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4. Conclusion

1.3. Les aminonitriles en synthèse organique

1.3.1. Modes de réactivité

En 1850, Adolph Strecker décrit pour la première fois la synthèse d’α-aminonitriles dans une réaction à trois composants, portant maintenant son nom, entre des aldéhydes, de l’ammoniaque et du cyanure d’hydrogène.208 Les aminonitriles résultants sont des molécules polyvalentes qui peuvent

servir de précurseurs essentiels dans une large gamme d'applications en synthèse telles que la synthèse de divers composés hétérocycliques azotés, structures fondamentales dans les sciences du vivant. La construction de structures hétérocycliques et le développement de nouvelles synthèses dans

207 Turner, O. J.; Murphy, J. A.; Hirst, D. J.; Talbot, E. P. A. Chem. Eur. J. 2018, 24 (70), 18658–18662. 208 Strecker, A. Justus Liebigs Ann. Chem. 1850, 75 (1), 27–45.

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ce contexte ont été le sujet de nombreuses recherches en synthèse organique.209 Le caractère

bifonctionnel des aminonitriles conduit ainsi à différents modes de réactivité (Schéma 84).210,211

Schéma 84 : Différents modes de réactivité des α-aminonitriles

Le premier mode de réactivité implique l’interconversion du groupe nitrile dans lequel la liaison initiale entre les atomes de carbone est préservée. Sur le plan historique, l'hydrolyse du groupe nitrile en vue de générer un acide aminé A, est peut-être l’utilisation la plus importante des α-aminonitriles. La synthèse de Strecker, suivie de l’hydrolyse du nitrile est en effet une méthode efficace pour accéder aux acides aminés. Il est également possible de réduire le groupement nitrile en utilisant l'hydrure d'aluminium et de lithium pour la préparation de 1,2-diamines B.

Les aminonitriles peuvent être utilisés comme précurseurs stables d’ions iminium. La perte de l'anion cyanure est possible grâce à une large variété de conditions (par exemple, l'utilisation de sels d'argent, des sels de cuivre, des acides de Brønsted ou de Lewis et par thermolyse)212 pour générer un

intermédiaire iminium C qui peut être piégé par des nucléophiles. De cette manière, le groupement nitrile peut être substitué par un atome d'hydrogène en utilisant un agent de réduction ou par une chaîne carbonée en utilisant un nucléophile carboné tel qu’un composé organométallique (réaction de Bruylants) pour donner respectivement les amines D et les amines α-substituées E.213,214,215 Il est

209 Otto, N.; Opatz, T. Chem. Eur. J. 2014, 20 (41), 13064–13077. 210 Enders, D.; Shilvock, J. P. Chem. Soc. Rev. 2000, 29 (5), 359–373. 211 Opatz, T. Synthesis 2009, 0 (12), 1941–1959.

212 Albright, J. D. Tetrahedron 1983, 39 (20), 3207–3233. 213 Bruylants, P. Bull. Soc. Chim. Belg. 1924, 33, 467–478. 214 Bruylants, P.; Mathds, L. Bull. Soc. Chim. Belg. 1926, 35, 139. 215 Ahlbrecht, H.; Dollinger, H. Synthesis 1985, 743–748.

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118 également possible que l'ion iminium intermédiaire puisse subir une tautomérisation pour conduire à l'énamine correspondante F ou subir une hydrolyse pour donner le composé carbonylé G.

Le troisième mode de réactivité, qui est complémentaire au second, est l’inversion de la polarité (Umpolung) du carbone en α. Lorsque l’aminonitrile possède un hydrogène en α (R2 = H), il est possible

de déprotoner cette position en utilisant une base forte. Le carbanion H généré est alors capable d’attaquer différents électrophiles. Ceci permet d'obtenir un nouveau composé α-aminonitrile I qui peut à son tour subir une des transformations mentionnées ci-dessus.

1.3.2. Applications des aminonitriles en conditions acides

Les nitriles sont connus pour donner des sels de différentes compositions avec des acides halogénés (Schéma 85).216Dans la plupart des réactions, l’action de ces acides halogénés sur les nitriles génère

des intermédiaires très réactifs d’halogénures d’imidoyle 268, 269 ou des halogénures de nitrilium

270.

Schéma 85 : Sels générés en présence d’acides halogénés

Dans le cas des aminonitriles, seule la fonction amine est protonée en présence d’un acide fort (acides halogénés, acides minéraux), l’azote de l’amine étant plus basique que l’azote de la fonction nitrile. La protonation de l’amine permet d’augmenter l’électrophilie du carbone de la fonction nitrile. En 1971, Waigh a utilisé cette approche pour la synthèse d’isoquinolines.217 En milieu acide, la fonction nitrile

est activée par la présence de la charge positive sur l’amine. Ainsi l’addition nucléophile d’un aromatique activé par un groupement donneur de type méthoxy (composé 271c) est possible sur le nitrile en présence d’acide sulfurique (Schéma 86). En revanche, sans activation de l’aromatique, les composés 271a et 271b ne conduisent qu’à la formation de l’amide après hydrolyse de la fonction nitrile.

