs indicateurs à la fois afin d’avoir une vision plus large du résultat de l’adaptation (Joyce et al., 2003).