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ANALYSE DES PROCESSUS CONTRE-TRANSFÉRENTIELS

2. PHÉNOMÈNES INCONSCIENTS DANS LA RECHERCHE : L’ANALYSE DU CONTRE-TRANSFERT DU CHERCHEUR

2.2 CONTRE-TRANSFERT GROUPAL

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Dans le dispositif transculturel, j’ai été confrontée à différentes manières de prendre une place dans et face à une situation groupale, c’est-à-dire dans le cercle des co-thérapeutes, tout autant qu’au centre du dispositif, au sens propre du terme puisque la petite table sur laquelle les enfants ont l’habitude de dessiner se trouve au milieu du groupe. Au début de ce travail de recherche, deux sentiments récurrents et mélangés me traversaient au mo- ment où je devais prendre physiquement l’une de ces deux places : un besoin flottant mais prégnant de protection, ainsi qu’un fort et déstabilisant désir de transgression. Deux mé- canismes pulsionnels y sont rattachés, à savoir : la réactivation d’angoisses abandonniques et d’une certaine jouissance liées à des pulsions infantiles. La compréhension de cela m’a amené à revenir sur mon histoire personnelle ainsi que sur mon parcours d’analyse.

Le groupe est une entité qui m’a toujours fascinée, ce qui est à mettre en lien lien avec mon histoire culturelle. Je suis née dans une culture occidentale plutôt individualiste, même si traditionnellement familiale, celle italienne. Cependant, j’ai grandi dans des cul- tures africaines, plus collectives, celles de la Somalie et du Mali, marquées par des manières de faire claniques et groupales. Lorsque je réfléchis à ce qui a réactivé chez moi l’expérience groupale multi-culturelle, une double référence surgit en moi, celle qui émerge

de mes origines et appartenances culturelles filiatives et affiliatives. Premièrement, le groupe prend toute la valence contenante, maternante et apaisante qui accompagne les sages qui apprennent aux enfants les histoires qui les guideront dans la vie. Dans ce sens, le groupe devient une totalité dans lequel le ‘’nous’’ atténue l’importance des différences visibles, comme ma couleur de peau, et invisibles, comme mes filiations culturelles. Ainsi, je faisais partie de ce ‘’tout-nous’’ des enfants qui suivaient les cours du maître à l’école coranique, qui se faisaient tresser et apprenaient la cuisine avec les femmes noires, qui es- pionnaient les blancs pendant les réunions de missions, qui profitaient des fêtes rituelles pour se moquer des grands, tout en découvrant le monde de la séduction dans leurs dans- es. Deuxièmement, le groupe porte toute la valence effrayante, voire traumatique, celle d’être encerclée par des étrangers, ou plutôt d’être l’étrangère encerclée par des personnes qui elles ne sont pas étrangères entre elles. Dans cette situation le groupe devient une en- tité dont il faut se défendre, puisqu’il attaque sans laisser d’issue. Seule enfant blanc de toute la région, il m’est arrivée à plusieurs reprises de ressentir ce sentiment d’enferme- ment, par exemple au marché dans des villages du dogon, ou les premiers jours d’école, quand je me faisais ‘’emprisonner’’ par des enfants noirs qui essayaient de me toucher, cer- tains de me griffer, pour voir si sous le ‘’blanc’’ de ma peau il y avait aussi du ‘’noir’’. Je me défendais à coup de bâton, pour ‘’sauver ma peau’’. J’avais bien entendu mes protecteurs, à savoir mes parents mais aussi ma tâta Mana qui s’occupait de moi, mon maître d’école ou des bons amis qui m’ont permis de me construire dans un métissage bienveillant. Cepen- dant, ce sentiment d’étrangeté, de solitude, voire même de frayeur, ce véritable dépayse- ment que l’on peut ressentir lorsqu’on se retrouve seul au milieu d’un groupe, est resté an- cré en moi. Par ces épisodes, je me suis confrontée à ce qui signifie de représenter cet autre « symbole de la curiosité et de l’énigme indéchiffrable » (Moro, 1997; 21), porteur à la fois de l’effrayante étrangeté et de l’altérité fascinante. Quand je vois dans le groupe transcul- turel un enfant jouer seul, je me revois surement au milieu de ces groupes. Le besoin de réduire la distance avec l’autre, et par delà certainement avec moi-même, m’apparaît fon- damental. Quand je suis ‘’passée à l’acte’’, rejoignant le petit garçon noir par terre, il s’est agît d’un besoin inconscient agît dans le réel. Je trouvais insupportable qu’il soit seul dans sa singularité, loin des étrangers/thérapeutes mais aussi loin de moi, étrangère entre les étrangers. Il m’a fallu le rejoindre, pour réunir les singularités, le noir et le blanc, l’enfant et l’adulte, mais aussi patient et thérapeute, dans un aménagement du cadre thérapeutique nécessaire afin de réduire cette distance. Initialement, ceci s’est traduit par une drôle de collision dans mes ressentis et ce n’est que dans l’après-coup que j’ai pu analyser mes réac- tions inconscientes afin de trouver la nécessaire bonne distance. Un décentrage par rapport

à ma propre position d’enfant/ver et aussi d’enfant/novice a été nécessaire pour permettre l’appropriation singulière de mon rôle de cothérapeute dans le groupe. Dans ma première expérience dans le groupe, la pulsion transgressive a prévalu. Le désir de réparation a probablement donné l’impulsion à mes mouvements pour rejoindre l’enfant au centre du groupe et devenir son alliée dans le jeu. Pour pouvoir réparer mon propre ‘’trauma du con- tact’’, quelque part, je me suis retrouvée à apprivoiser et toucher l’altérité, sans peur, ni mé- fiance, enlevant toute distance. Par la suite, c’est une pulsion protectrice qui s’est installée. Etant moi-même protégée par les sages-cothérapeutes et par la maître/mère-thérapeute principale, je me suis autorisée à me remettre au centre du groupe pour protéger, à travers cet accompagnement privilégié, les enfants dans la découverte des qualités contenantes/ maternantes du groupe, celles que je connais désormais.

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