• Aucun résultat trouvé

A III : LE DESSIN D’ENFANT ET LA CULTURE

3. CULTURAL FREE, CULTURE FAIR ET BIAIS TRANSCULTURELS

4.2 LE DESSIN EST-IL UN JEU ?

!

La majorité des auteurs inscrivent le dessin dans une plus large approche de l’activité ludique en thérapie d’enfant. Freud tout d’abord mais surtout les véritables fondateurs de l’analyse enfantine : Klein, A. Freud, Morgenstern, Winnicott, J. Royer et A. Anzieu en psych- analyse ; ou encore Bateson, Satir, Whitaker et Andolfi en thérapie systémique.

Ainsi, selon une approche psychanalytique d’orientation transculturelle, Moro (2008) fait le point sur la place du jeu au sens transculturel. Elle le définit comme un acte psychique en- tre la capacité de vie et la capacité d’illusion. « D’un point de vue transculturel, le jeu est pour nous comme le corps, comme le rêve, à la croisée de l’individuel et du culturel, de l’intrapsychique et de l’intersubjectif » (Ibid.; 20). Pourquoi les enfants ont-ils tant besoin de jouer, ici et ailleurs ? « Le jeu est le support du rêve, de l’imaginaire, du fantasme et aus- si du conflit » (Moro, 2007; 180). De cette manière, nous pouvons élargir cette définition au dessin. Le jeu, tout comme le dessin, est « à la fois inventé, privé et collectif. Les jeux des enfants sont des objets énigmatiques qui disent autant de l’être que du groupe, de la filia- tion que des affiliations, du génie individuel que de la transmission du même, du nous que du je, mot si proche du jeu, du conscient que sans doute de l’inconscient » (Moro, 2008;20). C’est dans le jeu que l’enfant met en acte l’idée d’« apprivoiser la réalité (game), de la tran- scender (play), de l’expérimenter, de la transformer, d’agir sur elle » (Ibid.,;23).

L’enfant choisit sa voie, à la fois culturelle et individuelle, pour exprimer et transformer sa fragilité traumatique en créativité par le dessin (Moro, 2009). «  Le jeu est un processus d’humanisation précieux et universel. Le jeu est le support du rêve, de l’imaginaire, du fan- tasme et aussi du conflit. Il est espace intermédiaire qui rend possible et figurante la sépa- ration d’avec les premières figures d’attachement. Le jeu est sans nul doute un espace d’appropriation de la réalité mais il permet aussi de mobiliser des capacités réparatrices quand c’est nécessaire, de consoler au sens philosophique du terme » (Moro, 2008; 29). Grâce au jeu, comme au dessin, l’enfant expérimente les usages sociaux de la culture pour devenir un membre compétent de son groupe social. Il découvre ainsi le système commun de signification et se construit en accordage à l’autre dans une expérience de plaisir

partagé (Rizzi et al., 2014a). Di (2008) parle du jeu « entre thérapie et culture » quand il interroge les manières de faire du clinicien en transculturel. « Activité naturelle et essen- tielle de l’enfant, le jeu nous est apparu occuper une place importante en psychothérapie transculturelle, lorsque la thérapeute aime jouer et sait jouer avec le jeu et la culture ». De plus, le groupe transculturel permet une « véritable articulation dialectique interactive » entre jeu et interventions des thérapeutes. « D’un côté, un enfant joue, par exemple, avec l’avion en simulant des vols. Par inférence, une proposition est faite sur le voyage au pays d’origine de ses parents. De l’autre côté, c’est une proposition thérapeutique d’aller là-bas d’où on vient que l’enfant perçoit et lui va chercher l’avion et simuler le vol du voyage » (Ibid.; 210). Si « l’important c’est qu’on construit un jeu ensemble » (comme le dit Moro citant son maitre Lebovici - Moro, 2002; 77), cet exemple montre une première dif- férence remarquable entre jeu et dessin. Dans les jeux - comme celui de l’avion par exem- ple, mais aussi des voitures, du train ou des bonhommes/poupées -, il ne faut pas négliger la partie inductrice de la nature des jouets disponibles pour l’enfant en séance. De plus, dans le jeu il s’agit d’une co-construction (Moro, 2002) et le choix des jouets demeure fon- damental. Certains jouets «  conviennent le mieux pour la technique de jeu psychanaly- tique  » (Klein, 1961; 35). Alors qu’avec les dessins, cette possible influence ne passe pas tant par l’objet du jeu mais plutôt par le « graphe du thérapeute » (comme le dit Winnicott (1969) pour le squiggle).

