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Chapitre 4 : Discussion

4.4 Abus sexuel, polyvictimisation et continuité des comportements sexuels

4.4.1 Trajectoires de victimisation à l’enfance et continuité des comportements sexuels

Tout d’abord, les jeunes qui présentent encore des CSP à l’adolescence sont plus nombreux à vivre l’abus sexuel durant l’enfance comparativement à ceux ne présentant plus de CSP à l’adolescence. Ce résultat est similaire aux études empiriques antérieures qui soutiennent un lien entre la victimisation sexuelle et la manifestation de comportements d’abus et de violence sexuelle (Burton, 2003 ; Casey, Beadnell, & Lindhorst, 2009 ; Hershkowitz, 2014 ; Lepage et coll., 2010 ; Papalia et coll., 2018 ; Szanto et coll., 2012 ; Tarren-Sweeney, 2008). Plus concrètement, ce présent résultat permet de nuancer que l’abus sexuel a une influence sur la continuité (c.-à-d., de l’enfance à l’adolescence) des CSP des jeunes. Effectivement, pour les fins de ces analyses, tous les jeunes ont présenté une première occurrence de CSP durant l’enfance et ont également manifesté au moins un CSP à l’adolescence. Sur la base de cette observation, il est possible de tirer la conclusion selon laquelle les jeunes qui présentent des CSP en continuité de l’enfance à l’adolescence sont plus enclins de vivre l’abus sexuel au cours de l’enfance. D’ailleurs, cela peut s’expliquer par le fait que la victimisation à l’enfance, telle que l’abus sexuel, est influente pour les expériences de socialisation subséquentes de ces jeunes. En ce sens, cette expérience de victimisation sexuelle peut favoriser le développement de comportements inappropriés et d’attitudes insensibles, ainsi que perturber la régulation émotionnelle. Or, il s’agit d’éléments qui sont observés chez les adolescents avec CSP (p.ex., Smallbone, 2006).

Également, les deux groupes se distinguent en ce qui a trait à la polyvictimisation vécue à l’enfance. En fait, un peu plus de la moitié des jeunes qui présentent encore des CSP à l’adolescence vivent dans un contexte de polyvictimisation, incluant l’abus sexuel, au cours de la période de l’enfance. D’ailleurs, ce résultat est complémentaire aux études passées qui soulèvent que les jeunes qui présentent des CSP ont une trajectoire développementale empreinte de diverses expériences d’abus, voire de polyvictimisation (Lussier et coll., 2018 ; Merrick et coll., 2008 ; Silovsky & Niec, 2002). Toutefois, les résultats de la présente étude indiquent que les jeunes avec des CSP en continuité jusqu’à l’adolescence ne se distinguent pas de ceux n’ayant pas de CSP durant cette période concernant la polyvictimisation à l’enfance, excluant l’abus sexuel. Par conséquent, cela permet de mieux comprendre l’influence de l’abus sexuel au sein des trajectoires de victimisation chez les jeunes qui manifestent des CSP en continuité. Cette étude met donc en évidence que l’abus sexuel vécu dans un contexte de polyvictimisation durant l’enfance a une influence sur la continuité des CSP des jeunes. Il est donc important de considérer l’effet cumulatif de cette victimisation multiple à l’enfance qui est présent chez les enfants avec des CSP en continuité. D’ailleurs, il est possible de faire un certain parallèle avec la théorie de l’attachement telle que suggérée par Marshall (1989 ; 1993) afin d’expliquer la présence de CSP durant la période de l’adolescence. En fait, à l’enfance, le contexte de vie dans lequel a grandi un adolescent qui présente des CSP est caractérisé par de la victimisation et de l’abus. Effectivement, ce contexte peut mener au développement de liens d’attachement insatisfaisants entre l’enfant et son parent. Alors que la période de l’adolescence est marquée par un désir d’indépendance de la part de ces jeunes, la perturbation de ces liens d’attachement rendrait ces derniers plus vulnérables sur le plan interpersonnel. En fait, la transition à l’adolescence est complexe pour toutes sortes de comportements (Marshall et coll., 1993). Durant cette période développementale, les relations avec les pairs sont influencées par les modèles d’attachement développé à l’enfance. À l’adolescence, les jeunes ayant développé un attachement insécure à la suite de victimisation vécue de manière précoce, sont moins empathiques envers autrui et ont d’importantes difficultés sur plan interpersonnel (Marshall et coll., 1993). Ces jeunes sont donc dans l’incapacité de créer des liens d’intimité avec les pairs et ces difficultés peuvent se traduire par la présence de CSP à l’adolescence, ainsi que la persistance de ces comportements (Marshall, 1989 ; 1993 ; Smallbone & McCabe, 2003).

