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1. Réactions d’activation C-H et transfert d’hydrure : concept et généralités

1.2. Transfert d’hydrogène intramoléculaire (HAT) radicalaire

La fonctionnalisation C-H induite par des radicaux, bien qu'elle ait été découverte plus tôt, a joué un rôle moins important dans la progression de la fonctionnalisation C-H sélective.259 Cela est quelque

peu surprenant étant donné que le transfert intramoléculaire d’atome d’hydrogène (HAT) d’une position C-H à un radical est généralement sélectif et exergonique. Cette dernière caractéristique suggère que ces processus pourraient être favorisés dans des conditions de réaction plus douces que leurs analogues catalysés par un métal.

La stratégie générale de fonctionnalisation « à distance » de liaison C-H par HAT peut être divisée en quatre composants principaux (Schéma 119). Les caractéristiques mécanistiques identiques à toutes les réactions HAT intramoléculaires sont : (1) la génération d'un précurseur de radical, (2) l’initiation du radical, (3) la réaction de HAT régiosélective et (4) le piégeage du radical.

Schéma 119 : Étapes fondamentales pour le transfert d’atome d’hydrogène intramoléculaire

La première étape dans l’amorçage d’une réaction HAT intramoléculaire est la formation d’un précurseur à deux électrons qui permettra l’accès à l’intermédiaire clé à un électron. La forme la plus courante d'initiation de HAT provient de radicaux sur les atomes d’azote, oxygène ou carbone.260 Par

exemple, les radicaux azotés sont généralement obtenus par une réduction à transfert mono- électronique ou l'homolyse d'une liaison N-X faible (X est un halogénure ou un nucléofuge de type N2).

257 Liu, C.; Zhang, H.; Shi, W.; Lei, A. Chem. Rev. 2011, 111 (3), 1780–1824.

258 Gandeepan, P.; Müller, T.; Zell, D.; Cera, G.; Warratz, S.; Ackermann, L. Chem. Rev. 2019, 119 (4), 2192–2452. 259 Yi, H.; Zhang, G.; Wang, H.; Huang, Z.; Wang, J.; Singh, A. K.; Lei, A. Chem. Rev. 2017, 117 (13), 9016–9085. 260 Taniguchi, T. Synthesis 2017, 49 (16), 3511–3534.

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158 De même, les radicaux oxygénés sont généralement accessibles par homolyse d'une faible liaison O-X (ou par photo-excitation d'un carbonyle). Enfin, les radicaux carbonés (alkyle, aryle, vinyle) sont accessibles à partir de précurseurs de type C-X avec une faible énergie de liaison. L’étape suivante est la génération de l’intermédiaire radicalaire. Les stratégies classiques utilisaient des acides forts, des températures élevées, des peroxydes instables ou une lumière UV de haute énergie. Plus récemment, des métaux abondants tels que Fe, Cu ou Ni, des réactifs à base d’iode hypervalent et des catalyseurs photo-redox permettent de conduire à des radicaux dans des conditions plus douces. Malgré la nature rapide et exergonique de la réaction de transfert, l’abstraction d’hydrogène radicalaire se produit fréquemment avec une régiosélectivité δ. Ainsi, le transfert 1,5 est le plus courant grâce à un état de transition cyclique pré-organisé à six chaînons, avec une géométrie presque linéaire X-H-C.261 Enfin, le

piégeage du radical final peut s’effectuer avec une grande variété de composés : des radicaux (X●, NO,

ON●), diverses molécules appropriées de type N-X, Si-X, Sn-H, Sn-allyle, des sels métalliques (CuX, CuSCN, CuN3) et des systèmes π (alcènes, arènes).

