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A- II : LE DESSIN D’ENFANT

5. APPROCHE PSYCHANALYTIQUE DU DESSIN D’ENFANT

5.5 FRANÇOISE DOLTO

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Pour Dolto, formée à l’analyse du dessin par Morgenstern, « le dessin libre est une expres- sion, une manifestation de la vie profonde. À travers le graphisme le sujet exprime aussi ses difficultés, ses troubles nous apparaissent non voilés, le dessin nous livre en effet l’inconsc- ient du sujet et nous révèle ainsi son ‘’climat psychologique’’, il représente donc pour nous un instantané de l’état affectif » (Dolto, 1948; 337). Le dessin de l’enfant ne se résume alors pas à un mode d’expression, ou de représentation, symbolique des émotions ni à une sim- ple projection des fantasmes inconscients. « On ne dessine pas, on se dessine et l’on se voit électivement dans une des parties du dessin (…) Non, on ne raconte pas un dessin, c’est l’enfant lui-même qui se raconte à travers le dessin. Un dessin, c’est un fantasme extempo- rané dans une analyse ; c’est comme cela qu’il faut l’écouter » (Dolto et Nasio, 1987; 12). Elle dit bien « écouter » le dessin.

Son approche originale du dessin dans la cure est étroitement liée à sa théorisation de l’image inconsciente du corps. C’est cette image qui est projetée dans le dessin qui con- stitue un « autoportrait inconscient » (Dolto, 1984). C’est en quelque sorte l’identité subjec- tive de l’enfant, ancrée dans le corps de sensations, qui se projette en dessin dans l’actuel de la séance. L’image inconsciente du corps correspond entre autre à «l’incarnation symbol- ique inconsciente du sujet désirant » (Ibid.; 22). L’expression graphique enfantine est une manifestation de la vie profonde de l’enfant puisque dans le dessin « tout est donné en même temps » (Ibid.; 181). Le dessin a une valeur projective, l’enfant y projetterait une im- age totale de lui-même. Elle propose une interprétation de la symbolique de l’espace graphique qui est liée à la personnalité de l’enfant, mais aussi à ses rapports avec autrui. L’image inconsciente du corps est en effet la synthèse de toutes les relations vécues dans l’histoire de l’enfant.

Pour Dolto, le travail avec l’enfant et son dessin consiste à encourager le déploiement des contenus fantasmatiques actualisés par le dessin et dans le transfert jusqu’au point maxi- mal supportable par l’enfant. Il s’agit de relancer la fantasmatisation et non d’interpréter.

Par le dessin, l’enfant montre à l’analyste ses fixations à une image du corps de son passé mais il permet aussi l’ouverture, dans le cadre de la relation transférentielle, d’un espace inédit où le désir se déploie et où l’image inconsciente du corps se construit. C’est l’acte même de dessiner, la dynamique instaurée par le dessin dans la cure, qui prime sur le con- tenu du dessin (Garcia-Fons, 2002).

Dolto a tenté de trouver une correspondance entre les particularités formelles du dessin et les éléments cliniques, en comparant les éléments signifiants dans les dessins d’enfants différents. Elle parle du «  réel d’un code général  » (1982) pour dire le sens préétabli du symbole. Ainsi, elle répertorie les différentes significations possibles des caractères repérables d’un dessin : la composition, le thème, les formes, le graphisme ainsi que les couleurs. L’image du corps s’exprimerait dans toutes les représentations du dessin : auto- portraits, dessins de personnages, d’animaux, etc. Dans les projections de l’image incon- sciente du corps sont inclus aussi les dessins d’objets ou de végétaux qui correspondent à des images spécifiques du corps à des moments de l’histoire du sujet. L’analyse des dessins permet de se faire une représentation de l’enfant « d’une part sur sa vitalité, son appétit, son équilibre, tout son métabolisme (instincts végétatifs), besoin d’air, d’eau, de lumière, de nourriture ; d’autre part sur son agressivité, sa passivité (instincts animaux), ses besoins moteurs et productifs » (Dolto, 1948; 342). Mais, attention, nous dit Dolto. Le dessin se prête à une multiplicité d’interprétations, il est nécessaire de ne pas forcer le sens de l’éclairci- ssement. « Il n’y a pas de hasard dans un dessin, tout y est nécessaire. (…) Nous ne pouvons pas toujours en comprendre tout le sens » (Dolto, 1948; 345).

L’énorme travail de Dolto sur le dessin d’enfant a laissé une trace incontournable sur la théorisation des auteurs successifs, notamment en France. Suivant la pensée de Dolto, Widlöcher (1965) dira que « chaque détail du dessin porte la marque de la vie émotion- nelle de l’enfant » (Ibid.; 92). Abraham (1985), qui travaille aussi à partir de la projection de l’image du corps dans le dessin à la suite de Dolto, souligne que les catégories séparées du physique et du psychique n’existent pas dans la réalité puisqu’elles « constituent l’unité in- divisible de l’être au monde ». Lefebure (1994), élève de Dolto, montre la progression du dessin selon les phases freudiennes de l’évolution psychique, passant du schéma corporel à l’enfance jusqu’à l’adolescence. Selon l’auteur, à la représentation des premières sensations, curiosités et découvertes des stades oral et anal, succède l’extériorisation de la personnal- ité : agressivité du stade phallique, sexualité et recherche du Moi de l’Œdipe. Enfin il y a les difficultés d’identifications et d’adaptation qui marquent le passage schizoïdes de l’adole- scence.

Une critique de cette approche vient d’Annie Anzieu (1996). Pour Dolto, chaque dessin est considéré comme un autoportrait inconscient où se jouent les pathologies, les dysfonc- tionnements et les conflits affectifs du dessinateur. Selon Anzieu, les interprétations des dessins, bien qu’elles aient valeur de portrait psychologique, ne sont jamais appréhendées en tant que représentants des relations aux objets internes. Ceci est primordial, puisque si les traces repérées dans les formes modelées peuvent se faire représentantes de l’image du corps, il n’en demeure pas moins que cette image change avec le temps et avec la rela- tion dans laquelle elle se vit (Ibid.).

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