• Aucun résultat trouvé

A- II : LE DESSIN D’ENFANT

2. LES APPROCHES PAR STADES DU DESSIN D’ENFANT

2.1 APPROCHE EVOLUTIONNISTE

!

Les fondements conceptuels de cette approche sont de nature bio-génétique et s’originent dans les travaux de Spencer et Muller (1864). Le postulat fondamental en est que le développement de l’individu est régi par les mêmes lois qui président à l’évolution de l’espèce humaine. Plusieurs études comparatives ont été menées entre les dessins d’enfants et les dessins des primitifs. Lamprecht (1905, 1906) semble avoir été le premier anthropo- logue à appliquer au dessin la théorie bio-génétique. Van Gennep (1911), dans ses études sur les dessins chez les primitifs, rapporte que la représentation figurée est apparue bien avant le dessin géométrique ainsi que le dessin alphabétiforme. D’autres nombreux auteurs ont utilisé une approche classificatoire par étapes évolutives pour rendre compte de l’évolution du dessin. Kerschensteiner (1905) a étudié des milliers de dessins d’enfants allemands et les a classifiés en trois phases évolutives : dessins schématiques, dessins ap- partenant à l’imagination visuelle, et les dessins de la dimensionalité et de l’espace. Rouma (1912) s’est intéressé notamment au dessin de la figure humaine qu’il utilise comme révélateur de l’évolution mentale chez l’individu et dans l’espèce humaine plus en général. Il propose alors une classification en dix étapes pour montrer les ressemblances entre les évolutions des dessins d’enfant et les dessins des primitifs.

En opposition à cette première vision évolutionniste, Luquet (1913, 1920, 1927, 1930) sou- tient que les similitudes enfants-primitifs ne sont pas forcément la conséquence des lois bio-génétiques. Selon lui, le dessin évolue à partir du modèle conceptuel interne de l’enfa- nt. Il est l’équivalent d’une image générique dont la représentation visuelle serait, à travers les yeux de l’enfant, la même que l’objet dessiné. Le dessin correspond donc à une réalité psychique qui existe dans l’esprit de l’enfant. L’élaboration du système graphique serait par- allèle à l’évolution psycho-motrice et au développement de l’individu, indépendamment de ses capacités artistiques. Pour ainsi dire, dans cette approche du dessin, à chaque âge cor- respondrait une technique. L’évolution dans les techniques suit l’âge et est marquée par des étapes, passant par des stades qui suivent de très près le développement intellectuel, per- ceptif et moteur.

!

2.1.1 LES STADES DU DESSIN DE LUQUET

!

La théorie des stades de Georges-Henri Luquet (1913, 1927) est encore de nos jours la plus connue. Son travail se base sur l’observation de sa fille, Simone, dont il a recueilli les dessins entre ses 3 et 9 ans, ainsi que sur des études de dessins d’enfants handicapés men-

taux. Luquet précise que « le dessin enfantin ne reste pas identique à lui-même du com- mencement à la fin. Nous devons donc chercher à faire ressortir le caractère distinctif de ses phases successives. Si (…) il est de bout en bout essentiellement réaliste, chacune de ces phases sera caractérisée par une sorte spéciale de réalisme  » (Luquet, 1927 ; 109). Selon son hypothèse l’enfant traverse cinq stades classés selon trois types de réalisme :

-

Premier stade du gribouillage ou griffonnage (0-2 ans). Les marques dessinées par l’enfant sont aléatoires, sans but précis. Il ne fait pas vraiment partie d’un type de réal- isme et reste aux marges du graphisme enfantin proprement dit.

-

Deuxième stade du réalisme fortuit (2-3 ans). « Un dessin n’est pas un tracé exécuté pour faire une image, mais un tracé exécuté simplement pour tracer des lignes. (…) Ces traces une fois produites, l’enfant les voit et constate qu’il en est l’auteur. Cette œuvre involon- taire (…) est pour l’enfant un produit de son activité, une manifestation de sa personnal- ité, une création » (Ibid., 109). Ce n’est qu’accidentellement que ces traces ont une ressemblance avec quelque chose de réel. «  Un jour vient où l’enfant remarque une analogie d’aspect plus ou moins vague entre un de ses tracés et quelque objet réel : il considère alors le tracé comme une représentation de l’objet, à preuve qu’il énonce l’interprétation qu’il en donne » (Ibid., 112).

-

Par une série continue de transitions, l’enfant passe au stade du réalisme manqué (3-4ans). Par jeu, par curiosité et par désir, l’enfant progressivement inverse le sens de la relation d’analogie « forme-objet » découverte, pour expérimenter la relation « objet- forme ». Une série d’opérations mettant en jeu à la fois la structuration de la pensée et la relation à l’imaginaire, amène l’enfant à transcrire par une production graphique la perception immédiate d’une réalité extérieure. L’enfant veut être réaliste mais il se heurte à des obstacles (physiques, graphiques et psychiques) qui lui empêchent d’arriver à l’être. Cette phase est caractérisée par des oscillations plus ou moins longues entre progrès, stagnation, essais, accumulations de détails et régression. « L’incapacité synthé- tique est loin de se corriger tout d’un coup » (Ibid., 127).

-

Le quatrième stade du réalisme intellectuel (à partir de 4 ans). Le dessin peut être véri- tablement réaliste, figurer donc « en même temps que les détails de l’objet représenté leurs relations réciproques dans l’ensemble constitué par leur union » (Ibid., 128). L’en- fant restitue ce qu’il connaît de la réalité, non ce qu’il perçoit ponctuellement, d’un point de vue particulier et à un moment donné. Il ne s’agit pas d’un réalisme visuel, comme chez les adultes par exemple, où le dessin doit être une photographie de l’objet en per- spective. Pour les enfants, un dessin ressemblant est celui qui contient, dans sa forme caractéristique, tous les éléments réels de l’objet, visibles, invisibles ou imaginés. Il

utilise pour cela deux procédés principaux : le rabattement (les objets figurés sont rabat- tus de part et d’autre d’un axe central ou autour d’un point, par une juxtaposition de points de vue frontaux) et la transparence (l’enfant figure à la fois la réalité extérieure, l’apparence de l’objet et sa réalité intérieure, son contenu : la maison et le contenu des pièces).

-

Le dernier stade du réalisme visuel (à partir de 12 ans). L’enfant est tendu vers le désir de maîtriser cette capacité à reproduire la réalité extérieure le plus fidèlement possible, conformément à sa perception rétinienne et aux lois de la perspective. Ce stade final clôture les phases du dessin et pour cela sort du réalisme enfantin pour rentrer dans la vision adulte de l’image.

!