Par ailleurs, ce qui reste similaire au jeu dans le dessin est le lien à l’autre, au thérapeute et au groupe transculturel. Pour comprendre cela, nous soulignons l’importance de « l’expres- sion d’empathie métaphorisante et d’enactement  » (Lebovici, cité par Moro, 2002 ; 104), puisque, « quand il y a mutualité dans le jeu (…) l’interprétation peut faire avancer le travail thérapeutique » (Ibid.). Règle générale à toute thérapie, cet aspect-là acquiert d’autant plus de relief dans une approche transculturelle du jeu d’enfant, où les enjeux culturels s’explo- rent dans les théories étiologiques et dans les actes thérapeutiques. Le thérapeute tran- sculturel joue « avec le jeu de l’enfant », « ‘’joue’’ avec la psyché et la culture des parents et de l’enfant » (Di, 2008; 215). Dans une séance de groupe transculturel, le thérapeute « joue avec l’enfant, lui offre des choses et se met à disposition de ses attentes, se laisse frôler le visage, se laisse attraper les mains, lui offre des choses facilement accessibles pour son imagination et l’organisation de sa pensée. Ne peut-on pas rapprocher ces interactions ludiques à la situation de la mère suffisamment bonne de Winnicott ? Cette dernière doit jouer le jeu de donner à l’enfant l’illusion de la toute puissance en se mettant, et en met- tant des objets, à sa portée quand il les désire. C’est d’ailleurs cette illusion de la toute puissance qui permettra une désillusion et la séparation » (Ibid.). Si la consultation tran-

sculturelle permet de figurer l’altérité, le jeu dans le groupe est à entendre comme un « es- pace potentiel de créativité » au sens du « métissage » de Moro (2002). L’identité idiosyn- crasique et culturelle de l’enfant est dynamisée dans ce mouvement de jeu, de co-construc- tion de ce jeu, qui montre la force des représentations culturelles dans les histoires jouées (Moro, 1994) et dessinées, nous ajoutons.

Le travail par le jeu se fait sur plusieurs niveaux d’interaction : comportemental, affectif, fantasmatique et culturel. Même si ce dernier niveau dénote la spécificité du jeu selon l’approche transculturelle (Di, 2008), Moro (1998) souligne que tous ces niveaux sont infil- trés par la culture. « La spécificité des prises en charge dans de telles consultations ne ré- side pas dans les contenus mais dans les contenants, c’est-à-dire dans les modalités d’établissement du cadre thérapeutique et dans la prise en compte systématique des inter- actions complexes entre le niveau culturel et psychique » (Ibid., 99). Le jeu « devient té- moin et expression d’une sorte de circularité entre le patient, le thérapeute, la souffrance et les univers culturels, celui d’ici et celui de là-bas d’où on vient »(Di, 2008; 222). Il est objet de co-construction, puisque « il révèle d’un côté, la réalité intrapsychique de l’enfant : ses fixations libidinales, ses frustrations, ses pulsions agressives, la nature et la violence de ses angoisses, ses fantasmes, bref tous ces univers et réalités qui l’habitent ou qu’il habite. De l’autre côté, il interagit avec le dispositif thérapeutique et opère comme activité thérapeu- tique du cadre, dans la mesure où il est infiltré par le matériel thérapeutique en l’occurre- nce les propositions thérapeutiques et, influe à son tour sur les propositions, les hypothès- es et donc les actes du thérapeute. Ces derniers qui laissent une place importante au reg- istre culturel génèrent des élaborations et des représentations psychiques spécifiques chez les parents, mais aussi des formes et contenus de jeu de l’enfant » (Ibid.). Dans ce sens, le jeu est un facteur de la thérapie transculturelle, puisqu’il donne à voir le jeu autre, « le jeu de l’altérité, le jeu de l’autre, le jeu avec l’autre : le jeu construit, le jeu métissé, mâtiné de l’enfant et du thérapeute, du dedans et du dehors, de la culture d’ici et celle de là-bas, d’où viennent les parents » (Ibid.).

Pour les enfants reçus dans le groupe transculturel, alors, de quelle manière le dessin, tout comme le jeu, représente cet « espace créatif d’élaboration du métissage des univers, des cultures et des hommes, un espace qui exclut tout clivage, et transforme le sentiment d’étr- angeté de l’étranger en altérité, l’étranger en un autre moi » (Di, 2008; 222) ? Cette question fondamentale guide notre analyse vers une approche transculturelle des dessins d’enfants.

!

!

!

!

!

!

!

!

!

!

!

!

!

!

!

!

B.

PROBLEMATIQUE

ET OBJECTIFS DE LA RECHERCHE

!

!

!

!

!

!

!