Dans ce domaine, les radicaux azotés jouent un rôle important, à côté des radicaux oxygénés et carbonés.262 Historiquement, ces radicaux ont été les premiers utilisés pour initier le transfert d'un

atome d’hydrogène à distance. Le premier exemple de fonctionnalisation sélective de liaison C-H via une réaction HAT a été rapporté par Hofmann en 1883 (Schéma 120). Cette réaction radicalaire centrée sur l’atome d’azote, connue sous le nom de réaction de Hofmann-Löffler-Freytag (HLF), découle de l'homolyse photolytique d'une liaison N-haloamine cationique. Le radical cation aminium résultant est suffisamment polarisé pour permettre l'abstraction d'un atome d'hydrogène du carbone en position δ, produisant un nouveau radical carboné. La sélectivité de ce HAT 1,5 est régie par un état de transition semblable à une forme chaise. Le radical C-δ qui s'ensuit est ensuite piégé par recombinaison avec un X● (ou N-X) pour générer un halogénure en position δ, qui est ensuite déplacé

via une cyclisation induite par une base. Cette stratégie d'accès aux pyrrolidines 302 directement à

partir d'amines 300 via l'amination de liaison C-H δ a permis la synthèse simplifiée de plusieurs produits naturels et de leurs dérivés.

261Čeković, Ž. Tetrahedron 2003, 59 (41), 8073–8090.

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Schéma 120 : Réaction de Hofmann-Löffler-Freytag avec des exemples d’applications

En 1985, près d'un siècle plus tard, Suárez et ses collaborateurs ont contourné la nécessité de préformer la N-haloamine en générant in situ une espèce de type N-I 304 (Schéma 121).263 En utilisant

du diode et un oxydant à l’iode hypervalent (PhI(OAc)2), l’intermédiaire N-I 304 est généré et la faible

liaison N-I qui en résulte est homolysée par excitation lumineuse pour générer le radical électrophile. Le besoin de milieux acides est évité par l'utilisation de groupements protecteurs déficients en électrons (NO2, CN) pour polariser le radical azoté. Grâce à cette méthode modifiée de la réaction HLF,

une série de pyrrolidines 306 a été synthétisée, notamment des dérivés de stéroïdes.

Schéma 121 : Amination δ de liaison C-H par formation et homolyse in situ de N-I

En 2015, les groupes de Herrera264 et de Muñiz265 ont exploré séparément d'autres modifications de la

réaction HLF pour la synthèse de pyrrolidines tosylées 309 (Schéma 122). Alors que la réaction HLF développée par Suárez permet l’amination efficace de liaisons C-H faibles (benzylique, tertiaire, α-oxy), Herrera a étudié la réaction 1,5-HAT à partir de liaisons C-H primaires. La solution implique l'ajout lent de l'oxydant PhI(OAc)2 dans le milieu réactionnel afin d'éviter des produits secondaires suroxydés, en

faveur de la réactivité souhaitée. En variante, une réactivité divergente pour accéder aux lactames a

263 de Armas, P.; Carrau, R.; Concepción, J. I.; Francisco, C. G.; Hernández, R.; Suárez, E. Tetrahedron Lett. 1985,

26 (20), 2493–2496.

264 Paz, N. R.; Rodríguez-Sosa, D.; Valdés, H.; Marticorena, R.; Melián, D.; Copano, M. B.; González, C. C.; Herrera,

A. J. Org. Lett. 2015, 17 (10), 2370–2373.

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160 été obtenue en faisant une lente addition de I2, fournissant à la place un large panel de pyrrolidine-2-

ones.

Schéma 122 : Améliorations de l'amination δ C-H de Suarez

Le groupe de Muñiz a proposé une variante catalytique de la réaction de Suárez, en utilisant 10 mol% de I2 et un oxydant d'iode hypervalent adapté. Ceci représente la première réaction catalytique de HLF.

Son utilisation est optimale pour l’activation des liaisons C-H benzyliques et tertiaires.

Un excès de I2 peut générer des produits secondaires oxydés indésirables, conduisant à de mauvais

rendements en produits cycliques dans le cas d’activation de liaisons C-H secondaires. En 2016, le groupe de Nagib a présenté une solution qui évite l'accumulation de I2 en le générant in situ par

l'oxydation lente de NaI.266 Dans cette approche, le triiodure est généré en équilibre avec I

2 et NaI et

limite les produits suroxydés. Cette approche médiée par des ions triiodures est la première à permettre l’amination δ d’amines avec des liaisons C-H secondaires.

