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1.4. Additions nucléophiles asymétriques

1.4.3. Catalyseurs acides chiraux

Dans une étude importante, List et Čorić ont développé une réaction inédite de spiroacétalisation énantiosélective d'hydroxyénols d'éthers non fonctionnalisés 134, catalysée par un acide de Brønsted chiral (Figure 22a).123 Le stéréocontrôle de la spirocyclisation repose sur l'environnement chiral

« confiné » du catalyseur bifonctionnel. Il possède à la fois un site acide de Brønsted et un site de Brønsted basique (Figure 22b). Ces nouveaux catalyseurs développés par List possèdent des acidités plus importantes que les précédents. Ainsi, il est proposé que la réaction passe par la formation d’un ion carboxonium 137 après protonation de l’éther d’énol. La cavité chirale du contre-ion induit ensuite une approche sélective de l’alcool sur l’ion carboxonium (Figure 22c).

119 Ford, D. D.; Lehnherr, D.; Kennedy, C. R.; Jacobsen, E. N. J. Am. Chem. Soc. 2016, 138 (25), 7860–7863. 120 Ford, D. D.; Lehnherr, D.; Kennedy, C. R.; Jacobsen, E. N. ACS Catal. 2016, 6 (7), 4616–4620.

121 Kennedy, C. R.; Lehnherr, D.; Rajapaksa, N. S.; Ford, D. D.; Park, Y.; Jacobsen, E. N. J. Am. Chem. Soc. 2016, 138

(41), 13525–13528.

122 Park, Y.; Harper, K. C.; Kuhl, N.; Kwan, E. E.; Liu, R. Y.; Jacobsen, E. N. Science 2017, 355 (6321), 162–166. 123Čorić, I.; List, B. Nature 2012, 483 (7389), 315–319.

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Figure 22 : Réactions de spiroacétalisation via la formation d’ions carboxonium par List

Par des expériences de marquage au deutérium, un modèle pour expliquer la stéréochimie des produits formés a été proposé (Figure 23). Initialement, le groupement hydroxyle du substrat est lié par liaison hydrogène au site basique du catalyseur, et l'approche de la partie cyclique se fait par la face re pour éviter les interactions du cycle aliphatique avec le substituant Ra du catalyseur. Après

protonation de l’éther d’énol, l'ion carboxonium formé reste « lié » à l'anion qui dirige l'approche de l'alcool depuis la même face re.

Figure 23 : Modèle de réactivité

Par la suite, le groupe de Nagorny a étudié cette réaction de spiroacétalisation catalysée par des acides phosphoriques chiraux, de la réactivité jusqu’à des études théoriques.124 Les transformations se sont

avérées être sous contrôle cinétique et des solvants non polaires (pentane) et des conditions anhydres (tamis moléculaires) sont essentiels pour atteindre des niveaux élevés de stéréocontrôle. Les études

124 Khomutnyk, Y. Ya.; Argüelles, A. J.; Winschel, G. A.; Sun, Z.; Zimmerman, P. M.; Nagorny, P. J. Am. Chem. Soc. 2016, 138 (1), 444–456.

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58 expérimentales ont été menées pour différencier les mécanismes de type « SN1-like », « SN2-like » et

avec ligation de l’anion phosphate.

Par des expériences de marquage au deutérium, la réaction s’est révélée être diastéréosélective grâce à l’addition syn proton/nucléophile, écartant ainsi la formation d’intermédiaires carboxonium à longue durée de vie. Dans le même temps, il a été constaté que l'équivalent intermoléculaire de ces réactions (la tétrahydropyranylation avec du dihydropyrane marqué d3) se déroule de manière non stéréosélective, probablement par un mécanisme différent (de type SN1). L'analyse cinétique de