D’autre part, les deux groupes à l’étude se distinguent aussi concernant le fait de vivre une forme de victimisation, autre que l’abus sexuel au cours de l’enfance. À cet effet, les jeunes qui présentent des CSP en continuité sont plus enclins à vivre une forme de victimisation, autre que l’abus sexuel durant l’enfance. Ce résultat est également comparable à quelques recherches scientifiques antérieures qui suggèrent que la victimisation à caractère non sexuel est d’une grande importance dans le développement de comportements sexuels inappropriés chez les jeunes (Merrick et coll., 2008 ; Silovsky & Niec, 2002). À cet égard, les expériences de victimisation non sexuelle peuvent augmenter l’anxiété et la dysrégulation émotionnelle du jeune pouvant l’amener à des comportements sexualisés (p.ex., Merrick et coll., 2008). Toutefois, ces comportements sexualisés étant de nature agressive sont non adaptés. Ainsi, les résultats de la présente étude permettent de préciser que d’autres types de victimisation vécus tôt dans le développement, ont une influence importante sur la continuité des CSP de l’enfance à l’adolescence et plus particulièrement, il s’agit de la négligence parentale.

Par ailleurs, afin de préciser si l’abus sexuel et la polyvictimisation ont une influence sur la nature des gestes à caractère sexuel posés par le jeune à l’adolescence, deux groupes furent comparés. Parmi les jeunes qui ont présenté une première occurrence de CSP durant l’enfance, ceux qui présentent des comportements de violence sexuelle à l’adolescence (p.ex., abus sexuel envers la fratrie biologique ou un pair) ont été comparés à ceux ne présentant pas de comportement de violence sexuelle à l’adolescence. À cet effet, dans la présente étude, il ne semble pas y avoir de relation entre la gravité de la victimisation vécue (p.ex., vivre de la victimisation sexuelle ou de la polyvictimisation) et la nature des gestes sexuels posés par le jeune. Notamment, ces résultats indiquent que les jeunes présentant des comportements de violence sexuelle à l’adolescence ne sont pas plus enclins à vivre une expérience d’abus sexuel à l’enfance que ceux ne présentant pas de comportement de violence sexuelle à l’adolescence. Il en est de même pour la polyvictimisation vécue à l’enfance et la présence d’une forme de victimisation, autre que l’abus sexuel. Ces résultats diffèrent des études antérieures qui ont comparé les délits à caractère sexuel commis par des adolescents à leur propre expérience d’abus sexuel vécu au cours de l’enfance (Burton, 2003 ; Thornberry & Henry, 2013). Par exemple, il fut observé dans l’étude de Burton (2003) que les adolescents

qui ont commis un délit à caractère sexuel et qui ont été agressés sexuellement à l’enfance ont tendance à commettre les mêmes gestes sexuels qu’ils ont eux-mêmes vécu. Contrairement à ces écrits scientifiques antérieurs, dans la présente étude, les comportements de violence sexuelle (p.ex., abus sexuel commis envers la fratrie) commis par l’adolescent ne semblent pas nécessairement associés à une expérience d’abus sexuel vécue au cours de l’enfance. Ainsi, les résultats de cette étude suggèrent que la gravité de l’abus subi à l’enfance (p.ex., vivre dans un contexte de polyvictimisation) et sa nature n’ont pas nécessairement d’impact sur la nature des gestes sexuels commis par le jeune. Ces résultats concordent toutefois avec une étude longitudinale réalisée par Papalia et coll. (2017), alors qu’aucune relation significative n’a été révélée entre la gravité de la victimisation vécue et la manifestation de comportement de délinquance chez les jeunes. En fait, la présence de CSP à l’adolescence serait davantage le résultat de blessures profondes et de difficultés sur le plan interpersonnel (Finkelhor, 2008 ; Gilgun, 2006 ; Marshall et coll., 1993) plutôt que la reproduction des gestes d’abus et de violence sexuelle vécus par le passé (p.ex., Burton, 2003). Néanmoins, l’interprétation de ces derniers résultats doit être faite de manière prudente, puisque la nature spécifique de CSP n’a pu être examinée dans ce présent projet de mémoire.

4.4.2 Trajectoires de victimisation à l’adolescence et continuité des comportements sexuels