Lorsque l’aromatique est substitué par un groupement méthoxy en position méta, le rendement pour la formation du composé cyclique n’est que de 10% (composé 272d).218

216 Dave, K. G.; Shishoo, C. J.; Devani, M. B.; Kalyanaraman, R.; Ananthan, S.; Ullas, G. V.; Bhadti, V. S. J.

Heterocyclic Chem. 1980, 17 (7), 1497–1500.

217 Harcourt, D. N.; Waigh, R. D. J. Chem. Soc. C 1971, 967–970. 218 Waigh, R. D. J. Chem. Soc., Chem. Commun. 1980, 1164–1165.

Chapitre 2 119 R1 R2 R3 Rendement (%) 272 a H H H - b H H Me - c OMe H H 60 d H OMe H 10

Schéma 86 : Activation et cyclisation de nitriles en présence d’acide sulfurique concentré

En 1984, Euerby et Waigh proposent la même synthèse en utilisant un groupement thiométhyle pour activer l’aromatique 273.219Après 20 jours de réaction à température ambiante en présence d’acide

fluorhydrique anhydre, le composé 275 a été obtenu majoritairement avec 69% de rendement (Schéma 87). En absence de groupement activateur sur l’aromatique, les produits de cyclisation ne sont pas obtenus.

Schéma 87 : Activation d’un nitrile avec de l’acide fluorhydrique

L’utilisation des aminonitriles en synthèse organique pour la formation d’hétérocycles azotés est limitée due à la faible réactivité du groupement nitrile. En conditions acides, l’ion nitrilium formé n’est piégé que par des systèmes aromatiques activés par des groupements donneurs d’électrons. L’utilisation de milieux superacides permettrait d’augmenter le caractère électrophile de la fonction nitrile et sa réactivité envers des nucléophiles plus faibles.

1.3.3. Les aminonitriles en milieu superacide

En 2011, Klumpp a étudié la réaction de Houben-Hoesch sur des aminonitriles en milieu superacide.220

Il a montré que l’addition nucléophile du benzène sur des dérivés d’aminonitriles est possible dans l’acide trifluorométhanesulfonique. D’après les résultats obtenus, des espèces superélectrophiles dicationiques sont impliquées dans les mécanismes de conversion des aminonitriles.

La protonation initiale devrait avoir lieu sur la fonction amine et la réaction de type Friedel/Crafts avec du benzène exige une protonation du groupe nitrile. Cela suggère des intermédiaires

219 Euerby, M. R.; Waigh, R. D. J. Chem. Soc., Chem. Commun. 1984, 127–128. 220 Raja, E. K.; Klumpp, D. A. Tetrahedron 2011, 67 (25), 4494–4497.

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120 superélectrophiles dicationiques 276, 277 et 278 (Schéma 88). Une deuxième protonation au niveau du groupement nitrile est également envisageable, compte tenu des travaux antérieurs de Shudo et Ohwada.

Schéma 88 : Espèces superélectrophiles dicationiques ammonium-nitrilium

Cependant, les travaux décrits par Klumpp semblent établir une corrélation entre le rendement de la réaction et la distance relative entre les centres réactionnels chargés (Tableau 13). Par exemple, le dication 1,5 276 donne le produit souhaité avec un rendement de 95% (Entrée 1), dans le cas du dication 1,4 277, le rendement de la réaction est de 44% (Entrée 2), tandis que le dication 1,3 278 donne un rendement de 12% (Entrée 3). Ce faible rendement peut être expliqué par la difficulté du nitrile à être protoné lorsque l’amine est protonée. Les deux fonctions sont trop proches pour qu’une double protonation de l’aminonitrile soit favorable, ce qui induirait une forte répulsion des charges. Un compromis entre la faculté de générer le superélectrophile souhaité et la réactivité de ce superélectrophile est donc nécessaire.

Tableau 13 : Produits isolés pour la réaction d’aminonitriles avec C6H6 dansCF3SO3H

Entrée Substrat Produit Rendement (%)

1 95

2 44

3 12

Grâce à ces exemples, l’activation en milieu superacide d’aminonitriles peu réactifs pour une addition nucléophile peut être envisagée. Ainsi, l’objectif est de montrer que l’activation superélectrophile d’un ion nitrilium par un groupement ammonium voisin en milieu superacide peut être utilisée pour la synthèse d’hétérocycles azotés à potentiel thérapeutique.

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L’activation d’aminonitriles 279 dans le milieu superacide HF/SbF5 permettrait de développer un

nouveau mode de réactivité de ces espèces et de synthétiser en une seule étape des pipéridones insaturées chirales 280 (Schéma 89). Ces molécules peuvent être considérées comme des briques moléculaires de choix en synthèse organique.221,222

Schéma 89 : Perspectives de synthèses