La revue de la littérature offre un panorama détaillé des différentes recherches et théories liées au sujet de cette thèse : l’analyse des productions graphiques des enfants dans un cadre groupal transculturel. Cet approfondissement théorique m’est apparu nécessaire pour permettre de situer notre recherche, par rapport aux études antérieures et aux différents approches existantes, dans sa problématique spécifique et sa méthode originale. De nom- breuses questions émergent de la revue de la littérature. Ces interrogations expérimentales - théoriques, cliniques et méthodologiques - constituent la base sur laquelle s’appuie notre problématique de recherche.

!

!

1. Quel cadre thérapeutique pour les dessins des enfants des familles migrantes ?

!

La consultation transculturelle (Moro, 1994) propose un cadre spécifique et original pour les soins en situation transculturelle, c’est-à-dire quand thérapeute et patient ne partagent pas la même culture. La place des enfants dans le groupe est fondamentale au vu de la singularité des enfants des familles migrantes. La migration est un facteur essentiel à prendre en considération pour comprendre la spécificité de ces enfants.

De nombreuses recherches montrent que naître et grandir dans un autre contexte culturel, différent de celui des parents, peut être source de vulnérabilité spécifique pour les enfants (Moro, 2002). Il n’est pas toujours facile de s’inscrire dans une continuité familiale, quand la migration vient en modifier les fondements. De fait, l’enfant est en « oscillation précaire » entre deux mondes, celui de la maison, où se vit la culture d’origine, et celui de l’extérieur, où se joue la culture du pays dans lequel il grandit (Rizzi et al., 2014a). Les écarts entre ces deux mondes sont parfois si importants, étonnants voire même effrayants, qu’ils peuvent être source d’une souffrance, d’une inhibition, ou d’un arrêt du développement de l’enfant. Or, migrer, quitter son pays, et parfois être obligé de le fuir pour s’installer loin de sa com- munauté et de ses proches, n’est pas anodin pour la famille. Elle doit faire preuve d’une grande capacité d’adaptation, ce qui peut se révéler compliqué lorsque la migration est marquée par le traumatisme ou par la réaction dépressive face au bouleversement de l’éloignement. Les enfants, confrontés aux ressentis et aux manières de faire contradictoires de leurs parents, se trouvent souvent perdus face à l’insécurité parentale. Grandir dans ces conditions constitue une possible vulnérabilité pour la structuration psychique des enfants (Moro et Nathan, 1989). Le monde du dedans est fragilisé, celui du dehors n’a pas été présenté, comment l’enfant pourrait-il s’inscrire entre les deux ? S’approprier la richesse de ces deux mondes avec ses cultures, ses nourritures, ses jeux et ses langues, devient donc

parfois impossible et rend le métissage apeurant, voire même traumatique. La prise en charge thérapeutique transculturelle devient alors nécessaire. Les méthodes du groupe transculturel prennent en compte des paramètres ontologiques, étiologiques et des pra- tiques de soin entre l’ici et l’ailleurs (Moro, 2004) pour les familles migrantes et leurs en- fants.

Dans le cadre transculturel, les enfants s’imprègnent des mondes et des paroles des par- ents et des soignants. Les enfants traversent, dans le récit du groupe, différents univers, celui de la famille et celui de l’école, celui de l’ici et celui de l’ailleurs, le monde des adultes et le monde de l’enfance, celui de la maladie, celui de la normalité et de l’anormalité, le monde du jour et le monde de la nuit, celui du visible et celui de l’invisible (Rizzi et al., 2014a). Entre ces mondes, le dessin fonctionne comme un « objet médiateur » (Chouvier et Guerin, 2007), souvent seul recours de l’enfant pour s’exprimer dans un groupe d’adultes.

!

!

2. Quelle approche pour les dessins libres produits en séance familiale groupale ?

!

La revue de la littérature a mis en évidence que seules les approches systémiques et psy- chanalytiques familiales prennent en considération l’utilisation du dessin libre dans le cadre thérapeutique groupal. Les psychanalystes ont largement travaillé sur l’analyse des dessins enfantins dans le cadre thérapeutique. Cependant, aucun auteur ne rend compte d’une méthode d’analyse des dessins produits pendant les séances familiales groupales. L’approche psychanalytique ainsi que l’approche transculturelle mettent en évidence la singularité de chaque enfant et, par conséquence, de ses productions. Le jeu tout particu- lièrement a été abordé d’un point de vue transculturel (Moro, 2008 ; Di, 2008) utilisant une lecture psychanalytique complémentaire à des aspects anthropologiques (Devereux, 1972). Plusieurs évidences cliniques surgissent des réflexions et des écrits transculturels au sujet du dessin d’enfant de migrants. Cependant, aucune recherche ne s’est intéressée à la place des dessins des enfants produits dans un groupe transculturel. Ainsi, le lien spécifique en- tre les cultures des enfants de migrants, leurs métissages, et les productions graphiques enfantines reste inexploré.