Hammett de la réaction et des études théoriques approfondies sur le mécanisme ont suggéré qu’un mécanisme asynchrone à une étape était responsable des données expérimentales observées (Figure 24). Ainsi, le mécanisme proposé exploite la bifonctionnalité (site acide de Brønsted/site basique de Lewis) du catalyseur, en désaccord avec la formation d’un ion carboxonium. Il a été démontré par des calculs théoriques que le mécanisme impliquant un phosphate anomérique présente des barrières énergétiques plus élevées, par rapport au mécanisme concerté. De plus, des simulations de dynamique moléculaire ont montré que la durée de vie moyenne des structures carboxonium était de 519 ± 240 fs (femtosecondes = 10-15 secondes), ce qui ne permet pas la formation d'un intermédiaire ionique

stable. La stéréosélectivité de la réaction a été étudiée et les interactions clés qui favorisent les résultats observés expérimentalement ont été identifiées comme étant liées aux substituants 3,3′- aryle de l’acide phosphorique chiral et aux substituants du groupement alcool du substrat. Ce modèle stéréochimique est cohérent avec les résultats expérimentaux observés en termes de sélectivité et de niveau d’énantiocontrôle.

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Cette stratégie de conception de catalyseur basée sur un site actif contraint chiral est particulièrement efficace pour les réactions énantiosélectives de petits substrats aliphatiques. Ces catalyseurs ne sont pas efficaces lorsque les substrats possèdent des substituants encombrants, aromatiques ou de groupements protecteurs volumineux.

Tous ces exemples sont limités à l'utilisation d'ions carboxonium stabilisés par résonance dans des systèmes cycliques à six chaînons. En revanche, la formation énantiosélective de tétrahydrofuranes ou de tétrahydropyranes via des réactions d’addition nucléophiles sur des ions carboxonium aliphatiques et cycliques est plus difficile à contrôler. Leur forte électrophilie conduit souvent à la dégradation du catalyseur et, leur petite taille et l'absence de fonctionnalisation rendent l'énantio-différentiation difficile.

Le groupe de Benjamin List a relevé ce défi en développant une synthèse efficace et énantiosélective de tétrahydrofuranes non fonctionnalisés chiraux 141 (Figure 25).125 Des acides de Brønsted chiraux

développés antérieurement par le groupe ont été testés pour effectuer la réaction de substitution de l'acétate de lactol avec un nucléophile de type silylcétène via la formation supposée de l'intermédiaire carboxonium 140.

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Figure 25 : Etude de différents acides de Brønsted chiraux développés par List pour la synthèse du tétrahydrofurane 141

Le catalyseur disulfonimide (DSI) s'est révélé très actif, mais son site actif, pas suffisament contraint, ne permet pas d’induction chirale. Le catalyseur imidodiphosphate (IDP) s’est montré peu actif pour activer le substrat par abstraction de l'anion acétate. Par contre, l’imidodiphosphorimidate (IDPi) présente une activité catalytique très élevée dans cette réaction, avec un rapport d’énantiomères de 98:2 dans la formation du tétrahydrofurane (S)-141. Ce catalyseur présente un site actif plus contraint et une acidité beaucoup plus forte (pKa(MeCN) = 2) par rapport au DSI (pKa (MeCN) = 8,4) et à l’IDP (pKa (MeCN) = 11,5), ce qui induit une meilleure activité pour la formation de l’ion carboxonium et une induction chirale supérieure.

Pour élucider le mécanisme (Schéma 53), les excès énantiomériques des substrats 139 et du produit

(S)-141 ont été mesurés au cours de la réaction en fonction de la conversion (Figure 26). Alors que

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apparait que l'un des énantiomères du substrat réagit plus rapidement que l'autre, permettant un enrichissement progressif. Ce phénomène correspond à un graphique théorique utilisant l'équation de Kagan126avec un facteur de sélectivité d’environ 4. Le fait que les deux énantiomères sont convertis

en un même produit énantiomériquement pur est compatible avec un mécanisme de type SN1

impliquant un ion oxocarbénium cyclique associé à son contre-ion chiral.

Schéma 53 : Mécanisme proposé

Figure 26 : Excès énantiomérique en fonction de la conversion (s = facteur de sélectivité, c = conversion, ee = excès énantiomérique, sm = substrat)