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A III : LE DESSIN D’ENFANT ET LA CULTURE

2. LA PLACE DE LA CULTURE DANS LES APPROCHES DU DESSIN D’ENFANT

2.1 APPROCHE UNIVERSALISTE

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Depuis ses débuts avec Luquet ou même Freud, la position traditionnelle de l’approche cul- turelle du dessin d’enfant se veut universaliste. Les représentations graphiques auraient caractère universel au regard de la capacité reconnaissable des dessins. C’est-à-dire que tout enfant peut reconnaitre dans les dessins des autres une représentation de la réalité (Pinto-Bombi, 1999). Aussi, cette universalité se retrouverait dans le constat de l’expérime- ntation de la trace graphique. Dans d’autres pays, nous trouvons également le concept du dessin comme une activité qui concerne tout enfant quel que soit l’époque, la culture et le statut social de l’individu. Dans cette perspective, le dessin ne serait pas dissociable de la

culture dans laquelle il est produit, bien qu’il conserverait son principe d’universalité tem- porelle, géographique et culturelle (Ibid.).

Nous allons parcourir les différentes approches universalistes et les critiques qui ont soulevées.

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2.1.1 LES DESSINS DES ENFANTS DU MONDE ENTIER SE RESSEMBLENT-ILS ?

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Un sujet de recherche considérable concernant l’universalité des dessins, est celui des thèmes du dessin, leur récurrence quelque soit la culture, par exemple, le thème du bon- homme (Machover, 1949) ou encore le dessin de l’arbre (Stora, 1955). Quant à la maison, plusieurs auteurs en soulignent la valeur universelle : elle revient dans toutes les cultures sous des formes qui varient selon le matériel et la technique de la région (Van den Boss- che, 2006).

Les recherches universalistes (par exemple Kellogg, 1970 ; Baldy, 2011) s’appuient souvent sur l’idée que l’enfant, jusqu’à un certain âge, subit très peu le biais de la culture, sociale et familiale. Dans une première période, les études visaient à montrer que le dessin serait caractérisé essentiellement par des aspects universaux liés aux contraintes intrinsèques à l’acte de dessiner (Baldy, 2011). Ainsi, les mêmes formes graphiques primitives et les mêmes biais d’exécution se retrouveraient dans toutes les cultures. À ce propos, Olivier (1974; 199) répertorie « une trentaine d’éléments graphiques » qui constituent le système dans lequel l’enfant conçoit tous ses dessins jusqu’à six ans. Van Sommers (1984) définit « une dizaine de classes d’éléments graphiques standards » qu’il nomme ‘’primitives’’ (Ibid.; 185*). Krampen (1984) considère comme universel le langage graphique qui s’exprime dans les dessins ainsi que dans la copie de modèles. Wallon (1987) qui conclut son étude sur mille enfants d’âge scolaire constatant « l’unicité du mode évolutif des animaux et des per- sonnages chez l’enfant de scolarité primaire tout au moins » (17-18).

Si la conception figurative du dessin est culturellement acquise, ceci n’arriverait que quand l’enfant, de manière inconsciente, observe les modèles graphiques qui l’entourent et répond aux incitations de son entourage. Certains auteurs s’aventurent jusqu’à se prononcer sur l’âge, six ans environ (Baldy, 2011), âge auquel l’enfant commencerait à être influencé par les modèles culturels. L’évolution du dessin dépendrait donc essentiellement du développement moteur et cognitif de l’enfant.

Certaines recherches ont démontré que, si le dessin du bonhomme ne peut pas être con- sidéré comme indépendant de la culture, il est cependant peu sensible au contexte social et culturel. La raison principale de ce constat est que les dessins d’enfant ne seraient pas

encore trop influencés par les modèles externes, notamment à l’âge préscolaire. En fait, selon certains auteurs, ce n’est pas la culture qui joue sur la production graphique. « L’élé- ment intellectuel est le facteur prédominant dans la détermination du résultat » (Goode- nough, 1926 ; 62).

Hilda Eng soutenait avoir démontré dans ses travaux que les dessins d’enfant du monde entier se ressemblent dans leur configuration générale. Reprenant ces recherches, Kellogg (1970) a essayé de montrer ce qu’en serait le dénominateur commun. L’objectif de sa recherche était de démontrer l’existence de tracés qui appartiennent à tout sujet selon l’âge, d’où sa théorie par stades du développement ‘’universel’’ du dessin d’enfant.

Aubin (1970) cherche à découvrir des éléments ‘’trahissant’’ la personnalité de l’enfant dans ses dessins. Il cite quelques concepts universels mais suggère de les considérer avec pru- dence. L’interprétation des dessins ne peut se faire que sur la base de l’analyse du vécu et du contexte dans lequel l’enfant vit et se développe (Ibid.; 27). Il dit par exemple que le dessin de la lune représente une préoccupation de l’enfant pour son sexe, puisque « la lune évoque une idée de rythme, de périodicité et se trouve liée au cycle menstruel qui carac- térise la vie génitale de la femme, aux fonctions de reproduction et à la végétation » (Ibid.; 52). Ainsi, Aubin propose l’archétype qui reconnait à la lune et au soleil respectivement des qualités féminines et masculines. Cette vision a été fortement contestée, par exemple par Van den Bossche (2006) : « La présence de la lune ne peut-elle pas se manifester par sim- ple souci esthétique ou sous l’influence de modèles présents dans des œuvres d’adultes ? N’est-ce pas parce que nous connaissons le caractère périodique de la lune que nous cher- chons à interpréter sa présence dans l’œuvre picturale comme élément lié à la féminité ? (…) Que faut-il déduire du fait que dans la langue allemande on parle de ‘’Der Mond une die Sonne’’ (la soleil et le lune), ce qui semble donner à la lune une valeur masculine et au soleil une valeur féminine ? » (Ibid.; 15).

L’approche universaliste du dessin d’enfant a été fortement critiquée (De l’Estoile, 2007). Une position qui nie l’altérité culturelle de l’enfant est éthiquement et déontologiquement par recevable. De plus, les recherches universalistes nous semblent donner peu d’importa- nce aux enjeux culturels des lieux de vie ; dans plusieurs cultures d’Afrique par exemple, les enfants n’ont pas l’habitude de dessiner (Widlöcher, 1965), dans d’autres cultures, comme au Japon par exemple, l’écriture passe par des idéogrammes où l’image dessinée représente un concept et non pas une lettre. Ces caractéristiques nous semblent fonda- mentales pour une approche du dessin dans laquelle une vision monadique, universaliste, nous paraît réductrice.

Nous concordons avec les auteurs sur la « réalité de la pulsion graphique » (De l’Estoile, 2007) enfantine qui pourrait exister de manière universelle. Cela ne signifie pas réduire tout dessin d’enfant à une seule et univoque dimension, quant plutôt s’ouvrir à la complex- ité de l’humain, du petit sujet (Lallemand et Le Moal, 1981), de l’enfantin (Devereux, 1965) d’ici et d’ailleurs, de l’enfant métis (Moro, 2007). A l’universalité de la pulsion graphique nous pensons nécessaire rapprocher une position de modestie pragmatique et culturelle, celle qui favorise la rencontre et le métissage.

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