!

!

!

!

!

3. Comment analyser la place des cultures de l’enfant dans ses dessins ?

!

La revue de la littérature montre un intérêt croissant des études internationales à propos des mécanismes culturels en jeu dans les dessins des enfants du monde entier. Si le senti- ment d’un certain ‘’universalisme culturel’’ est sous-jacent aux propositions de plusieurs au- teurs sur le sujet, la plupart des recherches se veut plutôt comparatiste ou culturaliste. Dans les deux approches, les résultats des auteurs concordent : les valeurs culturelles s’ex- priment à travers les dessins d’enfants. Donc, s’il n’existe pas de culture sans dessin (univer- salisme), il n’existe non plus de dessin sans culture. Cependant, s’il est vrai que la « pulsion graphique  » est universelle (De l’Estoile, 2007), des exigences culturelles singulières s’imposent-elles sur la production graphique des enfants de migrants ? Une réflexion plus approfondie s’impose à ce sujet.

La revue de la littérature montre que l’étude du lien entre dessin d’enfant et culture néces- site, selon la situation culturelle dans laquelle il se formalise, l’utilisation d’un des trois types d’approches propres aux thérapies culturelles (intraculturelle, interculturelle et tran- sculturelle (métaculturelle) ; Devereux, 1967). Cependant, penchons nous sur une vision du dessin strictement culturaliste. Chaque culture a, sans doute, sa propre représentation du graphisme et du rôle que le dessin occupe dans la vie sociale de l’enfant (niveau intracul- turel). Il est sûrement important d’interroger les similitudes et les différences dans une même culture ainsi qu’entre cultures différentes (niveau interculturel). Cependant, l’objectif final de l’étude du lien entre dessin et culture est-il de s’attendre à une correspondance en- tre une culture particulière et un style graphique, le choix d’une couleur, la trace d’une forme, ou encore l’âge d ‘apparition d’une habilité ? À quoi ces conclusions pourraient-elles nous amener d’un point de vue thérapeutique ? Ces questions marquent l’éthique de notre étude et de notre clinique tout autant que notre approche du dessin et de l’enfant. Dans notre recherche nous imaginons donner naissance à une approche transculturelle des pro- ductions graphiques enfantines qui tienne en compte la singularité spécifique des enfants des migrants ainsi que leur vulnérabilité.

!

!

!

!

!

!

Nos objectifs spécifiques se déclinent donc à partir des trois questions qui émergent de la littérature, que nous résumons par les trois axes suivants :

!

-

La méthode : nous cherchons à construire une méthode transculturelle pour analyser les dessins de ces enfants en lien avec les processus thérapeutiques du cadre groupal famil- ial et les spécificités culturelles que l’enfant porte.

!

-

La théorie : nous interrogeons les processus de construction identitaire des enfants de migrants qui émergent de leurs productions graphiques. Nous essayons de mettre en perspective les dessins des enfants avec la littérature concernant ce sujet. Tout partic- ulièrement nous questionnons les dessins par rapport aux concepts théorisés dans la littérature transculturelle, tels que la vulnérabilité, le clivage, le métissage, la filiation et les affiliations, typiques des enfants de migrants.

!

-

La clinique : nous nous intéressons à la compréhension des manières singulières et mul- tiples que ces enfants utilisent pour s’emparer du dispositif transculturel et à la manière d’accompagner les enfants dans l’expression graphique. Nous nous questionnons sur les dynamiques transféro/contre-transferéntiels des enfants visibles dans les dessins pro- duits durant les séances et sur les contenus psychiques et culturels qu’ils y projettent par rapport aux processus thérapeutiques en acte.

!

!

Plus généralement, l’objectif central de cette recherche est d’améliorer les connaissances sur les processus psychothérapeutiques à l’œuvre dans le domaine de la clinique transcul- turelle concernant les enfants de familles migrantes. Ainsi nous nous proposons d’enrichir la pluralité méthodologique, clinique et théorique de l’approche transculturelle à propos de ces enfants. Notre étude vise donc à interroger la complexité des processus de métis- sage à l’œuvre dans les dessins produits pendant les séances familiales transculturelles.

!

!

!

!

!

!

!

!

!

!

!

!

!

!

!

!

!

!

!

!

C.

MÉTHODOLOGIE

!

!

!

!

!