Les azotures ont été utilisés comme alternative aux haloamines en tant que précurseurs de radicaux azotés, permettant une réactivité similaire (Schéma 123). En combinant des azotures d'alkyle 310 et le radical Bu3Sn●, Kim et ses collaborateurs ont généré des radicaux azotés qui ont subi une perte de

N2.267 Le radical azoté 311 résultant, stabilisé par le sel d’étain, peut arracher un atome d’hydrogène

en position δ pour donner le radical carboné, qui est ensuite piégé par Bu3SnD pour conduire au produit

δ-deutéré 312 sélectivement. Récemment, des variantes catalysées par des métaux ont également été développées pour la conversion d'azoture en nitrènes. Zhang et ses collaborateurs ont d'abord utilisé cette stratégie en utilisant un catalyseur à base de métalloporphyrine Co(II). Les études mécanistiques suggèrent que la réaction se déroule selon un mécanisme d’abstraction d’un atome d’hydrogène.268

266 Wappes, E. A.; Fosu, S. C.; Chopko, T. C.; Nagib, D. A. Angew. Chem. Int. Ed. 2016, 55 (34), 9974–9978. 267 Kim, S.; Yeon, K. M.; Yoon, K. S. Tetrahedron Lett. 1997, 38 (22), 3919–3922.

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De même, le groupe de Betley a rapporté une amination de liaisons C-H via la formation de nitrène utilisant des catalyseurs à base de Fe(II).269

Schéma 123 : Amination de liaisons C-H à partir d’azotures

En plus des aminations C-H sélectives, des radicaux azotés ont également été utilisés pour intégrer d'autres groupes fonctionnels à partir de liaisons C-H inertes. Par exemple, le piégeage de l’intermédiaire δ-halogéné dans le mécanisme HLF a été développé comme une méthode importante pour former un groupement halogénure en position δ via une fonctionnalisation C-H (Schéma 124). Nikishin et ses collaborateurs ont rapporté la première δ-chloration en 1985 à l'aide de CuCl2 et de

persulfate de sodium.270En 2015, Yu et Qin ont présenté une variante permettant d'accéder à la δ-

chloration à l'aide de catalyse photo-redox à partir de l'amine N-Cl préformée.271 La bromation

sélective de liaisons C-H a été développée par le groupe de Corey à l'aide de la génération in situ d'un trifluoroacétamide N-Br via un amide et de l'hypobromite d'acétyle (AcOBr).272 Dans ces conditions de

réaction, l’amination de type HLF ne se produit pas sur le bromure en position δ.

Schéma 124 : Halogénation sélective de liaisons C-H

En complétant la série des halogènes, Cook et ses collaborateurs ont rapporté la première fluoration sélective de liaison C-H benzylique 313.273Dérivé d’un transfert d’hydrogène à partir d’un radical

amidyle, la transposition de la liaison N-F à une liaison benzylique C-F a été effectuée en présence de Fe(OTf)2 pour conduire au composé fluoré 314 (Schéma 125).

269 Hennessy, E. T.; Betley, T. A. Science 2013, 340 (6132), 591–595.

270 Nikishin, G. I.; Troyansky, E. I.; Lazareva, M. I. Tetrahedron Lett. 1985, 26 (31), 3743–3744. 271 Qin, Q.; Yu, S. Org. Lett. 2015, 17 (8), 1894–1897.

272 Reddy, L. R.; Reddy, B. V. S.; Corey, E. J. Org. Lett. 2006, 8 (13), 2819–2821.

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Schéma 125 : Fluoration de liaison C-H benzylique par Cook

En 2015, J.-Q. Yu et ses collaborateurs ont utilisé des radicaux amidyles pour fonctionnaliser simultanément les liaisons γ et δ C-H dans une réaction en cascade afin de générer des iodo-lactames

316 à partir d'alkylamides 315.274 Mécanistiquement, cette réaction commence par la conversion in

situ d'un amide à l’intermédiaire N-I correspondant par un traitement avec NIS. Après la réaction HAT

1,5, le mécanisme passe ensuite par une β-scission médiée par un radical azido pour conduire à une oléfine terminale. La cyclisation 5-exo-trig et le piégeage par I•donnent le δ-iodo-γ-lactame 316. Cette

méthode sélective de double fonctionnalisation convertit deux liaisons C-H inertes en une seule étape (Schéma 126).

Schéma 126 : γ,δ-Amino-iodation d’amides